Histoire du Canada, tome IV/Livre XIV/Chapitre I

Imprimerie N. Aubin (IVp. 79-98).




LIVRE QUATORZIÈME.


CHAPITRE I.




GUERRE DE 1812.



Sir George Prevost ; sa politique. — Situation des rapports entre l’Angleterre et les États-Unis. — Premières hostilités sur mer. — Le parti de la guerre l’emporte à Washington. — La guerre est déclarée. — L’Angleterre adopte un système défensif. — Forces des États-Unis. — Organisation de la défense du Canada. — Zèle du clergé catholique. — M. Plessis travaille à faire reconnaître officiellement le catholicisme par le gouvernement. — Mission secrète de John Henry aux États-Unis et son résultat. — Mouvement des forces américaines. — Le général Hull envahit le Canada et puis se retire. — Divers escarmouches et combats. — Le général Brock fait prisonnier le général Hull avec ses soldats. — Van Rensalaer envahit le Canada. — Combat de Queenston ; mort du général Brock. — Défaite de l’ennemi. — Nouvelle et inutile invasion du Canada par le général Smith. — Le général Dearborn fait mine d’attaquer le Bas-Canada, puis se retire. — Événemens sur mer. — Session du parlement. — Il élève les droits de douane pour faire face aux dépenses de la guerre.


Les querelles qui avaient troublé l’administration de Craig et les manifestations populaires qui s’étaient fait jour par la voie de l’assemblée, avaient fait une double impression au dehors. Aux États-Unis elles avaient enhardi le parti de la guerre et augmenté ses espérances ; en Angleterre elles avaient porté le gouvernement à regarder les Canadiens d’une manière plus favorable et à travailler à adoucir l’âpreté qui régnait dans les relations entre le gouvernement et les représentans.

L’incapacité et la violence de Craig avaient été la cause des troubles récens. Une conduite contraire pouvait ramener le calme dans les esprits. Le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, Sir George Prevost, ancien militaire d’origine Suisse, offrait toutes les conditions désirables dans la circonstance. C’était un homme sage, modéré, qui possédait ce bon sens et cette impartialité si rares chez les agens métropolitains depuis quelque temps.

Voyant d’un côté la puissance énorme de l’Angleterre, et de l’autre la faiblesse de la colonie, ces agens prenaient pour base de leur conduite la force relative des deux parties, et non l’esprit de la constitution. Ils voyaient la métropole personnifiée en eux, et se persuadaient que toutes les oppositions qu’éprouvaient leur volonté, étaient des oppositions malveillantes et factieuses dirigées contre la suprématie anglaise. Ce moyen de réfuter les erreurs que leur partialité ou leur ignorance leur faisait commettre, avait bien l’avantage de mettre leur responsabilité, leur discrétion, leurs talens à l’abri, mais il transportait la querelle sur un terrain dangereux pour l’avenir ; sur le terrain de l’alliance entre la colonie et la métropole, de la rébellion et de l’indépendance.

En prenant les rênes du pouvoir, sir George Prevost travailla à calmer les esprits et à faire oublier les animosités que les démêlés violens avec son prédécesseur avaient pu laisser dans les cœurs. Il montra la plus grande confiance dans la fidélité des Canadiens qu’on ne cessait point de traiter de rebelles ; il s’étudia à prouver en toute occasion que ces accusations n’avaient laissé aucune impression dans l’esprit de l’Angleterre ni dans le sien. Il nomma le prisonnier de sir James Craig, M. Bedard, juge des Trois-Rivières ; il fit M. Bourdages, adversaire non moins ardent de cette administration, colonel de milice, et l’expérience démontra deux choses ; que cette conduite était prudente et sage, et que le mensonge, la calomnie, la persécution n’avaient point affaibli le sentiment de la fidélité dans l’âme de ces deux patriotes.

Bientôt la plus grande sympathie s’établit entre lui et le peuple. Le choix du roi avait été dicté sans doute par la situation dans laquelle se trouvaient ses rapports avec les États-Unis  ; car on doit remarquer que la guerre réelle ou imminente avec la république voisine a toujours assuré aux Canadiens des gouverneurs populaires, et qu’au contraire la paix au dehors a été généralement le temps des troubles au dedans. En temps de danger extérieur, toute agression contre les droits des Canadiens cessait ; le danger passé, la voix de l’Angleterre se taisait et aussitôt la consanguinité de race assurait sa sympathie à ceux qui voulaient leur anéantissement national, et en attendant leur asservissement politique. Mais « un grand peuple, dit Thierry,[1] ne se subjugue pas aussi promptement que sembleraient le faire croire les actes officiels de ceux qui le gouvernent par le droit de la force. La résurrection de la nation grecque prouve que l’on s’abuse étrangement en prenant l’histoire des rois ou même des peuples conquérans pour celle de tout le pays sur lequel ils dominent. » Un peuple plus petit survit encore longtemps à sa chute.

En effet pour certains peuples il y a des jours où la providence semble venir à eux pour ranimer leurs espérances. Les États-Unis ont déjà plus d’une fois arrêté, par leur attitude, l’oppression des Canadiens. Le drapeau de cette république possède cet avantage qu’en se déployant dans le ciel, il en impose à la violence et paralyse le bras qui cherche à effacer un peuple du livre des nations.

La guerre était imminente avec cette puissance. Nous avons exposé dans le dernier chapitre les causes des difficultés qui s’étaient élevées entre les deux gouvernemens, et ce que l’on avait fait jusqu’en 1809. À cette époque, M. Madison remplaçait M. Jefferson, ancien ami et ancien disciple de Washington, comme président des États-Unis. On crut un moment à un arrangement amical avec l’Angleterre : le ministre de Londres à Washington annonça que les ordres en conseil qui défendaient tout commerce avec la France et ses alliés, et qui avaient motivé le décret de Milan promulgué par Napoléon, qui défendait à son tour tout commerce avec l’Angleterre et ses colonies allaient être retirés en ce qui regardait la république ; mais ce ministre ayant été désavoué par son gouvernement, les rapports entre les deux puissances s’étaient envenimés depuis lors de plus en plus, surtout après la révocation des décrets français de 1810, sans que l’Angleterre modifiât les siens. Les vaisseaux de guerre des deux nations en faisant la police sur les mers, entravaient de plus en plus le commerce et précipitaient le dénouement. La frégate, la Présidente, commandée par le commodore Rogers, prit un sloop de guerre anglais après lui avoir tué beaucoup de monde. Dans le même temps les Indiens de l’Ouest se montrèrent hostiles, et le général Harrison ne put les intimider qu’en leur faisant essuyer une sanglante défaite sur les bords de la Wabash dans l’Indiana. Les ennemis que l’Angleterre avait dans la république attribuèrent les hostilités des Indiens aux intrigues de ses agens, et demandèrent à grands cris la guerre.

Ce parti travaillait depuis longtemps à augmenter ses forces et à parvenir au pouvoir. Le moment paraissait enfin arrivé où il allait voir ses espérances couronnées de succès et obtenir la majorité au congrès. L’Angleterre était dans le fort de la guerre en Espagne, et Napoléon, qui était maintenant en bonne intelligence avec la république, s’élançait dans cette campagne de Russie où il devait gagner ou perdre le sceptre du monde. Animés par ces grands événements, une ardeur toute militaire s’empara des Américains et le cri aux armes retentit dans une grande partie du pays. Le congrès s’émut ; le capitole retentit des plaintes et des griefs que l’on reprochait à la dominatrice des mers. Des discours véhéments excitèrent la lenteur craintive des agriculteurs et des marchands ; des orateurs et des journaux annoncèrent que la guerre proclamée, le gouvernement américain n’aurait qu’à ouvrir les bras pour recevoir le Canada retenu malgré lui sous le joug d’une métropole européenne, et que les habitans attendaient avec impatience l’heure de leur délivrance. « Le moment, disait le message du président, M. Maddison, en 1811 au congrès, exige des gardiens des droits nationaux un ensemble de dispositions plus amples pour les soutenir. Malgré la justice scrupuleuse, la grande modération et tous les efforts des États-Unis pour substituer aux dangers nombreux que court la paix des deux pays, nous avons vu que le cabinet anglais non seulement persiste à refuser toute satisfaction pour nos torts, mais veut encore faire exécuter jusqu’à nos portes des mesures qui dans les circonstances actuelles ont le caractère et l’effet de la guerre contre notre commerce légitime. En présence de cette volonté évidente et inflexible de fouler aux pieds les droits qu’aucune nation indépendante ne peut abandonner, le congrès sentira la nécessité d’armer les États-Unis pour les mettre dans cette situation que la crise commande, et pour répondre à l’esprit et aux espérances de la nation. »

Après avoir mis un embargo sur tous les vaisseaux qui se trouvaient dans leurs ports, les deux chambres passèrent une loi pour déclarer la guerre à la Grande-Bretagne. Tous les préparatifs de guerre étaient pour ainsi dire à faire. Il n’y avait ni armée, ni généraux, ni matériel. Il fallait tout former et tout organiser avec hâte et précipitation. Malgré l’enthousiasme apparent, les républicains américains n’avaient point alors plus qu’aujourd’hui l’ambition des victoires et de la gloire militaire. Ce grand mobile des peuples européens manque presque totalement aux peuples du Nouveau-Monde. Ceux-ci n’ont point acquis les contrées qu’ils occupent par de brillantes victoires ; ils ne sont point venus s’asseoir en conquérans aux foyers d’une civilisation vieillie et dégénérée. Leurs souvenirs historiques ne consistent ni en conquêtes, ni en croisades, ni en châteaux forts, ni en chevalerie. Tout ce mouvement, toute cette pompe guerrière et poétique qui caractérisent la naissance et la formation des nations modernes de l’Europe, sont des événemens inconnus à l’Amérique. Le Nouveau-Monde fut découvert et établi au moment où les formes de la société de l’ancien allaient changer, et où l’homme qui travaille et l’homme qui souffre, formant la masse des peuples, allait commencer à s’agiter pour obtenir un gouvernement fondé sur ses besoins, et qui fût capable de prendre la place d’un gouvernement militaire caractérisé par la noblesse et la chevalerie.

Le mobile des hommes d’aujourd’hui est un intérêt froid et calculateur. C’est le seul de la république américaine. La guerre du Canada après la première ardeur passée, parut une spéculation chanceuse. Aussi craignant de trop s’aventurer, ce peuple marcha-t-il avec précaution ; ce qui fit de la guerre de 1812 une guerre d’escarmouches où il se cueillit peu de lauriers des deux côtés. Engagée comme elle l’était en Europe, l’Angleterre résolut dès l’abord de se tenir sur la défensive, et de marcher en avant seulement lorsque cela serait nécessaire pour mieux assurer le système qu’elle avait adopté. C’était le seul du reste qu’elle pouvait suivre avec les forces qu’elle avait à sa disposition en Amérique. L’immensité de sa frontière coloniale rendait sa situation d’autant plus difficile que le St.-Laurent est fermé une partie de l’année par les glaces, et que la partie de son territoire que baigne l’océan à la Nouvelle-Écosse, était séparée du Canada par des forêts et de vastes territoires inhabités. Le courage des colons eux-mêmes appuyés des secours qu’elle pourrait leur envoyer, devait former la principale barrière.

Le gouvernement des États-Unis ordonna d’enrôler 25 mille hommes, de lever 50 mille volontaires, et d’appeler 100 mille miliciens sous les armes pour la garde des côtes et des frontières. Le général Dearborn, vieil officier de la révolution, fut nommé commandant en chef des armées de la république. Mais ces masses d’hommes étaient plus formidables sur le papier que sur le champ de bataille. Le gouvernement américain manquait d’expérience pour les faire mouvoir d’une manière dangereuse pour la sûreté des possessions anglaises, qui n’auraient pu résister à de pareilles forces si elles avaient été mises en mouvement avec la science et l’unité stratégique de l’Europe. Les 175 mille hommes armés des États-Unis excédaient toute la population utile du Canada capable de porter les armes.

Cependant le Canada se préparait à faire tête à l’orage avec un zèle et une confiance qui étaient de bon augure. Sir George Prevost en arrivant à Québec, alla visiter le district de Montréal et la frontière du lac Champlain ; il examina les postes fortifiés et les positions militaires de la rive droite du St.-Laurent. Partout la population était animée du meilleur esprit. Il y avait bien eu un instant quelques tergiversations parmi quelques jeunes membres de la chambre outrés de la conduite de Craig. Il y avait même eu une réunion secrète à Québec, chez M. Lee, où assistaient M.M. Viger, L. J. Papineau, Borgia, et plusieurs autres, pour délibérer s’il ne conviendrait pas de rester neutres et de laisser au parti qui dominait le pouvoir oppresseur qui nous gouvernait, à le défendre comme il pourrait ; mais M. Bedard et ses amis s’y étaient opposés et le projet avait été abandonné.

Le parlement se réunit deux fois en 1812. Le gouverneur lui recommanda de renouveler les actes nécessaires à la sauve-garde du gouvernement. C’était demander le renouvellement de la loi odieuse des suspects, dont la dernière administration avait tant abusé. La chambre répondit qu’elle s’en occuperait. Sir George Prevost s’empressa de répliquer qu’il ne pouvait s’empêcher de regretter qu’elle eût cru devoir arrêter son attention sur des procédés antérieurs ; qu’il l’engageait à porter ses soins sur l’état actuel des affaires, que c’était le moyen le plus efficace de manifester son zèle pour le bien public et d’assurer la tranquillité de la province. La chambre était bien disposée à accepter sa parole, mais elle voulait se mettre en garde contre l’avenir ; elle fit plusieurs amendements à la loi dans lesquels elle conféra au gouverneur seul le pouvoir confié jusque là au conseil exécutif, d’emprisonner les personnes soupçonnées de trahison, et statua qu’aucun membre des deux chambres ne pourrait être arrêté, amendemens qui font voir assez dans quel discrédit étaient tombés les conseillers puisqu’elle préférait s’exposer à la tyrannie d’un seul homme étranger au pays.

Le conseil législatif refusa d’admettre l’amendement, qui comportait trop directement la censure de la conduite de ses principaux membres, et malgré une conférence entre les deux chambres pour s’entendre, la loi tomba à la satisfaction de tout le monde. La preuve la plus convaincante qu’elle n’avait été qu’un moyen d’oppression, c’est qu’on l’effaçait du livre des statuts à l’entrée de la guerre, c’est-à-dire au moment du plus grand danger.

La chambre vota ensuite l’argent nécessaire, et passa une loi pour organiser la défense de la province en levant des soldats et en organisant et armant la milice. Elle adopta en même temps une résolution pour repousser les atteintes faites à sa loyauté par le dernier gouverneur. Elle déclara qu’il était dû au bon caractère des Canadiens d’adopter quelque mesure pour informer le roi des événemens qui avaient eu lieu sous l’administration de sir James Craig, et des causes qui les avaient amenés, afin qu’il pût prendre les précautions nécessaires pour empêcher à l’avenir le retour de pareils abus.

Elle résolut encore, sur la proposition de M. Lee, de faire une investigation sur l’état de la province et sur les événemens qui avaient signalé la dernière administration. Cette proposition fut secondée par M. L. J. Papineau, qui montrait déjà les talens oratoires de son père ; elle passa presque à l’unanimité, deux membres seulement votant contre. MM. Lee, Papineau père et fils, Bedard et Viger furent nommés pour former la commission d’enquête, auxquels on ajouta trois autres membres avec ordre de tenir leurs procédés secrets ; mais ils ne firent jamais rapport.

Partout maintenant les villes et les campagnes retentissaient du bruit des armes ; les milices s’exerçaient sous la direction de leurs officiers ; la population française était déjà animée de cette ardeur belliqueuse qui forme un des traits caractéristiques de la race.

Le grand vicaire de l’évêque catholique, M. Roux, adressa un mandement au peuple, dans lequel il semblait n’avoir pu trouver d’expressions assez fortes pour convaincre l’Angleterre de sa fidélité et de son dévouement.

En arrivant en Canada le gouverneur avait travaillé à regagner les bonnes grâces du clergé, que l’on croyait avoir aliéné par les tentatives imprudentes de Craig. Il eut des entrevues avec l’évêque, M. Plessis, qui ne perdit point l’occasion, avec sa présence d’esprit ordinaire, de profiter de la situation des choses pour faire mettre le catholicisme sur un bon pied, et pour faire reconnaître pleinement l’existence légale avec tous les droits et privilèges qu’il possède dans les pays catholiques. Ce fut là le but de toute la vie de ce prélat.

Sir George Prevost en vue de la guerre, où les catholiques devaient combattre comme les protestans, manifesta à l’évêque le désir de savoir sur quel pied il serait convenable de mettre à l’avenir les évêques catholiques du Canada. M. Plessis lui présenta un mémoire,[2] où il lui exposait ce qu’étaient les évêques canadiens avant la conquête ; ce qu’ils avaient été depuis, et l’état où il serait à désirer qu’ils fussent à l’avenir pour le plus grand avantage du gouvernement et de la religion.

Avant la conquête ils gouvernaient leur diocèse à l’instar de ceux de France selon les canons de l’église et les ordonnances du royaume. Ils avaient un chapitre composé de cinq dignités et de douze chanoines, qui était sous leur entière juridiction ainsi que tout le clergé séculier et les communautés religieuses de filles. Ils tenaient leur synode, érigeaient les paroisses, y proposaient des desservans, les révoquaient, visitaient les églises, monastères et lieux de piété, rendaient des ordonnances touchant la discipline et la correction des mœurs, auxquelles les ecclésiastiques et les laïcs étaient obligés de se soumettre, se faisaient rendre les comptes des fabriques, ordonnaient sur le recouvrement et l’emploi de leurs deniers ; enfin ils avaient la direction absolue de toute l’administration ecclésiastique et religieuse, et rien ne se pouvait faire dans le clergé séculier, dans les fabriques et dans les monastères sans leur ordre ou leur approbation. Leur surveillance s’étendait jusque sur les écoles.

Depuis la conquête le gouvernement britannique ayant refusé au Canada de recevoir un évêque de France, le chapitre chargé de l’administration du diocèse pendant la vacance du siège épiscopal, s’était considéré comme revenu aux temps qui avaient précédé les concordats, et où l’évêque était élu par le clergé de son église et confirmé par le métropolitain ou par le pape sous le bon plaisir du souverain. Par un acte capitulaire de 1764 M. Briand, membre du chapitre et l’un des vicaires généraux, avait été élu évêque de Québec. Malgré les recommandations du gouverneur Murray, le ministère anglais n’avait point voulu approuver sa nomination, mais l’avait informé qu’il ne serait point troublé. La cour de Rome lui avait accordé des bulles et il avait été consacré à Paris en 66. Revenu en Canada, il avait exercé ses fonctions sans trouble après avoir prêté serment d’allégeance.

Le chapitre de la cathédrale réduit à un petit nombre de membres, n’ayant plus de revenus suffisans pour subsister, s’était éteint insensiblement. Sa dernière assemblée capitulaire était du 10 septembre 1773 ; le dernier chanoine était mort en 1796.

Du consentement de la cour de Rome et de sir Guy Carleton, un coadjuteur avait été nommé en 72 à l’évêque, qui en avait toujours eu un depuis pour le remplacer après sa mort ou sa résignation. M. Plessis faisait ensuite observer à sir George Prevost que les évêques avaient fait et faisaient encore profession de la loyauté la plus scrupuleuse envers le gouvernement, et avaient cherché en toute occasion à la graver profondément dans l’esprit du clergé et du peuple confié à leurs soins.

Comme l’on savait très bien, qu’ils ne prétendaient exercer d’autorité qu’au spirituel et seulement sur les sujets catholiques de leur diocèse, on ne leur avait contesté ni leur juridiction, ni leur titre d’évêque jusqu’à ces dernières années, où des esprits jaloux se couvrant du spécieux prétexte du zèle pour les intérêts et les prérogatives de la couronne, avaient commencé à élever des doutes sur l’exercice d’une autorité toute canonique et inoffensive de sa nature.

Au mois d’avril 1806, un officier de la couronne avait filé dans une des cours, une requête tendante à troubler cette jouissance, à mettre en force certains statuts impériaux, fruits malheureux des animosités religieuses du 16e siècle, à anéantir l’autorité et le titre de l’évêque catholique, à faire déclarer nulle la seule ordonnance qui eut reconnu cette autorité, et à prétendre faussement que même avant la conquête, l’évêque de Québec n’avait pas droit d’ériger de paroisses dans son diocèse. Ces avancés répétés dans les cours avaient été artificieusement répandus dans les papiers publics.

L’évêque concluait par demander que lui et ses successeurs fussent civilement reconnus pour évêques catholiques de Québec ayant sous leur juridiction épiscopale les catholiques des colonies de l’Amérique britannique du nord ; en attendant que par un accord entre Rome et l’Angleterre il fût érigé d’autres évêchés catholiques dans ces contrées, avec tous les droits qu’ils avaient exercés jusqu’à ce jour ; qu’aucune paroisse catholique ne pût être érigée sans l’intervention préalable de l’évêque ; qu’il fût maintenu dans la possession où il était de proposer aux cures et aux missions catholiques ; que la propriété du palais épiscopal lui fût confirmé et qu’il fût autorisé à acquérir à l’avenir. Enfin, sans demander une assignation de revenus, il annonçait que ce serait un avantage pour le gouvernement s’il recevait une gratification, et si le clergé catholique était représenté dans les conseils exécutif et législatif par son chef.

Ces demandes appuyées par le zèle qu’il avait montré de tout temps et qu’il inspirait à tout son clergé pour exciter le peuple à soutenir avec vigueur la cause anglaise dans la guerre avec la république américaine, furent accordées plus tard. Et l’on verra que lorsqu’il passa en Europe pour les affaires de son diocèse, le gouvernement anglais le reçut avec de grands égards, et lui accorda presque tout ce qu’il demandait.

La nécessité où l’Angleterre se trouvait alors, comme elle l’avait été en 75, de prêter une oreille favorable aux Canadiens et d’être juste à leur égard, ne devrait pas être perdue pour elle ; car sa situation devient de jour en jour plus difficile à mesure que les États-Unis et ses colonies s’accroissent en population, en richesses et en puissance. L’Océan qui sépare les deux mondes est une barrière naturelle beaucoup plus forte que la limite qui sépare le Canada de la république voisine et l’on s’en apercevra un jour.

La nationalité des Canadiens donne encore de la force à cette limite et la guerre dont nous allons nous occuper le prouva. On en appela à leurs institutions et à leurs autels pour exciter leur zèle, et cet appel du représentant de l’Angleterre à la défense de son empire au cri si saint pour eux de leur religion et de leurs lois, était un engagement d’honneur d’autant plus sacré qu’il était pris au moment du danger.

Les Canadiens ne demandèrent pas d’autre garantie, pour courir aux armes. Ce que sir George Prevost donna à entendre à leurs représentans et à leur clergé, fut interprété de la manière la plus généreuse ; tout le monde songea à faire son devoir, et l’ennemi put se convaincre que la défection qu’il attendait ne se réaliserait point.

Le gouverneur dirigea les troupes vers les frontières et confia la garde de Québec, la clef du pays, aux milices représentées peu de temps auparavant comme rebelles ou comme animées de dispositions fort suspectes. Les patriotes Bedard et autres furent rétablis dans leur grade militaire avec ostentation par un ordre du jour.

Dans le mois de mars, le président des États-Unis avait envoyé un message à la chambre des représentans pour l’informer que, pendant que le gouvernement américain était en paix avec la Grande-Bretagne, cette puissance avait employé un agent secret pour parcourir les divers états de l’Union, surtout le Massachusetts, y fomenter la désobéissance aux autorités établies, intriguer avec les mécontens, exciter à la révolte, détruire éventuellement la confédération et en détacher avec l’aide de ses soldats les états de l’Ouest.

Ce message extraordinaire fit la plus grande sensation. L’espion était un Irlandais, nommé John Henry, ancien capitaine dans l’armée américaine, et qui résidait à Montréal depuis 1806 en qualité d’étudiant en droit. Par une lettre de M. Ryland, secrétaire de sir James Craig, Henry qui avait déjà été employé dans quelque mission secrète à la satisfaction du secrétaire d’état à Londres, à qui on avait transmis ses rapports, était prié de se charger d’une nouvelle mission confidentielle aux États-Unis, pour laquelle le gouverneur lui fournirait un chiffre de correspondance. Il devait lui faire parvenir les vues du parti dominant dans les divers états de la république, et mettre les mécontens qui désiraient s’en détacher en communication avec le gouvernement anglais. Sir James Craig donna ses instructions à Henry, en lui recommandant de tâcher d’obtenir les renseignemens les plus exacts sur la disposition des esprits dans le Massachusetts, l’état qui exerçait alors la plus grande influence dans l’est ; de s’insinuer dans l’intimité de quelques chefs de parti et de leur donner à entendre, mais avec une grande réserve, que s’ils voulaient se mettre en rapport avec le gouvernement anglais, par le canal du gouverneur canadien, il était autorisé à être leur intermédiaire et à leur montrer s’ils l’exigeaient ses lettres de créance. Henry était chargé d’écrire souvent à Québec, mais pour ne pas exciter de soupçon, d’adresser ses lettres au juge Sewell, à un autre Monsieur qui lui était désigné, et quelquefois à M. Ryland lui-même, mais fort rarement.

L’on pensait alors que les conséquences des lois d’embargo passées par le congrès, ruineuses pour les états de l’est, pourraient amener leur séparation du reste de la confédération. Henry rendu à son poste écrivit une foule de lettres jusqu’à son retour à Montréal dans le cours de la même année. Aucun effet ne parut résulter de sa mission. Lorsqu’il demanda le prix de son salaire, on ne se montra pas empressé d’y répondre comme il le désirait. On ne voulut lui donner ni une place de juge-avocat, ni un consulat. En 1811 il s’adressa à lord Liverpool, qui lui fit répondre par son secrétaire, que sir James Craig ne s’était pas engagé à lui faire avoir sa récompense en Angleterre. Se voyant rebuté dans la colonie et dans la métropole, il alla tout déclarer au pays qu’il avait voulu trahir.

Cette affaire, dont le gouvernement américain fit grand bruit pour exciter le peuple à la guerre, est une nouvelle preuve ajoutée à toutes les autres, de l’inconsidération de conduite de sir James Craig, et du peu de jugement dans le choix de ses instrumens.

Le plan d’opérations militaires adopté pour le Canada fut parfaitement défensif. L’Angleterre était trop engagée en Europe pour songer à porter de grands coups en Amérique ; et d’ailleurs elle présumait avec raison que les entreprises des États-Unis dépendraient des vicissitudes de la guerre au delà des mers. Napoléon s’était jeté sur la Russie ; du succès de cette gigantesque entreprise à 800 lieues de sa capitale, allait dépendre le plus ou le moins d’énergie des républicains de l’Amérique. Le gouvernement de Washington après avoir formé de grands cadres d’armée, fut comme embarrassé lorsqu’il fallut faire mouvoir ces masses d’hommes. Il conduisit toute cette guerre avec l’inexpérience et la timidité d’un état major bourgeois. Les traditions des guerres de la révolution semblèrent être perdues, ou plutôt ces guerres n’avaient pas appris la tactique offensive, car on n’avait fait que repousser des envahisseurs européens qui voulaient imposer leur joug au colon devenu grand. Ses efforts se perdirent dans une multitude de petits chocs, éparpillés sur une frontière de 3 à 400 lieues, et il est bien difficile aujourd’hui de dire quel était le résultat final que l’on voulait atteindre.

Au moment de la déclaration de guerre, le général Hull, gouverneur du territoire du Michigan, était parti de l’Ohio pour le Détroit avec deux mille hommes pour mettre fin aux hostilités des Sauvages sur la frontière du Nord-Ouest, et tâcher de le gagner à la cause américaine. Il était autorisé par ses instructions à envahir le Canada s’il pouvait le faire sans mettre en danger les postes qui lui étaient confiés. Vers la mi-juillet il traversa la rivière du Détroit et alla camper à Sandwich, dans le Haut-Canada, avec l’intention d’aller s’emparer du fort de Malden à quelques lieues de là. Établi sur ce point, il adressa entre autres, ces paroles aux Canadiens :

« Séparés de l’Angleterre par un océan immense et un vaste désert, vous n’avez aucune participation dans ses conseils, aucun intérêt dans sa conduite. Vous avez senti sa tyrannie, vous avez vu son injustice ; mais je ne vous demande à venger ni l’une ni l’autre. Les États-Unis sont assez puissans pour vous procurer à tous la sûreté compatible avec leurs droits et vos espérances. Je vous offre les avantages inestimables de la liberté civile, politique et religieuse… C’est elle qui nous a conduits en sûreté et en triomphe à travers les orages de la révolution ; c’est elle qui nous a portés à un rang élevé parmi les nations de l’univers, et qui nous a procurés plus de paix, plus de sécurité et plus de richesses que n’en a jamais eu aucun autre pays.

« Ne levez pas la main contre vos frères. Plusieurs de vos ancêtres ont combattu pour notre liberté et notre indépendance. Enfants de la même famille, héritiers du même héritage, vous devez bien accueillir une armée d’amis. »

Cette proclamation qui n’était pas rédigée sans quelque adresse, ne fut point soutenue par des opérations militaires qui répondissent au talent que pouvait promettre sa rédaction. Le général Hull fut écrasé sous le poids de son commandement. Après être resté près d’un mois sans rien entreprendre, il rentra dans son pays. Plusieurs de ses détachemens avaient été défaits par des partis de nos soldats et par les Indiens. Le lieutenant Rolette, commandant le brig armé le Hunter, avait abordé à la tête de six hommes seulement et pris un navire américain chargé de troupes et de bagages. Le capitaine Talion, détaché par le Colonel Proctor, avait rencontré au-dessous du Détroit, le major Vanhorne, l’avait battu et lui avait enlevé des dépêches importantes. Dans les autres parties du pays les affaires n’allaient guère mieux pour les ennemis. Le capitaine Roberts, de St.-Joseph, dans une petite île du lac Huron, avait reçu du général Brock en son temps, la nouvelle de la déclaration de guerre et l’ordre de tâcher de surprendre Mackinac, poste dont il s’empara sans coup férir à l’aide d’une trentaine de soldats soutenus par M. Pothier et ses voyageurs canadiens ; c’était l’un des plus forts des États-Unis. Cette conquête eut un grand retentissement parmi les tribus indiennes de ces contrées, qu’elle rallia presque totalement à la cause de l’Angleterre, et fut le prélude des revers de Hull.

Cependant le gouverneur du Haut-Canada, le général Brock, avait pris ses mesures dès les premières hostilités pour repousser toute invasion. Ayant rassemblé ses forces, il traversa le fleuve et parut tout-à-coup avec 13 à 14 cents hommes dont 600 Sauvages, devant le fort du Détroit où s’était retiré le général Hull. Le commandant américain intimidé et hors de lui-même se rendit prisonnier sans coup-férir, avec son armée, à l’exception des milices et des volontaires de l’Ohio et du Michigan qui eurent la liberté de s’en retourner chez eux après s’être engagés à ne point servir pendant cette guerre. Le fort du Détroit et le vaste territoire du Michigan tombèrent ainsi au pouvoir des vainqueurs, qui firent un butin considérable.

Les troupes américaines furent envoyées dans le Bas-Canada, où le général Hull rendu à Montréal, fut échangé contre 30 prisonniers anglais. Il ne fut pas plutôt rentré dans son pays, qu’il fut accusé devant un conseil de guerre. La cour refusa de se prononcer sur l’accusation de trahison ; mais elle le trouva coupable de lâcheté et le condamna à mort. Le président lui accorda plus tard son pardon en mémoire des services qu’il avait rendus pendant les guerres de la révolution.

Après l’anéantissement de l’armée américaine de l’ouest, la partie supérieure du Haut-Canada se trouva débarrassée de la crainte d’une invasion.

Pendant que ces événemens se passaient à la tête du lac Érié, les forces ennemies qui devaient agir sur le lac Ontario et sur le lac Champlain se rassemblaient. Elles se donnaient la main par divers petits corps intermédiaires destinés à inquiéter le Canada sur différens points de ses frontières. Les premières troupes portaient le nom fastueux d’armée du centre ; les dernières d’armée du nord. L’armée du centre commandée par le général Van Rensalaer, était composée principalement des milices de l’état de la Nouvelle-York ; elle devait envahir le Canada entre le lac Érié et le lac Ontario. L’armée du nord, forte de 10,000 hommes, sous les ordres du général Dearborn, était chargée d’y pénétrer par le district de Montréal.

Van Rensalaer ne fut prêt à prendre l’offensive qu’à la fin de l’été. Après avoir longtemps inquiété le général Brock, il réussit malgré le feu de l’artillerie anglaise qui brisa plusieurs de ses berges, à prendre pied, le 13 octobre au point du jour, sur les hauteurs de Queenston et à repousser les attaques de la milice et d’une partie du 49e régiment. Le général Brock qui était à Niagara, à quelques milles plus bas, était accouru au bruit de la cannonade ; il rallia les grenadiers et les conduisit lui-même à la charge. Il aurait peut-être regagné le terrain perdu, si dans le moment même il n’eût été atteint d’une balle dans la poitrine, dont il mourut presqu’aussitôt. Ses troupes parvinrent cependant à se remettre de leur désordre, mais elles ne purent forcer l’ennemi, protégé par des arbres, à abandonner la place ni l’empêcher d’achever le débarquement de sa première division. Les Anglais suspendirent alors leur feu jusqu’à l’arrivée de leurs renforts sous les ordres du général Sheaffe, qui résolut de reprendre aussitôt l’offensive. Laissant quelques hommes pour couvrir Queenston, il fit un détour pour gravir les hauteurs voisines et attaquer les Américains par derrière. Les Indiens plus alertes en vinrent aux mains les premiers, mais ils furent repoussés jusqu’à ce que le corps principal arrivant, les Américains assaillis à leur tour avec vigueur, lâchèrent le pied et se mirent à fuir dans toutes les directions, les uns cherchant à se cacher dans les broussailles et les autres dans leur frayeur se précipitant en bas de la falaise dans le fleuve. Les Indiens ralliés aux troupes en massacrèrent un grand nombre. Les autres voyant tout perdu et leur retraite coupée, posèrent les armes au nombre de 1000 hommes, sur les douze ou quinze cents qui avaient traversé en Canada. Il paraît qu’après le combat du matin, le général Van Rensalaer était repassé à Lewiston pour accélérer le passage du fleuve par la seconde division de son armée, et que ses soldats avaient refusé de marcher malgré les prières et les menaces ; que dans son embarras, il avait écrit au général Wadsworth, resté à Queenston, ce qui se passait, et lui avait laissé le choix de l’offensive ou de la retraite, l’informant qu’il lui enverrait tous les bateaux dont il pourrait disposer s’il se décidait pour le dernier parti. La plupart des troupes américaines composées de milices, avaient peu d’ardeur belliqueuse ; elles répondirent à Van Rensalaer qu’elles étaient prêtes à défendre leur pays s’il était attaqué, mais qu’elles avaient des scrupules à envahir le territoire anglais.

On a déjà vu qu’un grand parti dans la république était opposé à la guerre. Ses opinions fournissaient des motifs vrais ou simulés à une portion des soldats pour ne point bouger. De pareils événemens devaient rassurer le Canada, auquel les deux combats de la journée n’avaient pas coûté cent hommes, tués et blessés, preuve du peu d’ardeur de la lutte.

La mort de Brock fit passer le commandement des Anglais entre les mains du général Sheaffe, qui conclut une armistice avec le général Smith, successeur de Van Rensalaer, et qui parut vouloir montrer plus de zèle que son prédécesseur. Il invita les jeunes Américains à venir partager les périls et la gloire de la conquête qui s’offrait devant eux, et parvint à ranimer un peu l’humeur belliqueuse de ses compatriotes et à porter son armée à 5,000 hommes. Lorsqu’il fut prêt à agir, il fit dénoncer l’armistice et le 28 novembre de grand matin, il se mit en mouvement. La première division de ses troupes traversa le fleuve et mit pied à terre à la tête de la Grande-Île entre le fort Érié et Chippawa, où elle prit ou mit en fuite quelques soldats qui s’y trouvaient, tandis que le major Ormsley, sorti du fort Érié, faisait de son côté quelques prisonniers américains qui descendaient le long du rivage. La seconde division s’ébranla pour débarquer deux milles plus bas. Les forces anglaises du voisinage étaient maintenant sur l’alerte. Le colonel Bishop sorti de Chippawa avait formé sa jonction avec le major Ormsley, et se trouvait à la tête de onze cents hommes, tant réguliers, miliciens que Sauvages et une pièce de canon, quand les Américains se présentèrent pour débarquer. Le feu très vif qu’il ouvrit sur eux du rivage, brisa deux de leurs berges, jeta les autres en désordre et les obligea de se retirer au plus vite. Le 1 décembre, ils firent mine de renouveler leur tentative, et les troupes même s’embarquèrent pour traverser le fleuve, mais elles reçurent contre ordre et furent remises à terre pour prendre leurs quartiers d’hiver. Ces échecs humilièrent beaucoup les Américains, qui murmurèrent tout haut contre leur chef, et le forcèrent à prendre la fuite pour se dérober à leur indignation.

Ainsi se terminèrent les opérations des armées de l’ouest et du centre. Elles avaient été repoussées partout dans leurs attaques. Les tentatives de celle du nord n’avaient pas été plus vigoureuses ni plus heureuses, quoiqu’elle fût la plus forte et qu’elle parût destinée à porter les plus grands coups.

Elle s’élevait à dix mille hommes stationnés sur le lac Champlain en face. Le général Dearborn la commandait. Après avoir eu quelque temps son quartier général à Albany, il le rapprocha de la frontière, menaçant de marcher sur Montréal par la route de St.-Jean et d’Odelltown.

Le commandant de cette frontière plaça un cordon de voltigeurs et de milice depuis Yamaska jusqu’à St.-Régis, point où la limite qui sépare les deux pays aboutit au St.-Laurent. Un corps d’élite composé de réguliers et de milices sous les ordres du colonel Young fut stationné à Blairfindie ; et la route de là à la frontière passant par Burtonville et Odelltown, fut coupée et embarrassée par des abattis d’arbres pour empêcher toute surprise. Ce travail fatigant et difficile fut exécuté avec promptitude par les voltigeurs du major de Salaberry. Les voyageurs de la Compagnie du nord-ouest s’organisèrent en troupes légères, et d’autres Canadiens formèrent un bataillon de chasseurs.

Pendant ce temps là, les Américains montraient sur cette frontière comme sur celle du Haut-Canada, beaucoup d’hésitation dans leurs mouvemens. Il n’y avait encore eu que quelques petites escarmouches, lorsque le général Dearborn fit mine enfin de se mettre en mouvement.

Le major de Salaberry qui commandait nos avant postes, s’était fortifié à rivière Lacolle. Le matin du 20 novembre, avant le jour, une de ses gardes avancées fut assaillie par 1400 fantassins et quelques cavaliers, qui avaient traversé la rivière par deux gués à la fois ; mais en voulant la cerner, ils se fusillèrent entre eux dans l’obscurité, ce qui détermina aussitôt leur retraite. Au premier bruit de leur mouvement, le colonel Deschambault avait reçu ordre de traverser le St.-Laurent et de marcher sur l’Acadie avec les milices de la Pointe-Claire, de la rivière du Chêne, de Vaudreuil et de la Longue-Pointe. Une partie de celles de la ville de Montréal à pied et à cheval était passée à Longueuil et à Laprairie, enfin toute la milice du district s’était mise en mouvement pour marcher sur le point attaqué. Soit que le général Dearborn fut intimidé par tous ces mouvemens, ou qu’il n’entra pas dans ses plans d’envahir le Canada pour lors, il ne songea plus qu’à se retirer dans ses quartiers d’hiver à Plattsburgh et à Burlington à l’approche de l’hiver. Ce début n’était pas brillant pour les armes des Américains.

Sur mer ils soutinrent mieux l’honneur de leur pavillon. L’Angleterre n’avait rien à craindre d’eux sur cet élément, et ce fut là précisément où elle se laissa enlever quelques lauriers. La frégate américaine la Constitution, de 44 canons, commandée par le capitaine Hull, enleva la frégate anglaise, la Guerrière de 38 canons après une demi-heure de combat, et lui avoir tué et blessé le tiers de son équipage. Le Warp, de 18 canons, captura aussi un brig de 22 canons après un choc de trois quarts d’heure, pour tomber cependant entre les mains d’un 74, le même jour avec sa prise.

Le commodore Decatur montant la frégate, Les États-Unis, de 44 canons, força la frégate la Macédonienne d’amener son pavillon après une lutte acharnée de près de deux heures et plus tard la Constitution obtint une seconde victoire en capturant, devant San Salvador, sur les côtes du Brésil, la frégate la Java, après lui avoir tué et blessé près de 200 hommes, tandis qu’elle n’en perdait que 34. Ces diverses victoires navales enorgueillirent les États-Unis et leur firent oublier les petits échecs qu’ils avaient éprouvés sur terre. Ils avaient en effet raison d’être contens de leur marine, car la cause de ses succès était fort importante. C’était moins par le courage que par la supériorité de construction et d’armement de leurs vaisseaux qu’ils avaient triomphé. Leurs frégates moins hautes au-dessus de l’eau offraient par là même moins de prise aux coups ; leurs batteries comptaient moins de bouches à feu mais elles étaient formées de pièces d’un plus gros calibre et d’une plus grande portée ; de sorte qu’une frégate américaine de 32 canons lançait plus de métal qu’une frégate anglaise de 40 ; de là la cause de leurs victoires, dont ils avaient d’autant plus raison d’être fiers qu’elles étaient dues à leur intelligence. La Grande-Bretagne toutefois trop occupée avec le reste de l’Europe dans la guerre contre Napoléon, faisait peu de cas des combats individuels et isolés des vaisseaux de la république, et voyant que ses armes maintenaient son empire en Canada et qu’il ne s’y était rien passé de bien inquiétant pour elle, elle donna ses ordres pour nous envoyer quelques secours et reporta ses regards vers l’Espagne et vers la Russie, où la grandeur des événemens qui s’y passaient jetait complètement dans l’ombre ceux de l’Amérique.

Le résultat de la campagne et le zèle qu’avaient montré les populations canadiennes justifiaient la politique de sir George Prevost. Les Canadiens, que leurs ennemis avaient accusés sans cesse de nourrir des projets de rébellion, venaient de donner un démenti éclatant à leurs accusateurs trop favorisés dans tous les temps par les préjugés nationaux.

Sir George en assemblant les chambres le 29 décembre, leur dit que suivant les pouvoirs que lui avait confiés la législature, il avait appelé la milice sous les armes, et qu’il avait vu avec la plus vive satisfaction l’esprit public, l’ordre, la fermeté et cet amour de son pays, de sa religion et de ses lois qu’elle avait montrés dans cette occasion, et qui, en animant et réunissant toutes les classes, ne pouvaient manquer avec l’aide de la divine providence de faire respecter le Canada au dehors et de le rassurer au-dedans.

Les délibérations de la législature furent moins orageuses que de coutume, malgré l’agitation de plusieurs questions qui auraient pu occasionner de grands débats. M. Stuart, toujours mécontent de la perte de sa place de solliciteur-général, voulut faire instituer une enquête sur le mauvais effet du retard qui survenait dans la publication des lois. Dans une émeute à Lachine les troupes avaient tiré sur le peuple. Il voulut faire attribuer cet événement à l’ignorance de la loi non encore promulguée. Quoique son but fût moins probablement de pallier les auteurs du sang répandu que d’embarrasser l’exécutif, sa plainte était cependant bien fondée. Il proposa aussi de s’enquérir du droit des cours de justice de faire des règles de pratique pour la conduite des procédures judiciaires, usurpation de pouvoir qui a été pendant longtemps un grave sujet de difficultés dans le pays. Enfin ce fut encore lui qui amena les résolutions touchant le sujet autrement plus grave de la loi martiale, à laquelle l’opinion publique était si fortement opposée, qui les fit adopter après d’assez vifs débats et qui fit déclarer que les limites et l’opération de la loi martiale établie par les statuts impériaux concernant l’armée, et par les statuts provinciaux concernant les milices, ne pouvaient être étendus à ce pays sans l’autorité de son parlement.

Les changemens demandés par le gouverneur dans la loi des milices échouèrent par suite du désaccord survenu entre les deux chambres sur la matière, ainsi que le projet de loi pour imposer une taxe sur les salaires des officiers publics pour les frais de la guerre, que le conseil composé de fonctionnaires ou de leurs amis, ne voulut pas agréer.

Malgré ces divergences d’opinion, le gouverneur et les chambres ne cessèrent point d’être en bonne intelligence pendant toute la session, et l’assemblée vota pour les besoins de la guerre, une taxe de 2½ pour cent sur les marchandises importées par les négocians du pays et de cinq pour cent sur celles importées par les négocians étrangers.

  1. Histoire de la conquête d’Angleterre.
  2. Dans le mois de mai 1812.