Histoire du donjon de Loches/Chapitre VII

Edmond Gautier
Impr. de A. Nuret (p. 95-108).

VII

le martelet. — le cachot de ludovic sforza.


En face de la Tour Ronde est un bâtiment qu’on appelle le Martelet.

D’après certains auteurs il aurait été construit par Louis XII pour loger le duc de Milan Ludovic Sforza. Mais les dates de 1417 et 1451 que nous retrouvons dans les souterrains prouvent que les soubassements au moins existaient déjà au commencement du XVe siècle.

En montant quelques marches, on arrive dans une grande salle autrefois voûtée. Deux fenêtres donnent d’un côté sur la cour intérieure, de l’autre sur la campagne et les fossés. Dans l’embrasure de cette dernière les murs n’ont pas moins de 2m50 d’épaisseur.

Cette première salle pouvait servir de corps de garde pour la surveillance des cachots et magasins qui se trouvaient au-dessous. Elle était même assez spacieuse pour faire un logement digne du capitaine ou de quelque officier du château.

Près de l’escalier, les murs sont couverts de plusieurs belles inscriptions, bien effacées aujourd’hui. La principale peut se reconstituer à l’aide de quelques mots encore lisibles ; c’est un texte de saint Paul :


In omnibus tribulationem patimur, sed non angustiamur ; aporiamur sed non destituimur ;

Persecutionem patimur, sed non derelinquimur ; humiliamur sed non confundimur ; dejicimur sed non perimus.

(2e aux Corinthiens, IV, 8, 9.)


Les mots humiliamur sed non confundimur ont été ajoutés au texte sacré. Ce n’est point une main vulgaire qui a tracé en caractères élégants et corrects cette fière protestation, pleine d’un menaçant défi :

« En toutes choses nous souffrons la tribulation, mais nous ne sommes pas écrasés ; nous sommes amoindris, mais non pas anéantis ; persécutés, mais non pas abandonnés ; humiliés, mais non pas confondus ; nous sommes terrassés, mais nous ne périssons pas ! »

En descendant 27 degrés d’un escalier en spirale et laissant de côté une chambre qui n’offre aucun intérêt, nous sommes au cachot du célèbre Ludovic Sforza.

Sorti d’une race de parvenus qui s’était hissée par la bâtardise des femmes au trône ducal de Milan, et qui avait fini par jeter ses branches jusque dans les maisons royales, Louis-Marie Sforza, plus connu sous le nom de Ludovic le Maure, était le second fils de François, bâtard d’un paysan de Cottignolle devenu soldat, et de Blanche-Marie, bâtarde de Philippe Visconti[1].

Son frère aîné, Galéas-Marie, duc de Milan par droit d’héritage et de conquête, avait épousé Bonne de Savoie, ce qui le faisait beau-frère de Louis XI.

En mourant il laissait un fils, Jean-Galéas-Marie, qui devait lui succéder sous la tutelle du conseiller d’État Celus Simonetta. Ludovic s’empara de la tutelle de son neveu, fit trancher la tête au vieux Simonetta, et contraignit sa belle-sœur à se réfugier près du roi de France. Jean-Galéas-Marie mourut en 1494 d’un poison lent que Ludovic lui avait fait donner. Il laissait aussi lui un fils, François, que sa mère, Isabelle d’Aragon, ne crut pouvoir sauver qu’en l’envoyant en France. L’héritier du duc de Milan fut placé dans le monastère de Marmoutier, dont il devint abbé ; mais plus propre, ainsi que tous ceux de sa race, aux exercices guerriers qu’aux austérités du cloître, il mourut d’une chute de cheval dans une partie de chasse, sans laisser des souvenirs bien édifiants. Ludovic alors s’empara sans conteste de l’héritage de son neveu.

Tel était l’homme que Louis XII, héritier du Milanais par son aïeule Valentine Visconti, venait de voir tomber entre ses mains à la bataille de Novare, et qu’il se croyait, peut-être avec raison, en droit de traiter à la fois comme un assassin et un voleur d’héritage, comme un ennemi politique et privé.

Et cependant, par un de ces contrastes violents assez ordinaires dans les natures supérieures, Ludovic avait les qualités qui font les grands princes. Il aimait les arts, et sous sa vigoureuse impulsion, les sciences reprirent une nouvelle vie ; dans sa période de prospérité, il avait enrichi Milan des œuvres immortelles de Léonard de Vinci et de Bramante ; il avait creusé à Novare ce canal de la Mora qui porte son nom, et grâce auquel le Novarais et la Lomelline sont aujourd’hui de riantes et florissantes provinces ; poète lui-même à ses heures, il avait peuplé sa cour de poètes, de savants, d’artistes, de grammairiens, qui le regardaient comme leur Mécène.

Toute cette grandeur s’était écroulée dans la fatale matinée du lundi de Pâques 1500. Trahi par les mercenaires suisses de son armée sous les murs de Novare, Ludovic fut reconnu lorsqu’il essayait de s’échapper, confondu parmi les soldats, sous le costume d’un fantassin, la hallebarde sur l’épaule. Il se constitua prisonnier entre les mains du comte de Ligny, son parent, qui servait dans l’armée française.

On l’enferma d’abord au château de Novare, où il demeura du 10 au 15 avril sous la garde de M. de Ligny. Puis, mis aux mains de La Trémouille, il dut prendra la route de France. En passant par Asti, la populace l’accabla d’injures, criant sur son passage : Mora il Moro ! Meure le Maure ! Brisé par tant d’émotions, il tomba dans un tel état de langueur et d’épuisement, qu’on fut obligé de suspendre le voyage, et de s’arrêter à Suse pour lui permettre de reprendre quelques forces.

Arrive en France, il fut envoyé à Pierre-Encise, dans cette prison où Louis XII, quand il était encore duc d’Orléans, avait été mis par Charles VIII, après la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. La, il parvint à corrompre ses gardiens et tenta de s’évader ; il y réussit, dit-on, en se cachant dans une charrette pleine de paille ; son ignorance des lieux le fit reprendre. Pour lui ôter toute possibilité de fuite, on le transfère dans la tour du Lys-Saint-Georges, ou grosse tout de Bourges, où il resta, quatre ans[2] sous la garde la plus sévère ; puis, sur de nouveaux soupçons sans doute, il fut amené à Loches et enfermé dans le cachot qui porte encore son nom[3].

Les précautions et les rigueurs dont il fut l’objet sont justifiées par l’importance du prisonnier. C’était un captif singulièrement précieux et un ennemi redoutable, ce prince qui avait tenu si longtemps en échec les armes françaises, et duquel on avait pu dire dans une chanson populaire :

Christo in cielo, e il Moro in terra
Sol sa il fin di questa guerra.

[4]

Là, dans l’humide et sombre cachot où le jour ne pénètre qu’à travers un mur de huit pieds d’épaisseur par une fenêtre de trois pieds carrés à double grillage, le soldat vaincu, le prince qui avait fait construire des palais, qui avait goûté les jouissances du rang suprême, de la richesse et des arts — seul, sans conseils, presque sans lumière, — choisit pour combattre le chagrin qui le ronge, le moyen le plus extraordinaire, le plus étranger à ses habitudes, le plus difficile, nous allions dire le plus impossible dans sa situation, — il se fait peintre. — Ses yeux s’habituent a l’obscurité ; il obtient des couleurs, des pinceaux, des échelles ; le soldat devient artiste, et il jette sur les murs sombres de son cachot une composition bizarre, originale, pleine de grandeur et de caractère.

Ne croyez pas qu’il va retracer les faits d’armes dont il fut le héros autrefois, les batailles qu’il gagna. Sa main vaillante, habituée à manier l’épée, mais inhabile au dessin, saurait mieux conduire les soldats au combat que les aligner dans une peinture ; mais il exprimera tout autour de lui le sentiment qui le domine, qui le brise, le regret de sa couronne et de sa liberté perdues, et il s’écriera comme le Dante :

Il n’y a au monde si grande detstresse
Du bon tempts son souvenir ey la tristesse

[5]

Dans ce peintre improvisé se révèle du premier coup l’homme habitué aux grandes choses. Pas d’hésitation, pas de mièvreries. Cette décoration, — car c’en est une vraiment, et des plus belles, — est exécutée dans un style grandiose, plein de hardiesse et d’énergie.

Empressons-nous de décrire ce qu’on en voit encore, car le salpêtre en détruit tous les jours une partie, et ses efflorescences cristallines recouvrent les murs qui tombent en poussière avec les précieuses peintures.

C’est la cheminée qui fut, croyons-nous, le premier objectif de ses ornementations. Comme aux larges manteaux des vieux foyers gothiques, au lieu du blason féodal, il plaça son portrait, plus grand que nature, casque en tête comme un jour de bataille, la visière levée. Les traits énergiques de ce profil, le nez aquilin, le menton proéminent, la lèvre inférieure légèrement avancée dans un rictus dédaigneux, nous peignent l’homme tout entier.

Dans les intervalles des lignes sont rangées des pennes ou plumes ; les pennes aussi couronnant le cimier de son casque. Cette devise est bien conforme aux règles et à l’usage. On y retrouve le double sens des mots peine et penne, sforce et force. Le mot pacience paraît faire allusion à cet objet posé horizontalement à la base du casque, dont nous n’avons pu préciser la nature, et qui devait autrefois porter un nom analogue à celui de patience.

Mais cette inscription incolore gravée au couteau ne lui suffit pas. Pour abréger les longues heures que lui mesure d’un pas tardif son cadran, — un clou planté en face de la fenêtre, — il entreprend d’étendre sur ces murs froids des fresques italiennes, des peintures moresques qui lui cacheront l’horreur de la prison sous les souvenirs de ses palais.

Cet étroit espace qui est désormais son univers, il le mesure, trace de grandes lignes du sommet de la voûte au ras du sol, et, sa pensée bien arrêtée, il se met à l’œuvre.

Trois couleurs lui suffisent, les plus simples et les plus communes, l’ocre jaune, le brun rouge, le bleu presque noir. Le blanc du mur formera une quatrième couleur.

La disposition du sujet est aussi simple que les matériaux employés sont élémentaires. Du milieu de la voûte, il a divisé horizontalement le pourtour des murs en deux parties : la première s’arrête au point où les parois prennent la direction verticale. La seconde descend de ce premier point jusqu’au niveau du sol. Ces deux divisions principales sont accentuées par de grosses cordelières a nœuds dessinées en traits rouges et bleus.

À la partie supérieure qui occupe toute la voûte, on voit encore, peintes directement sur la pierre, de grandes lettres jaunes, dont les vides sont remplis par un semis d’étoiles bleues. On y lisait, il y a deux siècles, d’après Dubuisson :

ENCORE ET A MON ADVISE…

Un peu au-dessous, après une ligne disparue, un nouveau portrait de Ludovic, avec son casque gigantesque peint en rouge losangé de filets blancs, la visière levée, et ce même profil que nous avons vu au-dessus de la cheminée, mais avec l’expression plus dure et plus dédaigneuse encore ; et de chaque côté de la tête ces deux mots en grandes lettres jaunes sur semis d’étoiles bleues :

CELVI QVI

L’espace lui manquant, il a complété sa pensée en caractères plus petits disposés sur trois lignes :

NET
PAS C0
NTAN

Au-dessous s’étend comme un trait la cordelière rouge et bleue.

La surface verticale du mur est peinte dans une gamme plus vigoureuse ; c’est comme une tapisserie plus chaude et plus enveloppante. Elle est divisée en trois bandes. Dans la première les lettres sont bleues sur fond blanc, avec semis d’étoiles rouges ; dans la seconde, étoiles jaunes sur fond bleu, lettres blanches ; la troisième est comme couleur la répétition de la première, lettres bleues sur fond blanc, avec étoiles rouges. On lit dans ces trois lignes :

A. FORTVNE. IE. NE. PAS .
E. SIE. PLAINDRE. ME. DO      DE
   ETOVT. PERDV.

Dans un angle, de grandes cisailles qu’on appelle des forces, peintes en bleu, sont pour ainsi dire les armes parlantes de Ludovic, et ne laissent désormais aucun doute sur le nom de l’auteur et sur l’authenticité de cette œuvre remarquable.

On voit encore, dans tout le pourtour de la chambre, des traces de cette décoration. Le portrait et la cordelière s’apercevaient, il y a peu de temps, sur le mur du fond ; ils devaient exister aussi du quatrième côté, mais le salpêtre a tellement endommagé cette partie que l’on peut à peine distinguer aujourd’hui une trace de peinture rouge.

On lit, à l’imposte de la fenêtre, en petits caractères rouges :

D’autres dessins se retrouvent aussi dans le privé attenant au cachot. À gauche, un objet dont il est impossible aujourd’hui de reconnaître la forme, entouré de canons et accompagné en chef de deux cœurs. À droite, un cerf couché portant entre les cornes les lettres mystérieuses SAV SAN. Ce dernier dessin, nous devons le dire, est assez médiocre, et nous montre que Ludovic a été bien inspiré en se maintenant dans les limites de la grande peinture décorative, et en se tenant à distance respectueuse de ce qu’on appelle le dessin d’imitation.

La captivité du duc de Milan fut longue. Cependant il ne resta pas toujours enfermé dans ce cachot. Belleforêt qui, suivant Dufour, paraît avoir travaillé sur des mémoires fort exacts, dit qu’après avoir été tenu « en une chambre souterraine voutée et close d’un huis de fer, il fut mis en liberté soubz la garde de quelques soldats écossois ». Il habitait sans doute alors une chambre haute de la Tour Ronde, dans la partie écroulée. On retrouve là des inscriptions évidemment de sa main, avec la cordelière et les mots SAV SAN. Elles ne sont point peintes, mais gravées profondément dans la pierre ; elles ont toute la hardiesse et le grand caractère des peintures du cachot.

Les documents relatifs à l’illustre captif sont trop rares pour que nous puissions nous dispenser de citer fidèlement ceux qui nous ont été conservés. Nous regardons comme des plus précieux les vers suivants, qui paraissent faire allusion à une entrevue souvent sollicitée par le prisonnier, et refusée par Louis XII :

JE.MEN.REPENS.CELA.NE.VAVLT.RIEN.
CAR.IAI.VOVLV.IONDRE.MON.CVEVR.AV.TIEN.
POVR.MON PLAISIR.ET.TV.LVI.FAICTZ.LA.GVERRE.
SI.NE.TE.DOIS.DESORMAIS.PLVS.REQVERRE.
QVANT.VOVLENTP.ME.FAIRE.AVLCVN.BIEN.
TROP.DE.PEINE.EVX.A.TROVVER.LE.MOIEN.
PARLER.A.TOI.CHERCHANT.TON.ENTRETIEN.
QUE.IAI.TROVVE.DIFICILE.A.CONQVERE.

D’autres inscriptions se voient encore sur ce mur en ruine, mais tronquées et ne présentant plus de sens. Nous renvoyons ces fragments avec quelques autres à la fin du volume.

Nous ne savons pas autre chose de la captivité du duc de Milan. Grumello, écrivain contemporain, dit qu’il avait pour compagnon François de Pontremolo, pour lequel il avait une affection particulière : il est certain que Louis XII s’était peu à peu relâché de ses rigueurs.

Cependant la santé de Sforza devenait plus chancelante. Cette longue prison sans espoir avait lentement miné ses forces. Peu de temps sans doute avant sa mort il écrivait encore sur le mur ces vers que nous avons eu le bonheur de découvrir tout récemment :

QUANT.MORT.ME.ASSAVLT.ET.QVE.IE.NE.PVIS.MOURIR.
ET.SECOVRIR.ON.NE.ME.VEVLT.MAIS.ME.FAIRE.RVDESSE.
ET.DE.LIESSE.ME.VOIR.BANNIR.QVE.DOIS.JE.PLVS.QVERIR.
JA.NEST.BESOIN.MA.DAME.REQVERIR.POVR.ME.GVERIR.
NE.POVRCHASSER.AVOIR.AVTRE.
MAITRESSE.

Enfin, le 18 mars 1508, selon Castellar, il mourut après avoir dicté son testament que l’on conserve aux archives de l’État, à Milan. Il fut enterré, dit le même auteur, avec tous les honneurs dus à un prince. L’église collégiale du château reçut sa dépouille mortelle. Cependant sa sépulture est tellement oubliée qu’on ne saurait aujourd’hui en désigner l’emplacement. D’après une tradition qui ne paraît pas très certaine, elle se trouvait au bas du grand crucifix placé autrefois sur une poutre à l’entrée du chœur. Dubuisson, dans la relation de son voyage à Loches, dit au contraire : « Au costé septentrional de l’église est la chapelle Saint-Maurice, et de suite plus bas celle du Saint-Sépulchre de Notre-Seigneur, où est sans aucune marque, mais par tradition constante enterré Ludovic Sforze et non pas devant le crucifix, comme le veut Duchesne. »

En 1876 on trouvait au Grand-Pressigny, dans l’arrondissement de Loches, une médaille de Galéas Sforza. L’avers représente le duc revêtu d’une cuirasse ; autour de la tête on lit : galeas m. sf. vicecos. dux. mil… Le profil de Galéas-Marie a une certaine ressemblance, un certain air de famille avec celui de son frère Ludovic. Au revers est un casque orné d’une couronne de duc et surmonté d’une guivre tenant un enfant dans sa gueule. Au-dessous l’écusson des ducs de Milan, d’argent à une guivre d’azur couronnée d’or, à l’issant de gueules. De chaque côté de l’écu, une plante portant deux seaux ou paniers ; pour devise : co. ag. janve. d. p. p. ngle. o 3. Le mot janve paraît faire allusion aux droits des ducs de Milan sur la ville de Gênes. Cette monnaie doit avoir été frappée entre l’avènement et la mort de Gelées-Marie, c’est-à-dire de 1466 à 1476.

Il est probable qu’elle a été rapportée en France par des prisonniers ou par des soldats revenant d’Italie. René de Savoie, comte de Villars et baron du Grand-Pressigny, avait accompagné Louis XII dans ses campagnes. Il était entré à la suite du roi à Gênes, en 1502 ; il assistait à la bataille de Marignan à côté de François Ier, et mourut d’une blessure reçue à Pavie, où il avait été fait prisonnier, en 1525. Peut-être un des compagnons de Ludovic fut-il ramené et enfermé quelque temps au château de Pressigny. Mais cette monnaie ne saurait, comme on l’a prétendu, être attribuée à Ludovic Sforza.

Nous n’avons pu découvrir, ni dans le nécrologe de Notre-Dame de Loches, ni dans les anciens titres de l’église, aucune mention de prières ou de services commémoratifs pour Ludovic Sforza. Ses cendres dorment oubliées sur le sol étranger, et pas même une pierre n’indique au passant où reposent les os de celui qui fut le duc de Milan. Un humide et sombre cachot, des peintures qui s’effacent, quelques lignes creusées dans un mur qui tombe ou que le badigeon recouvre, sont les seuls monuments destinés à perpétuer la mémoire du prince qui fut tour à tour guerrier, peintre, littérateur, et dont la gigantesque figure serait assez grande pour remplir de son souvenir toute la prison de Loches, si d’autres, illustres aussi, ne l’y avaient précédé ; si d’autres, illustres encore, n’avaient dû l’y suivre.

  1. Le nom originaire des Sforza était Attendula.
  2. Nous avons cependant trouvé, en marge d’un vieil inventaire déposé aux archives de Loches, cette mention : « Au dit an 1501, Ludovio Sforce fut amené de la grosse tour de Bourges, et conduit à Loches »
  3. Ces détails sont tirés d’un excellent livre de M. Antonio Rusconi, avocat à Novare : Lodovico il Moro e sua cattura in Novara
  4. Un vieux poème, reproduisant la même pensée, le faisait parler ainsi de sa prison :

    Son quel Ducha di Milano
    Che col pianto sto in dolore…
    Io diceva que un sol Dio
    Era in ciela, e un Moro in terra ;
    E secondo il mio disio
    Io faceva pace e guerra

  5. Ces deux vers sont une traduction de ce passage du Dante :

    Nessun maggior dolore
    Che ricodasi del tempo felice
    Nelia miseria.

    Ils sont placés dans la chambre au-dessus du pont-levis, mais ils nous paraissent de Sforza ; nous retrouvons là des inscriptions de lui, entre autres les mots mystérieux SAV SAN (dont nous parlerons plus loin), renfermés dans un cœur, et au milieu la lettre F. Le cœur aussi se retrouve dans les peintures du cachot. — Il est à remarquer que toutes les inscriptions attribuées au duc de Milan sont en français.