Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 63

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CHAPITRE LXIII.

DU PARLEMENT SOUS LE MINISTÈRE DU DUC DE BOURBON.

Le duc de Bourbon ne fut premier ministre que parce que, immédiatement après la mort du duc d’Orléans, il monta par un escalier dérobé chez le roi, à peine majeur, lui apprit la mort de ce prince[1]. lui demanda la place, et obtint un oui que l’évêque de Fréjus, Fleury, n’osa pas faire changer en refus. L’État fut alors gouverné par la marquise de Prie[2], fille d’un entrepreneur des vivres nommé Pléneuf, et par un des frères Paris[3], autrefois entrepreneur des vivres, qui s’appelait Pâris-Duverney. La marquise de Prie était une jeune femme de vingt-quatre ans, aimée du duc de Bourbon. Pâris-Duverney avait de grandes connaissances en finances ; il était devenu secrétaire du prince ministre[4]. Ce fut lui qui imagina de marier le jeune roi à la fille de Stanislas Leczinski, retiré à Veissembourg après avoir perdu le royaume de Pologne que Charles XII lui avait donné. Les finances n’étaient pas rétablies, il fallut des impôts. Duverney proposa le cinquantième en nature sur tous les fonds nobles, roturiers et ecclésiastiques, une taxe pour le joyeux avènement du roi, une autre appelée la ceinture de la reine, le renouvellement d’une érection d’offices sur les marchandises qui arrivent à Paris par eau, et quelques autres édits qui déplurent tous à la nation, déjà irritée de se voir entre les mains d’un homme si nouveau, et d’une jeune femme dont la conduite n’était pas approuvée.

Le parlement refusa d’enregistrer : il fallut mener le roi tenir un de ces lits de justice où l’on enregistre tout par ordre du souverain[5]. Le chancelier d’Aguesseau était éloigné ; ce fut le garde des sceaux d’Armenonville[6] qui exécuta les volontés de la cour. On conservait par cet édit la liberté des remontrances au parlement ; mais on ordonnait que les membres de ce corps n’auraient jamais voix délibérative en fait de remontrances qu’après dix années d’exercice, qui furent réduites à cinq.

Ce nouveau ministère effaroucha également le clergé, la noblesse et le peuple. Presque toute la cour se réunit contre lui ; l’évêque de Fréjus en profita. Il n’eut pas de peine à faire exiler le duc de Bourbon[7], son secrétaire et sa maîtresse ; et il devint le maître du royaume aussi aisément que s’il eût donné une abbaye. Fleury n’eut pas, à la vérité, le titre de premier ministre ; mais, sans aucun titre que celui de conseiller au conseil du roi, il fut plus absolu que les cardinaux d’Amboise, Richelieu et Mazarin ; et avec l’extérieur le plus modeste il exerça le pouvoir le plus illimité.


  1. 2 décembre 1723. (Note de Voltaire.)
  2. Agnès Berthelot de Pléneuf épousa le marquis de Prie en 1713, et mourut le 7 octobre 1727 : c’est à elle que Voltaire avait dédié sa comédie de l’Indiscret, en 1725. Il parle encore de cette dame dans le chapitre III du Précis du Siècle de Louis XV, tome XV. (B.)
  3. Voyez, tome XV, les chapitres II et III du Précis du Siècle de Louis XV.
  4. Voltaire vécut, en ce temps-là, dans la familiarité de ces trois personnages. Voyez, tome Ier du Théâtre, la Fête de Bélébat.
  5. 8 juin 1725. (Note de Voltaire.)
  6. Joseph-Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville, nommé garde des sceaux le 28 février 1722, les rendit le 15 août 1727, et mourut le 27 novembre 1728. (B.)
  7. 11 juin 1726.