Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 15

CHAPITRE XV.


Établissement du Gouvernement Royal et du Conseil Supérieur. — Dissentions.


La compagnie de la Nouvelle-France, réduite à quarante-cinq membres, et plus que jamais incapable de remplir ses obligations, remit tous ses droits au roi, le 24 février 1663. M. de Mesy, que sa majesté envoyait pour remplacer le baron d’Avaugour, arriva à Québec, au printemps de la même année, accompagné de l’évêque de Pétrée, de M. Gaudais, nommé commissaire pour prendre possession, au nom du roi, de la Nouvelle-France, et s’enquérir de ce qui s’y était passé récemment ; de plusieurs officiers de guerre et de justice ; de quelques centaines de soldats, et d’une centaine de familles, qui venaient s’établir dans le pays.

Le commissaire fit prêter le serment de fidélité à tous les habitans ; régla la police, et fit divers règlemens concernant la manière de rendre la justice. Depuis l’année 1640, remarque Charlevoix, il y avait eu un grand sénéchal de la Nouvelle-France, et aux Trois-Rivières, une juridiction qui ressortissait au tribunal de ce magistrat d’épée ; mais il paraît que celui-ci était subordonné, dans ses fonctions, aux gouverneurs généraux, qui s’étaient maintenus dans la possession de rendre la justice, quand on avait recours à eux. Dans les affaires importantes, ils assemblaient une espèce de conseil, composé du grand sénéchal, du premier supérieur ecclésiastique, et de quelques uns des principaux habitans, auxquels on donnait le nom de conseillers. Mais ce conseil n’était pas permanent : le gouverneur l’établissait en vertu du pouvoir que le roi lui en donnait, et le changeait, ou le continuait, suivant qu’il le jugeait à propos. Ce ne fut qu’en 1663 que le Canada eut un conseil fixe, établi par le prince. L’édit de création est du mois de mars de cette année : il portait que le conseil serait composé de M. de Mesy, gouverneur-général ; de M. de Laval, vicaire apostolique ; de M. Robert, intendant ; de quatre conseillers, qui seraient nommés par ces trois messieurs, et qui pourraient être changés selon leur bon plaisir ; d’un procureur général, et d’un greffier en chef.

M. Gaudais retourna en France, d’après l’ordre qu’il en avait reçu, par les mêmes vaisseaux qui l’avaient amené à Québec, pour rendre compte au roi de l’état du pays, l’informer de la conduite de l’évêque et des ecclésiastiques, de l’effet qu’aurait produit l’établissement du conseil, de ce qu’il y avait de fondé dans les plaintes portées par le baron d’Avaugour, et de la manière dont M. de Mesy aurait été reçu. Il parait que ce commissaire se conduisit en homme diligent, intègre et impartial, et que personne n’eut à se plaindre de son rapport.

M. Robert, conseiller d’état, qui avait été nommé « Intendant de justice, police, finance et marine pour la Nouvelle France, » par provisions datées du 21 mars 1663, ne vint point en Canada ; et M. Talon, qui y arriva en 1665, est le premier qui exerça cet emploi dans ce pays.

Pendant ce temps, la colonie jouissait de la paix, et en était principalement redevable à l’influence de Garakonthié parmi les siens. Ce chef avait rassemblé encore un nombre de prisonniers français, et les avait fait partir pour Québec, escortés par trente Onnontagués. Ceux-ci furent attaqués, en route, par un parti d’Algonquins, qui les prirent, ou feignirent de les prendre pour des ennemis. Il y en eut plusieurs de tués, et les autres furent obligés de prendre la fuite. Les Français mêmes eurent bien de la peine à s’échapper, dans ce désordre. Il y avait lieu de craindre que cette malheureuse affaire n’eût des suites encore plus funestes ; mais Garakonthié parvint à faire entendre raison aux Onnontagués : tous les cantons iroquois, excepté celui d’Onneyouth, envoyèrent assurer M. de Mesy de leur disposition à vivre en paix avec les Français.

Cependant, l’accord qu’on se flattait d’avoir établi en Canada, par les changemens qu’on venait d’y faire, ne fut pas de longue durée : M. de Mesy, qui avait été nommé gouverneur, à la recommandation de l’évêque de Pétrée, comme le baron d’Avaugour avait été rappellé à sa demande, se brouilla, tout religieux qu’il était, avec ce prélat, et, suivant Charlevoix, avec la plupart des gens en place de la colonie, entr’autres les sieurs de Villeray, conseiller, et Bourdon, procureur général, qu’il fit embarquer, dit-il, sans aucune forme de justice. Pour décider avec connaissance de cause qui avait le plus de tort, du gouverneur ou de l’évêque, car nous avons peine à croire que l’un ou l’autre fût tout-à-fait exempt de blâme, dans ce différent, il nous faudrait avoir ce qui nous manque : les mémoires qui furent écrits de part et d’autre, et qui partagèrent alors l’opinion publique. Le P. de Charlevoix mentionne que l’évêque de Pétrée avançait contre le gouverneur des faits graves, sans dire quels étaient ces faits : M. de Mesy se plaignait surtout de la grande influence qu’avaient les jésuites dans la colonie : peut-être accusait-il ces religieux d’abuser de cette influence, et M. de Pétrée de les soutenir. C’est du moins ce que notre historien donne à entendre, en disant que le gouverneur, en récriminant, ne se disculpait pas. Quoiqu’il en soit, le prélat, soutenu de la majorité du conseil, l’emporta encore une fois, à la cour de France, et M. de Mesy fut rappellé.

On lui donna pour successeur Daniel de Remi, seigneur de Courcelles, officier de mérite et d’expérience ; et M. Robert, qui, comme nous venons de le dire, ne vint pas en Canada, fut remplacé par M. Talon, intendant en Hainaut. Les provisions de ces messieurs étaient accompagnées d’une commission particulière, pour informer, conjointement avec Alexandre de Prouville, marquis de Tracy, nommé, depuis quelque temps, vice-roi en Amérique, contre M. de Mesy ; avec ordre, au cas qu’il fût trouvé coupable des faits dont il était accusé, de l’arrêter et de lui faire son procès. Enfin, les ordres furent donnés pour lever de nouveaux canons, et faire embarquer pour le Canada le régiment de Carignan-Salières, qui arrivait de Hongrie, où il s’était fort distingué, dans la guerre contre les Turcs.