Histoire du Canada et des Canadiens français/Partie 2/Chapitre 5


CHAPITRE V


De la constitution du cabinet Hincks-Morin jusqu’à l’établissement
de la Confédération du Canada.

(1851 — 1866)


L’histoire parlementaire des Canadas-Unis perd, depuis lors, beaucoup de son intérêt, et nous nous exposerions à tomber dans une minutie de détails où se perdrait l’esprit du lecteur, si nous voulions suivre, dans leurs phases diverses, les intrigues et les péripéties parlementaires. Nous résumerons donc à grands traits l’histoire de la période qui s’étend depuis l’époque où nous sommes parvenus (1851), jusqu’à la constitution de la Confédération canadienne en 1867.

À la suite de la démission de M. Lafontaine et de ses collaborateurs, le gouverneur anglais, lord Elgin, chargea M. Hincks, libéral modéré, qui faisait déjà partie du précédent Cabinet, de la constitution d’un ministère. M. Hincks s’assura, pour cette tâche, le concours de M. Morin qui était alors, après M. Lafontaine, l’homme politique le plus populaire parmi les Canadiens français. Le Cabinet Hincks-Morin, ainsi constitué, ne s’écarta pas sensiblement de la ligne de conduite suivie par le précédent ministre. Il maintint en particulier dans son programme et parvint à mener à bonne fin trois grandes mesures que le Cabinet Lafontaine-Baldwin avait élaborées et présentées au Parlement : l’augmentation du nombre des députés, la sécularisation des réserves du clergé, l’abolition de la tenure seigneuriale.

La première de ces mesures, adoptée en 1853, portait le nombre des représentants de quatre-vingt-quatre à cent trente, dont soixante-cinq pour le Bas-Canada et soixante-cinq pour le Haut. Elle établissait une nouvelle division des districts ou collèges électoraux et répartissait la représentation d’une façon plus équitable et plus exactement proportionnelle au chiffre de la population.

La sécularisation des réserves du clergé était également une mesure équitable et depuis longtemps réclamée par l’opinion publique dans les deux provinces. Le clergé dépossédé dans cette circonstance fut le clergé protestant, le clergé de l’Église d’Anglelerre, de l’Église presbytérienne d’Écosse, etc., au bénéfice duquel ces réserves, qui affectaient de grandes étendues territoriales, avaient été originairement constituées. Cette dépossession fut d’ailleurs réglée de manière à ménager la transition et à concilier tous les intérêts en présence. Les sommes provenant de l’aliénation des réserves formèrent un fonds séparé, appelé « fonds des municipalités du Haut et du Bas-Canada », et l’on admit que les salaires et allocations précédemment accordés aux pasteurs seraient, leur vie durant, prélevés sur ce fonds, avant toutes autres affectations.

La tenure seigneuriale, débris du régime féodal aboli chez nous dans la célèbre nuit du 4 août 1789, existait seulement dans le Bas-Canada, qui l’avait gardée, côte à côte avec la dîme du clergé, des institutions de l’ancienne France. Depuis longtemps, et malgré l’esprit fort peu révolutionnaire des Canadiens français, un vif mouvement d’opinion s’était prononcé contre ce régime, et, depuis plusieurs sessions aussi, le Parlement canadien avait mis cette grande question à l’étude, sans pouvoir toutefois s’entendre sur les moyens de la résoudre de façon à ne léser aucun intérêt légitime. En 1855, après des débats prolongés, on parvint cependant à rallier une assez forte majorité autour de la loi réglant « l’abolition des droits et devoirs féodaux dans le Bas-Canada ». De toutes les charges dont le tenancier ou « censitaire » était grevé sous le régime de la tenure seigneuriale, il ne lui resta plus qu’une légère rente foncière, qui remplaçait l’ancien droit de cens et rente, mais dont le tenancier pouvait se racheter à volonté. Le Gouvernement se chargea d’indemniser les seigneurs des droits de quint, de banalité, de lods et vente, que leur enlevait la loi : une somme d’environ 650,000 livres sterling fut affectée à cet objet[1].

Mais déjà le ministère Hincks-Morin, qui avait préparé cette importante mesure, n’existait plus. Il avait été remplacé, dans une partie de ses éléments, par des hommes nouveaux, pris dans les rangs des conservateurs du Haut-Canada, et il était devenu le ministère Mac Nab-Morin (septembre 1854). La nouvelle administration, formée par le rapprochement des « conservateurs libéraux » du Bas-Canada et des conservateurs du Haut, allait de plus en plus incliner vers les idées conservatrices, pendant que l’opposition, dont le noyau était formé par les « clear-grits » du Haut-Canada, avec M. Brown pour chef, et par les « démocrates » ou « rouges » du Bas-Canada (MM. Dorion, Papin, Laberge, etc.) allait s’efforcer de rallier de plus en plus autour d’elle tous les éléments franchement libéraux.

Ce changement de ministère avait coïncidé avec un changement de gouverneur. Lord Elgin fut, en effet, à peu près à la même époque (décembre 1854), rappelé par le gouvernement de la métropole et remplacé par sir Edmond Head. L’un des derniers actes de lord Elgin, comme gouverneur, fut la négociation avec le gouvernement de Washington d’un traité de réciprocité commerciale et maritime entre les États-Unis et les possessions britanniques de l’Amérique du Nord (5 juin 1854). Ce traité faisait tomber les barrières des douanes pour plusieurs articles (grains, farines, bestiaux, etc.) qui pouvaient désormais s’échanger d’un pays à l’autre en pleine franchise. Il accordait, avec certaines réserves, aux vaisseaux américains le droit de pêche dans les eaux britanniques et leur ouvrait la navigation du Saint-Laurent ; en retour, les États-Unis accordaient aux Canadiens le droit de libre navigation sur le lac Michigan.

L’entrée en fonctions du nouveau gouverneur, sir Edmund Head, coïncida avec la sortie de M. Morin du ministère dont il était l’un des chefs. Cette retraite, motivée par des raisons de santé, amena la reconstitution du Cabinet pour toute la section du Bas-Canada. M. Et.-P. Taché devint le chef de cette section dans le ministère reconstitué ; il s’adjoignit, comme collaborateurs, quelques hommes nouveaux, MM. Cartier, Cauchon, Lemieux, etc., dont quelques-uns, le premier surtout, devaient jouer un rôle éminent comme représentants des idées conservatrices.

Le Cabinet avait, en effet, définitivement pris place sur le terrain conservateur, pendant que l’opposition de toute nuance se réclamait des principes libéraux. Les tories du Haut-Canada, très hostiles, au début de l’Union, aux intérêts et aux revendications des Canadiens français, et très jaloux des prérogatives et des privilèges de l’élément anglo-saxon, avaient eu le bon esprit de s’accommoder aux réformes conquises par les représentants du Bas-Canada, et avaient pris leur parti de l’égalité politique et constitutionnelle des deux races. Au contraire, les libéraux du Haut-Canada qui, à l’origine, s’étaient honorés en secondant les Canadiens Français dans leurs justes revendications, avaient peu à peu, sous l’influence du chef des clear-grits, M. Georges Brown, ravivé les vieilles querelles de nationalité qu’on croyait éteintes ou tout au moins assoupies, et sous prétexte de refouler le papisme et d’empêcher la domination française[2], avaient ressuscité les pires passions et les pires rivalités de race, et prêchaient une véritable croisade contre l’élément français. De là, une transformation dans les dispositions des Canadiens français, à qui l’on ne pouvait, en vérité, demander de s’allier à ceux qui, dans leurs pamphlets et dans leurs journaux, les traitaient comme une race conquise et inférieure et demandaient tous les jours qu’on écrasât et qu’on étouffât (crush and overwhelm) l’influence et le sentiment français. De là aussi la faiblesse et la paralysie du parti libéral, toujours sûr de perdre, du côté du Canada-Français, ce qu’il pouvait gagner, par ses appels aux passions nationales, du côté du Haut-Canada. Les conservateurs, profitant de ces fautes de leurs adversaires et des divisions qu’elles vont introduire dans leurs rangs, garderont le pouvoir et se maintiendront aux affaires, sauf deux courtes interruptions, l’une de dix jours (ministère Brown-Dorion, 1858), l’autre de deux ans (ministère Mac Donald-Sicotte et Mac Donald-Dorion, 1862 à 1864) jusqu’à la constitution de la Confédération canadienne (1867) et même au delà jusqu’en 1873.


L’une des premières mesures du nouveau ministère fut l’organisation d’une milice canadienne pour remplacer les troupes anglaises que le gouvernement de Londres annonçait l’intention de retirer, au moins pour une bonne partie.

L’Angleterre inaugurait le système qu’elle a depuis appliqué en Australie et au sud de l’Afrique, de laisser ses colonies, devenues de plus en plus indépendantes de la métropole, pourvoir elles-mêmes à leur défense militaire[3]. Conservateurs et libéraux, tant dans le Haut que dans le Bas-Canada, se trouvaient d’accord pour accepter l’idée du retrait des troupes britanniques ; mais les divergences commençaient à ce point que les conservateurs voulaient établir sur un large pied la nouvelle milice provinciale, tandis que les libéraux prétendaient qu’il n’était pas besoin de milice, puisqu’on vivait en paix avec les États-Unis, l’unique voisin du Canada, et qu’au surplus, en cas de guerre, la milice, si nombreuse qu’elle fût, serait toujours insuffisante contre les forces américaines. La majorité du Parlement donna raison au ministère et vota les crédits demandés pour l’organisation d’une force permanente de 5,000 soldats volontaires, outre la milice sédentaire, sorte de garde nationale qui s’exerçait à certains jours, sous la direction de chefs nommés par elle. Cette organisation devait être légèrement amendée, en 1859, et complètement refondue, en 1863.

La Chambre vota également, sur la proposition du Gouverneur, une loi de décentralisation municipale, qui substituait aux anciennes municipalités de comtés, établies par une loi de 1846, le système plus pratique et plus fécond des municipalités de paroisses. Une autre loi appliqua aux écoles du Haut-Canada le principe déjà en vigueur dans le Bas-Canada, des écoles séparées sur la base des confessions religieuses ; mais cette loi, contraire aux idées qui prévalaient généralement parmi la population anglaise et protestante, demeura, dans l’application, à peu près lettre morte jusqu’à sa refonte, sous le ministère libéral, en 1863.

L’année 1855 avait été marquée par la première exposition universelle organisée à Paris. Le Canada y envoya des échantillons variés de ses industries, des produits de son sol et de ses forêts, qui lui valurent une place des plus honorables dans la distribution des récompenses. Un des commissaires délégués par le Canada à l’exposition universelle, M. J.-C. Taché, membre du Parlement canadien, publia, à cette occasion, une « Esquisse sur le Canada[4] » qui ne contribua pas peu, malgré les fautes de style et de langue dont elle est trop peu exempte, à réveiller en France les sympathies pour le Canada, en faisant connaître à l’ancienne mère-patrie la persistance et la vivacité des sentiments entretenus à son égard par ces rejetons du vieux tronc gallo-franc, transplantés sur les rives du Saint-Laurent, et si prodigieusement multipliés depuis lors. Ces sentiments se manifestèrent à la même époque, d’une façon particulièrement chaleureuse, à l’occasion du stationnement que fit dans les eaux canadiennes une frégate française, la Capricieuse, commandant de Belvèze. « La présence des Français, écrit un auteur canadien[5], fut un véritable événement. Les Canadiens, sans distinction d’origine, accueillirent et fêtèrent, surtout dans les principales villes, avec le plus vif enthousiasme, le premier navire de guerre français venu depuis la conquête ; ils saisirent cette occasion pour témoigner à la France leurs profondes sympathies. Ce n’étaient pas des étrangers qu’ils recevaient, mais des alliés, des frères. Le souvenir de la France, de l’ancienne métropole pour laquelle les Canadiens-Français ont toujours conservé les sentiments les plus sympathiques, se réveilla plus vivace que jamais. Les Français, de leur côté, témoignèrent de leur vive reconnaissance pour le gracieux et bienveillant accueil qu’ils reçurent des Canadiens. La pose solennelle, faite en présence des marins français, d’un monument commémoratif de la deuxième bataille d’Abraham, vint sceller et confirmer encore cette réciprocité de sentiments, avec le sceau du souvenir des victoires communes et des glorieux faits d’armes des aïeux[6].

Un des résultats de la mission de M. de Belvèze fut l’établissement d’un consulat général de France au Canada, et la modification du tarif français pour l’introduction des bois et des navires canadiens en France. Les échanges directs, par voie maritime, entre la France et le Canada, deviennent aussi plus nombreux à partir de cette époque.


On le voit par tous ces faits, le lien de subordination dans lequel était encore le Canada vis-à-vis de l’Angleterre devenait tous les jours plus faible et plus relâché. En fait, le gouvernement de la Colonie tendait, même sans se l’avouer peut-être à lui-même, à une indépendance complète vis-à-vis de la métropole, et l’autorité de celle-ci, dans les affaires intérieures du Canada, n’était plus guère que nominale.

Un des nouveaux symptômes de ce nouvel ordre de choses fut la modification apportée dans la composition du Conseil législatif, cette sorte de Chambre haute dont les attributions avaient été calquées sur celles de la Chambre des lords et dont le concours était nécessaire pour l’élaboration et l’adoption définitive des lois. La nomination des membres de ce conseil était tout à fait dans les mains de la Couronne et ce vice d’origine, joint au fait que le Conseil avait, en diverses occasions, fait opposition au gouvernement et repoussé plusieurs mesures populaires, avait provoqué dans tout le pays un mouvement d’opinion en faveur de la réforme de ce corps. Ce mouvement aboutit ; à la date de 1856 le principe de l’élection fut introduit dans le recrutement du Conseil législatif. On conserva leurs sièges et pour leur vie durant, aux anciens conseillers ; mais les nouveaux membres, au nombre de quarante-huit, dont vingt-quatre pour chacune des deux provinces, devaient être élus par un pareil nombre de collèges électoraux, convoqués par quart de deux ans en deux ans, de façon à amener tous les huit ans le renouvellement complet de ce corps.

Cette réforme reçut d’abord l’approbation presque unanime de l’opinion ; mais par la suite on y trouva des inconvénients. Le nouveau mode de nomination du haut Conseil ne donna pas tous les résultats qu’on en espérait ; le peuple, auquel était rendu le choix de ses membres, montra peu d’empressement autour des urnes ; on fit des choix sujets à critique. Aussi le principe qui avait déterminé cette réforme perdit-il bientôt de ses partisans et nous verrons, lors de l’établissement de la Confédération, les auteurs de la nouvelle Constitution en revenir à la nomination des membres de la Chambre haute par la Couronne.

Il convient de noter encore, à l’honneur du Cabinet conservateur, les encouragements donnés aux écoles, et en particulier l’inauguration (en 1857) de trois écoles normales dans le Bas-Canada ; l’une à Québec, l’École normale Laval, les deux autres à Montréal, l’École normale Jacques Cartier et l’École normale Mac Gill, cette dernière réservée aux protestants, tandis que les deux autres devaient former des instituteurs catholiques. La fondation, sous les auspices de l’épiscopat catholique, de l’Université Laval à Québec fit aussi époque dans l’histoire de la province, et il n’est pas douteux que l’enseignement de cette Université, les cours de ses professeurs et l’affluence des élèves qui se pressèrent sur ses bancs, furent pour beaucoup dans le relèvement, de plus en plus évident depuis lors, de la culture intellectuelle et des lettres françaises parmi la population de notre race et de notre langue.

Malgré les vieux conflits entre partisans des écoles mixtes ou laïques et partisans des écoles confessionnelles ou religieuses, conflits que les questions d’écoles ne manquaient jamais de renouveler, un même zèle pour la cause de l’instruction populaire servait de trait d’union entre libéraux et conservateurs, entre protestants et catholiques, et les diversités de vues, les luttes de tendances avaient elles-mêmes ce bon effet de provoquer une émulation féconde et profitable pour tout le pays.


Mais voici venir deux brandons de discorde qui ne s’apaiseront pas aussi aisément et qui ne prendront fin qu’avec la dissolution de l’Acte d’Union et la refonte complète de la Constitution du Canada.

Tout d’abord la question de la Capitale. Nous avons vu que cette question s’était déjà posée deux fois, depuis la constitution de l’Union et qu’elle avait été tranchée, depuis les troubles de Montréal, par une sorte de compromis qui plaçait, et à tour de rôle, le siège du gouvernement à Québec et à Toronto. Mais cette alternance de deux capitales et les déplacements qu’elle entraînait à sa suite, n’étaient pas faits pour faciliter l’administration des affaires publiques, ni pour en diminuer les dépenses. Les députés souffraient particulièrement d’être condamnés à cette sorte d’itinérance permanente. La majorité de la Chambre se prononça contre le système des capitales alternées. Ce vote acquis, restait à fixer la Capitale définitive et là commençaient les rivalités de province. Une majorité de 62 voix contre 51 se rallia cependant sur le nom de Québec, la ville la plus ancienne et la plus illustre du Canada, et celle qui, par son passé, avait assurément le plus de titres à cette distinction.

Mais à peine le vote était-il acquis, que les députés du Haut-Canada faisaient entendre de très vives protestations, se plaignant qu’on eût sacrifié leur province, que la capitale ne fût pas assez centrale, etc. Lorsque le gouvernement, pour donner effet à la décision de la Chambre, introduisit une demande de crédit de 200,000 piastres, en vue de la construction des édifices publics destinés à recevoir définitivement le Parlement, les adversaires de Québec soutinrent un amendement qui critiquait la conduite du ministère, et bien que repoussé à la majorité de 70 voix contre 47, cet amendement n’en détermina pas moins une crise ministérielle, parce qu’il avait rallié les voix de la majorité des députés du Haut-Canada (33 contre 27) et que les ministres qui représentaient plus spécialement cette province ne crurent pas, à tort ou à raison, devoir conserver leurs fonctions dans les conditions où ce vote les mettait vis-à-vis de leurs collègues.

La majorité conservatrice n’était pourtant pas entamée par ce vote ; aussi le Cabinet qui sortit de cette crise, le cabinet Et. Taché-Mac Donald, ne fut-il guère qu’une transformation du ministère précédent, dont il continua de tout point la politique. Néanmoins la même difficulté contre laquelle avait échoué son prédécesseur allait bientôt se trouver au travers de sa route, compliquée de la question désormais posée de savoir si un ministère devait rester en fonctions lorsque la majorité de la Chambre lui étant acquise, il avait en même temps contre lui la majorité des représentants de l’une ou l’autre des deux provinces.

Pour comble d’embarras, le Conseil législatif, qui était à la veille de son premier renouvellement électif, s’avisa de faire acte d’opposition, en rejetant le crédit de 200,000 piastres pour la construction des édifices parlementaires à Québec. Dans ces conditions, et la question s’embrouillant de plus en plus, la Chambre décida, à la majorité de 61 voix contre 50, de s’en remettre à la reine d’Angleterre du soin de la résoudre en choisissant elle-même la capitale. Quelque temps après, la reine faisait connaître sa décision. À la surprise générale, son choix n’avait porté ni sur Québec, ni sur Montréal, ni sur Toronto, qui se disputaient les prétentions à cet honneur, mais sur une ville naissante, une bourgade dont le nom, la veille encore, était à peu près inconnu : Ottawa, sur la rivière Outaouais, affluent du Saint-Laurent. Les conseillers de la reine s’étaient décidés, paraît-il, pour des raisons stratégiques, éloignant la capitale de la frontière américaine, afin de la mettre, en cas de guerre avec les États-Unis, à l’abri d’un coup de main. Quoiqu’il en soit, le choix de cette nouvelle capitale n’alla pas sans faire beaucoup de mécontents et sans exciter bien des murmures sur tous les bancs de la Chambre, comme sur tous les points du pays sans distinction. Nous verrons tout à l’heure comment cette question de capitale fournit à l’opposition l’occasion qu’elle cherchait pour renverser le ministère conservateur.

Mais il convient, avant d’aller plus loin, de dire quelques mots de l’autre cause de conflits qui, en ravivant les rivalités et les dissensions entre le Haut et le Bas-Canada, devait augmenter les difficultés et les embarras du gouvernement. On se souvient qu’au moment de l’Acte d’Union en 1840, un nombre égal de députés avait été attribué à chacune des deux provinces, quoique la population du Haut-Canada, peuplé de colons anglais, fût sensiblement inférieure à celle du Bas-Canada ou Canada français. Plus tard, et par le fait de l’accroissement constant de l’émigration dans la province supérieure, cette différence était allée se réduisant de plus en plus, jusqu’à ce qu’enfin la population du Haut-Canada en était venue à égaler, puis même à dépasser celle de la province rivale. Or, Georges Brown et les « clear grits » qui marchaient à sa suite n’étaient pas hommes à laisser passer un événement comme celui-là sans en prendre texte pour rééditer leurs théories sur l’oppression de la race anglo-saxonne par l’élément français et sur la nécessité de secourir les loups en danger d’être dévorés par les moutons. La représentation proportionnelle à la population, qu’on avait soigneusement repoussée tant qu’elle aurait pu profiter aux Canadiens-Français, devint au contraire le premier article du programme de ces anglo-saxons « opprimés », du jour où ils trouvèrent le moindre avantage à la réclamer. On organisa l’agitation sur cette question dans tout le Haut-Canada. « On fit des processions, des assemblées, des démonstrations où se déployaient des bannières ornées de la devise : Rep. by Pop., abréviation de Representation by population. Dix ans avant Sedan, on développa, on exploita là-bas la fameuse théorie des races inférieures. Les descendants des Gaulois furent voués au sort des Hurons ou autres Peaux-Ronges, dans les innombrables pamphlets d’une foule d’ethnologues de contrebande, dont les plus acharnés, venus des Highlands d’Écosse et des tourbières de la verte Erin, n’avaient guère dans les veines que du sang celtique. Tandis qu’en Angleterre, les préjugés gallophobes s’éteignaient peu à peu, grâce en partie à la confraternité d’armes des champs de bataille de la Crimée, ils redoublaient de violence au Canada[7]. » Sur les querelles de race se greffaient d’ailleurs les animosités religieuses, le Bas-Canada étant aux deux tiers catholique, tandis que le Haut-Canada était en grande majorité peuplé de protestants. Les élections générales qui eurent lieu en 1857, marquent peut-être le point le plus aigu de ces conflits entre les ambitions ou plutôt entre les passions rivales des deux provinces. Le Bas-Canada, sous l’influence du clergé romain, tout à fait dominante à ce moment, renforça sur les bancs de la Chambre l’élément conservateur-catholique, tandis que le Haut-Canada envoyait, au contraire, à la Chambre une majorité de clear grits décidés à emboîter le pas à M. Brown dans toutes ses protestations.

Le nouveau Parlement était à peine convoqué et le ministère constitué sous la direction de MM. Mac Donald et Cartier (celui-ci remplaçant comme chef de la section française M. Et. Taché, démissionnaire) que M. Brown faisait sa motion d’une représentation parlementaire basée sur la population, sans égard à la ligne de séparation entre le Haut et le Bas-Canada. Tous les députés du Bas-Canada votèrent contre cette motion qui fut repoussée ; mais la majorité des mandataires du Haut-Canada s’étant au contraire prononcée pour la motion, M. Brown reprit ensuite la querelle sur le terrain de la « double majorité » nécessaire, suivant lui, au ministère et sans laquelle le gouvernement parlementaire cessait, toujours d’après lui, d’être une vérité. On pouvait lui répondre, et on lui répondit, qu’en droit le principe pouvait être excellent, mais qu’en fait il était inapplicable, l’opposition n’étant pas plus capable que le Cabinet de rallier cette double majorité tant prônée.

Ce débat divisait tous les esprits et menaçait de s’éterniser sans avancer vers une solution, quand la question de la Capitale, soulevée de nouveau à propos d’un amendement au budget, vint donner à l’opposition l’occasion, qu’elle cherchait depuis si longtemps, de mettre le ministère en minorité dans les deux provinces. Un député, M. Piché, avait proposé de déclarer que, dans l’opinion de la Chambre, la ville d’Ottawa ne devait pas être le siège du gouvernement. Le Ministère déclara qu’après le vote de la Chambre s’en remettant à la décision royale et cette décision intervenue, il ne pouvait que s’incliner devant elle et qu’il était décidé à commencer les travaux des édifices d’État. Ces raisons ne prévalurent pas contre les oppositions que soulevait le choix d’Ottawa comme capitale et la motion de M. Piché fut adoptée par 64 voix contre 50. À la suite de ce vote, le cabinet Mac Donald-Cartier donna sa démission.

Mais il allait être bien vengé. Le gouverneur, sir Edmund Head, s’étant adressé, suivant les règles parlementaires, à M. George Brown pour le charger de constituer un nouveau ministère, celui-ci, malgré le concours de M. A. Dorion et de quelques autres démocrates du Bas-Canada, ne put réussir à dissiper les défiances des députés bas-canadiens, et son cabinet s’effondrait, quelques jours après sa constitution, et sans avoir pu même développer son programme devant le Parlement. (Août 1858).


Plus forts de l’impuissance constatée de leurs adversaires, les conservateurs reprirent en main le timon des affaires. M. Cartier devint premier ministre, et s’associa, pour le Haut-Canada, M. John Mac Donald. La grosse difficulté, pour le ministère, venait toujours de la capitale, que les ministres ne se sentaient pas libres, après la décision de la reine, de placer ailleurs qu’à Ottawa. Un des ministres, M. Sicotte, se sépara même de ses collègues sur cette question et passa à l’opposition ; néanmoins le Cabinet parvint, après beaucoup de pourparlers, à rallier à ses vues une majorité de cinq voix. Le choix d’Ottawa fut donc maintenu et aussitôt après commencèrent dans cette ville les travaux de construction des édifices du Parlement.

Ce cap des tempêtes franchi, le ministère Cartier-Mac Donald put gouverner pendant près de quatre ans encore, en s’appuyant sur une majorité fidèle, qui se recrutait surtout dans les rangs des Canadiens français. Parmi les mesures législatives qui marquèrent cette période, il faut noter le règlement définitif du rachat des droits seigneuriaux, le commencement du grand travail de refonte et de codification des lois civiles du Bas-Canada, achevé en 1865 ; l’introduction des lois françaises dans les cantons de l’Est[8], et la prépondérance assurée, par suite, à l’élément français dans ces cantons, d’où on avait voulu autrefois le bannir[9]. Parmi les autres événements importants de la même époque, nous signalerons encore l’impulsion puissante donnée aux travaux publics, à la colonisation intérieure, aux entreprises de pêcheries ; l’achèvement de la ligne de fer du Grand Tronc qui traverse les deux Canadas, de Détroit à Québec, sur une étendue de plus de 2,000 kilomètres ; la construction du pont Victoria, le plus long du monde jusqu’à ce jour, jeté sur le Saint-Laurent en face de Montréal, à un endroit où le fleuve mesure 3 kilomètres de longueur ; la fondation de plusieurs maisons de banque canadiennes-françaises ; l’abaissement des droits sur les vins et sur les eaux-de-vie de France, auquel correspondit, de notre côté, une réduction des tarifs sur les bois et les autres produits du Canada, ce qui augmenta les relations commerciales entre les deux pays. Les historiens du Canada aiment à relever aussi, dans les annales de cette époque, la visite que firent à leur pays plusieurs personnages de marque : le prince de Galles, qui assista à l’inauguration du pont Victoria, le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, le prince Napoléon, etc.

Sir Edmund Head venait d’être remplacé comme gouverneur du Canada par le vicomte Monck (25 octobre 1861). La guerre de sécession entre le Nord et le Sud des États-Unis était déjà allumée depuis plusieurs mois, et les Canadiens, dont les sympathies étaient sans doute partagées, comme celles des Européens, entre les acteurs de ce grand drame[10], en suivaient les péripéties avec un intérêt bien naturel, quand l’affaire du Trent (ce paquebot anglais arrêté en pleine mer par un navire de guerre américain, parce qu’il conduisait en Europe des délégués du gouvernement confédéré) vint menacer de mettre aux prises le gouvernement des États-Unis, qui soutint d’abord son capitaine, et le gouvernement britannique, qui demandait réparation de l’insulte faite à son pavillon. Le Canada put craindre, à ce moment, de devenir le champ clos où se viderait cette querelle, et déjà, en effet, le gouvernement anglais dirigeait vers le Canada des troupes et des munitions ; mais heureusement l’apaisement se fit par les seules voies diplomatiques, les États-Unis consentant à rendre les prisonniers qu’ils avaient faits sur le pont du Trent. Il ne resta rien de cette émotion qu’un projet de loi soumis au Parlement canadien, pour l’accroissement et l’organisation des milices locales. C’est ce projet de loi qui entraîna la chute du ministère conservateur. Le rapport annexé au projet assurait qu’une force active de 50,000 hommes, astreints à faire chaque année vingt-huit jours d’exercice, et une réserve d’un pareil nombre, étaient nécessaires à la défense du Canada. Il recommandait la division de la province en districts militaires et la construction d’un arsenal dans chaque district. Le projet devait entraîner pour la première année une dépense de 850,000 piastres, et pour l’avenir, une dépense annuelle de 500,000 piastres.

La population était, dans son ensemble, peu favorable à ce projet de loi, qui avait le grand tort, à ses yeux, de grever encore un budget déjà en déficit et d’être un premier pas sur la voie de la conscription.

L’orage s’amoncelait sur la tête des ministres. Pour l’écarter, plusieurs de leurs amis leur conseillaient ou de retirer le projet de loi, ou du moins de le modifier dans ses parties les plus impopulaires. Les ministres tinrent bon ; ils se croyaient de force à conjurer l’orage. L’événement leur donna tort. À la majorité de soixante-une voix contre cinquante-quatre, le projet de loi sur la milice fut repoussé ; et cette fois, c’étaient surtout les représentants du Bas-Canada qui formaient l’appoint de l’opposition.

Ce vote, qui entraîna la chute du Cabinet Cartier-John A. Mac-Donald fut, en Angleterre, assez vivement commenté dans la presse et dans le Parlement. On en tira cette conséquence que le Canada, puisqu’il n’était plus d’aucun profit pour la métropole et qu’il refusait de coopérer à la défense commune de son territoire, devait être abandonné à ses propres destinées et que l’Angleterre devait même se hâter de retirer les douze mille hommes de troupes qu’elle y entretenait encore. C’est la thèse que soutint entr’autres M. Goldwin-Smith au Parlement de Westminster ; le premier ministre, lord Palmerston, laissa voir, dans sa réponse, qu’il n’était pas éloigné de partager ces vues ; il déclara que la métropole maintiendrait, mais sans l’augmenter, le chiffre de troupes qui étaient alors au Canada : c’était dire que pour tout le reste les Canadiens n’avaient à compter que sur eux-mêmes. En fait nous verrons bientôt (en 1871) le dernier soldat anglais repasser l’Atlantique.


Après la chute du Cabinet Cartier-J. Mac Donald, le gouverneur, lord Monck, s’adressa aux libéraux et chargea un député du Haut-Canada, M. J. Sanfield Mac Donald, de constituer le ministère (mai 1862). Celui-ci fit appel, pour le Bas-Canada, au concours d’un libéral modéré, M. Sicotte, celui-là même que nous avons vu précédemment rompre avec le Cabinet Cartier, à propos du choix de la capitale. M. Sicotte, de son côté, fit entrer avec lui dans le Cabinet M. Dorion, pour avoir l’appui des démocrates du Bas-Canada. Une fois reconstitué, le ministère fit connaître son programme à la Chambre ; c’était un programme de conciliation qui, entr’autres points, maintenait le principe de l’égalité de représentation entre les deux provinces, et repoussait par conséquent la prétention des clear grits du Haut-Canada d’avoir une représentation proportionnelle à la population. Le nouveau Cabinet promettait aussi d’appliquer le système de la double majorité entendu de telle sorte qu’aucune loi ne serait imposée à l’une des deux provinces sans la volonté de ses élus.

Les députés du Bas-Canada, même ceux qui avaient soutenu l’ancien ministère, surent gré au Cabinet libéral d’avoir introduit dans son programme ce principe de l’égalité de représentation et beaucoup d’entre eux se rangèrent autour des nouveaux ministres. En revanche, M. Brown attaqua violemment dans son journal la politique ministérielle et taxa de trahison la conduite de quelques-uns des ministres du Haut-Canada qui avaient naguère soutenu avec lui le programme de la représentation proportionnelle. À quelque temps de là, M. Dorion ayant cru devoir sortir du Cabinet, parce qu’il différait d’avis avec ses collègues sur l’opportunité de construire le chemin de fer dit Intercolonial (parce qu’il devait unir le Canada aux autres colonies britanniques du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse), le ministère se trouva encore affaibli par cette démission. Il fut ensuite et successivement ébranlé par des votes à demi-hostiles sur deux ou trois questions, comme celles des écoles confessionnelles et de l’élévation de certains tarifs pour faire face aux difficultés du budget. Finalement, il se trouva en minorité de cinq voix sur une motion de défiance proposée par les conservateurs.

Il restait, il est vrai, au Cabinet la ressource de dissoudre la Chambre et il en usa ; non toutefois sans se reconstituer lui-même dans quelques-uns de ses éléments, pour mieux affronter le suffrage populaire ; c’est ainsi que M. Dorion prit la place de M. Sicotte et s’adjoignit MM. Letellier de Saint-Just, Holton, Thibaudeau, etc., qui représentaient un élément libéral et démocratique plus avancé que les amis de M. Sicotte. Restait à savoir comment se prononceraient les électeurs, juges, en dernier ressort, entre les divers partis. Le Haut-Canada, sous l’influence de M. Brown réconcilié avec le ministère depuis sa transformation démocratique, donna une majorité considérable aux candidats ministériels ; mais d’autre part, le Bas-Canada, mis en défiance par la rentrée en scène de ce même M. Brown, se rangea plus que jamais derrière les conservateurs et n’envoya à la Chambre qu’un petit nombre de libéraux de la nuance de M. Dorion.

En somme, les deux partis, majorité dans une province et minorité dans l’autre, se trouvèrent à la nouvelle Chambre de force à peu près égale. Le ministère J.-S. Mac Donald-Dorion ne laissa pas de gouverner quelque temps dans ces conditions, soutenu par des majorités qui variaient de deux à huit voix. Tous les jours amenaient des luttes ardentes, des récriminations amères, des démêlés sans cesse renouvelés entre les deux partis rivaux, et le seul résultat pratique, ou à peu près, d’une session de trois mois (1863), fut une loi qui réorganisait les milices volontaires et une autre loi qui établissait une institution de crédit foncier.

Le Parlement prit ses vacances, puis la rentrée eut lieu sans amener de changements à la situation. Il fut dévoilé cependant que le ministère avait essayé d’acheter quelques-uns des membres de l’opposition. L’échec de ces tentatives, aussi bien que des efforts faits pour amener quelques conservateurs à s’adjoindre au ministère, laissait pressentir de nouveaux et prochains ébranlements. MM. Mac Donald et Dorion allèrent au devant de ces embarras et déposèrent leur démission et celle de leurs collègues entre les mains du gouverneur.

Les conservateurs revinrent au pouvoir. M. Étienne Taché, (un Canadien siré, comme disaient plaisamment les démocrates, parcequ’il avait accepté, de la reine d’Angleterre, le titre de sir ou de chevalier), devint premier ministre et s’assura pour le Bas-Canada le concours de MM. George Cartier, Langevin, Chapais, etc., tandis qu’il chargeait M. John A. Mac-Donald de choisir les ministres du Haut-Canada. Le 30 mars 1864, les nouveaux ministres prêtèrent le serment d’usage. Ils développèrent ensuite leur programme, qui était surtout économique et financier. La découverte de mines d’or dans le bassin de la rivière Chaudière, de mines de cuivre en plusieurs endroits, avait produit, dans tout le pays, cette sorte de fièvre particulière à ce genre de découvertes. Plusieurs compagnies se formèrent pour l’exploitation de ces mines et le gouvernement, pour empêcher des abus et des usurpations, dut soumettre à la Chambre divers projets de loi sur la matière.

Le ministère dut donner encore son attention aux lois des milices ; il porta à cinquante sous par jour la solde des miliciens pendant leurs seize jours d’exercice. De nouvelles difficultés menaçaient de troubler les rapports de voisinage entre le Canada et les États-Unis. Dans l’automne de 1864, un corps perdu de soldats confédérés avait fait une pointe hardie dans le Nord des États, s’était emparé de la ville de Saint-Albans, avait fait main basse sur quelques maisons de banque, puis, s’échappant au grand galop de leurs chevaux, avaient réussi à mettre entre eux et ceux qui les poursuivaient, la frontière du Canada. Les États-Unis réclamèrent l’extradition de ces maraudeurs ; mais la justice canadienne, saisie de l’affaire, crut devoir les rendre à la liberté, les considérant comme des belligérants réguliers. Il en résulta quelque froissements entre le Canada et les républicains des États-Unis. La conséquence en fut qu’à l’expiration (en mars 1865), du traité de réciprocité commerciale qui unissait les deux pays, le gouvernement des États-Unis se refusa à renouveler le traité.

Une autre conséquence fut que les États-Unis favorisèrent, plutôt qu’ils n’empêchèrent, une incursion que firent les Fénians irlandais sur le territoire canadien (juin 1866), dans le but avoué d’enlever le Canada à la suzeraineté de la couronne britannique. Cette incursion échoua d’ailleurs misérablement : les Fénians avaient cru trouver une population opprimée, prête à secouer le joug de ses tyrans ; ils trouvèrent un peuple libre, ayant conscience de son indépendance et résolu à défendre son sol contre tous les envahisseurs ; les Irlandais du Canada, eux-mêmes, résistèrent à tous les efforts faits pour les entraîner dans le mouvement. Après un premier engagement assez heureux, près du fort Colborne, contre les volontaires du Haut-Canada, les Fénians, repoussés ensuite, se débandèrent ; plusieurs de leurs chefs furent pris et traduits en jugement ; ce qui put échapper rentra sur le territoire des États-Unis. En 1870, l’organisation féniane devait renouveler cette tentative, mais sans plus de succès qu’en 1866.

Il nous faut maintenant revenir un peu en arrière, pour rendre compte du mouvement d’opinion qui allait aboutir à la rupture de l’Acte d’union entre les deux Canadas et à la constitution de la Confédération canadienne.

La Chambre étant partagée, nous l’avons vu, en deux fractions à peu près égales en force, le cabinet Taché-Mac Donald, qui s’appuyait sur l’élément conservateur, n’était pas moins exposé que son prédécesseur à des crises parlementaires. Le moindre incident pouvait le mettre en échec ; et, en effet, moins de trois mois après sa constitution (le 14 juin 1864), le ministère était mis en minorité de deux voix sur une question relative à un prêt de 100,000 piastres, fait à la ville de Montréal. Le ministère pouvait recourir à la dissolution de la Chambre, et il pensa en effet à faire usage de son droit ; mais il s’avisa à ce moment d’engager des pourparlers avec ses adversaires, et ceux-ci, M. Brown en tête, jugeant que l’occasion était propice pour régler les difficultés inhérentes au pacte fédéral des deux provinces, consentirent à un rapprochement sur les bases de la refonte de la constitution. L’idée d’une confédération embrassant non seulement le Haut et le Bas-Canada, mais toutes les provinces de l’Amérique du Nord soumises à la couronne britannique et laissant à chaque province son autonomie pour l’administration de ses affaires intérieures, cette idée s’était déjà présentée à beaucoup d’esprits, comme le meilleur moyen d’en finir avec les rivalités tenaces des deux Canadas et de développer, en même temps que l’indépendance, les ressources et les relations du pays. Un ministère de conciliation se forma pour étudier les voies et moyens qui devaient conduire à ce résultat. M. Brown et les clear grits du Haut-Canada y entrèrent côte à côte avec MM. Taché, Cartier, et les conservateurs du Bas-Canada. La presque unanimité de l’opinion, dans les deux provinces, se réjouit de cet accord des hommes politiques des deux partis et donna son approbation aux vues qui les avaient réunis.

Restait à faire passer dans les faits l’idée, indécise encore, de la confédération canadienne, et ce ne pouvait être là l’œuvre d’un jour. Il y fallait, outre l’approbation du Gouvernement de la métropole, sur laquelle on savait déjà pouvoir compter, l’adhésion des diverses colonies britanniques de l’Amérique du Nord : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’île du Prince-Édouard et Terre-Neuve, sans parler des vastes terrains du nord-ouest qui appartenaient à la Compagnie de la baie d’Hudson, sous la suzeraineté de la couronne d’Angleterre.

Le 10 octobre 1864, eut lieu à Québec, sous la présidence de M. Étienne Taché, une grande conférence entre les délégués du Canada et ceux des provinces intéressées. Après seize jours de délibérations, l’entente se fit entre les délégués sur une série d’articles qui devaient servir de base au projet de confédération. Les principaux de ces articles étaient ceux qui instituaient pour la confédération tout entière un Parlement avec deux Chambres : une Chambre haute appelée Sénat, composé de soixante-seize membres nommés à vie, dont vingt-quatre pour chacun des deux Canadas ; une Chambre de représentants ou Chambre des communes, nommée par les électeurs des diverses provinces sur la hase de la représentation proportionnelle au chiffre de la population. Le Bas-Canada conservant 65 députés, le Haut-Canada, d’après ce principe, devait en avoir 82, la Nouvelle-Écosse 19, et le Nouveau-Brunswick 15. La couronne britannique serait représentée par un gouverneur général nommé par elle, et faisant les fonctions d’un président constitutionnel de la confédération.

Chaque province devait ensuite constituer à son gré son gouvernement et son parlement local, sauf que les gouverneurs des provinces ou lieutenants généraux devaient être nommés et salariés par le gouvernement fédéral. La conférence de Québec avait aussi mis dans ses vœux l’établissement d’une union douanière entre toutes les provinces et la construction, bientôt après commencée, du chemin de fer intercolonial, rattachant Québec à Halifax par la rive sud du Saint-Laurent, l’ouest de la Gaspésie, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Cette ligne, d’une étendue considérable, devait unir entre elles toutes les provinces et donner à la confédération, pendant la saison des glaces, un port sur l’Océan, indépendant des États-Unis.

Mais il fallait maintenant obtenir pour ce projet la ratification des diverses législatures provinciales. Devant les Chambres du Canada, le procès fut gagné sans peine, mais non pourtant sans débats. Tant d’intérêts étaient en jeu dans cette refonte de la Constitution qu’on s’explique bien la longueur de ces délibérations. Les Canadiens-Français, qui gagnaient au projet l’autonomie mieux assurée du Bas-Canada, pouvaient craindre en revanche de ne plus tenir, dans l’ensemble de la confédération, la place qu’ils avaient occupée jusque là sous le régime de l’Union. De leur côté, les Anglais assurés d’avoir, dans les futures Assemblées fédérales, une majorité de représentants de leur nationalité, pouvaient craindre que dans le Bas-Canada, où l’élément anglais et protestant forme une minorité respectable, cet élément ne fût opprimé par la majorité française et catholique [11]. Ajoutez à cela que les démocrates, comme M. Dorion, trouvaient — non sans raison — la nouvelle constitution trop monarchique et trop aristocratique, à cause surtout des clauses sur le mode de nomination des sénateurs, sur le droit de veto donné au gouvernement général vis à-vis des décisions des législatures provinciales, etc.

Malgré tout, le projet réunit dans les deux Chambres une importante majorité : 45 voix contre 15 au Conseil législatif ; 91 voix contre 33 dans la Chambre des représentants. Et quoiqu’on eût écarté la proposition d’une consultation populaire faite par les démocrates du Bas-Canada, il est juste de dire que l’opinion publique, dans les deux provinces, ratifia ce vote des représentants.

Le projet de confédération ne fut pas tout d’abord aussi bien accueilli dans les provinces maritimes. Au Nouveau-Brunswick, où des élections générales avaient eu lieu depuis l’ouverture des négociations, le peuple élut des représentants en majorité contraires au projet. Les députés de la Nouvelle-Écosse se prononçaient aussi contre l’idée d’une confédération où ils craignaient de voir disparaître leurs franchises particulières ; même opposition à Terre-Neuve et à l’île du Prince-Édouard. Tout l’échafaudage si laborieusement élevé semblait donc près de s’écrouler, quand sous l’impulsion du gouvernement britannique lui-même, une réaction commença à se faire dans l’opinion de ces provinces. On calma les craintes, on répondit aux objections. Envisageant mieux les avantages de leur union avec les provinces voisines et sûrs de voir leur indépendance locale respectée, les représentants du Nouveau-Brunswiek et de la Nouvelle-Écosse se prononcèrent successivement pour l’entrée dans la confédération. Seules les îles de Terre-Neuve et du Prince Édouard persistèrent dans leur politique d’isolement[12].

En attendant la solution définitive de cette question, soumise maintenant à l’examen et à la décision du Parlement britannique, le ministère de conciliation, éprouvé en 1805, par la perte de son chef, sir Étienne Taché, mais reconstitué aussitôt et sur les mêmes bases, sous la direction d’un autre Canadien français (siré lui aussi), sir Narcisse Belleau, le ministère, disons-nous, mettait son nom au bas d’une mesure qui, depuis longtemps demandée par l’opinion publique, répondait à un besoin pressant de la population du Bas-Canada, nous voulons parler de la promulgation du Code civil du Bas-Canada. Jusque-là le Bas-Canada avait toujours vécu sur le fonds de l’ancienne coutume de Paris, mais outre que cette vénérable coutume était, sur plusieurs points, manifestement critiquable, elle était encore indécise sur beaucoup de questions d’un intérêt nouveau et moderne. Le nouveau Code était le fruit d’une application de plusieurs années des meilleurs jurisconsultes canadiens. Il reproduisait d’ailleurs, dans la plupart de ses titres et de ses chapitres, les dispositions de notre Code civil français.

« Le travail de codification, disait M. Cartier en le présentant à la Chambre, a été fait à l’imitation du Code français et, en marchant sur ces traces, il n’y avait aucune crainte de ne pas réussir. Si le Bas-Canada, ajouta-t-il, veut grandir, s’il veut conserver son individualité et sa nationalité, rien ne sera plus capable de l’y aider que l’adoption de ce Code civil. Quand les lois du Bas-Canada pourront être mieux connues, que l’étude et l’application en seront plus faciles, nos voisins du Haut-Canada nous l’emprunteront, et il aura son influence dans la confédération si elle a lieu. »

Après de longs débats, qui amenèrent quelques corrections de détail, le Code civil fut enfin adopté, dans son dernier article, au milieu des applaudissements des députés. Le nouveau Code, publié aussitôt dans les deux langues, afin d’en permettre l’étude et la connaissance aux Anglais du Bas-Canada qui y étaient soumis comme les Français, eut force de loi à partir du 1er août 1860. Le Code de procédure civile fut présenté à la Chambre et voté par elle quelque temps après (21 juin 1867).

Il nous faut noter, vers ce même temps, deux de ces catastrophes que toute l’industrie de l’homme est malheureusement impuissante à conjurer et qui font, en quelques heures, des ruines qu’il faut ensuite des années pour réparer : au mois d’août 1865, une terrible crue du Saint-Laurent inonda les deux rives du fleuve et causa de grands ravages à Montréal et aux Trois-Rivières, à Sorel et dans toute la campagne environnante. Dans les îles de Sorel on compta cinquante victimes, sans parler des bestiaux entraînés et noyés par les eaux. L’été précédent, un train de chemin de fer était précipité dans la rivière de Richelieu, et faisait 150 morts et un plus grand nombre de blessés. Enfin, dans l’automne de 1866, nouvelle catastrophe, cette fois par le feu. La ville de Québec, qui avait déjà été, en 1845, le théâtre d’un vaste incendie et qui, naguère encore (1881), a vu tout un de ses quartiers dévorés par les flammes, éprouvait, en 1866, un désastre semblable. L’incendie réduisit en cendres la moitié du faubourg Saint-Roch et tout le faubourg Saint-Sauveur. Plus de 2,000 maisons furent détruites, et près de 15,000 personnes se trouvèrent sans abri. Heureusement la charité publique se montra à la hauteur de ces catastrophes, et les Canadiens des deux races rivalisèrent de zèle et de générosité pour atténuer les désastres et les misères laissés par ces fléaux. Québec, cependant, où cette catastrophe coïncidait avec un déclin rapide de la principale industrie locale, la construction des navires, et qui vit à ce moment un grand nombre de ses ouvriers s’expatrier et partir pour les États-Unis, se ressentit longtemps de ce coup, et sa population est toujours depuis lors restée à peu près stationnaire. Le nouvel ordre constitutionnel allait pourtant lui rendre le titre de capitale, de capitale provinciale il est vrai, car la capitale de la Confédération devait être maintenue à Ottawa, où l’on venait d’élever pour le Parlement canadien un édifice magnifique, rappelant par ses proportions et par l’architecture le beau palais de Westminster. Cet édifice fut inauguré le 8 juin 1866, et c’est à Ottawa que se tint la dernière session du Parlement canadien sous le régime de l’Union.

C’est aussi à Ottawa que fut proclamé le nouvel ordre de choses qui devait mettre un terme à ce régime de l’Union imposé en 1841 par la métropole anglaise aux deux Canadas, sans le consentement des intéressés, et particulièrement sans la consultation des Canadiens d’origine française. Cette fois, du moins, ils avaient eu leur part, une large part, à la résolution qui allait décider de leurs destinées politiques. Le Parlement anglais, saisi par les ministres de la couronne du projet de confédération, n’avait fait aucune opposition à ses clauses, et le projet avait reçu, le 20 mars 1867, la sanction royale. Il ne restait plus, dès lors, qu’à mettre en vigueur le nouvel ordre de choses qui devait se substituer à une constitution devenue caduque. La Confédération, composée des quatre provinces de Québec (Bas-Canada), Ontario (Haut-Canada), Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse, prenait officiellement le nom de Puissance du Canada (Dominion of Canada). La date de l’inauguration de la nouvelle Constitution fut fixée au 1er juillet 1867, et cette date fut célébrée, dans les quatre provinces, avec de grandes réjouissances et de grandes démonstrations d’enthousiasme.


Une phase nouvelle s’ouvrait à l’histoire du Canada-Français. Sous son nom nouveau de Province de Québec, remplaçant la désignation de Bas-Canada, il allait pouvoir désormais — avec une indépendance que consacrait, sans la gêner, le lien nouveau qu’il venait de conclure avec ses confédérés — administrer ses propres affaires avec son Assemblée législative librement élue, avec son Sénat composé des notabilités sorties de son sein, avec son ministère soumis au contrôle incessant de ses députés. Sans doute, et parce que les luttes de prééminence ou les rivalités de province à province se trouvaient reportées dans le Parlement d’Ottawa, tout sujet de conflit n’était pas enlevé du même coup des délibérations du Parlement de Québec. Trop heureux les Français d’Amérique s’ils étaient à l’abri des querelles que suscitent toujours les divergences de vues, les rivalités locales et les ambitions humaines ! Les partis n’ont pas disparu avec la nouvelle constitution. Il y a toujours, dans la province de Québec, comme autrefois dans le Bas-Canada, des libéraux et des conservateurs, des « rouges » et des « bleus ». La nomenclature des partis s’est même enrichie, depuis 1876, d’un nom nouveau qui, pour être barbare, ne l’est pas plus, à tout prendre, que nos appellations d’opportunistes, d’intransigeants, etc. Le parti « programmiste », du Canada, ainsi nommé d’un programme qu’il publia avec grand fracas, correspond à ce que nous appelons, dans la vieille France, le parti clérical ou ultramontain ; il place les intérêts du pape et de l’Église romaine au-dessus des intérêts du pays ou refuse de distinguer les uns des autres, ce qui, en fait, revient au même. Ces partis se font équilibre et se tiennent mutuellement en haleine ; les succès électoraux et par suite l’exercice du pouvoir, ont pourtant été presque exclusivement depuis dix à douze ans, du côté des conservateurs, sans qu’on puisse prévoir quand les libéraux prendront, à leur tour, la direction des affaires.


Nous avons conduit à travers ses phases diverses, et en nous efforçant d’être impartial, l’histoire du Canada français jusqu’au seuil du temps présent. En allant plus loin, nous ne ferions plus de l’histoire, mais de la polémique. Nous aurons d’ailleurs occasion d’indiquer dans le chapitre qui va suivre, quelques-uns des évènements importants survenus depuis 1867. Ce que nous avons dit suffit déjà, nous l’espérons, à donner une idée exacte de la merveilleuse vitalité de cette race persistante, que n’a pas découragée la conquête d’abord brutale, et qui au milieu de tous les obstacles conjurés contre elle, de tous les efforts faits pour la détruire, maintient toujours plus serré contre son cœur et toujours plus élevé son drapeau ; qui, après les luttes des armes où elle a déployé la valeur de ses ancêtres, mais où elle a succombé devant des forces trop supérieures, combat encore sur un nouveau terrain, inconnu d’elle jusque-là, celui de la politique, y remporte les plus beaux succès, jusqu’à obliger ses adversaires à traiter et à composer avec elle, et, sans afficher bruyamment la revanche, remporte enfin, par la conquête de son indépendance, un triomphe qui a toute la valeur et toute la portée d’une glorieuse revanche. Noble et vaillante race, an demeurant, quelles que soient les ombres qu’on puisse mettre au tableau, que cette race de nos Canadiens-Français, faite de notre plus pur sang celtique ; sortie, à l’origine, de ces fortes et sages provinces de l’ouest, de cette Normandie notamment et de cette Bretagne dont Michelet a écrit : « La Bretagne est la résistance, la Normandie la conquête ; aujourd’hui conquête sur la nature, agriculture, industrialisme. Ce génie ambitieux et conquérant se produit d’ordinaire par la ténacité, souvent par l’audace et l’élan ; et l’élan va parfois au sublime : témoin tant d’héroïques marins, témoin le grand Corneille. »

Cet esprit de résistance et de ténacité conquérante, qu’ils ont hérité de leurs pères normands, percherons, bretons, poitevins, saintongeais, ne l’avons-nous pas retrouvé dans les Canadiens-Français, presque à toutes les pages de leur histoire ? N’est-ce pas par ces vertus de fermeté et de patience qu’ils se sont fait leur place au soleil d’Amérique et l’ont maintenue contre vents et marées, en dépit des évènements et des hommes ?

Dès à présent, et quelles que soient les destinées que l’avenir réserve à ce rejeton détaché du vieux tronc français, on peut tirer du passé l’assurance que la France ne sera pas déshonorée dans cette lignée de ses enfants, et que ceux-ci sauront garder intact, avec un souvenir filial de la vieille mère-patrie, le culte de l’honneur, du dévouement aux grandes causes, du courage civique, de la vaillance guerrière, qui font la trame de nos annales et qui justifient le mot du poète canadien, rappelant que

     Quand Dieu frappe fort dans l’histoire
     C’est toujours par la main des Francs.

  1. Une autre loi de la même époque à peu près (1855) réforma le système monétaire du Canada, en y introduisant le système décimal. La piastre américaine ou dollar, de la valeur de cinq francs environ, fut prise pour unité monétaire et divisée en centins ou sous qui correspondent à cinq centimes de notre monnaie.
  2. No popery ! no french domination, devint, à cette époque, le mot d’ordre, le cri de ralliement des clear-grits du Haut-Canada.
  3. Les dernières troupes anglaises évacuèrent le Canada en 1871.
  4. Paris. Hector Bossange et fils, éditeurs, 1855.
  5. L. P. Turcotte, ouvrage cité, T. II, p. 268.
  6. Un peu plus tard, la ville de Québec ayant eu l’idée d’élever un autre monument commémoratif sur l’emplacement de la bataille de Sainte-Foy, la France voulut contribuer à cette œuvre nationale et donna une statue de la Victoire qui fut placée, en 1863, sur le faite du monument. Une seconde fête eut lieu à cette occasion. Une autre démonstration remarquable fut celle que fit la ville de Montréal en érigeant un monument à la mémoire des victimes du mouvement insurrectionnel de 1837-1838. C’est la glorification, après la réhabilitation, de ces défenseurs et de ces martyrs de la cause du Canada français.
  7. H. de Lamothe. Cinq mois chez les Français d’Amérique, p. 142.
  8. On appelle « cantons de l’Est », les comtés de Compton, Sherbrooke, Mégantic, Beauce, etc., situés à l’Est de Montréal et dont les terres avaient d’abord été distribuées à des Anglais ou à des Écossais pour la colonisation.
  9. On peut se faire une idée du développement de la colonisation par la population française en établissant que « dans les huit comtés qui forment les cantons de l’Est, les Canadiens français étaient, en 1851, inférieurs en nombre à la population anglaise de 13,600 âmes et que, dix ans plus tard, ils la dépassaient de 4,400. » Turcotte.
  10. M. Louis P. Turcotte affirme, dans son histoire du Canada sous l’Union, que les sentiments de la grande masse des Canadiens français étaient favorables aux confédérés ; ce qui est fort possible, et parce que le parti catholique presque tout entier prit en effet parti, dans ce duel, pour le Sud contre le Nord, et parce que l’intérêt du Canada et de son indépendance future vis-à-vis des États-Unis, pouvait paraître mieux assuré par une dislocation de cette grande République voisine.
  11. Pour calmer ce qu’il pouvait y avoir de fondé dans ces appréhensions et tout on protestant contre l’imputation de vouloir jamais opprimer une partie de leurs concitoyens, les Canadiens français consentirent à inscrire dans la loi une clause qui interdisait à la législature provinciale de changer les limites de douze comtés représentés au Parlement par des députés d’origine anglaise, à moins que la majorité de ces députés ne consentît à la modification.
  12. L’île du Prince Édouard est volontairement entrée depuis lors dans la confédération. Quant à Terre-Neuve, où la France garde encore, comme on sait, des droits particuliers, la question y est toujours pendante.

    Le territoire du Nord-Ouest racheté à la compagnie de la baie d’Hudson a été annexé au Canada en juillet 1870.