Histoire et description du Japon/Livre II

LIVRE II.


Le P. de Monti et Louis d’Alméida dans le Bungo. — Révolte à Omura. — Victoire de Sumitanda. — Vocoxiura est ruiné. — Dangers que courent les missionnaires. — Siège de Méaco. — Ferveur des chrétiens de la capitale. — Voyage du P. Froez et d’Alméida à Méaco. — Description d’un temple fameux. — Les missionnaires sont admis à l’audience impériale. — Révolte contre l’empereur. — Sa mort. — État de la religion dans le Firando et dans le Bungo. — Le royaume de Gotto. — Nobumanga établit le frère de l’empereur sur le trône. Sa fermeté à l’égard des bonzes. — Les missionnaires reviennent à Méaco. — Le P. Froez est reçu à Anzuquiama par Nobunanga. — Vatadono et Niquixoxuni. — Création de Nangazaqui, ville chrétienne. — Mort des Pères de Torrez et Vilela. — Nobunanga est attaqué par les meurtriers de l’empereur. — Mort de Vatadono. — Massacre des bonzes de Iésan. — Nobunanga en guerre avec l’empereur. — Il prend le titre de Cubo-Sama. — Progrès de la religion à Omura.


Le Japon s’ouvrait ainsi tous les jours de plus en plus à l’Évangile, mais la disette de missionnaires empêchait de profiter autant qu’on l’aurait pu de la disposition favorable des peuples. Enfin, le 7 juillet 1563, on vit arriver fort à propos les PP. Froez et de Monti, et Jacques Gonzalès ; ce dernier seul n’était pas prêtre. À peine le P. de Monti fut-il arrivé dans le Bungo que tous les chrétiens, privés depuis longtemps des secours religieux, voulurent se confesser à lui, bien qu’il ne pût les entendre que par le ministère d’un interprète. Le roi Civan continuait de se montrer favorable à la religion, et il accueillit parfaitement les nouveaux, ministres de l’Évangile.

Le prince d’Omura se trouvait alors embarrassé dans une guerre avec un de ses voisins ; le P. de Torrez pria le roi de Bungo de terminer par sa médiation une lutte qui retardait les progrès de la religion. En effet, Civan mit fin à ces débats, et dès que Sumitanda fut libre de ce côté, il employa tout son zèle en faveur de la religion, et commença par abolir une fête pleine de folie et de superstition, qui se célébrait tous les ans en l’honneur des morts. Jusqu’alors tout avait réussi à ce prince, mais le ciel voulut éprouver sa vertu par des revers de fortune. Suivant une coutume inviolable dans ce pays, le prince se rendait tous les ans, à certain jour, en grand cortège, dans un temple où était la statue de son prédécesseur, et pratiquait en son honneur plusieurs cérémonies qui ressemblaient fort à un culte religieux. Le jour marqué étant venu, Sumitanda, ne regardant plus cette statue que comme une idole, la fit arracher du temple et la fit jeter au feu. Les conseillers du prince, qui avaient toujours vu avec peine le roi favoriser le christianisme, profilèrent de cette circonstance pour fomenter sourdement une révolte, à la tête de laquelle ils mirent un fils illégitime de l’ancien roi, qui, à la mort de son père, avait été jugé indigne du trône. Les conjurés voulaient faire du P. de Torrez leur première victime, et ils engagèrent le prince à le prier de venir pour baptiser la princesse son épouse. Sumitanda, ne soupçonnant rien, envoya en effet chercher le supérieur des missionnaires ; mais celui-ci, éclairé par une inspiration divine, ajourna son voyage, malgré les instances des envoyés du prince, et ce retard lui sauva la vie. En effet, dans ce moment même, les rebelles mettaient le feu au palais et à la ville, et le bâtard d’Omura était solennellement proclamé prince. Sumitanda, entouré de flammes et assailli par des ennemis furieux, s’ouvrit un passage le sabre à la main, et, suivi de quelques sujets fidèles, il se cacha dans un petit bois, d’où il gagna ensuite une forteresse bien munie, où il se trouva bientôt assiégé. Une autre troupe s’empara du port de Vocoxiura, qu’elle réduisit en cendres, mais où elle ne trouva personne, la plupart des habitants et les missionnaires s’étant retirés sur les vaisseaux qui étaient en rade. Les insurgés qui tenaient le prince assiégé lui proposèrent de mettre bas les armes s’il voulait adorer les dieux de ses pères et rétablir leur culte ; mais, sans écouter des rebelles qui voulaient lui faire la loi, il se défendit avec une vigueur qui les étonna.

Une révolte avait aussi éclaté dans le royaume d’Arima, et le roi avait été obligé de se retirer dans une forteresse, lorsque son père, qui avait autrefois abdiqué en sa faveur, se mit à la tête de ses vassaux et de quelques sujets fidèles de son fils, et mit les rebelles en déroute. Il garda ensuite les rênes du gouvernement, et éloigna même son fils de la cour. Ce prince, nommé Xengandono, détestait les chrétiens et leur religion qu’il regardait comme la cause des malheurs de sa famille, et commença aussitôt à les persécuter dans les États du fils qu’il venait de détrôner. Il est bien probable qu’il en aurait agi de même avec son autre fils Sumitanda et avec ses sujets chrétiens, s’ils avaient eu besoin de son secours pour se tirer du mauvais pas où ils se trouvaient ; mais le prince d’Omura avait pour lui le Dieu des armées qui lui avait donné des assurances de la victoire en lui montrant, comme à Constantin, le signe du salut dans l’air, et en lui faisant connaître, comme autrefois au premier empereur chrétien, qu’il combattrait pour lui. Sumitanda, ayant appris que de puissants voisins armaient par terre et par mer contre lui, ne crut pas devoir rester dans une place où il était facile à ses ennemis de l’affamer. Il en sortit donc en plein jour en forçant un quartier des assiégeants ; il marcha ensuite hardiment à la rencontre de l’armée ennemie, malgré l’extrême inégalité de ses forces. Sa petite troupe, toute composée de chrétiens, fondit sur les premiers bataillons aux cris de vive Sumitanda, les culbuta sur ceux qui suivaient, et en un moment cette formidable armée se trouva dans un désordre complet. Les chrétiens ne cessèrent de tuer que quand la lassitude leur fit tomber les armes des mains, et ceux des ennemis qui échappèrent à ce carnage assurèrent qu’ils n’avaient pu supporter l’éclat qui sortait des croix que les soldats chrétiens portaient sur leurs habits. Enfin, il semblait que tous les éléments se fussent armés pour une cause si juste, car, tandis qu’on se battait sur terre, une horrible tempête dissipa la flotte ennemie. Quelque temps après, une seconde victoire fit tomber les chefs des révoltés entre les mains de Sumitanda : ils furent décapités, et leurs terres furent réunies au domaine du vainqueur.

La joie d’un succès aussi inattendu fut cependant mêlée de quelque amertume : tout le pays était dans un état déplorable ; il ne restait plus un seul habitant ni une seule maison sur pied à Vocoxiura, et Xengandono persécutait les chrétiens de Cochinotzu ; mais ces courageux néophytes protestèrent à Alméida, qui allait les visiter, qu’ils resteraient toujours fidèles à la religion du Christ.

(1564) Le P. de Torrez, qui était resté pendant tout ce temps dans la rade de Vocoxiura, voyant les bâtiments portugais prêts à mettre à la voile pour les Indes, s’embarqua sur un petit bâtiment que les chrétiens de Ximabara lui avaient envoyé, et se rendit à l’île de Tacaxi, qui est le commencement du royaume de Bungo ; il y fixa sa demeure pour quelque temps, pour être à portée de secourir les Églises du Ximo, et envoya de là Louis Alméida à Fucheo, avec ordre d’en faire partir Damien pour Méaco.

Tandis que ces événements se passaient dans le Ximo, la foi s’établissait solidement dans le centre de l’empire, mais non pas sans de grandes traverses. Nous avons vu qu’en 1561 le P. Vilela avait fait une excursion à Sacai, et qu’il y avait obtenu peu de succès ; il se disposait à retourner à Méaco, lorsqu’il apprit les événements qui agitaient cette capitale. Morindono, roi de Naugato, mécontent du Cubo-Sama, s’étant allié avec quelques autres princes et avec les bonzes negores, avait mis sur pied une armée de quarante mille hommes qui vint surprendre Méaco ; mais après bien des alternatives de succès et de revers, l’empereur défit tous ses ennemis et rentra vainqueur à Méaco. Pendant ces troubles, les chrétiens de la capitale, que Laurent eut le courage de visiter au fort du péril, se montrèrent sujets aussi fidèles que braves, ce qui disposa favorablement à leur égard le Cubo-Sama. Le P. Vilela ne tarda pas à revenir dans cette capitale, où il sévit entouré des néophytes les plus fervents qu’il pût désirer. Les vertus qu’ils pratiquaient avec le plus de zèle étaient précisément celles qui s’éloignent le plus des mœurs du pays ; ainsi les plus fiers des hommes en étaient devenus les plus humbles ; et on voyait les membres les plus riches de la noblesse sacrifier leur fortune pour établir des hôpitaux, eux qui, avant d’être chrétiens, se faisaient un devoir de mépriser et de maltraiter les malheureux.

Les bonzes ne purent voir sans frémir la rapide propagation de la foi chrétienne dans la capitale, et ils portèrent leurs réclamations au gouverneur qui ordonna que la doctrine des missionnaires fût soumise à deux commissaires chargés d’examiner si elle était bonne ou mauvaise. On chargea de cet examen deux bonzes des plus éminents et des plus ennemis du christianisme. Il n’y eut personne qui ne regardât dès lors la religion comme perdue ; mais Dieu, qui se sert quelquefois des plus grossiers instruments pour accomplir ses volontés, voulut qu’un simple villageois chrétien, que les deux bonzes interrogèrent, trouvât dans sa foi profonde assez d’éloquence pour convertir ces docteurs ; et le P. Vilela, qui avait cru devoir s’éloigner, revint en toute hâte de Sacai, pour achever ces deux conversions éclatantes et donner le baptême à ces deux hommes qui devaient être les champions de l’idolâtrie. Ce succès inespéré eut la plus heureuse influence, et on vit accourir au baptême les hommes les plus distingués de la noblesse, parmi lesquels il faut remarquer un seigneur nommé Tacayama, qui reçut le nom de Juste sous lequel il devint célèbre par la suite.

Les affaires de la religion allaient aussi de mieux en mieux dans le Firando, bien que la cour ne s’y montrât pas favorable aux chrétiens ; le christianisme florissait toujours dans la principauté d’Omura et dans le royaume d’Arima où la mort de Xengandono avait rétabli son fils aîné sur le trône. Aussitôt le P. de Torrez courut à Cochinotzu, où il n’eut pas de peine à rendre à cette chrétienté si longtemps opprimée tout son ancien lustre. À Ximabara, les bonzes, ne pouvant exciter une persécution contre les chrétiens, s’en prirent à Léon, le gouverneur de la ville, qui était leur plus ferme appui, et ils le firent empoisonner.

Cependant le navire la Sainte-Croix avait amené au Japon trois nouveaux ouvriers apostoliques que le supérieur-général répartit entre les missions qui en avaient le plus pressant besoin. Il envoya aussi à Méaco le P. Froez avec Louis Alméida, pour se faire rendre un compte exact de l’état des Églises de cette contrée. Les deux missionnaires, après un voyage fort pénible, arrivèrent à Sacai, où le P. Froez fut obligé de laisser Alméida, qui était tombé malade ; il continua sa route, et courut les plus grands dangers à Ozaca. En effet, pendant la nuit qu’il y passa, un incendie très-considérable dévora une partie de la ville, et les idolâtres, auxquels les bonzes avaient persuadé qu’ils devaient attribuer ce malheur à la présence du missionnaire, l’auraient immolé si quelques chrétiens n’eussent trouvé les moyens de le soustraire à leur fureur.

Après son rétablissement, Alméida visita les chrétiens qui se trouvaient dans les villes voisines ; il fut édifié de leurs vertus, et fit partout de nombreuses conversions. Le récit de son voyage contient des détails intéressants sur le pays qu’il parcourut. Voici la description qu’il donne d’un temple dédié à Xaca, qu’il visita. Avant d’y entrer, il lui fallut traverser trois grands portiques soutenus de très-belles colonnes. On montait au premier par un escalier de pierre bien travaillé, et la porte en était flanquée de deux statues colossales qui avaient une massue à la main. Du troisième portique on montait au temple par un second escalier qui ne le cédait point au premier, et deux lions d’une grandeur énorme en gardaient l’entrée. La statue de Xaca était au milieu du temple ; ce dieu était assis, et avait ses deux fils à ses côtés. Ces trois figures avaient chacune sept coudées de haut. Tout le pavé était formé de grandes pierres carrées ; les murailles et les colonnes qui régnaient autour du temple étaient peintes en rouge, et les colonnes étaient de cèdre d’une seule pièce, avec des bases et des chapiteaux de cèdre doré. Le toit, couvert de grandes tuiles ornées de figures et de couleurs très-vives, avait quatre brasses de saillie, et l’on ne comprenait pas ce qui pouvait soutenir en l’air un si énorme poids.

Le P. Froez, en arrivant à Méaco, trouva tous les esprits dans la meilleure disposition à l’égard du christianisme. Le roi de Tamba, jeune prince fort considéré à la cour, venait de recevoir le baptême, et bien des personnes du premier rang paraissaient ébranlées par un si grand exemple. Ce succès augmenta encore quand les missionnaires eurent été admis à l’audience solennelle que l’empereur donne au commencement de l’année. C’était une cérémonie très-auguste. L’empereur, assis à la manière des Orientaux sur une estrade élevée et fort spacieuse, dans une salle où l’or brillait de toutes parts, voyait devant lui, d’un coup d’œil, prosternés contre terre tous ses grands vassaux, rois, princes et grands officiers de la couronne, chacun selon son rang, et portant tous un présent à la main. Un petit geste du souverain, une inclinaison de tête, baisser, en regardant quelqu’un, l’éventail que, selon la coutume du pays, il tenait à la main, tout cela était estimé une grande faveur. Le monarque s’entretenait assez familièrement après l’audience avec ceux qu’il admettait à son intimité. Les deux missionnaires furent cette fois de ce nombre, et l’on vit avec une surprise extrême deux pauvres religieux fort simplement vêtus honorés de la conversation de ce prince, aux yeux des premiers de la cour, sur qui il daignait à peine jeter quelques regards. Avant de se retirer, les missionnaires prirent le thé avec l’empereur, et la mère du Cubo-Sama, à qui ils furent ensuite présentés, leur fit un accueil non moins flatteur. Tout concourait ainsi à donner l’espoir que le christianisme allait dominer dans la capitale de l’empire et jusque dans le palais de l’empereur ; mais de si belles apparences s’évanouirent en un instant, et la chrétienté de Méaco, sauvée de tant de dangers, établie sur des fondements si solides, et cultivée avec tant de soins, était à la veille de se voir ensevelie sous les ruines de l’État, par une des plus étranges révolutions qui se lisent dans l’histoire.

Mioxindono, roi d’Imori et de Cavaxi, était parvenu au plus haut point de gloire et de grandeur où un sujet puisse jamais espérer de monter par la faveur de son souverain. Son mérite, sa réputation, plusieurs victoires qu’il venait de remporter sur ses propres ennemis, après avoir plus d’une fois dompté ceux de son maître, le faisaient regarder de l’empereur comme l’ornement de sa cour et le soutien de son trône. Mais tant de grandeurs n’avaient pu encore satisfaire l’ambition de Mioxindono, et il résolut de franchir par un crime le dernier degré qui le séparait du trône. Ne pouvant agir à Méaco sans le secours de Daxandono qui gouvernait cette place, il lui offrit de partager l’empire avec lui, et à ce prix il le gagna sans peine. Les conjurés disposèrent donc toutes les troupes qui étaient accoutumées à leur obéir, et investirent tout à coup le palais. L’empereur envoya son beau-père pour voir de quoi il s’agissait. Dès que ce seigneur parut sur le pont, les deux chefs de la révolte s’approchèrent, et lui remirent un billet pour son gendre. Il l’ouvrit, et voyant qu’on y demandait sa tête et celle de l’impératrice sa fille, il fit aux deux traîtres les reproches les plus sanglants, mit le billet en pièces, entra chez l’empereur, et, pour lui faire comprendre que tout était désespéré, il se fendit le ventre, et tomba mort à ses pieds. Alors les conjurés mirent le feu au palais ; l’empereur, à la tête de deux cents gardes et de quelques gentilshommes, tenta de s’ouvrir un passage, mais il vit tomber tous ses derniers défenseurs autour de lui, et, se trouvant lui-même couvert de blessures, il se fendit le ventre. Un page de quatorze ans montra un courage extraordinaire ; les rebelles, admirant sa valeur, voulaient le prendre vivant ; mais il s’avance vers les chefs comme pour leur parler, leur reproche leur ingratitude et leur perfidie, jette son épée, saisit son poignard, s’en ouvre le ventre en croix, puis se l’enfonce dans la gorge, et va expirer sur le corps de l’empereur.

Le pillage du palais suivit cette scène de carnage, et toute la famille impériale fut immolée. Deux filles du Cubo-Sama furent cependant sauvées par un chrétien, sans qu’on s’y opposât, et un de ses frères, qui était bonze, put aussi s’échapper. Après que les premières fureurs furent passées, on se contenta d’envoyer en exil ceux qu’on soupçonnait d’attachement à la famille impériale. Les missionnaires furent de ce nombre ; et, grâce à la protection du secrétaire de Mioxindono, qui était chrétien et qui détestait la trahison de son maître, le P. Vilela eut la permission de se retirer à Imory, et le P. Froez avec Damien dans l’île de Canga. À peine étaient-ils partis de Méaco, qu’on y publia l’édit de proscription contre eux et contre leur religion qui fut déclarée abominable. Alors les bonzes triomphèrent, mais ils n’avaient pourtant rien gagné. Les fidèles, dirigés par un ancien bonze que le P. Froez avait chargé de ce soin, se soutinrent dans la foi avec une inébranlable fermeté.

L’Église de Firando était toujours persécutée et toujours fervente. Le roi n’osait se déclarer ouvertement contre le prince Antoine qui avait embrassé le christianisme, mais il l'abreuvait de dégoûts. Ayant appris qu’Antoine recevait des lettres du prince d’Omura, le roi fit, contre le droit des gens, arrêter et exécuter les porteurs de cette correspondance, qui était cependant tout à fait innocente. Quelque temps après, un vaisseau portugais richement chargé arriva dans le port de Firando, mais ayant appris que les chrétiens y étaient persécutés, il le quitta pour se rendre dans l'Omura. À cette nouvelle, le roi, furieux, envoya une flotte de cinquante voiles à la poursuite de ce bâtiment, mais le capitaine portugais, bien que surpris, mit en fuite les Japonnais.

La chrétienté de ce pays fit alors une grande perte : Jean Fernandez mourut à Firando d’une langueur que lui avait causée l’excès de ses travaux. Pour surcroît de malheur, on apprit que deux missionnaires qui venaient au secours de leurs frères avaient péri sur un vaisseau richement chargé, qui apportait des présents du roi de Portugal pour le prince d’Omura.

Cependant un nouveau royaume s’ouvrait au christianisme : le roi de Gotto, qui règne sur cinq îles assez peuplées qui font partie du Figen, voulut être instruit dans la religion chrétienne, et le supérieur-général lui envoya Alméida et Laurent. Déjà ces zélés prédicateurs avaient lieu d’espérer les plus heureux succès, lorsque le roi tomba malade, et les bonzes ne manquèrent pas de publier que les dieux punissaient ce prince d’avoir songé à introduire dans ses États une secte étrangère. Heureusement, Alméida, ayant obtenu de voir le roi, lui administra un remède qui le rendit à la santé. Les conférences recommençaient, mais un incendie qui désola la ville fut encore attribué à la présence des missionnaires, et l’indignation du peuple les menaçait des plus grands dangers. Les deux missionnaires, voyant qu’ils avaient peu de fruits à espérer dans ce pays, s’embarquèrent malgré tous les efforts que fit le prince pour les retenir ; mais une tempête furieuse les força de regagner le port. Alméida pensa que Dieu le voulait dans cette île ; il recommença ses instructions, qui devinrent enfin fructueuses. Vingt-cinq gentilshommes donnèrent l’exemple de la conversion, et trouvèrent de nombreux imitateurs. La ville d’Ocura participa avec la capitale à leurs prédications, et bientôt elle fut presque entièrement chrétienne. Le principal temple fut renversé, et sur ses ruines on bâtit une fort belle église qui fut achevée avec une inconcevable rapidité, car tout le monde y voulait mettre la main. Une guerre qui survint au roi de Gotto lui donna la preuve qu’il n’avait pas de sujets plus braves et plus fidèles que les chrétiens.

Cependant la principauté d’Omura s’ouvrait de plus en plus au christianisme. Les idolâtres prenaient bien tous les moyens d’arrêter ses progrès et tendaient constamment des pièges au prince ; mais son courage et sa prudence le faisaient toujours sortir en vainqueur de ces occasions périlleuses. Un jour qu’il assiégeait une forteresse dont les rebelles s’étaient emparés, il prit avec lui trente chrétiens, les conduisit par des sentiers secrets jusqu’au sommet de la montagne sur laquelle le fort était construit. Dès la pointe du jour, il dirigea une attaque si vigoureuse et si brusque, que la garnison surprise prit la fuite, et fut entièrement détruite par l’armée qui occupait la plaine.

Ce que les victoires de Sumitanda produisaient dans cette principauté, la persécution le faisait dans le Firando. Un bonze nouvellement converti paya de sa tête le zèle qu’il montrait pour la cause de Dieu. Quelques autres néophytes eurent le même sort, mais les infidèles ne gagnèrent à cela que de voir le culte de leurs dieux plus abandonné.

(1566) Une révolution vint bientôt rétablir le christianisme dans son premier lustre à Méaco. En effet, le bonze Cavadono Voyacata, frère de l’empereur, s’était réfugié dans la forteresse de Coca, qui appartenait à Vatadono, seigneur qui se disposait alors à recevoir le baptême. Ce fidèle sujet chercha pour son roi un appui imposant, en s’adressant à Nobunanga, roi de Voary, que son génie supérieur, ses qualités et son courage ont rendu le héros du Japon. Avec l’aide de ce puissant allié, le prince légitime se vit bientôt rétabli sur son trône ; Nobunanga, qui lui avait rendu son pouvoir, voulut lui faire construire un nouveau palais pour remplacer celui que les rebelles avaient incendié ; à son ordre vingt-cinq mille personnes se mirent à l’œuvre, et le général présidait lui-même les travaux, le cimeterre à la main, et couvert, suivant sa coutume, d’une peau de tigre. Comme les pierres manquaient, il fit abattre les monastères et briser les statues des faux dieux, malgré les plaintes et les menaces des bonzes qu’il réduisit promptement au silence.

Vatadono, à qui sa loyauté et son courage avaient aussi donné une grande influence, demanda le rappel des missionnaires, et presque aussitôt, malgré l’opposition du Dairy, le P. Froez rentra à Méaco comme en triomphe et au milieu des acclamations. Nobunanga le reçut très-favorablement, et le Cubo-Sama lui accorda des patentes qui garantissaient sa sûreté et l’autorisaient à prêcher la véritable doctrine au peuple.

Nobunanga s’était réservé tout le pouvoir en laissant les honneurs du trône à l’empereur ; il avait fait de Vatadono son lieutenant à Méaco, et celui-ci continuait de protéger les chrétiens. Nobunanga étant sur le point d’aller faire un voyage dans ses États, le P. Froez fut invité par Vatadono à aller lui souhaiter un bon voyage. Le missionnaire se rendit donc à son palais ; il y trouva un bonze célèbre et aussi méchant qu’habile, qui se nommait Niquixoxuni ; une discussion s’engagea entre eux, et le prêtre idolâtre, furieux de l’avantage que son adversaire avait sur lui, saisit un sabre, et aurait frappé Laurent qui accompagnait le P. Froez, s’il n’en avait été empêché.

À peine le roi de Voary fut-il éloigné de Méaco que Niquixoxuni se mit à intriguer auprès du Dairy pour faire bannir les prêtres européens ; déjà même il semblait sur le point de réussir. D’après le conseil de Vatadono, le P. Froez partit pour aller trouver Nobunanga dans son royaume de Mino. Il le trouva dans sa capitale Anzuquiama, ville qu’il avait fait construire avec une magnificence qui surpassait tout ce qu’on avait vu au Japon jusqu’à lui. Anzuquiama était construite en amphithéâtre au pied d’une montagne qui se terminait en trois sommets ; ses rues larges et droites, les nombreux canaux qui la coupaient, ses magnifiques jardins lui donnaient l’aspect le plus opulent. La cime du mont qui la domine était entourée d’un gros mur de pierre de trente coudées de haut, et sûr le point le plus élevé on voyait le château du roi, auquel on parvenait par de magnifiques escaliers ; tous les appartements étaient d’une richesse incroyable : l’or, l’azur, les plus belles étoffes, les meubles les plus précieux, rien n’y était épargné ; les gonds, les serrures, les pitons des portes et des fenêtres, tout était d’or fin, et les jardins étaient des lieux enchantés. La citadelle dominait encore le château, et on découvrait de là tout le royaume de Mino et celui de Voary. Cette forteresse était terminée par une espèce de dôme surmonté d’une couronne d’or massif. Il était à jour, enrichi en dedans et en dehors de peintures et d’ornements en mosaïque dont le vernis était si brillant, qu’on avait peine à y arrêter la vue. Tels étaient les lieux que l’on appelait communément le Paradis de Nobunanga.

Ce prince reçut très-bien le P. Froez, lui remit une lettre pour l’empereur et une autre pour le Dairy, lui recommandant de ne pas s’inquiéter de tout ce que l’on pourrait tramer contre lui, et lui promettant de le mettre à l’abri de tout danger. Il voulut ensuite lui faire visiter tous ses appartements ainsi que sa forteresse, où il le conduisit lui-même, honneur qu’il n’accordait pas aux plus grands princes. Enfin il lui fit apporter un habit japonnais, lui recommanda de le porter afin qu’on fût instruit de l’affection qu’il lui portait, l’assura de nouveau de sa protection, et le congédia.

Niquixoxuni attribuait à Vatadono le succès des prêtres chrétiens, et le désir de la vengeance lui fit inventer contre ce seigneur un tissu d’accusations si adroitement tramées, que Nobunanga le dépouilla de toutes ses charges, supprima ses pensions, saisit ses revenus et fit raser une de ses forteresses. Cette nouvelle fut un coup de foudre pour les chrétiens ; mais Dieu, qui tourne à son gré le cœur des rois, permit que Nobunanga ne voulût jamais céder en rien à Niquixoxuni sur ce qui regardait les chrétiens. Vatadono, de son côté, n’aidait pas peu à les consoler par la manière héroïque dont il supportait sa disgrâce. Toutefois elle ne dura pas longtemps ; au bout de quelques mois, Nobunanga le rétablit dans tous ses emplois, et Niquixoxuni, convaincu de calomnie, ne dut la vie qu’à l’intercession du Dairy, mais il passa le reste de ses jours dans l’opprobre et dans une affreuse indigence.

(1569) Ainsi le culte du vrai Dieu s’affermissait de plus en plus dans le centre de l’empire. Ses progrès n’étaient pas moins sensibles dans toutes les provinces du Ximo, où la lumière de l’Évangile avait pénétré, et il ne tint pas au roi de Bungo que le Naugato ne devînt tout chrétien. Le prince d’Omura voulait faire de Nangazaqui le centre du commerce des Portugais et un asile toujours assuré pour les chrétiens. Ce lieu présentait un mouillage excellent, et la ville que Sumitanda y fonda prit de rapides développements ; le P. Vilela, qui s’y rendit, la convertit presque entièrement au christianisme, et on y construisit une église.

(1570) Ces nouveaux succès déterminèrent Sumitanda à ordonner à tous ses sujets d’embrasser le christianisme, et d’abord il voulut convertir sa mère, sa femme et ses enfants. À cette époque arriva au Japon le P. François Cabral, qui venait, avec le titre de vice-provincial, décharger le P. de Torrez du poids de la supériorité que son grand âge ne lui permettait plus de porter. Ce fut le nouveau chef de la mission qui baptisa la famille du prince. Le P. de Torrez fut presque aussitôt attaqué d’une fièvre et d’une langueur qui le conduisirent en quelques jours au tombeau ; il expira au milieu des regrets universels des chrétiens et même des infidèles, et dans ces transports de joie qui commencent dès cette vie la souveraine félicité des Saints. Trente mille personnes baptisées de sa main et cinquante églises fondées par ses soins attestent son zèle infatigable, sa charité sans bornes et l’influence que ses vertus lui avaient acquise sur le peuple japonnais. Ses obsèques furent célébrées au milieu d’un concours surprenant et accompagnées de ces acclamations des fidèles qui, dans les premiers siècles de l’Église, canonisaient les saints. Le P. Vilela, qui prononça son éloge, ne lui survécut pas longtemps ; s’étant embarqué pour les Indes, il mourut presque en arrivant à Malaca, et alla recevoir dans le ciel la récompense due aux grands travaux qu’il avait soufferts et aux éminentes vertus qu’il avait pratiquées dans la carrière apostolique.

Vers cette époque, le P. Cabral crut devoir se transporter lui-même dans l’île d’Amacusa, où les missionnaires étaient rappelés, après avoir été obligés de la quitter par suite des révolutions excitées par les bonzes. Sa présence produisit dans cette île les fruits les plus abondants ; le prince et son épouse reçurent le baptême avec leurs deux fils, dont l’aîné, nommé Jean, s’est illustré par son héroïque fermeté à soutenir la foi dans les temps les plus difficiles. Les bonzes se convertirent ou quittèrent l’île, et il n’y resta plus aucun vestige d’idolâtrie.

Mais, de toutes les parties du Ximo, il n’y en avait pas qui donnât plus de consolation aux missionnaires que le Gotto. Bien que les fidèles fussent restés deux ans sans prêtres, leur ferveur ne s’était pas ralentie, et le prince héréditaire, baptisé sous le nom de Louis par le P. de Monti, devint lui-même l’apôtre du pays. Les bonzes, appuyés par un frère du roi, voulurent susciter une révolte ; le roi les força à rentrer dans le devoir, et quelques années après, le prince Louis, étant monté sur le trône après la mort de son père, fit plus que jamais fleurir le christianisme dans le Gotto.

(1571) Tout paraissait alors tranquille dans toutes les parties de l’empire. Nobunanga avait établi son autorité dans la capitale et dans les provinces du domaine impérial, mais il avait laissé trop de pouvoir aux chefs des révoltés qui avaient assassiné le dernier empereur. Ces hommes, humiliés mais non réconciliés, réunirent des forces imposantes et tendirent des embûches au roi de Voary. Mais c’était un homme plus facile à surprendre qu’à vaincre ; aidé de Vatadono qui l’accompagnait, il se défendit si bien à la tête de son escorte, qu’il mit ses ennemis en fuite. Le vice-roi de Méaco se comporta dans cette occasion avec une telle valeur, que Nobunanga, lui présentant son sabre au sortir du combat, déclara qu’il lui devait le succès de la journée. Toutefois Vatadono avait été blessé, et il resta à Tacacuqui pour y attendre son rétablissement. Il profita de ce loisir pour se faire instruire dans la doctrine du christianisme, et il se disposait à recevoir le baptême, lorsqu’il fut tué dans une embuscade, au moment où il courait sans assez de précautions au secours de son frère Tacayama, assiégé dans un fort par un de ses voisins. La surprise et la douleur que ressentit l’Église du Japon fut inexprimable lorsqu’elle apprit cette triste nouvelle. Les chrétiens venaient en effet de perdre leur plus puissant appui ; mais la Providence voulut qu’en même temps l’Église se trouvât délivrée de ses plus implacables ennemis ; voici à quelle occasion.

Nous avons déjà parlé d’une suite de montagnes voisines de Méaco, nommées Iésan, et qui étaient comme le principal sanctuaire des bonzes du Japon. Ces faux prêtres avaient toujours favorisé le parti de Mioxindono et de son collègue ; Nobunanga était instruit que, dans le dernier armement que ces deux princes avaient fait contre lui, ils en avaient reçu de grands secours. Il était résolu de s’en venger, mais il crut devoir dissimuler quelque temps et faire ses préparatifs en secret. Au moment où on s’y attendait le moins, il vint subitement attaquer Iésan qu’il avait fait investir par ses troupes. En vain le Cubo-Sama et le Dairy intercédèrent-ils pour les bonzes, en vain ceuxci lui firent-ils les propositions les plus avantageuses ; rien ne put apaiser un prince qui haïssait les bonzes par passion et par principe, qui savait bien qu’il en était haï, et qu’il devait s’attendre à périr par leurs œuvres, s’il ne les prévenait. Malgré toute la résistance des bonzes, les troupes pénétrèrent jusque dans les plus profondes cavernes de Iésan, et massacrèrent tout ce qu’ils y rencontrèrent de ces religieux idolâtres. Peu de temps après, Nobunanga remporta encore une grande victoire sur les anciens meurtriers de l’empereur ; puis, croyant n’avoir plus rien à redouter de leur part, il montra une grande modération et laissa ses ennemis jouir tranquillement d’une partie de leurs biens.

Le Cubo-Sama avait promis de protéger la religion chrétienne ; mais comme son pouvoir n’avait pas une grande étendue, le P. Cabral crut devoir aller saluer Nobunanga à Anzuquiama ; ce prince le reçut parfaitement, et se tournant vers les seigneurs qui l’accompagnaient, il s’écria : « Voilà des hommes tels que je les aime : droits, sincères et qui me disent des choses solides, au lieu que les bonzes, avec leurs camis et leurs fotoques, ne nous débitent que des fables, et sont de vrais hypocrites. » Il combla ensuite les missionnaires d’honneurs, et leur donna sa parole qu’il leur ferait connaître en toute occasion combien il les estimait. Cette haute protection imposa silence aux ennemis de la foi, et rien ne s’opposa plus aux progrès du christianisme qui se répandit en peu de temps dans tous les royaumes voisins. Celui où les missionnaires recueillirent le plus de fruit, fut le royaume de Tamba, un des cinq qui composent le Tense, et dont le roi se montra l’un des plus fervents propagateurs du christianisme.

(1575) Tout semblait tranquille au Japon, et Nobunanga jouissait en paix de la toute-puissance ; mais l’empereur, qui se sentait en tutelle sur son trône, se laissa entraîner par les conseils dangereux de quelques ambitieux qui l’excitaient à reconquérir l’autorité dont il n’avait que l’apparence. Enfin il déclara la guerre à Nobunanga et poussa l’imprudence jusqu’à s’allier contre lui avec les meurtriers de son père. Le roi de Voary se mit en marche à la tête de cinquante mille hommes, et le bruit seul de sa marche suffit pour dissiper deux puissantes armées qu’on avait envoyées à sa rencontre. Parvenu auprès de Méaco, Nobunanga écrivit à l’empereur pour lui offrir la paix, en lui rappelant que, s’il était sur le trône, c’était à lui qu’il le devait. Il attendit ensuite quatre jours, sans faire aucun acte d’hostilité ; puis il fit piller les environs de la ville, et offrit encore un accommodement ; Cavadono ne voulut rien entendre. Enfin Nobunanga entra dans Méaco, traversa, sans toucher à une seule maison, la ville basse qui avait fait sa soumission, força et brûla la ville haute qui était habitée par les seigneurs, et se présenta devant la citadelle. Alors l’empereur eût voulu traiter, mais il n’était plus temps ; il fallut qu’il se rendît à discrétion. On dit cependant que Nobunanga lui laissa son titre et l’apparence d’un souverain. Quoi qu’il en soit, les historiens, à partir de cette époque, donnent à Nobunanga le titre d’empereur sous lequel nous le désignerons dorénavant. En retournant dans son royaume de Voary, il apprit qu’un aventurier avait pillé quelques provinces, et avait déposé son butin dans un lieu nommé Facusin, où il y avait une université de bonzes. Il n’en fallait pas tant pour réveiller toute la haine de l’empereur contre ces prêtres idolâtres ; il brûla Facusin et n’y laissa pas une maison sur pied.

Le P. Cabral profita de la paix qui succéda à ces troubles pour visiter les provinces où les fidèles étaient sans pasteurs, et il y rencontra partout de grands sujets de consolation. Quoique depuis dix ans aucun missionnaire n’eût paru à Facata, le vice-provincial y trouva une fort belle église et des chrétiens en grand nombre. De là, il passa dans le Naugato, où la chrétienté d’Amanguchi gémissait sous la tyrannie de Morindono ; très-peu de chrétiens avaient échappé aux carnages furieux par lesquels ce conquérant s’était frayé un chemin au trône ; il y avait cependant encore un petit troupeau de fidèles qui s’assemblaient régulièrement chez l’un d’entre eux. Le P. Cabral baptisa à Amanguchi un homme de distinction qu’un pauvre ouvrier chrétien avait converti. Le supérieur de la retraite arriva ensuite à Amura, où il trouva Sumitanda qui venait d’échapper au danger le plus imminent ; en effet il avait été surpris par ses ennemis dans un château où il se trouvait seulement avec douze hommes, et il ne semblait pas possible qu’il échappât. Cependant, aidé de trente chrétiens qui étaient parvenus à le rejoindre, il repoussa une première fois les agresseurs dans le chemin étroit qui conduisait à sa forteresse. Bientôt il vit sa petite troupe se grossir de sujets fidèles ; il mit avec une poignée d’hommes une armée en déroute ; la tempête dispersa la flotte du Firando qui le menaçait, et il finit par s’emparer de plusieurs places importantes sur des ennemis auxquels il semblait d’abord hors d’état de résister.

Tant de marques sensibles d’une protection particulière du ciel déterminèrent Sumitanda à bannir entièrement l’idolâtrie des terres de son obéissance ; il y parvint facilement ; il sut même convaincre les bonzes, et, à l’exception de quelques-uns qui se retirèrent ailleurs, tous embrassèrent le christianisme. Les temples furent convertis en églises, et on compta plus de cinquante mille chrétiens dans cette principauté. L’idolâtrie n’avait plus de retranchement dans Omura que la petite ville de Cori, dont les bonzes étaient seigneurs ; le P. Cuello voulut s’y rendre, malgré l’avis de Sumitanda, qui craignait qu’on attentât à sa vie. Le pieux missionnaire y rencontra en effet de grandes difficultés ; mais son zèle triompha de tous les obstacles, et il eut la consolation de baptiser dix mille personnes en deux mois. Malheureusement, sa ferveur produisit l’effet que l’on redoutait de la haine des idolâtres, et l’excès de ses travaux le jeta dans une langueur qui le consuma en très-peu de temps.