Histoire du matérialisme/Tome II/Partie IV/Chapitre 4

Traduction par B. Pommerol.
C. Reinwald (tome 2p. 570-598).


CHAPITRE IV

Le point de vue de l’idéal.


Le matérialisme comme philosophie de la réalité. Essence de la réalité. — Les fonctions de la synthèse dans la spéculation et dans la religion. Origine de l’optimisme et du pessimisme. — Valeur et importance de la réalité. Ses limites ; le pas qui mène à l’idéal. — La réalité a besoin d’être complétée par un monde idéal. Poésies philosophiques de Schiller. L’avenir et l’essence intime de la religion. — La philosophie de la religion, particulièrement Fichte. Groupement des hommes d’après la forme de leur vie interne. — Destinées de la religion aux époques critiques. Possibilité de nouvelles formes de religion. Conditions auxquelles la religion peut exister. — Conditions de la paix entre des points de vue diamétralement opposés. — La polémique relative au matérialisme est un grave symptôme de notre époque. La question sociale et les luttes imminentes. Possibilité d’une transformation pacifique.


Le matérialisme est le premier, le plus bas, mais comparativement aussi le plus solide degré de la philosophie. Se rattachant immédiatement à la connaissance de la nature, il forme un système en négligeant de voir les limites de cette connaissance de la nature. La nécessité, qui règne dans le domaine des sciences de la nature, donne à chacune des parties du système qui s’appuie le plus immédiatement sur ces sciences, un degré considérable d’uniformité et de solidité. Un reflet de cette solidité et de cette nécessité tombe aussi sur le système comme tel ; mais ce reflet est trompeur. Précisément ce qui fait du matérialisme un système, l’hypothèse fondamentale qui relie et transforme en un tout, par un lien commun, les connaissances fragmentaires de la nature, est non-seulement la partie la moins sûre, mais encore la moins à l’abri des attaques d’une critique approfondie. Absolument le même rapport se répète dans les sciences particulières sur lesquelles le matérialisme s’étaie, par conséquent aussi dans toutes les parties distinctes du système. La solidité de ces parties, examinée à la lumière, n’est que la solidité des faits de la science, et cette solidité se rencontre surtout dans les faits particuliers, ces données immédiates de l’expérience. La vue d’ensemble qui convertit les faits en sciences et les sciences en système est un fruit de la libre synthèse, et provient par conséquent de la même source que la création de l’idéal mais, tandis que celle-ci dispose en complète liberté de la matière, la synthèse n’a sur le domaine de la connaissance que la liberté de son origine, qui émane de l’esprit poétique de l’homme. Elle est, d’un autre côté, chargée du soin d’établir la plus grande harmonie possible entre les facteurs nécessaires de la connaissance, soustraits à notre caprice. De même que le technicien, dans une invention, est lié au but que celle-ci doit atteindre, tandis que l’idée de cette invention jaillit librement de son esprit, de même chaque induction scientifique vraie est en même temps la solution d’un problème donné et un produit de notre esprit poétique.

Le matérialisme, plus que tout autre système, s’attache à la réalité, c’est-à-dire à l’ensemble des phénomènes nécessaires, donnés par les impressions que subissent forcément les sens. Quant à une réalité, telle que l’homme se la figure, et telle qu’il continue de la désirer après que cette chimère est ébranlée : une existence absolument solide, indépendante de nous et cependant reconnue par nous, il n’y a pas et il ne peut pas y avoir une pareille réalité, car le facteur synthétique, créateur de notre connaissance, s’étend effectivement jusqu’aux impressions premières des sens et jusqu’aux éléments de la logique (40). L’univers est non-seulement une représentation, mais encore notre représentation, un produit de l’organisation du genre, dans les traits généraux et nécessaires de toute expérience, un produit de l’individu dans la synthèse disposant librement de l’objet. On peut donc aussi dire que la « réalité » est le phénomène pour le genre, tandis que l’apparence décevante est un phénomène pour l’individu, phénomène qui ne devient une erreur que parce qu’on lui attribue la réalité, c’est-à-dire l’existence pour le genre.

Mais la tâche d’établir l’harmonie dans les phénomènes et l’unité dans la diversité des données empiriques appartient non-seulement aux facteurs synthétiques de l’expérience, mais encore ceux de la spéculation. Ici cependant, l’organisation unificatrice du genre nous abandonne l’individu poétise à sa façon, et le produit de cette poésie n’acquiert de l’importance pour le genre, c’est-à-dire pour la nation et les contemporains, qu’au tant que l’individu qui crée cette poésie est richement et régulièrement doué, typique dans sa manière de penser et appelé à diriger en vertu de sa force intellectuelle.

Toutefois la poésie des concepts dans la spéculation n’est pas encore complètement libre ; elle aspire en outre, de même que la recherche empirique, à faire un tableau unitaire de l’ensemble de ses données ; mais la contrainte tutélaire des principes de l’expérience lui fait défaut. C’est seulement la fiction, prise dans le sens le plus restreint, c’est seulement la poésie, qui permet de quitter, d’une manière consciente, le terrain de la réalité. Dans la spéculation, la forme l’emporte sur la matière ; dans la poésie, elle la domine complètement. Le poëte invente, par le libre jeu de son esprit, un monde fantastique, pour imprimer d’autant plus fortement à la matière si mobile une forme, qui a en elle-même sa valeur et son importance, indépendamment des problèmes de la connaissance.

Depuis les degrés les plus bas de la synthèse, où l’individu apparat encore tout à fait lié aux principes que gouverne le genre, jusqu’au faîte de la puissance créatrice dans la poésie, l’essence de cet acte est toujours dirigée vers la création de l’unité, de l’harmonie, de la forme parfaite. Le même principe, qui règne en maître absolu sur le terrain du beau, dans l’art et la poésie, apparaît sur le terrain de l’action comme la véritable norme éthique, comme le fondement de tous les principes de la morale et, sur le terrain de la connaissance, comme le facteur déterminant et façonnant de notre conception de l’univers.

Ainsi, encore que la conception de l’univers, que les sens nous donnent, soit involontairement formée d’après l’idéal qui nous est inhérent, le monde entier de la réalité n’en apparaît pas moins, en face des libres créations de l’art, comme in harmonique et plein de contrariétés. Là est l’origine de tout optimisme et de tout pessimisme. Si nous ne comparions pas, nous serions incapables de nous former un jugement sur la qualité du monde ; mais, lorsque d’un point élevé quelconque nous contemplons un paysage, tout notre être est disposé à lui attribuer de la beauté et de la perfection. Il faut qu’au moyen de l’analyse nous commencions par détruire la puissante unité de ce tableau pour nous rappeler que, dans ces chaumières, reposant paisiblement sur le flanc de la montagne, demeurent des hommes malheureux et accablés de soucis ; que, peut-être, derrière cette petite fenêtre masquée, un malade endure les souffrances les plus terribles ; que, sous les cimes de la forêt lointaine, agitées par le vent, des oiseaux de proie déchiquettent leur victime palpitante ; que, dans les ondes argentines de la rivière, mille petits êtres, à peine entrés dans la vie, trouvent une mort cruelle. Pour nous qui jetons un regard d’ensemble, ces branches desséchées, ces champs de blés rongés par la nielle, ces prairies, brûlées par le soleil, ne sont que les teintes d’un paysage qui réjouit nos yeux et élève notre cœur.

Tel apparaît l’univers au philosophe optimiste. Il vante l’harmonie que lui-même y a introduite. Contrairement à lui, le pessimiste a raison dans mille cas ; et cependant il n’existerait pas de pessimisme, sans l’image idéale naturelle de l’univers, que nous portons en nous. C’est seulement le contraste avec cette image idéale qui fait la réalité mauvaise.

Plus la synthèse a de liberté d’action, plus la conception de l’univers devient esthétique, plus cette conception réagit moralement sur tous nos actes. Comme la poésie, la spéculation aussi, quoique n’ayant d’autre but apparent que la connaissance, est guidée par des vues essentiellement esthétiques et éthiques en vertu de la force éducatrice du beau. Dans ce sens, on pourrait assurément dire, avec Strauss, que toute philosophie véritable est nécessairement optimiste. Mais la philosophie est plus qu’une spéculation qui se borne à faire de la poésie. Elle embrasse aussi la logique, la critique, la théorie de la connaissance.

On peut appeler inférieures, prises une à une, les fonctions des sens et de l’entendement, qui nous donnent la réalité, comparativement au vol sublime de l’esprit dans les libres créations de l’art ; mais, dans leur ensemble et dans leur connexion, ces fonctions ne se laissent subordonner à aucune autre activité intellectuelle. Encore que notre réalité ne soit guère conforme aux désirs de notre cœur, elle n’en est pas moins le fondement solide de toute notre existence intellectuelle. L’individu se développe sur le sol préparé par le genre, et la connaissance universelle et nécessaire forme la base unique et sûre d’où l’individu s’élève jusqu’à une conception esthétique de l’univers. Si cette base est négligée, la spéculation ne peut plus devenir typique ni pleine d’importance, elle se perd dans le fantastique, dans le caprice subjectif et dans l’insignifiante puérile. Mais avant tout, la conception la plus exacte de la réalité est le fondement complet de la vie quotidienne, la condition nécessaire de la sociabilité humaine. La communauté du genre dans la connaissance est en même temps la loi de tout échange d’idées. Elle est plus encore elle est l’unique chemin par lequel on arrive à maîtriser la nature et ses forces.

Mais l’action transformatrice de la synthèse psychique a beau descendre jusque dans nos représentations les plus élémentaires des choses, d’un objet, nous n’en avons pas moins la conviction que ces représentations et le monde qui en provient ont un substratum qui n’émane pas de nous. Cette conviction repose essentiellement sur ce que nous découvrons entre les choses, non-seulement une connexion qui pourrait bien être le plan, d’après lequel nous les avons conçues, mais encore un concours qui va son chemin, sans se préoccuper de notre pensée, nous saisit nous-mêmes et nous soumet à ses lois. Cet élément étranger, ce « non-moi » ne redevient l’ « objet » de notre pensée que parce qu’il est saisi par chaque individu dans les formes générales et nécessaires de connaissance du genre mais ce n’est pas une raison pour croire qu’il ne se compose que de ces formes de connaissance. Nous avons devant nous, dans les lois de la nature, non-seulement les lois de notre connaissance, mais encore des preuves d’une autre chose, d’une puissance qui tantôt nous subjugue, tantôt se laisse maîtriser par nous. Dans nos rapports avec cette puissance, nous sommes exclusivement réduits à l’expérience et à notre réalité, et jamais spéculation n’a trouvé les moyens de pénétrer dans le monde des choses par la magie de la simple pensée.

Mais la méthode, qui nous conduit tout à la fois à la connaissance et à la domination de la nature, ne demande rien moins que la destruction incessante des formes synthétiques, sous lesquelles le monde nous apparaît, afin d’éliminer tout ce qui est subjectif. La nouvelle connaissance, mieux appropriée aux faits, ne pouvait, il est vrai, acquérir une forme et de la stabilité que par la voie de la synthèse ; la recherche, toutefois, fut poussée jusqu’à des conceptions de plus en plus simples et enfin obligée de s’arrêter aux principes de la conception mécanique de l’univers.

Toute falsification de la réalité attaque les fondements de notre existence spirituelle. En face des fictions métaphysiques qui ont la prétention de pénétrer dans l’essence de la nature et de déterminer, d’après de simples concepts, ce que l’expérience peut seule nous apprendre, le matérialisme est donc, comme contre-poids, un véritable bienfait. De plus, tous les systèmes philosophiques, qui tendent à n’accorder de la valeur qu’au réel, doivent nécessairement converger vers le matérialisme. En revanche, ce dernier est absolument étranger aux plus hautes fonctions du libre esprit humain. Il est, abstraction faite de son insuffisance théorique, pauvre en stimulants, stérile pour l’art et la science, indifférent ou penchant vers l’égoïsme dans les relations d’homme à homme. Il peut à peine joindre le dernier anneau au premier de son système, sans faire d’emprunt à l’idéalisme.

Si l’on examine de quelle manière Strauss décore son univers, afin de pouvoir l’adorer, on en vient à penser qu’à proprement parler il ne s’est pas encore beaucoup éloigné du déisme. Il semble que c’est presque affaire de goût d’adorer le masculin « Dieu », le féminin « Nature » ou le neutre (en allemand) « All » « Tout ». Les sentiments sont les mêmes et la façon de représenter l’objet qui inspire ces sentiments ne diffère pas essentiellement. En théorie, ce Dieu n’est plus certes un être personnel, et dans les élévations enthousiastes de l’âme, le Tout est aussi traité comme une personne.

C’est là une conclusion que ne saurait légitimer la science de la nature. Toute science de la nature est analytique et s’arrête au particulier. Une découverte isolée nous réjouit ; la méthode nous force d’admirer et par la série continue des découvertes notre regard est conduit vers le lointain infini d’une science de plus en plus parfaite. Mais nous quittons alors le terrain de la science rigoureuse. L’univers, tel que nous le comprenons dans une conception purement conforme à la science de la nature, ne peut pas plus nous enthousiasmer qu’une Iliade que l’on épellerait. Si au contraire nous prenons le Tout comme unité, nous faisons, par l’acte de la synthèse, entrer notre propre être dans l’objet, de même que nous disposons harmoniquement un paysage en le contemplant, quelques discordances qui puissent se cacher dans les détails. Toute vue d’ensemble est soumise à des principes esthétiques et chaque pas fait vers le Tout est un pas vers l’idéal.

Le pessimisme, qui s’appuie aussi sur une vue d’ensemble, est un produit de la réflexion. Les mille contrariétés de la vie, la froide cruauté de la nature, les souffrances et les imperfections de tous les êtres, sont réunis dans leurs traits particuliers, et la somme de ces observations est opposée à l’image idéale de l’optimisme comme un acte d’accusation écrasant pour l’univers. Mais, dans cette voie, on n’obtient pas un tableau complet de l’univers. Seulement la conception de l’univers, de l’optimisme, est anéantie, et c’est là un grand point, lorsque l’optimisme à la prétention de devenir dogmatique et de se donner pour le représentant de la vraie réalité. Toutes ces belles pensées de la désharmonie de détail, qui se fond dans l’harmonie du grand Tout, de la contemplation d’ensemble compréhensive, divine, du monde, dans laquelle toutes les énigmes se résolvent et toutes les difficultés disparaissent, sont détruites avec succès par le pessimisme mais cette destruction n’atteint que le dogme et non l’idéal. Elle ne peut éliminer le fait que notre esprit est créé pour produire éternellement à nouveau en lui-même une conception harmonique de l’univers, le fait qu’ici comme partout il place l’idéal à côté et au-dessus du réel, et se remet des luttes et des nécessités de la vie en s’élevant par la pensée jusqu’au monde de toutes les perfections.

Cette tendance de l’esprit humain vers l’idéal acquiert une force nouvelle par la conviction que notre réalité elle-même n’est pas une réalité absolue, mais un phénomène, d’une part forçant l’individu et rectifiant ses combinaisons accidentelles, d’autre part formant pour le genre un produit nécessaire de ses dispositions, en concours avec des facteurs inconnus. Nous nous représentons ces facteurs inconnus comme des choses qui existent indépendamment de nous et qui posséderaient en conséquence cette réalité absolue que nous venons de déclarer impossible. Toutefois cette impossibilité persiste, car, déjà dans l’idée de la chose, détachée comme unité de l’enchaînement infini de l’être, gît ce facteur subjectif qui est tout à fait à sa place comme élément de notre réalité humaine, mais qui, au-delà, n’aide qu’à combler, d’après l’analogie de notre réalité, la lacune pour ce qui est absolument insaisissable et doit pourtant nécessairement être admis.

Kant a rejeté les efforts de la métaphysique qui cherche les véritables fondements de tout être, à cause de l’impossibilité d’une solution certaine, et il a limité la tâche de cette science à la découverte de tous les éléments de l’expérience donnés a priori. Mais on peut se demander si cette nouvelle tâche n’est pas impraticable, elle aussi ; on peut encore se demander si l’homme, en vertu du penchant naturel vers la métaphysique, reconnu par Kant lui-même, n’essaiera pas toujours à nouveau de renverser les limites de la connaissance et de bâtir en l’air les systèmes miroitants d’une prétendue connaissance de l’essence absolue des choses. Car les sophismes, qui facilitent cette tentative, sont inépuisables, et pendant que ces sophismes tournent habilement la position de la critique, une ingénieuse ignorance surmonte tous les obstacles avec un succès plus éclatant que jamais.

Une chose est certaine, c’est que l’homme a besoin de compléter la réalité par un monde idéal, qu’il crée lui-même et qu’à ces créations concourent les plus hautes et les plus nobles fonctions de son intelligence. Mais faut-il que cette liberté de l’esprit reprenne sans cesse la forme trompeuse d’une science démonstrative ? S’il en est ainsi, le matérialisme reparaîtra toujours pour détruire les spéculations plus hardies, en cherchant à satisfaire le penchant qui porte la raison vers l’unité, par un minimum d’élévation au-dessus de ce qui est réel et démontrable.

Nous ne devons pas, surtout en Allemagne, désespérer de trouver une autre solution du problème, depuis que, dans les poésies philosophiques de Schiller, nous avons devant nous un exposé qui joint à la plus noble rigueur de la pensée la plus haute élévation au-dessus de la réalité, et qui donne à l’idéal une force irrésistible, en le reléguant franchement et nettement dans le domaine de l’imagination. Nous n’entendons pas dire par là que toute spéculation doive aussi revêtir la forme de la poésie. Les poésies philosophiques de Schiller sont pourtant plus que de simples produits du penchant naturel vers la spéculation ! Ce sont des élans religieux du cœur vers les sources pures et limpides de tout ce que l’homme a jusqu’ici vénéré comme divin et supraterrestre. Laissons la métaphysique continuer de tenter de résoudre ses insolubles problèmes. Plus elle restera théorique et voudra rivaliser, en certitude, avec les sciences de la réalité, moins elle acquerra d’importance générale. Mais plus elle mettra le monde de ce qui est en rapport avec le monde des valeurs, et s’élèvera par sa conception des phénomènes eux-mêmes, à une action morale, plus elle fera dominer la forme sur la matière, sans violenter les faits, et érigera, dans l’architecture de ses idées un temple pour adorer l’éternel et le divin. Quant à la libre poésie, elle pourra quitter entièrement le terrain du réel et se porter vers le mythe, pour prêter la parole à l’inexprimable.

Nous nous trouvons donc ici devant une solution entièrement satisfaisante de la question de l’avenir, plus ou moins prochain, de la religion. Il n’y a que deux voies entre lesquelles il faut choisir, après mûre réflexion, lorsque l’on a vu que le simple rationalisme se perd dans le sable de la platitude, sans jamais pouvoir être débarrassé de dogmes insoutenables. L’une de ces voies consiste à supprimer et à abolir entièrement toute religion et à transférer sa tâche à l’État, à la science et à l’art l’autre voie consiste à pénétrer dans l’essence de la religion, à vaincre tout fanatisme et toute superstition par un essor conscient au-dessus de la réalité et par le renoncement définitif à la falsification du réel au moyen du mythe qui certes ne peut conduire au but de la connaissance.

La première de ces voies apporte avec elle le danger d’un appauvrissement intellectuel devant la seconde surgit la grande question de savoir si, dans ce moment même, l’essence de la religion ne subit pas une transformation qui permettra difficilement de la saisir avec précision. Mais le deuxième danger est le moindre, parce que précisément le principe de la spiritualisation de la religion doit faciliter et adoucir toute transition exigée par les besoins progressifs de la culture moderne.

On peut se demander d’ailleurs si la suppression de toute religion, quelque désirable qu’elle puisse paraître aux yeux de maint penseur bienveillant, serait même possible. Aucun homme sensé ne voudra procéder en cela avec soudaineté et moins encore avec violence. On verra plutôt dans ce principe une règle de conduite pour la classe la plus instruite, à peu près dans le sens de Strauss, dont le reste de religion n’a, pas grand-chose à faire ici. Ensuite on cherchera à utiliser l’État et l’école, pour supplanter peu à peu la religion dans la vie du peuple et en préparer systématiquement la disparition. En supposant l’emploi de pareils procédés il serait permis de se demander si, malgré les lumières répandues par l’école, il ne se manifesterait point par là même dans le peuple une réaction en faveur d’une conception fanatique et étroite de la religion, ou si la seule racine, qui n’aurait pas été coupée, ne produirait pas sans cesse de nouveaux rejetons, sauvages, mais pleins de vigueur. L’homme cherche la vérité du réel et aime à étendre ses connaissances, tant qu’il se sent libre. Enchaînez-le à ce que l’on peut atteindre par les sens et l’entendement, il se révoltera et donnera peut-être à la liberté de son imagination et de son esprit des formes plus grossières que celles que l’on aura heureusement détruites.

Tant que l’on cherchait l’essence de la religion dans certaines théories sur Dieu, l’âme humaine, la création et l’ordre de l’univers, il s’ensuivait nécessairement que toute critique qui commençait logiquement par vanner le froment aboutissait finalement à une négation complète. On tamisait tant qu’à la fin il ne restait plus rien.

Si l’on voit au contraire l’essence de la religion dans l’élévation des âmes au-dessus du réel et dans la création d’une patrie des esprits, les formes les plus épurées pourront encore donner essentiellement lieu aux mêmes processus psychiques que la foi du charbonnier chez la foule ignorante, et malgré le raffinement philosophique des idées, on ne descendra jamais à zéro. Un modèle achevé du genre est la manière dont Schiller, dans son « Royaume des ombres », a généralisé la théorie chrétienne de la rédemption par l’idée d’une rédemption esthétique. L’élévation de l’esprit dans la foi devient ici une fuite vers le pays des pensées de la beauté, dans lequel tout travail trouve son repos, toute lutte sa paix et tout besoin sa satisfaction. Mais le cœur, qu’effraye la terrible puissance de la loi, à laquelle aucun mortel ne peut résister, s’ouvre à la volonté divine qu’il reconnaît pour la véritable essence de sa propre volonté et se trouve ainsi réconcilié avec la divinité. Encore que ces moments d’élévation soient de courte durée, ils agissent pourtant sur l’âme en la délivrant et en l’épurant, et dans le lointain nous entrevoyons la félicité finale que personne ne peut plus nous enlever et qui est représentée sous l’image d’tlercule montant au ciel. — Ce poème est le produit d’un temps et d’un milieu intellectuel qui n’étaient certes pas disposés à faire une trop large part à l’élément chrétien ; le poëte qui chanta les « Dieux de la Grèce » ne se dément pas en un certain sens, tout ici est païen, et cependant Schiller se rapproche de la vie traditionnelle de la foi chrétienne plus que la dogmatique savante, qui maintient capricieusement l’idée de Dieu et abandonne la théorie de la rédemption comme irrationnelle.

Que l’on s’habitue donc à donner au principe de l’idée créatrice en soi et en dehors de toute relation avec la connaissance historique et scientifique, mais aussi sans falsification de cette connaissance, une plus haute valeur qu’on’ne l’a fait jusqu’ici ; que l’on s’habitue à voir dans le monde des idées une représentation imagée de la vérité complète, aussi indispensable pour tout progrès humain que les connaissances de l’entendement, et que l’on mesure la plus ou moins grande importance de chaque idée par des principes éthiques et esthétiques. Ce conseil, il est vrai, paraîtra à plus d’un vieux ou nouveau croyant ressembler à l’acte par lequel on lui retirerait le sol de dessous les pieds en exigeant qu’il restât debout, comme s’il ne s’était rien passé mais on demande ici qu’est-ce que le terrain des idées ? Est-ce leur classement dans l’ensemble du monde des idées d’après des considérations éthiques ou le rapport, à la réalité expérimentale, des représentations par lesquelles l’idée s’exprime ? Lorsqu’on eut démontré le mouvement de la terre, tous les prud’hommes (Philister) crurent qu’ils tomberaient nécessairement si cette dangereuse théorie n’était pas réfutée à peu près comme aujourd’hui plus d’un mais craint de devenir un bloc de bois, si Vogt peut lui démontrer qu’il n’a pas d’âme. Si la religion à une valeur et si cette valeur durable réside dans le contenu éthique et non dans le contenu logique, il a dû en être de même jadis, bien que l’on regardât comme indispensable la croyance servilement littérale.

Si cet état de choses n’eût été compris clairement par les sages et même vaguement pressenti par le peuple, comment, en Grèce et à Rome, poëtes et sculpteurs auraient-ils osé donner de la vie au mythe et de nouvelles formes à l’idéal de la divinité ? Même le catholicisme, en apparence si rigide, ne faisait, au fond, du dogme qu’un puissant crampon pour empêcher le gigantesque édifice unitaire de l’Église de s’écrouler, tandis que le poëte dans la légende, le philosophe dans les profondes et audacieuses spéculations de la scolastique, maniaient à leur gré la matière religieuse. Jamais, certes, jamais, depuis que le monde existe, les gens qui pouvaient s’élever au-dessus de la plus grossière superstition, n’ont tenu un dogme religieux pour aussi vrai qu’une connaissance acquise par les sens, le résultat d’une opération d’arithmétique ou une simple conclusion de l’entendement encore que jamais peut-être jusqu’aux temps modernes n’ait régné une clarté complète sur le rapport de ces « vérités éternelles » aux invariables fonctions des sens et de l’entendement. On peut toujours découvrir, dans les discours ou dans les écrits des orthodoxes les plus zélés, le point où ils entrent manifestement dans l’interprétation symbolique des dogmes et où ils reproduisent, sous des formes plastiques, le développement Subjectif que l’idée religieuse a pris chez eux, avec les mêmes expressions, avec les mêmes couleurs vives sous lesquelles ils savent dépeindre d’une manière si sensible et si palpable les doctrines relativement objectives, admises par une grande communauté et regardées comme inattaquables pour les individus. Si ces vérités de l’enseignement général de l’Église sont célébrées comme « supérieures » toutes les autres, même à celles qui résultent de l’emploi de la table de multiplication, il subsiste toujours du moins un pressentiment que cette supériorité ne repose pas sur une plus grande certitude, mais sur un plus grand respect or ce respect ne peut être entamé ni par la logique, ni par la main qui palpe, ni par l’œil qui voit, parce que pour ce respect l’idée, comme forme et essence de la situation morale, peut être un objet d’aspiration plus puissant que la matière la plus réelle. Mais alors même qu’en termes formels on vante la certitude plus grande, plus élevée, plus positive des vérités religieuses, ces termes ne sont’que des circonlocutions ou des méprises d’une âme exaltée qui place l’élan du cœur vers la source vivante de l’édification, de la force et de la vie jaillissant du monde divin des idées, bien au-dessus de la saine connaissance qui enrichit l’entendement avec une petite monnaie dont on ne trouve pas l’emploi. Cette disposition de l’âme atteint sa plus haute expression dans l’âme d’un Luther, qui, tout en renversant lui-même par son opposition un édifice remontant à un millier d’années, va jusqu’à maudire la raison, qui résiste à ce qu’il a saisi, avec toute l’énergie de son tempérament fougueux, comme l’idée d’une ère nouvelle. De là vient aussi la valeur que des âmes véritablement pieuses ont toujours attachée à l’expérience et à la constatation internes comme preuves de la foi. Beaucoup de ces croyants, qui doivent le calme de leur âme aux pieux élans de la prière et qui conversent en esprit avec le Christ comme avec une personne, savent très-bien théoriquement qu’on retrouve de semblables processus de l’âme dans des dogmes complètement différents, et que le même succès, la même efficacité sont obtenus par des sectateurs de religions tout à fait distinctes. De l’opposition de ces croyances et de l’incertitude d’une démonstration qui soutient avec une égale force des idées contradictoires, ils n’ont généralement pas conscience, attendu que c’est plutôt l’opposition commune de toute foi contre l’incrédulité qui touche leur âme. N’estil pas évident dès lors que l’essence de la question gît dans la forme du processus spirituel et non dans le contenu logico-historique de chacune des conceptions et doctrines ? Celles-ci peuvent bien être en connexion avec la forme du processus, comme dans le monde des corps le mélange chimique des matières et la forme cristalline mais qui nous démontrera cette connexion, et démêlera les lois de cette sorte d’isomorphisme ?

Cette prédominance de la forme dans la foi se décèle aussi dans un fait remarquable les croyants de religions différentes, hostiles même les unes aux autres, s’accordent mieux entre eux, témoignent plus de sympathie à leurs adversaires les plus fougueux qu’à ceux qui se montrent indifférents aux controverses religieuses. Mais le phénomène le plus original, offert par le formalisme religieux, se trouve dans la philosophie de la religion, telle qu’elle s’est constituée en Allemagne, notamment depuis Kant. Cette philosophie est une traduction formelle des doctrines religieuses en doctrines métaphysiques. Un homme aussi éloigné de la foi du charbonnier, aussi ennemi des traditions non historiques et des impossibilités physiques, que purent jamais l’être les matérialistes, Schleiermacher, produisit un véritable courant de rénovation religieuse, en mettant en relief le contenu éthique et idéal de la religion. Le puissant Fichte annonça l’aurore d’une ère nouvelle par la diffusion de l’Esprit-Saint sur toute chair. L’Esprit, que le Nouveau Testament prédit devoir conduire les disciples du Christ à toute vérité, n’est autre que l’esprit de la science, qui s’est manifesté de nos jours. Il nous enseigne, dans une connaissance non voilée, l’unité absolue de l’existence humaine et de l’existence divine, qui fut, pour la première fois, en parabole, annoncée au monde par le Christ. La révélation du royaume de Dieu est l’essence du christianisme, et ce royaume est celui de la liberté conquise par la fusion de notre volonté avec celle de Dieu, — mort et résurrection. Toutes les doctrines relatives à la résurrection des morts, dans le sens physique du mot, sont des interprétations erronées de la doctrine du royaume des cieux, qui est en réalité le principe d’une nouvelle conception de l’univers. Fichte prétendait très-sérieusement transformer le genre humain en opposant l’humanité elle-même, dans sa perfection idéale, à l’individu égaré dans son égoïsme. Ainsi le philosophe le plus radical de l’Allemagneest en même temps l’homme dont les pensées et les tendances forment le contraste le plus frappant avec la maxime de l’intérêt de l’économie politique et toute la dogmatique de l’égoïsme. Ce n’est donc pas en vain que Fichte, le premier en Allemagne, souleva la question sociale, qui n’existerait pas si les intérêts étaient les seuls mobiles des actions humaines, si les règles abstraitement exactes de l’économie politique, constituant les seules lois de la nature, dirigeaient éternellement et invariablement la marche des travaux et des luttes de l’humanité, sans que jamais vînt à se faire jour l’idée supérieure, pour laquelle les membres les plus nobles de l’humanité ont, depuis des milliers d’années, lutté et souffert.

« Non, ne nous quitte point, palladium sacré de l’humanité, pensée consolante que de chacun de nos travaux, de chacune de nos douleurs naît pour nos frères une nouvelle perfection, une joie nouvelle que nous travaillons pour eux et que nous ne travaillons pas en vain qu’à la place où maintenant nous nous fatiguons et sommes foulés aux pieds, et — ce qui est pire encore — où nous errons et nous trompons grossièrement, un jour fleurira une génération qui pourra toujours faire ce qu’elle voudra, parce qu’elle ne voudra que le bien ; — tandis que nous, dans des régions supérieures, nous serons satisfaits de nos descendants et retrouverons développes dans leurs vertus les germes que nous aurons déposés en eux et les reconnaîtrons pour nôtres. Enthoùsiasme-nous, perspective de cet avenir, et donne nous le sentiment de notre dignité montre-nous-la du moins dans nos dispositions, encore que notre état présent la contredise. Répands l’audace et un sublime enthousiasme sur nos entreprises, et dussions-nous être brisés, soyons ranimés — pendant que nous soutient la première pensée : j’ai fait mon devoir — soyons ranimés par la deuxième pensée : aucune semence, jetée par moi, ne sera perdue dans le monde moral au jour de la moisson j’en verrai les fruits et, avec les tiges, je me tresserai d’immortelles couronnes (41). »

L’élan poétique qui emportait Fichte, quand il écrivait ces paroles, ne s’empara pas de lui à propos d’une contemplation religieuse confuse, mais à propos de Kant et de la Révolution française. Ainsi chez lui vie et doctrines ne faisaient qu’un, et tandis que la parole de vie était prostituée par les mercenaires de l’Église au service de la mort, de l’ignorance, du prince de ce monde, surgissait en lui l’esprit du destructeur de toutes les chaînes ; il déclarait à haute voix que le renversement de ce qui existait en France avait du moins amené quelque chose de meilleur que les constitutions despotiques, tendant à la dégradation de l’humanité.

Il est à remarquer que dans un examen approfondi les idées et les efforts des hommes se groupent souvent tout autrement que cela n’apparaît d’ordinaire. Une locution triviale veut que les extrêmes se touchent ; ce n’est pas toujours vrai. Jamais, jamais le libre-penseur décidé ne pourra éprouver de sympathie pour le rigide gouvernement de l’Église et pour la foi littérale morte ; mais il en aura pour l’élan prophétique de l’homme pieux, chez qui le Verbe s’est fait chair et qui rend témoignage de l’esprit dont il est saisi. Jamais le savant dogmatiseur de l’égoïsme n’éprouvera de sympathie pour les silencieux de la terre, qui, à genoux dans leur humble chambrette, cherchent un royaume qui n’est pas de ce monde ; mais il en aura pour le riche pasteur qui sait défendre vaillamment la foi, maintenir convenablement sa dignité et habilement gérer ses biens, et qui trinque, un verre de champagne à la main, pour fêter le baptême d’un enfant de la classe opulente ou l’inauguration d’une ligne de chemin de fer.

De même que la forme de la vie spirituelle décèle le fond le plus intime de l’homme, de même aussi les rapports avec des hétérodoxes sont précisément une excellente pierre de touche des esprits pour savoir s’ils sont ou non dans la vérité. Il faut être un mauvais disciple du Christ, dans le sens de la véritable piété, pour ne pas se figurer que le Seigneur, quand il apparaîtra sur les nues, afin de juger les vivants et les morts, placera un athée comme Fichte à sa droite, tandis que passeront à sa gauche des milliers d’individus qui s’écrient avec les orthodoxes « Seigneur, Seigneur » Il faut être peu ami de la vérité et de l’équité pour mépriser A. H. Franke comme un rêveur, ou pour ne voir qu’une vaine illusion dans la prière de Luther. En réalité, tant que la religion, dans son essence, fera opposition au matérialisme éthique, elle conservera des amis dans les rangs des hommes les plus instruits et les plus libéraux, et l’on se demande seulement si chez elle-même le principe du matérialisme éthique, la « mondialisation » (Verweltlichung), comme les théologiens l’appellent, prendra tellement le dessus que la conscience devenue meilleure sera obligée de s’affranchir de toutes les formes antérieures de sa foi et de chercher de nouvelles voies. Dans ce point, dans les rapports des religions existantes à l’ensemble de la culture de leur époque, gît le véritable secret de leurs variations comme de leur persistance, et toutes les attaques de la critique, quelque fondées, quelque irrésistibles qu’elles puissent être, ne sont pas la cause, mais seulement le symptôme de leur décadence ou d’une grande fermentation dans l’ensemble de la vie intellectuelle de leurs sectateurs. Aussi, l’évolution conservatrice que prit avec Hegella philosophie de la religion, malgré ses interprétations en général semblables à celles de Fichte, n’a-t-elle pas eu de fruits durables ni pour l’Église, ni pour la philosophie. Il n’est plus possible de réserver aux seuls philosophes la connaissance de la vérité sans voile et de replonger les masses dans le solennel clair-obscur de l’antique symbole. De même qu’en politique la théorie qui donne raison à ce qui existe a favorisé l’absolutisme d’une manière pernicieuse, ainsi la philosophie contribua principalement, par Schleiermacher et Hegel, a favoriser une tendance qui, délaissée par la naïve innocence de l’ancienne mystique, s’efforçait de sauver la religion par la négation de la négation. Ce qui protégeait les dogmes de la religion contre la dent de la critique, dans les temps où s’élevaient les cathédrales, où naissaient les puissantes mélodies du culte, ce n’étaient pas les répliques de prudents apologistes, mais le saint respect avec lequel l’âme admettait les mystères et la pieuse frayeur avec laquelle le croyant évitait, dans son for intérieur, de toucher à la limite où vérité et fiction se séparent. Cette pieuse frayeur n’est pas la conséquence des paralogismes qui font admettre le supra-sensible, elle en est plutôt la cause, et peut-être que ce rapport de cause à effet remonte jusqu’aux temps les plus anciens où la culture et les religions n’étaient pas développées. Épicure lui-même, à côté de la crainte, n’admettait-il pas les formes sublimes des dieux, vues en rêve, au nombre des sources de la religion ?

Que deviendront les « vérités » de la religion, lorsque toute piété aura disparu, lors qu’aura surgi une génération qui ne connut jamais les émotions profondes de la vie religieuse ou qui s’en éloigna après avoir changé de sentiments ? Le moindre jeune sot ridiculise les mystères et regarde du haut de son mépris suffisant ceux qui peuvent encore croire a de pareilles absurdités. Tant que la religion conserve sa pleine autorité, ce ne sont pas ses dogmes les plus étranges que l’on révoque les premiers en doute. Des critiques théologiens s’efforcent de déployer la plus grande sagacité et l’érudition la plus étendue pour rectifier la tradition sur un point quelconque, encore fort éloigné des principes fondamentaux de la foi. Des physiciens trouvent l’occasion de ramener quelque miracle distinct à un phénomène expliqué par la physique. Sur ces points-là, on creuse davantage, et, lorsque tous les moyens d’attaque et de défense sont épuisés, c’en est fait généralement de l’auréole de vénérabilité et d’inviolabilité qui entourait la tradition religieuse. Alors seulement on arrive aux questions beaucoup plus simples : Comment concilier la toute-puissance et la bonté de Dieu avec l’existence du mal dans le monde ? Pourquoi les religions des autres peuples ne seraient-elles pas aussi bonnes que la nôtre ? Pourquoi ne se fait-il plus aujourd’hui de miracles, de miracles bien palpables ? Comment se peut-il que Dieu se mette en colère ? Pourquoi les serviteurs de Dieu sont-ils si méchants et si vindicatifs ? etc. — Si enfin la tradition de l’Église a perdu le crédit particulier qu’elle revendique, si l’on regarde la Bible du même œil que tout autre livre, on ne peut plus se figurer de cerveau si étroit, qui ne soit parfaitement capable de comprendre que trois ne peuvent pas faire un, qu’une vierge ne peut pas enfanter et qu’un homme vivant et corporel ne peut pas s’envoler dans le ciel bleu. S’il vient ensuite s’y joindre quelques notions des sciences de la nature, celles par exemple qui courent les écoles primaires, on voit se multiplier sans fin les absurdités sur lesquelles un railleur s’égaiera, sans posséder le moins du monde une intelligence hors ligne ou une instruction solide. Si néanmoins des hommes intelligents et instruits restent encore attachés à la religion, parce que, dès leur enfance, la sensibilité a joué un grand rôle dans leur vie, parce que l’imagination, le cœur, le souvenir d’heures fortunées les rattachent par mille racines aux fondements antiques et chéris de leur foi, nous avons là un contraste qui nous indique assez clairement où sont les sources d’où se répand le fleuve de la vie religieuse.

Tant que la religion sera cultivée, dans des communautés religieuses exclusives, par des prêtres qui se posent aux yeux du peuple comme les dispensateurs privilégiés des mystères divins, l’idéal en religion ne pourra jamais se montrer dans toute sa pureté. D’ailleurs, à l’idéologie n’est que trop souvent inhérent le poison de la croyance à la lettre. Le symbole devient involontairement et peu à peu un dogme inflexible, comme l’image d’un saint se change en idole, et la lutte naturelle entre la poésie et l’entendement dégénère facilement, sur le terrain de la foi religieuse, en antipathie pour tout ce qui est simplement exact, utile et convenable, et paraît, à notre époque, comprimer de toutes parts l’essor d’une âme libre. On sait tout le mal produit, dans mainte intelligence noblement douée, par le passage de l’idéologie aux excentricités romantiques et enfin à un pessimisme funeste. Personne ne peut blâmer les amis de la vérité et du progrès, quand ils témoignent de la défiance contre tout ce qui veut résister à l’entraînement général de notre époque vers la prose, principalement si à cette résistance se mêle une teinte cléricale. Car si, à l’époque des guerres de la délivrance (1813-1815), le romantisme semblait atteindre son but élevé, il est évident, d’autre part, que les tendances de notre époque vers les inventions, les découvertes, les améliorations politiques et sociales, ont à résoudre aujourd’hui des problèmes immenses, décisifs peut-être pour l’avenir de l’humanité tout entière, et il n’est pas douteux que tout le sang-froid d’un travail sérieux, le sentiment complet et sincère de la vérité d’une conscience critique sont nécessaires pour élaborer ces problèmes avec dignité et succès. Quand ensuite viendra le jour de la moisson, l’éclair du génie brillera de nouveau, lui qui forme un tout avec les atomes, sans savoir comment il s’y est pris.

Cependant il s’en faut de beaucoup que les antiques formes de la religion aient complètement disparu, et il arrivera difficilement que leur contenu idéal soit jamais rejeté tout entier comme l’on fait un citron dont on a exprimé le jus, avant que surgissent les nouvelles formes de l’idéalisme éthique. Les choses ne se passent point d’une manière aussi simple ni aussi nette dans la succession des opinions et des aspirations terrestres. Le culte d’Apollon et de Jupiter n’avait pas encore perdu toute importance, lorsque le christianisme fit irruption, et le catholicisme recélait encore en lui-même un riche trésor d’intelligence et de vitalité, lorsque Luther vint l’assaillir. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore une nouvelle communauté religieuse pourrait, par la force de ses idées et le charme de ses principes sociaux, conquérir le monde d’un seul élan, tandis que maint arbre de l’ancienne plantation subsisterait dans la plénitude de sa vigueur et continuerait à porter ses fruits ; mais la simple négation rebondit impuissante, là où s’arrête le domaine du passé et de la mort, qui lui est dévolu. — Nous ne savons pas si des croyances anciennes pourrait jaillir aussi un pareil torrent de vie nouvelle ou si, en sens inverse, une société sans religion pourrait allumer un feu d’une puissance aussi dévorante mais une chose est certaine quand une ère nouvelle doit commencer et une ère ancienne disparaître, il faut que deux grandes choses se combinent une idée morale capable d’enflammer le monde et une direction sociale assez puissante pour élever d’un degré considérable les masses opprimées. Cela ne s’opère pas avec le froid entendement, avec des systèmes artificiels. La victoire sur l’égoïsme, qui brise et isole, et sur la glace des cœurs qui tue, ne sera remportée que par un grand idéal, qui apparaîtra comme un « étranger venu de l’autre monde », et, en exigeant l’impossible, fera sortir la réalité hors de ses gonds.

Tant que cette victoire n’aura pas été remportée, tant qu’une nouvelle vie sociale ne permettra pas au pauvre, au malheureux, de sentir qu’il est homme parmi les hommes, on ne devra pas être si ; pressé de combattre la foi, afin de ne pas recourir à un remède pire que le mal. Que l’on répande la science, que l’on proclame la vérité dans toutes les rues et dans toutes les langues, puis advienne que pourra ; quant à la guerre de la délivrance, la guerre systématique et implacable, qu’on la dirige sur les points où la liberté est menacée, où la vérité et la justice sont entravées ; qu’on la dirige contre les institutions politiques et sociales, grâce auxquelles les congrégations religieuses acquièrent une influence corruptrice, contre la violence tyrannique d’une hiérarchie perfide qui mine systématiquement la liberté des peuples. Si ces institutions sont éliminées, si le terrorisme de la hiérarchie est brisé, les opinions les plus contraires pourront se mouvoir les unes à côté des autres, sans qu’il en résulte des excès de fanatisme, sans que le progrès continu du génie inventif soit entravé. Il est vrai que ce progrès détruira la crainte superstitieuse, destruction qui, d’ailleurs est déjà en grande partie accomplie, même dans les couches les plus inférieures de la population. Si la religion tombe avec cette crainte superstitieuse, laissons-la tomber ; si elle ne tombe pas, elle le devra à son contenu idéal qui pourra subsister dans cette forme jusqu’à ce que le temps la remplace par une autre. Il n’y aura même pas trop lieu de regretter que le contenu de la religion soit encore regardé comme littéralement vrai par la plupart des fidèles, voire même par une fraction du clergé ; car cette foi littérale, morte et vide de sens, dont l’action est toujours pernicieuse, ne sera plus guère possible, alors que toute contrainte aura disparu.

Si l’ecclésiastique, par l’effet des associations d’idées qui dominent en lui, ne peut représenter l’élément de la vie idéale, dont il est le défenseur, qu’en se le figurant doué d’une vulgaire réalité ; s’il prend comme historique ce qui ne peut avoir qu’une valeur symbolique, il faut le laisser faire, en supposant que, comme prêtre, il remplisse son devoir. Si l’on retire au clergé tout pouvoir temporel, sans même excepter les droits de corporation civile, et si l’on combat sous toutes les formes la constitution d’un État dans l’État, l’arme la plus dangereuse de la théocratie sera brisée. De plus, il faudrait une liberté illimitée d’enseignement, pour la science pure comme pour sa vulgarisation il faudrait aussi qu’il fût permis de critiquer sans obstacle tous les abus, tous les méfaits. L’État a le droit et le devoir, tant que par ses subventions et son pouvoir il continue à soutenir les congrégations religieuses, d’exiger de leurs membres un certain degré de culture scientifique, cela va de soi, et l’on devra bien se garder, en sortant des conditions actuelles, de négliger ce devoir et de se perdre dans le labyrinthe d’une prétendue séparation de l’Église et de l’État. Cette séparation, sincèrement effectuée, est la seule solution logique. Toute organisation ecclésiastique de société de croyants forme un État dans l’État, et peut, à chaque instant avec facilité, empiéter sur le domaine civil. Il y a des circonstances où elle peut, dans l’intérêt de la civilisation, avoir le droit et le devoir de faire sauter un gouvernement délabré et décrépit ; mais en général et surtout aujourd’hui que l’on assigne de plus en plus à l’État la tâche de civiliser, abandonnée jadis à l’Église, l’organisation politique de cette dernière devient pour l’État un motif de défiance et de très-sérieuses inquiétudes. La suppression de l’organisation politique de l’Église rend seule possible la liberté religieuse illimitée. Toutefois l’État ne peut travailler à la destruction de la dogmatique religieuse, tant que l’Église, en dépit de ses vues ambitieuses, représente encore parmi le peuple l’idéalisme éthique. Fichte voulait, il est vrai, que l’instructeur ecclésiastique du peuple, destiné à servir d’intermédiaire entre la masse et les gens instruits, puisât son système religieux à l’école du philosophe. Il voulait que la théologie, si elle ne renonçait pas solennellement à ses « prétentions aux mystères », fut entièrement bannie des universités, et que, si elle y renonçait, sa partie pratique fût séparée de sa partie scientifique, laquelle devait se fondre dans l’ensemble de l’enseignement scientifique (42). Cette exigence, en soi si légitime, est encore moins réalisable aujourd’hui qu’à l’époque où Fichte la formula. Le rôle de médiateur entre le peuple et la classe éclairée ne peut être rempli, lors même qu’on le tenterait sérieusement, qu’en tenant compte des conditions psychologiques, c’est-à-dire que ce rôle réclame beaucoup de temps et une marche graduelle. D’un autre côté, on ne peut donner au clergé une instruction philosophique suffisamment profonde par une simple réorganisation des études. En attendant, le culte de l’idéal, chez le peuple, ne doit pas être interrompu. Sans doute, il serait à désirer que chaque ecclésiastique fût éclairé du moins sur la valeur et les limites de tout idéal ; mais, si l’étroitesse d’esprit et l’insuffisance des moyens d’instruction ne permettent pas cela sans préjudice pour la force, appelée à propager l’idée, dans ce cas, et à tout prendre, il vaut mieux sacrifier l’instruction que la force.

D’autre part, il en est parfaitement de même pour le naturaliste matérialiste. Sans doute le résultat de ses recherches fructueuses et pleines de dévoûment est essentiellement déterminé par son zèle pour la branche d’activité humaine qu’il a choisie. Il est indubitable qu’un empirisme sévère et méthodique peut seul le conduire à son but, qu’une observation, perspicace et sans préjugé, du monde des sens et une logique rigoureuse dans les conclusions lui sont indispensables, enfin que les hypothèses matérialistes lui ouvrent toujours la plus grande perspective de nouvelles découvertes. Si son esprit est assez profond et assez large pour unir à une activité ainsi réglée la reconnaissance de l’idéal, sans laisser pénétrer la confusion, l’obscurité ou une stérile hésitation dans le domaine de ses recherches, il peut alors assurément revendiquer avec plus de droit le titre d’homme véritable et accompli. Mais si l’on ne peut espérer cela, il vaut bien mieux avoir, dans la plupart des cas et dans ces questions, de lourds matérialistes que des rêveurs, des têtes faibles et embrouillées. Autant d’idéal qu’il en faut — et plus que la grande masse des hommes n’en acquerra jamais — se trouve déjà dans le simple dévoûment à un grand principe et à une branche importante d’étude. Les matérialistes qui, dans leur science, rendent des services réels, n’auront guère envie de jouer le rôle de missionnaires de la négation ; mais, dussent-ils l’accepter, ils nuiront moins à l’humanité que les apôtres de la confusion.

Toutefois, si les deux extrêmes sont réellement justifiables, même avec leur exclusivisme, il devra s’établir dans la société des relations tolérables, sinon affectueuses, dès que les derniers vestiges du fanatisme auront disparu de nos codes. En viendrons-nous là, c’est une autre question. Il en est de la révolution religieuse comme de la révolution sociale qui est à nos portes. Il vaudrait mieux pouvoir traverser en paix la période de transition ; mais les orages sont plus probables.

Ainsi la polémique actuelle du matérialisme se dresse devant nous comme un grave symptôme du temps. Aujourd’hui de nouveau, comme dans la période qui précéda Kant et la Révolution française, un affaissement général de la curiosité philosophique, un recul des idées sont les causes des progrès du matérialisme. Dans des temps pareils, le matériel périssable, où nos ancêtres mettaient l’empreinte du sublime et du divin, autant du moins qu’ils pouvaient les comprendre, est dévoré par les flammes de la critique, de même que le corps organique qui, après l’extinction de l’étincelle vitale, tombe au pouvoir plus général des forces chimiques et se trouve détruit dans sa forme antérieure. Mais comme, dans le cercle que parcourt la nature, la décomposition des matières inférieures donne naissance à une vie nouvelle, à un être de classe supérieure, alors que les vieux éléments disparaissent, de même nous pouvons espérer qu’un nouvel élan de l’idée fera monter l’humanité d’un nouveau degré.

En attendant, les forces dissolvantes ne font que leur devoir. Elles obéissent à l’impératif catégorique, inexorable de la pensée, à la conscience de l’entendement éveillé, des que, dans la fiction du transcendant, la lettre devient prédominante parce que l’esprit l’abandonne et cherche à créer des formes nouvelles. Mais l’humanité ne pourra parvenir à la paix perpétuelle que lorsqu’on reconnaîtra la nature impérissable de toute fiction dans l’art, la religion et la philosophie lorsque, sur la base de cette reconnaissance, cessera pour toujours le conflit entre la science et la fiction. Alors aussi alterneront harmoniquement le vrai, le beau et le bien, au lieu de la morne unité, à laquelle se cramponnent aujourd’hui nos communautés libres, qui n’admettent d’autre principe que la vérité empirique. L’avenir verra-t-il s’élever de nouvelles cathédrales ou se contentera-t-il de salles riantes et bien éclairées ; les sons de l’orgue et le carillon des cloches traverseront-ils l’espace avec une intensité nouvelle ou la gymnastique et la musique, comme l’entendaient les Hellènes, deviendront-elles la base de l’éducation d’une nouvelle période de l’histoire universelle ? — En aucun cas, l’œuvre du passé ne sera complètement perdue ; en aucun cas, ce qui a fait son temps ne renaîtra sans s’être modifié. Dans un certain sens les idées de la religion aussi sont impérissables. Qui voudra réfuter une messe de Palestrina ou accuser d’erreur la madone de Raphaël ? Le Gloria in excelsis restera une puissance universelle et retentira à travers les siècles aussi longtemps que la sensibilité de l’homme pourra être excitée par le frisson du sublime. Et ces simples idées fondamentales de la rédemption de l’individu par la soumission de sa volonté à la volonté qui régit l’univers ; ces images de mort et de résurrection qui expriment les sensations les plus émouvantes et les plus sublimes qui puissent faire tressaillir la poitrine humaine, alors qu’aucune prose n’est plus capable de représenter par de froides paroles la plénitude du cœur ; ces doctrines enfin, qui nous ordonnent de rompre le pain avec l’affamé et d’annoncer au pauvre la joyeuse nouvelle — ne disparaîtront pas à jamais, pour faire place à celles d’une société qui a atteint son but quand une fois elle a obtenu par son intelligence un gouvernement meilleur et par sa sagacité la satisfaction de besoins toujours nouveaux au moyen d’inventions toujours nouvelles. Souvent déjà une période de matérialisme ne fut que le calme avant la tempête qui devait s’élancer de profondeurs inconnues et donner au monde une forme nouvelle. Nous déposons notre plume de critique dans un moment où la question sociale surexcite l’Europe, question sur le vaste terrain de laquelle tous les éléments révolutionnaires de la science, de la religion et de la politique semblent avoir trouvé leurs positions pour livrer une grande et décisive bataille. Soit que cette bataille agite simplement les esprits et ne verse pas de sang, soit que, pareille à un tremblement de terre, elle jette dans la poussière, au milieu des éclats de la foudre, les ruines d’une période écoulée de l’histoire universelle et qu’elle ensevelisse des millions d’hommes sous les décombres, assurément l’ère nouvelle ne triomphera que sous la bannière d’une grande idée, qui balaiera l’égoïsme et, comme nouveau but à atteindre, substituera la perfection humaine dans l’association humaine au travail incessant, provoqué par une préoccupation exclusivement égoïste. Sans doute les combats futurs seraient moins meurtriers si la connaissance de la nature du développement humain et des processus historiques guidait d’une manière plus générale les hommes qui dirigent la société, et il ne faut pas renoncer à l’espérance de voir, dans un avenir lointain, s’effectuer les plus grands changements, sans que l’humanité soit souillée par l’incendie et le carnage. Ce serait incontestablement la plus belle récompense des fatigues du travail intellectuel que de pouvoir, dès maintenant, aider à préparer une voie facile à l’inévitable, en écartant de terribles sacrifices et à transporter intacts dans l’époque nouvelle les trésors de notre culture ; mais cette perspective est douteuse, et nous ne pouvons nous dissimuler que les passions aveugles des partis vont grandissant et que l’implacable conflit des intérêts se soustrait de plus en plus à l’influence des recherches théoriques. En tout cas, nos efforts ne seront pas complètement infructueux. La vérité, quoique tardive, arrivera néanmoins assez tôt car l’humanité ne mourra point encore. Les natures privilégiées saisissent le moment opportun mais jamais le penseur qui observe n’a le droit de se taire parce qu’il sait qu’actuellement peu de personnes l’écouteront.


FIN DU TOME SECOND.



40. À l’équation A = A, prise strictement, ne répond nulle part la réalité ; c’est ce que récemment A. Spir a fait ressortir avec énergie et ce qu’il donne pour base à son propre système de philosophie. Toutes les difficultés, que ce procédé implique, peuvent cependant s’aplanir bien plus aisément sur une autre voie. L’équation A = A est sans doute le fondement de toute connaissance, mais elle n’est pas elle-même une connaissance ; elle est un fait de l’esprit, un acte de synthèse primitive, qui établit comme début nécessaire à toute pensée une égalité ou une persistance qui se retrouvent dans la nature comparativement et approximativement, mais jamais absolument ni parfaitement. L’équation A = A indique donc aussi, dès l’entrée de la logique, la relativité et l’idéalité de toute notre connaissance.

41. J.-G. Fichte, Beitrag zur Berichtigung der Urtheile des Publikums über die Französische Revolution, 1793 ; livre I, fin du chapitre 1er [traduit en français par Jules Barni, sous le titre : Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française Paris, Chamerot, 1859. [N.d.t.].

42. J.-H. Fichte, deducirter Plan einer zu Berlin zu errichtenden höhern Lehranstalt ; geschrieben im Jahre 1807. Stuttgart und Tübingen, 1817, p. 59 et suiv.