Émile Méresse
Imp. Fernand Deligne & Cie (p. 48-67).


LE CATEAU SOUS L’INFLUENCE ESPAGNOLE




Nous avons vu, dans le chapitre précédent, l’influence bourguignonne, puis espagnole, devenir prépondérante dans le Cambrésis et au Cateau. Ces pays allaient être soumis aux mêmes vicissitudes que les Pays-Bas pendant le xvie et le xviie siècles. Ici encore, le protestantisme allait diviser les habitants et la guerre accumuler les ravages.

Les doctrines de Luther se répandirent rapidement dans le Cambrésis, et le Cateau devint l’un des principaux centres d’action pour les adeptes de la nouvelle religion. Dès le 6 août 1531, Robert de Croy, effrayé des proportions que prennent le colportage et la propagation des livres protestants, fait promulguer la peine de mort contre ceux qui en conserveraient dans leur maison[1]. Le 26 décembre, nouvel arrêté[2], renouvelé le 14 septembre 1547[3]. En 1542, lorsque l’archevêque accorde une amnistie générale, il en excepte ceux qui ont été bannis comme luthériens[4]. Cependant, ces premières rigueurs cessent bientôt et, en 1563, si nous voyons un hérétique puni, c’est pour avoir causé du scandale[5].

Grâce à cette douceur, le protestantisme se répandit rapidement ; mais ce fut la doctrine calviniste qui prévalut. « Pluiseurs bons bourgeois de cette ville avec leurs familles conversoient ensemble, communiquant les ungs avec les aultres familièrement les sainctes écritures[6] ». Toutefois, ce ne fut pas seulement dans la bourgeoisie que les nouvelles idées trouvèrent des adhérents. Le rôle considérable joué par les faubourtiers dans les émeutes que nous étudierons plus loin, semble indiquer que le menu peuple fut aussi conquis assez rapidement. Si l’on songe à la proximité de Valenciennes, l’un des centres principaux du protestantisme, rien n’est étonnant. Ajoutons, de plus, que la reine de Navarre possédait la seigneurie de Preumont et agissait de toutes ses forces pour y développer la nouvelle religion. Enfin, il est malheureux de constater que les mœurs de certains membres du clergé n’étaient guère propres à édifier les fidèles[7].

C’est en vain que le 25 juillet 1563, l’archevêque fait défense d’aller aux prédications des hérétiques et de détenir des livres suspects. Deux ans plus tard, il faut renouveler cette défense en y ajoutant celle de chanter les psaumes en français et de célébrer la cène[8]. C’est le signal de la révolte.

Le 26 août 1566, le menu peuple, avec la complicité d’un bon nombre de bourgeois riches et influents, se révolta et ouvrit les portes de la ville au ministre Jean Lesur, dit Philippe[9], qui avait quitté le couvent des Carmes d’Arras. Accompagné d’aventuriers et de huguenots français, il enleva toute autorité au magistrat, les églises furent saccagées ; les prêtres et religieux, maltraités, sont forcés de fuir[10]. Des religieuses de Saint-Ladre sont battues et l’une d’elles est laissée pour morte. Dans l’église Saint-Martin, transformée en temple, Lesur se dit envoyé de Dieu « pour oster toute profanation » et « abattre les idoles ». Joignant l’action à la parole, il se saisit d’une cognée, en frappe le crucifix, les statues de la Vierge et de Saint Jean et en fait transporter les débris dans une demeure où il a élu domicile. Le dimanche suivant, il fait désigner par l’assemblée un conseil qui s’attribue le titre de consistoire. Six hommes de la ville, quatre des faubourgs, sous le nom d’anciens, sont chargés « d’avoir regard sur tout le peuple, pour conduire et corriger ceux qui seraient défaillants et scandaleux ». Quatre diacres, élus également, furent commis afin de recueillirles deniers « pour la substantiation des pauvres gens et des malades ». La célébration des offices catholiques fut interdite.

Ce fut en vain que l’archevêque écrivit aux magistrats de rétablir le calme dans la ville. Des soldats du Quesnoy s’étant établis à Montay, les « faubourtiers » s’ameutèrent pendant la nuit et se dirigèrent vers cette localité ; mal leur en prit, car les soldats résistèrent et l’un des émeutiers fut tué. Le prédicant jura de le venger et, le jeudi suivant, jour du prêche, les plus animés y vinrent avec « aucuns ostieulx et ustensiles, hoyaux, piques et cognées ». Le consistoire, averti, demanda à Lesur de les détourner de leurs projets. Malgré sa promesse, il n’en fit rien, et, au sortir du prêche, ils s’en allèrent détruire complètement le couvent de Saint-Ladre, tout en molestant grandement les religieuses.

Le consistoire, formé surtout de bourgeois, s’émut de ce fait, et, par trois fois, fit citer le prédicant qui refusa de se rendre à son appel. Devant ces refus, l’affaire fut déférée aux magistrats qui se récusèrent, disant « qu’ils ne pouvoient plus demeurer en la ville ». De fait, ayant entendu parler de ces démarches, les émeutiers s’armèrent au nombre d’une centaine et déléguèrent au consistoire deux des leurs qui déclarèrent être prêts à « rompre la teste à la justice, au consistoire », si on voulait s’emparer de quelqu’un d’eux.

En même temps, les révoltés mettaient la ville en état de défense, s’emparaient des deniers de la caisse publique et refusaient de payer les impôts à l’archevêque. L’abbaye de Saint-André et les villages des alentours furent pillés[11]. Pour se faire aider, Jean Lesur fit appel au prédicant de Preumont, un cordelier « venu du pays de France ». Il institua aussi deux écolâtres ou maîtres d’école : Antoine Bouxin, ancien prêtre, et Jehan Le Vefvre. Dans l’église Saint-Martin, transformée en temple, furent baptisés vingt-sept enfants et neuf couples reçurent la bénédiction nuptiale.

L’archevêque essaya encore d’intervenir. Le 22 octobre, il envoya son secrétaire publier « un mandement touchant la paix publicque et la religion ». Les protestants en empêchèrent la publication et se réunirent aux cris de : « Aux armes, tue, tue ! » Le secrétaire dut se sauver pour ne pas être massacré.

Il est assez difficile d’expliquer la conduite du châtelain et des échevins que nous avons vu refuser de pactiser avec l’émeute et qui, cependant, restèrent dans la ville. Ils s’abouchèrent avec les membres du consistoire et conclurent un accord ou appointement qui garantissait aux catholiques et protestants la liberté du culte et menaçait « d’estre pugnis comme rebelles et fracteurs de la paix et repos publicque », ceux qui attaqueraient les ministres des deux religions. Les amendes qui seraient infligées à cette occasion, devaient être appliquées au soulagement des pauvres et aux fortifications de la ville.

Revenu de la diète d’Augsbourg, l’archevêque avait résolu d’en finir avec les rebelles, d’autant plus qu’il voyait dans ces faits des entreprises de la France contre le Cambrésis. « Si Sa Majesté tarde de venir, écrivait-il à Philippe ii, elle se trouvera dépossessée des pays de par deçà et elle en perdra la seigneurie ». Faute de troupes pour attaquer la ville, il dut supporter « la honte que c’est d’endurer une telle insolence d’une poignée de gens de deux ou trois cens personnes » et voir « gaster le plat pays tout allentour[12] ».

Toutefois, il ne désavoua pas formellement les actes des échevins, mais remplaça le châtelain, Claude de la Hamaïde, par Pierre de Montmorency, seigneur de la Malboutry. Ne pouvant pénétrer dans la ville, celui-ci tint la campagne avec quelques hommes d’armes aux environs, battant les bois et cherchant à s’emparer des messagers et des espions des rebelles. En ayant saisi quelques-uns à Câtillon, il fut poursuivi par les révoltés, contraint de prendre la fuite et l’un de ses hommes fut tué d’un coup d’arquebuse.

Le prélat ne pouvait supporter plus longtemps cette révolte. Marguerite de Parme lui fournit enfin les secours désirés. De Cambrai partirent deux cents hommes d’armes, commandés par le bailli du Cambrésis et le prévôt de la ville, Henry de Fory, accompagnés de plusieurs bourgeois[13]. Ils vinrent se joindre aux troupes du comte de Mansfeld, arrivé de Valenciennes. Attaquée le 24 mars 1567, la ville se rendit à discrétion le même jour. Une commission judiciaire fut immédiatement constituée pour rechercher et punir les rebelles. Dix-huit furent exécutés, cinq furent bannis dont trois après avoir été fustigés. L’archevêque fit grâce à douze des condamnés[14].

Malgré cette sévère répression, les protestants se soulevèrent encore le 7 juin. Le bailli étant venu au Cateau avec des membres de l’officialité diocésaine, afin de transférer à Cambrai un prêtre qui s’était fait prédicant, fut chassé avec sa troupe, l’un des appariteurs fut battu et le prisonnier resta aux mains des Catésiens. Ceux-ci vinrent d’ailleurs bientôt à récipiscence et remirent à Montay, l’accusé aux agents de la justice après avoir obtenu la promesse qu’il serait traité avec modération.

Il était heureux pour l’archevêque d’avoir pu rétablir son autorité dans la cité. Un an plus tard, le 4 août 1568, le prince d’Orange qui avait pénétré dans le Hainaut afin de recevoir plus facilement les secours des huguenots français, essaya, avec l’aide du sieur de Genlis de s’emparer du Cateau et battit la ville à coups de canons. La place était commandée par le châtelain, Jean de Vorde, qui n’avait que cent hommes à opposer à cette armée[15]. Heureusement, Robert de Harchies, seigneur de Molain, capitaine au régiment de M. de Hierge, fut envoyé par le duc d’Albe avec quatre cents arquebusiers et réussit à forcer le siège[16].

Ce secours obligea le prince à lever le siège, et une procession annuelle commémora cet événement[17]. Le duc d’Albe vint lui-même au Cateau et y séjourna une vingtaine de jours. Quant à l’heureux capitaine, il reçut, en récompense, une somme de 600 livres pour une chaîne d’or « en reconnaissance du bon devoir et service par lui faits en cette circonstance[18] ». Le cardinal de Granvelle lui fit plus tard octroyer une pension viagère de 300 florins et il obtint, en 1572, le commandement d’un régiment wallon levé par Louis de Berlaymont[19]. De son côté, l’archevêque récompense la fidélité des magistrats en accordant à chacun une coupe d’argent de la valeur de 50 florins. Certains protestants ayant profité de cette attaque pour s’unir au prince d’Orange, l’un d’eux fut pris et exécuté[20].

Dès lors, il faut sans cesse se tenir en garde contre une nouvelle attaque, d’autant que les protestants demeurés au Cateau restent en relation avec la reine de Navarre[21]. En octobre, les bannis des Pays-Bas projettent de s’emparer de la ville. L’archevêque y tient une garnison de quatre-vingts hommes et cinq cents soldats sont prêts à la secourir[22]. Le 14 juillet 1572, trois mille cavaliers huguenots attaquent le Cateau sans pouvoir s’en emparer. Un corps de troupes envoyé par Louis de Berlaymont les force à se replier et leur fait un certain nombre de prisonniers[23]. En 1575, nouvelle crainte d’un siège[24].

La ville fut moins heureuse en 1581[25]. Le duc d’Alençon, envoyé au secours des protestants des Pays-Bas, après avoir fait lever le siège de Cambrai par les troupes espagnoles, se tourna contre le Cateau où résidait l’archevêque. Après avoir battu la ville pendant treize jours et y avoir perdu plus de cinq cents hommes en deux assauts[26], il l’emporta grâce à la division qui régnait entre les habitants qui voulaient se rendre et la garnison. De Vorde, qui commandait la place, obtint une capitulation autorisant la garnison à sortir en armes mais exigeant la remis des enseignes[27] et la promesse de ne pas servir pendant six mois[28]. Quant à la population, elle pouvait se retirer où bon lui semblait sinon accepter la domination du duc. Ceux qui avaient fui la ville ne pouvaient y rentrer (31 août)[29].

Mais la capitulation ne fut pas observée ; les soldats furent dépouillés de leurs armes et bagages, « nus jusqu’à la chemise », et la ville n’en fut pas moins mise au pillage. Bien que la peste régnât dans presque toutes les maisons, les femmes eurent à subir les violences des soldats et il n’y eut guère que les églises qui purent fournir un asile[30]. Si nous en croyons Morillon, les prêtres durent abandonner la ville et trois d’entre eux furent pendus. L’église Notre-Dame fut fermée[31]. Les bourgeois furent chassés et se dispersèrent « chi et là comme mieux leur avoir été possible ». Les livres et papiers de la ville et de l’abbaye furent enlevés[32].

Pour protéger sa nouvelle conquête, le duc y fit d’abord entrer deux régiments d’infanterie, puis les remplaça par les gens du sire d’Inchy qui leur avait livré Cambrai et l’avait aidé dans le siège du Cateau. Le commandement de la place fut donné au frère de cet aventurier, Charles de Gavre, seigneur de Fresin. Tous deux se signalèrent par les derniers excès. Ce fut au retour d’une beuverie, à la suite de la pendaison de quelques soldats, que le sire d’Inchy fut tué[33].

L’occupation française ne dura qu’un an. Menacé par le duc de Parme, le capitaine Soalds qui y commandait deux cents Français se rendit à discrétion, et ce fut en vain que la garnison de Cambrai essaya de reprendre la place. La pluie et le mauvais temps la forcèrent à se retirer[34].

Les troubles de ces guerres, le manque de vivres et leur cherté n’en persistèrent pas moins. Le magistrat fut obligé de faire des emprunts afin d’assurer les services publics. Comme partout à cette époque, les bourgeois furent rendus responsables de ces dettes. Or, « pour la povreté, ruine et désolation d’icelle », la ville ne pouvant s’acquitter, ils étaient « menassez journellement par leurs créditeurs de les faire arrester en corps et biens ». Le roi d’Espagne dut leur accorder des saufs-conduits pour leur permettre de commercer dans ses états[35].

Cinquante ans de paix suivirent ces désastres. Les archevêques devaient d’ailleurs apporter tous leurs soins à garder cette ville qui était leur dernière ressource depuis que le marquis de Fuentès s’était emparé de Cambrai[36]. En 1626, l’archevêque Vanderburch autorise le magistrat à lever un impôt sur la bière et le vin, afin de faire face aux dépenses nécessitées par les fortifications[37]. Malheureusement, la guerre de Trente Ans allait, elle aussi, apporter son contingent de ruines et de larmes. Situé à la frontière des deux états belligérants, sur cette route de la Picardie qui allait être le continuel champ de bataille, le Cateau fut aussi maltraité que le Vermandois et la Champagne, et le pinceau de Callot y eut trouvé également matière à s’exercer[38]. En vain le prélat chercha à maintenir sa neutralité. Richelieu s’engagea à la reconnaître si elle l’était par l’Espagne, mais la cour de Bruxelles ne voulut pas se rendre aux raison que l’archevêque fit développer par son maître d’hôtel.

Comme il le faisait remarquer, la ville, mal fortifiée, entourée de hauteur, ne pouvait être défendue à la garnison suffisait toutefois à empêcher une surprise. Sa neutralité devait au contraire favoriser le passage des vivres dans les Pays-Bas. Sans lui répondre par un refus catégorique, on fit traîner les choses en longueur. Fidèle pourtant à sa neutralité, Vanderburch fut au moins assez heureux pour empêcher le marquis de Fuentès de dresser la liste des habitants du Cateau en état de porter les armes.

Cette opération faite par le châtelain de l’archevêque, M. de Rouville, permit au prélat de constater la présence de huits cents fantassins armés de fusils et d’arquebuses et de plus de quatre-vingt cavaliers montés, armés, eux aussi, de carabines et de pistolets. L’archevêque leur adjoignit une compagnie de mousquetaires. Mis une première fois à rançon par les Français conduits par le marquis de Rambures qui, au moins, n’attaqua pas la ville, le Cateau se vit, en 1636, malgré de nouvelles démarches du prélat, imposer une garnison espagnole sous le commandement d’un capitaine nommé Gonzalès. Ce fait décida l’archevêque à licencier ses mousquetaires et attira sur la cité le fléau de la guerre[39].

En juillet 1637, le duc de Candale vit y mettre le siège et, après trois jours de bombardement, s’empara de la ville. Abandonnant leurs biens, les habitants, ainsi que ceux de la châtellenie, se retirèrent avec les troupes sur les terres soumises à l’Espagne et principalement à Landrecies qui, elle-même, fut prise par le cardinal La Valette. Mise d’abord sous le gouvernement de M. de Cantoux, la place eut à subir un nouveau siège du comte de Fuensaldagne, gouverneur de Cambrai, qui s’était vanté de l’enlever, non pour la rendre au prélat, mais pour la remettre au roi d’Espagne. Le mauvais temps fit échouer cette entreprise.

Cette fois encore, l’occupation française fut désastreuse. Les officiers du prélat ne pouvaient rentrer dans la ville et soldats et habitants des pays voisins, « appauvris et ruinés », dévastaient les environs. Enfin, en septembre 1642, le Cateau fut complètement détruit « tant par ce qui touche les remparts que les églises, monastères et maisons, commandant lors à l’armée qui a fait ce bel exploit, le comte de Harcourt, qui, pendant cette destruction, estoit campé ès voisinage dudit Chastel[40] ».

Jusqu’en 1644, la localité resta déserte, car les habitants qui s’étaient réfugiés à Landrecies furent empêchés par le gouverneur de ce lieu de rentrer au Cateau. Nous ne trouvons aucun acte de juridiction des échevins pendant cette période[41] et les registres d’état-civil manquent également[42]. Ce ne fut qu’à la fin de 1644 que certains purent revenir moyennant paiement. Le repeuplement se fit cependant bien lentement, car les moulins ne furent rétablis qu’en 1661. Les baux que nous ont conservés les archives montrent que les terres de la châtellenie étaient louées près de deux tiers moins cher que dans le reste du Cambrésis. Les recette des la ville qui, en 1631, se montaient à 20.255 livres, 12 sous, 11 deniers, n’atteignaient plus, en 1665, que 1.799 livres, 13 sols, 16 deniers[43]. Une seule paroisse fut rétablie au Cateau.

Le traité de Nimègue rattacha le Cateau à la France, tout en sauvegardant les droits de l’archevêque. Le 19 février 1679, en vertu d’une ordonnance du 16 janvier commettant l’archevêque de Cambrai pour recevoir le serment de fidélité au roi de France, l’abbé et les religieux de Saint-André[44], le curé de Notre-Dame[45] et les récollets[46] prêtèrent ce serment aux mains de Monseigneur de Bryas. Il n’en fut pas de même à l’hôtel de ville où étaient réunis le châtelain et les échevins du Cateau, le mayeur et les deux échevins des villages d’Or, Castillion, Basuel, Montay, Reumont, Mauroir. Lorsque le prélat réclama le serment, le greffier protesta que toujours les habitants de la châtellenie n’avaient juré fidélité qu’aux évêques ou archevêques de Cambrai « et que ledit Chasteau n’avoit aucune dépendance du Cambrésis ». L’archevêque ayant répondu « que lui laiant fait ès mains propres de Sa Majesté, ils estoient obligez d’entrer dans le mesme debvoir, nonobstant que ledit Chasteau nat aulcune dépendance du Cambrésis, puisque cette prestation ne leur procurerait une subjection du Cambrésis, attendu que Sa Majesté luy en avoit donné la commission pour le recepvoir séparément des estats du Cambrésis ». Ce ne fut que sous ces assurances que les magistrats prêtèrent le serment exigé[47]. Nous donnons ce document qui consacrait la réunion du Cateau à la France : « Nous jurons et promettons sur les saintes Evangilles tant pour nous que pour nostre communaulté, suppots et vassaux, d’estre fidèles au roy de France Louys quatorze et les aultres roys de France ses successeurs légitimes et, au cas que nous apprenions quelque chose contre son service, nous promettons d’en advertir Monseigneur l’Archevesque de Cambray et en son absence celuy ou ceux qui le représentent sans pouvoir nous en exempter soubs quelque prétexte que ce soit. En foy de quoy avons signé les présentes audit Chasteau Cambrésis en Chastel de ville les jour et an que dessus et estoient ainsy soubsignez :

« E. de Fiennes Alambin, J. Denis, Sébastien Golez, A. Bruneau, E. Lenne, Robert Solemf, Nicolas de Resme, F. Lesne, Pierre Druesnes, Antoine Lobien, Charles Saladin ;

« Et comme mayeur et eschevins de Castillon : Charles Fierquin, Jacques Debruière, et Jean Lasne et Charles Lasnes ;

« Comme mayeur et eschevins d’Or : Charles Hautcœur, Anthoine Richart, marque de Jean Lumbois ;

« Comme mayeur et eschevins de Bazuiau : Gérard Lengrand, Charle Soufflet, Christophe Bauduin ;

« Comme mayeur et eschevins de Reumon, Monroy : Pierre Lengrand, marcque de Cornil Vitau, marcque de Charles Lengrand ;

« Comme mayeur et eschevins de Montay : Pierre Coiet, Michel de Nimal, Estienne Dieu. »

Si le dicton « les peuples heureux n’ont pas d’histoire » est vrai, la ville fut heureuse sous ce régime. Le mouvement d’immigration qui s’était marqué depuis 1661 prit dès lors une plus grande importance, comme nous l’atteste la liste des bourgeois reçus. On y trouve des Italiens, des Languedociens, des Allemands, mais surtout de nombreux habitants des villages du Cambrésis[48].

Jusqu’en 1789, la ville n’eut à enregistrer que le passage de l’armée de Marlborough et de celle de Villars, le vainqueur de Denain.

La démolition des remparts exigée par le comte d’Harcourt ne permettait plus, d’ailleurs, d’attacher d’importance à la possession de cette place, car ils ne furent rétablis qu’en partie en 1689[49]. Les habitant n’eurent plus qu’à se défendre contre les prétentions des traitants, et ils furent aidés dans cette tâche par les archevêques. Après tant de ruines, d’incendies et de deuils, un peu de repos était bien dû à la malheureuse cité.




  1. Notes de dom Potier.
  2. Tout blasphème contre le nom de Dieu, la Vierge et les saints est défendu sous peine de 20 sols cambrésiens la première fois. Pour la seconde fois, la peine est laissée à la discrétion du juge.
  3. Notes de dom Potier. Ce nouvel arrêté fixait qu’en cas de récidive, le coupable était exposé trois heures au pilori et passible d’exil perpétuel.
  4. Ibid.
  5. Il est condamné par le châtelain et les échevins à une réparation honorable, c’est-à-dire suivre la procession derrière le curé « nus teste, ayant un chierge ardent de demie-livre en ses mains, et, revenu devant le crucifix, demander à Dieu merchi et pardon ».
  6. « Discours de la rébellion de ceulx du Chastel en Cambrésis », publié par Le Glay dans les Archives du Nord de la France, 3e série, t. ii, p. 238. Les principales sources pour cette histoire du protestantisme au Cateau sont indiquées par Finot, Inventaire sommaire, p. 21, note 3. Il y a lieu de les compléter par les notes de dom Potier.
  7. Voir à ce sujet le tome ii de la Correspondance du cardinal de Granvelle, éditée par Poulet dans la Collection des Chroniques belges inédites (Bruxelles, in-4o), p. 4.
  8. Notes de dom Potier.
  9. Dom Potier en trace un tableau peu flatteur. Il se serait fait donner de l’argent par son prieur et une de ses tantes, afin d’aller étudier à Paris, et en aurait profité pour se rendre à Genève.
  10. Renouvellement des chartes du Cateau, en 1573, par Louis de Berlaimont. Dom Potier dit également que le service divin ne put se célébrer au Cateau.
  11. Correspondance du cardinal de Granvelle, t. ii, p. 2, 3, 4.
  12. Correspondance du cardinal de Granvelle, loc. cit.
  13. Bibliothèque de Cambrai, ms. 659, p. 380.
  14. Cette répression a été diversement jugée. M. Le Glay appelle Maximilien « un prélat débonnaire ». Sans prétendre l’approuver, il est certain qu’étant données les mœurs et la justice de l’époque, la répression fut relativement douce. Nous nous étonnons de voir le savant conservateur des archives de Lille, M. Finot, écrire en parlant des actes de procédure conservés aux archives de Lille : « On peut dire qu’ils nous restent comme un des plus odieux monuments du fanatisme et de la cruauté de ce siècle de fer ». (Inventaire, p. 23). Il connaît pourtant la sévérité des lois d’alors, sévérité que le livre de M. Bauchond : Le Magistrat de Valenciennes (Paris, 1904, in-8o) ne fait que confirmer. Il ne faut pas oublier non plus que l’archevêque agit ici comme seigneur temporel contre des rebelles que l’avenir montrera tout prêts à pactiser avec l’étranger, chose qu’il avait déjà lieu de craindre à l’époque. Nous nous demandons aussi pourquoi M. Finot diminue l’acte de clémence de Maximilien en disant que les grâciés n’étaient que des jeunes gens de 18 à 20 ans ; dans la liste qu’il publie, trois seuls ont cet âge (p. 24, 25).
  15. M. Finot (Inventaire sommaire, p. 7) donne le nom d’un capitaine, le sire de Molleya, qui aurait commandé les troupes. Une lettre de Morillon adressée au cardinal de Granvelle (Correspondance, t. iii, p. 402), ainsi que les Commentaires, de Mendoca (t. i, p. 222, 223) attribuent tout l’honneur à Jean de Vorde ou de Wort. D’après le dernier, il n’y avait que 30 hommes de garnison et quelques bourgeois ; le châtelain arma alors les femmes et les fit aller aux remparts.
  16. Les chiffres varient. Mendoca dit deux cents, Morillon, quatre cents, le compte du receveur général, trois cents.
  17. Notes de dom Potier.
  18. A. D. B. 2602. Compte du receveur général des finances de janvier-juin 1570, fo 173v.
  19. Correspondance du cardinal de Granvelle, t. iii, p. 402, 536. — Mendoca. Commentaires, t. i, p. 223, 224, 300, 342.
  20. Notes de dom Potier.
  21. Notes de dom Potier. Il faut bannir pour ce fait deux huguenots, le 28 septembre 1577.
  22. Correspondance du cardinal de Granvelle, t. iii, p. 574.
  23. Ibid., t. iv, p. 329.
  24. Ibid., t. v, p. 565.
  25. Finot (Inventaire sommaire) dit en septembre ; la capitulation fut signée le 31 août.
  26. Correspondance du cardinal de Granvelle, t. viii, p. 398.
  27. La lettre de Morillon dit qu’ils pouvaient sortir avec enseignes déployées.
  28. Que le dit sieur Devordes, les gentils hommes et capitaines étant avec luy sortiroient avec chacun un cheval et leurs armes, permettant au dit sieur Devordes d’amener ses enfants malades et sa famille et tous ceulx qui sont blessés, dedans huit chariots.

    Les soldats sortiront avec leurs armes et épées, le tambourin non sonnant, la mesche éteinte et seront les enseignes rendues et mises entre les mains de la dite Altesse par ceux qui les portent.

    Fera sa dite Altesse conduire le sieur Devordes, les dits chariots, gentils hommes, capitaines et soldats au lieu de sureté en l’état qu’il est dit cy-dessus.

    Promettront et jureront entre les mains de la dite Altesse le dit sieur Devordes, gentils hommes, capitaines et soldats de ne porter les armes contre Son Altesse durant le temps et espace de six mois.

  29. Et quant aux habitants de la dite ville, il est permis à ceulx qui en voudront sortir de le faire librement et sans qu’il leur soit fait aucun déplaisir, pour se retirer ou bon leur semblera dont à cette fin leur sera baillé passe-port et sauf conduit de la dite Altesse.

    Les autres qui voudront demeurer en leurs maisons pour y vivre dorénavant sous son obéissance et protection aux conditions du traité fait avec Son Altesse par Messieurs du clergé, nobles, peuple et habitans de Cambray et pays de Cambrésis y seront favorablement reçus, traités et favorisés. Pour cet effet, ils presteront serment entre les mains de Son Altesse tel et si convenable qu’au cas appartient.

    Et quand aux autres absous auparavant le siège, et qui se sont retirés à l’occasion d’yceluy en autre ville que celle de Cambray et ceux qui maintenant se voudront retirer et sortir de leurs maisons, demeureront tous leurs biens tant meubles qu’immeubles acquis et confisqués à la dite Altesse pour d’yceux disposer à sa volonté.

    Les articles et capitulations cy-dessus Sa dite Altesse a eu pour très agréables et ceux promet entretenir et garder de points en points selon sa forme et teneur et lesquels, pour sureté de ce, elle a voulu signer de sa main et commandé iceulx contre signés par moy conseiller et secrétaire de ses finances et commendemens.

    Au camp de la dite Altesse restant devant Le Chasteau en Cambresis, le dernier jour d’aoust Mil ve quatre-vingt-un.

    Subsignatum erat françois et inferius Lepin.

    Notes de dom Potier, d’après une copie ancienne qui se trouvait aux archives de Saint-André, côtée 101.

  30. Voir, à ce sujet, le tableau très vivant que trace Sully dans ses mémoires.
  31. Elle ne fit rouverte qu’en 1626.
  32. Enquête de 1609.
  33. Correspondance du cardinal de Granvelle, t. ix, p. 11.
  34. Précis historique et statistique, etc.
  35. Archives du Cateau, AA 4.
  36. Sur cette occupation, voir Bibliothèque vaticane, ms. lat. 589, fos 36 à 73.
  37. Notes de dom Potier.
  38. Sur les ravages de la guerre de Trente Ans, voir Feuillet. La misère au temps de la Fronde (Paris, 1876, in-8o).
  39. Précis historique et statistique, etc.
  40. Bibliothèque de Cambrai, ms. 885, p.
  41. Voir Archives du Cateau, FF.
  42. Ibid. GG.
  43. Ibid. CC 5, 6.
  44. Dom Anselme Meurin, abbé ; dom Placide Masqueslier, prieur ; dom Bernard Henne, sous-prieur ; dom Ildephonse Dujardin et dom Charles Desmarets.
  45. Jean Manesse.
  46. Toussaint Joubert, gardien ; Barnabé Saladin, vicaire ; Vincent Le Moine, Jean Capistran-Colart.
  47. Archives du Cateau. Registre aux délibérations du magistrat, fo 41.
  48. Archives du Cateau. Registre aux délibérations, fos 5v, 9v, 15v, 20v, 21, 24v 33, 34.
  49. Voir Archives du Cateau DD 2.