Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 52

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CHAPITRE LII.

DE LA RÉSISTANCE APPORTÉE PAR LE PARLEMENT À L’ÉTABLISSEMENT DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

Il est singulier que le parlement n’eût pas hésité à casser et annuler le mariage de l’héritier du royaume, contracté du consentement de sa mère, célébré selon toutes les formalités de l’Église, et qu’il refusât constamment pendant dix-huit mois l’enregistrement des lettres patentes qui établissaient l’Académie française. Les uns crurent qu’après un arrêt rendu en faveur de l’université et d’Aristote, cette compagnie craignait qu’une société d’hommes éclairés, encouragée par l’autorité royale, n’enseignât des nouveautés. D’autres pensèrent que le parlement ne voulait pas qu’en cultivant l’éloquence, inconnue chez les Français, la barbarie du style du barreau devînt un sujet de mépris. D’autres enfin imaginèrent que le parlement, mortifié tous les jours par le cardinal, voulait à son tour lui donner des dégoûts.

Le Vassor, compilateur grossier, qui a fait un libelle en dix-huit volumes de l’histoire de Louis XIII, dit que « l’établissement de l’Académie est une preuve de la tyrannie du cardinal. Il ne put souffrir que d’honnêtes gens s’assemblassent librement dans une maison particulière ».

On sent bien que cette imputation ne mérite pas d’être réfutée, mais on ne doit pas perdre ici l’occasion de remarquer que cet écrivain aurait dû mieux profiter des premières leçons de l’Académie ; elles lui auraient appris à écrire d’un style moins barbare, avec un fiel moins révoltant, d’une manière plus judicieuse, et à ne pas blesser à la fois la vérité, la langue et le bon sens.

L’érection de l’Académie française était une imitation de celles d’Italie, et d’autant plus nécessaire que tous les genres d’éloquence, et surtout ceux de la chaire et du barreau, étaient déshonorés alors par le mauvais goût et par de très-mauvaises études, pires que l’ignorance des premiers siècles. La barbarie qui couvrait encore la France ne permettait pas aux premiers académiciens d’être de grands hommes ; mais ils frayaient le chemin à ceux qui le devinrent. Ils jetèrent les fondements de la réforme des esprits. Il est très-vrai qu’ils enseignèrent à penser et à s’exprimer. Le cardinal de Richelieu rendit, par cette institution, un vrai service à la patrie.

Si le parlement différa une année entière d’enregistrer les lettres[1], c’est qu’il craignait que l’Académie ne s’attribuât quelque juridiction sur la librairie. Le cardinal fit dire au premier président Le Jai qu’il aimerait ces messieurs comme ils l’aimeraient. Enfin, quand cet établissement fut vérifié, le parlement ajouta aux patentes du roi que l’Académie ne connaîtrait que de la langue française et des livres qu’elle aura faits, ou qu’on exposera à son jugement. Cette précaution, prise par le parlement, prouve assez que l’érection de l’Académie avait donné quelque ombrage. Elle n’en pouvait donner, n’ayant que des priviléges honorables, aucun d’utile, et son fondateur même ne lui ayant pas procuré une salle d’assemblée[2].


  1. Le parlement différa l’enregistrement plus d’une année. Les lettres patentes sont du mois de janvier 1635, l’enregistrement est du 10 juillet 1637. (B.)
  2. Du vivant de Richelieu, l’Académie s’assemblait à divers jours ; et, comme le dit Pellisson, le lieu des assemblées a changé encore plus souvent que le jour. C’était tantôt chez un académicien, tantôt chez un autre, qu’on se réunissait. À la mort du cardinal (février 1643), le chancelier Seguier fit dire à la compagnie qu’il désirait qu’à l’avenir elle s’assemblât chez lui. En décembre de la même année, on décerna au chancelier le titre de protecteur de l’Académie, qu’avait eu Richelieu ; et Séguier est le seul particulier qui l’ait eu, car après sa mort (1672) ce titre de protecteur fut offert à Louis XIV, et a depuis été pris par tous les rois de France. Louis XIV, dès 1672, accorda à l’Académie une des salles du Louvre pour y tenir ses séances. C’est au Louvre que siégea l’Institut, lors de sa création en 1796. Ce fut en février 1807 que l’Institut fut transféré au collége des Quatre-Nations ; et c’est là que l’Académie française, l’une des quatre classes de l’Institut, tient ses assemblées, soit particulières, soit publiques. Voyez, tome XIV, la liste des Chanceliers, en tête du Siècle de Louis XIV. (B.)