Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 66

Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome VIp. 12-26).

LETTRE LXVI.

Miss Byron à Miss Selby.

Mardi matin, 18 d’Avril.

Que direz-vous de cette étrange Mylady G… ? Pour moi je la trouve extrêmement blâmable. Mylord L… perd patience avec elle. Mylady est au même point. Émilie déclare qu’elle l’aime beaucoup, mais qu’elle n’aime point ses caprices. Mylord G… parle de m’apporter ses plaintes. Le sujet de la querelle ne paroît pas fort grave, comme je l’apprends d’Émilie : mais les bagatelles ont quelquefois des suites sérieuses, lorsqu’on a l’extravagance d’y insister. Quoi qu’il en soit, l’affaire est entre eux ; & ni l’un ni l’autre ne se presse d’en parler. Cependant Mylord & Mylady L… désaprouvent hautement l’air de raillerie qu’elle affecte.

Leur mésintelligence commença hier au soir. Nous avions soupé chez eux, Madame Reves & moi, avec Mylord & Mylady L… & les deux Dames Italiennes. Je ne me trouvai point de goût pour le jeu. Nous nous retirâmes de bonne heure, & la Signora Olivia partit en même tems avec sa Tante. On se mit à jouer. Mylord & Mylady L…, Émilie & le Docteur Barlet tomberent ensemble. Au milieu de leur partie, Mylady G…, qui étoit montée à son appartement, descendit l’escalier avec précipitation, en fredonnant quelques notes. Mylord G…, qui étoit monté après elle, la suivit d’un air fort troublé. Madame, commença-t-il, il faut vous dire… Il faut, interrompit-elle : non, Mylord, il ne faut rien. Elle s’assit derriere Émilie. Ne prenez pas garde à moi, lui dit-elle. Qui gagne ? Qui perd ? Son Mari se promena dans la chambre à grands pas. Mylord & Mylady L… auroient voulu feindre de ne rien remarquer, dans l’espérance que l’orage s’appaiseroit de lui-même ; car il étoit échappé à leur Sœur quelques petites vivacités pendant le dîner, quoiqu’à souper tout eût été fort tranquille. Le Docteur Barlet lui offrit ses cartes. Elle les refusa. Non, Docteur, lui dit-elle ; j’ai mes propres cartes, avec lesquelles je veux jouer, & mon jeu n’est pas aisé. Mais, Lucie, vous confondriez les rolles, si je ne marquois le nom de chaque acteur.

Mylord G… De la maniere dont vous vous y prenez, je le crois bien, Madame.

Mylady G… Ne vous exposez pas, Mylord. Nous sommes en compagnie. Ma Sœur, je crois que vous avez Spadille à gages.

Mylord G… Permettez, Madame, que je vous dise un mot ou deux.

Mylady G… Toujours prête à l’obéissance, Mylord.

Elle se leva. Il voulut prendre sa main : elle la mit derriere elle.

Mylord G… Vous me refusez votre main, Madame ?

Mylady G… Elle m’est nécessaire.

Il s’éloigna d’elle ; & sans ajouter un mot, il sortit de la chambre.

Mylady G… [Se tournant vers la compagnie, d’un air gai & tranquille.] Quelles étranges créatures que ces hommes !

Mylady L… Charlotte, vous m’étonnez.

Mylady G… J’en suis charmée, ma Sœur.

Mylady L… Mais, ma Sœur, je n’y comprens rien.

Mylady G… Nous autres femmes, nous aimons l’étonnant, l’incompréhensible.

Mylord L… En vérité, Madame, je ne crois pas la raison pour vous.

Mylady G… J’en suis charmée, Mylord.

Mylord L… Charmée, de quoi ?

Mylady G… De ce que la raison est toujours pour ma Sœur.

Mylord L… Réellement, Madame, si j’étois à la place de Mylord G…, la patience m’échapperoit.

Mylady G… Bonne leçon pour vous, Mylady L… : faites-en votre profit, & continuez d’être si raisonnable.

Mylady L… Lorsque j’en userai comme vous, Charlotte…

Mylady G… J’entends, chere Sœur, il n’est pas besoin d’achever. Chacun a sa méthode.

Mylady L… Cela n’arriveroit point, si mon Frere…

Mylady G… Peut-être non.

Mylady L… En vérité, chere Charlotte, je crois que vous avez tort.

Mylady G… Je le crois aussi.

Mylady L… Pourquoi donc ne vous hâtez-vous pas…

Mylady G… De réparer mes fautes ? Chaque chose a son tems.

Émilie avoue qu’elle commençoit à craindre pour la fin de ce dialogue, lorsque la Femme de chambre de Mylady G… vint lui dire que Mylord souhaitoit de la voir. Ces hommes sont inexplicables, reprit-elle. Ils ne sont contens, ni avec nous, ni sans nous. Mais je suis l’obéissance même. Tous mes sermens seront observés. Elle sortit.

Comme aucun des deux ne revint sur-le-champ, Mylord & Mylady L…, qui entendirent arriver leur carrosse, en prirent occasion de se retirer ; & pour marquer leur mécontentement à leur Sœur, ils partirent sans avoir pris congé d’elle. M. Barlet prit aussi le parti de monter à son appartement ; de sorte que Mylady G… qui ne tarda point à descendre, fut extrêmement surprise, & même un peu piquée, de ne retrouver qu’Émilie. Mylord arriva presqu’aussi-tôt par une autre porte. Assurément, lui dit-elle, voilà une conduite bien étrange. Avec vos airs de Mari vous mettez toute une compagnie en fuite.

Mylord G… Bon Dieu ! Vous me jettez dans un étonnement, Madame…

Mylady. À quoi reviennent ces exclamations ? lorsque vous avez effrayé tout le monde.

Mylord. Moi, Madame ?

Mylady. Vous, Monsieur. Oui, vous. N’avez-vous pas pris le ton de Maître dans mon cabinet ? L’amour de la paix ne m’a-t-il pas fait descendre ? Ne m’avez-vous pas suivie… avec des regards… fort jolis, je vous assure, pour un homme marié depuis deux jours ! Ensuite n’avez-vous pas voulu m’emmener ? N’auroit-on pas cru que c’étoit pour me marquer quelque regret de votre conduite ? A-t-il manqué quelque chose à ma soumission ? Ne m’a-t-elle pas attiré des airs d’hommes ? N’êtes-vous pas sorti brusquement de la chambre ? Tous les Assistans peuvent rendre témoignage du calme avec lequel je suis retournée vers eux, dans la crainte qu’ils ne s’affligeassent trop pour moi, & qu’ils ne crussent notre quérelle fort grave. Enfin, lorsque votre chaleur s’est appaisée, comme je le suppose, vous m’avez fait appeller. Sans doute, ai-je pensé, qu’il est tout à fait revenu à lui-même. Je me suis encore hâtée d’obéir…

Mylord. Et ne vous ai-je pas suppliée, Madame…

Mylady. Suppliée, Monsieur ! Oui ; mais avec des regards !… L’homme que j’ai épousé, permettez que je le dise, Monsieur, avoit un visage tout différent. Voyez, voyez, Émilie ; le voilà parti encore une fois.

En effet, Mylord est sorti dans un transport d’impatience. Oh ! ces hommes, ma chere ! s’écria-t-elle en regardant Émilie.

Je sais bien, m’a dit cette chere Fille, ce que j’aurois pu lui répondre ; mais on assure qu’il ne faut jamais entrer dans les quérelles conjugales.

La mésintelligence ne fit qu’augmenter jusqu’au lendemain. Émilie n’a pu me donner d’autres informations : mais lorsqu’elle achevoit son récit, on m’a remis le billet suivant de la part de Mylady G…

« Henriette, si vous avez pitié de moi, venez me voir à l’instant. J’ai grand besoin de votre conseil. Je suis résolue de faire casser mon mariage. Aussi ne veux-je souscrire que mon cher nom de

Charlotte Grandisson. »

Je lui ai fait sur le champ la réponse suivante. « Je ne connois personne qui se nomme Charlotte Grandisson. J’aime tendrement Mylady G… ; mais je ne suis capable de pitié que pour Mylord. Je ne vous verrai pas. Je n’ai pas de conseil à vous donner, hors celui de ne pas vous faire mal-à-propos un jeu de votre bonheur. »

Une demi-heure après, il m’est venu une seconde Lettre.

« Voilà donc ce que j’ai gagné par mon mariage ! Mon Frere absent ; un Mari intraitable ; Mylord & Mylady L… dans son parti, sans s’informer qui a tort ou raison ; le grave Docteur Barlet, dont le silence me condamne ; Émilie qui me laisse, en portant le doigt à l’œil ; mon Henriette qui renonce à moi ! & tout dès la premiere semaine ! Quel parti prendre ? La guerre paroît déclarée. Ne prendrez-vous donc pas la qualité de Médiatrice ? Vous ne voulez pas, dites-vous ? Eh bien, j’y consens. Mais je veux exposer devant vous toute l’aventure.

» Ce fut hier au soir, avant la fin de la premiere semaine des nôces, que Mylord G… prit la liberté de forcer ma retraite, sans avoir consulté mes intentions. Vous observerez, en passant, qu’il lui étoit échappé quelques impertinences pendant le dîner ; mais j’avois passé là-dessus.

» Quelle est cette hardiesse ? lui dis-je. De grace, Monsieur, sortez. Pourquoi quittez-vous la compagnie ?

» Je viens, ma très-chere vie, pour vous faire une priere. L’exorde, comme vous voyez, étoit assez civil, s’il y eût mêlé un peu moins de ses importuns transports ; mais il me jetta les bras autour du cou, en présence de Jenny, ma Femme de chambre. Les folles caresses d’un Mari sont capables de faire de dangereuses impressions sur ces filles. Ne trouvez-vous pas, Henriette, que c’est blesser ouvertement les bonnes mœurs ?

» Je refuse votre demande, & je ne veux pas même l’entendre. Comment avez-vous osé pénétrer ici ? Vous avez dû juger que je n’avois pas quitté ma Sœur pour long-tems. Quoi donc ? la Cérémonie est-elle déja si ancienne, qu’elle autorise un manque de savoir-vivre ?

» De savoir-vivre, Madame ! Il parut vivement frappé de l’expression. Laissez-moi, repris-je, sans lui donner le tems de répondre. Sortez à ce moment. Mes yeux ne dûrent pas être bien méchans dans ma colere, car il me déclara qu’il ne sortiroit point ; & jettant encore une fois ses bras autour de moi, il joignit sa face dure à la mienne. Jenny étoit toujours dans le cabinet.

» À présent, Miss Byron, vous ne m’abandonnerez point dans un cas, où la bienséance est intéressée. Non, j’en suis sûre. Prendre la défense de ces odieuses libertés dans un commencement de mariage, ce seroit faire connoître, qu’elles ne vous déplairont point à vous-même.

» Vous pouvez donc vous imaginer, que je lâchai la bride à mon indignation. Il disparut avec l’audace de murmurer, & de marquer de l’humeur. Le mot de Diable sortit de sa bouche. Je demandai à Jenny, si c’étoit à moi qu’il l’avoit adressé ? Non, assurément, me répondit-elle : & voyez, chere Henriette, le mauvais effet de l’exemple sur les filles de cette sorte ; elle eut la hardiesse de parler en faveur de la tendresse d’un Mari. Cependant en toute autre occasion je lui vois faire la prude.

» Avant que ma colere fut appaisée, le hardi personnage ne fit pas difficulté de reparoître. C’est la pure vérité, Henriette. Comme vous ne faites rien de secret, me dit-il, je ne veux pas vous quitter. En vérité, Madame, vous me traitez mal. Mais, si vous permettez que je vous revoie demain au matin…

» Non, Monsieur.

» Seulement à déjeuner, ma chere ; & où ? chez Miss Byron. C’est une complaisance que je vous demande.

» Sa chere ! Dans le monde entier, je ne hais rien tant qu’un Hypocrite. Je savois que son dessein étoit de me mener aujourd’hui en visite, pour faire parade de sa nouvelle propriété, & je jugeai que me voyant en colere, il vouloit tout à la fois me nommer une maison agréable, se faire un mérite auprès de vous, & se procurer la satisfaction d’avoir fait obéir sa Femme, sans y employer l’air d’autorité.

» C’est de ce misérable commencement, que notre importante quérelle a pris naissance. Ce qui me pique le plus, c’est l’artifice de l’homme, & le dessein manifeste, qu’il a eu de vous mettre dans ses intérêts. Il ne manqua point dans le cours de l’altercation d’y joindre la menace d’en appeller à vous. Vouloir me perdre dans le cœur de ma plus chere Amie ! Cette méchanceté est-elle pardonnable ? Vous croyez bien, ma chere Henriette, que si la proposition de vous voir n’étoit pas venue de lui, sur tout après tant d’offenses accumulées, c’étoit la visite qui pouvoit me causer le plus de plaisir.

» En vérité, Monsieur… assurément, Mylord… Je vous proteste, Monsieur… avec un dégré de hauteur assez modéré, furent les plus grands emportemens de ma part ; suivis à la fin du mot rébelle : Je n’en ferai rien.

» De son côté, il répéta vingt fois en différentes formes, sur mon honneur, Madame… Que je périsse, si… & paroissant hésiter, vous me traitez mal, Madame… Je n’ai pas mérité… & permettez que je vous déclare, j’insiste, Madame, à vous demander cette complaisance.

» Ce langage, Henriette, ne pouvoit plus être supporté. La soirée étoit fraîche : mais je n’en pris pas moins mon Éventail. Ho, ho, lui dis-je. Quels termes ? Quelles expressions ? Vous insistez, Mylord ! Je juge que je suis mariée : me tromperois-je ? Je pris alors ma montre : Lundi soir, à dix heures & demie, le… quel jour sommes-nous du mois ! Je demande la permission à Mylord de marquer ce premier moment de l’exercice de son autorité.

» Chere Mylady G… ! (C’est peut-être pour mettre le comble à l’insulte, qu’il me donna son nom.) Si j’étois capable de supporter ce traitement, je n’aurois pas toute la tendresse que j’ai pour vous.

» Ainsi, Monsieur, c’est par un excès d’amour, que vous commencez à faire valoir tous les droits d’un Mari. Fort bien. J’ajoutai quelques plaisanteries assez piquantes sur les préparatifs, que j’allois faire pour l’esclavage. J’aurois continué ; mais prenant un ton grave, que je trouvai rude, & même un peu méprisant, (jugez, Henriette, s’il étoit possible de se modérer) il entreprit de me donner des leçons : un peu moins d’esprit, Madame, & un peu plus de discrétion, vous siéroient peut-être aussi bien.

» Le reproche étoit trop vrai pour être oublié ; vous en conviendrez, Henriette ; & de la part d’un homme, qui n’a pas trop de l’un ni de l’autre… mais j’avois trop d’empire sur moi-même, pour lui communiquer cette observation. Mylord, c’est ce que je lui dis, je me repose sur votre jugement. Il sera toujours le contrepoids de mon esprit ; & quelque jour, avec l’assistance de votre amour dédaigneux, il m’apprendra la discrétion.

» Dites, ma chere ; n’étoit-ce pas lui faire un compliment très-flatteur ? Devoit-il le prendre autrement ? sur-tout avec le ton grave dont je le prononçois, & une fort belle révérence dont il fut accompagné ? Mais soit remords de conscience ou mauvais naturel, & tous deux peut-être, il le prit pour une satyre offençante. Il se mordit les levres. Jenny, dit-il à ma femme de chambre, sortez. Jenny, dis-je de mon côté, demeurez. Jenny ne savoit à qui obéir. Réellement, Henriette, je commençai à craindre qu’il ne lui prît envie de me battre : & pendant qu’il se berçoit dans ses airs majestueux, je gagnai la porte, & j’allai rejoindre l’assemblée.

» Comme les personnes mariées ne doivent point s’exposer devant leurs Amis, parce que mille choses demeurent dans la mémoire d’autrui, lorsque l’honnête couple peut les avoir oubliées, je me déterminai à suivre les conseils de la prudence. Vous auriez été charmée de ma discrétion. J’en imposerai à mes Amis, dis-je en moi-même ; je ferai croire à Mylord & à Mylady L…, au Docteur, à Émilie, que j’avois laissé les cartes en main, qu’il ne manque rien à notre bonheur : là-dessus je descends, dans la résolution de faire mes observations sur le Jeu, avec la douceur d’un Agneau. Mais je me vois suivie presqu’aussi-tôt, par mon Indiscret, le visage en feu, & tous ses traits en action ; & quoique je l’eusse averti de ne pas s’exposer, je lui vois prendre des airs, dont l’effet, comme vous allez l’entendre, fut de chasser ma compagnie. Il sort par un autre effet des mêmes airs, & peu de momens après il me fait appeller. Qui n’auroit pas cru que c’étoit quelque mouvement de repentir ? D’autres femmes auroient joué la Reine Vasti, & refusé de sortir, pour mortifier leur Tyran. Mais moi, la soumission même, mes vœux si récens devant les yeux, j’obéis au premier mot. Cependant vous jugez bien, que malgré ma douceur naturelle, je ne pus retenir quelques petites récriminations. Il étoit trop en humeur de maître pour les écouter. Je vous dirai, Madame. Je ne veux pas qu’on me dise, Monsieur. Nous eûmes un petit Dialogue de cette nature ; & lorsque j’eus quitté assez brusquement le passionné personnage, dans le dessein de rejoindre ma compagnie, que pensez-vous que j’aie trouvé ? La salle déserte. Tout mon monde étoit parti. Émilie restoit seule : & c’est ainsi qu’on renvoya la pauvre Mylady L… les larmes aux yeux, peut-être de la tyrannie qu’elle avoit vu exercer sur une Sœur trop facile.

» Mylord G… n’ayant pas manqué de me suivre, jugez si lorsque nous nous vîmes seuls, & maîtres du champ de Bataille, nous ne demeurâmes pas comme deux fous, vis-à-vis l’un de l’autre. Je lui fis mes plaintes, avec toute la douceur que je pus mettre dans mes expressions. Il vouloit que toutes les discussions fussent remises à quelque autre jour. Mais, non. Après nous avoir exposés tous deux par ses airs violens, devant un si grand nombre de Témoins, vous conviendrez, ma chere, vous que je connois pour une Fille délicate, que sa proposition étoit impossible. Ainsi la décence m’obligeoit de tenir bon. Depuis ce moment, notre mésintelligence éclate ; & graces au Ciel, elle est au point, que si nous nous rencontrons par hazard, nous fuyons volontairement chacun de notre côté. Nous avons déja fait deux tables pour le déjeuner. Cependant je suis traitable ; mais il est arrogant. Je lui fais des révérences. Il affecte de ne pas me les rendre. C’est joindre l’incivilité à l’arrogance. Je me mets à mon Clavessin. La mélodie le fait enrager. Il est pire que le Roi Saul ; car Saul, dans son humeur sombre, prenoit plaisir aux instrumens de Musique, dans les mains de celui même qu’il haïssoit.

» Je souhaiterois que vous prissiez la peine de venir. Ce seroit un acheminement à la complaisance ; car, pervers comme il est, ç’eût été trop aussi que de l’accompagner chez vous. Il voudroit porter sa cause à votre tribunal ; mais je lui ai presque ôté ce dessein par mes railleries. J’ai pris le parti de vous écrire. Quelle réponse ai-je reçue ! Cruelle Henriette ! Refuser votre médiation, dans un différend entre l’Homme & la Femme ! Mais je laisserai brûler le feu. Si la maison se sauve, & qu’elle en soit quitte pour un peu de flamme dans la cheminée, je saurai m’en consoler.

» Adieu, méchante fille. Si vous ne connoissez point de Femme qui se nomme Grandisson, fasse le Ciel qu’avec les suppositions que j’entends pour la personne, je ne connoisse plus bientôt de Byron. Ne suis-je pas terrible dans mes vangeances ? »

Voyez, Lucie, avec quelle adresse cette chere Capricieuse s’y prend, pour me mettre dans ses intérêts. Mais je vous assure que je ne me laisserai pas gagner par ses flatteries.