Histoire des explorations de l’Amérique/01

PROGRÈS
DES
EXPLORATIONS DE L’AMÉRIQUE.

« Nous sommes si jeunes sur la terre, que nous n’avons pas encore eu le temps de reconnaître la petite portion de sa surface qui nous a été cédée par l’océan. »
Bertrand, Lettres sur les révolutions du globe.


La découverte de l’Amérique appartient à deux époques bien distinctes : la première, qui fut le produit accidentel des courses aventureuses des Scandinaves, n’offre qu’un fait historique sans conséquences, arraché à l’oubli par l’érudition ; la seconde, au contraire, résultat d’un sublime calcul, et accueillie avec enthousiasme par l’Europe civilisée, a changé la face du globe en exerçant sur tous les peuples une merveilleuse influence. Pour se rendre compte d’effets si divers, pour expliquer l’intervalle immense qui sépare les noms presque ignorés de Gun-Biurn et d’Éric Rauda, de la renommée universelle de Christophe Colomb, il suffira sans doute de consulter les temps, d’examiner la distance relative de l’Europe aux contrées différentes du même continent, et de comparer les glaces et l’aridité du Groenland et de Terre-Neuve au climat et aux richesses des Antilles et du Mexique.

Les pirates du Nord qui désolèrent l’Irlande et l’Angleterre au moyen âge avaient visité plus d’une fois les côtes de l’Islande, en y laissant des traces de leur passage, avant que les indications de Naddodd y attirassent en 860 une colonie de Normands-Scandinaves. Les hommes entreprenans qui s’étaient expatriés dans cette île étendirent leurs expéditions au-delà de son cercle étroit. Gun-Biurn découvrit en 970 la terre du Groenland ; et par une fatalité réservée aux premiers découvreurs de l’Amérique, son droit de priorité lui fut disputé par le Norwégien Eric Rauda, qui, fuyant le châtiment de ses crimes, n’aborda que douze années plus tard auprès du cap Farewell. Bientôt, en 1001, l’Islandais Biurn[1] aperçut vers le sud-ouest une terre haute et boisée, revint au Groenland, et repartit avec Leif, fils d’Eric. Ces deux voyageurs arrivèrent dans la même année sur les rivages du continent où l’on a cru reconnaître dans le Labrador, Terre-Neuve et l’Acadie, les contrées de Helleland, Markland et Winland, qu’ils dépeignirent dans leurs curieux récits. Enfin, en 1006, Thorwald, frère de Leif, poursuivit l’exploration du Winland. Ses compatriotes y conservèrent des relations, et les chroniques rapportent qu’en 1121 l’évêque Eric vint du Groenland pour y prêcher la foi chrétienne aux colons encore païens. Plus tard, enfin, le rapport d’un Frislandais[2] naufragé, qui paraît avoir visité Terre-Neuve et la Nouvelle-Angleterre sous les noms d’Estotiland et de Drogeo, donna naissance aux courses et aux relations un peu douteuses des frères Zeni et du prince Zichmni de Frislande, qui accréditèrent en 1380 ces découvertes ; mais leur faible importance dans ces temps reculés ne pouvait exciter l’attention générale. Les fruits de celle du Groenland furent abandonnés à des colonies islandaises et norwégiennes qui se trouvèrent bientôt isolées par les glaces, ou détruites entièrement par le fer, le climat et les maladies. Le lieu de leur emplacement était dernièrement encore un point de critique historique, mais il est prouvé qu’elles s’élevaient au-delà du cap Farewell, et non loin de ce promontoire. Au milieu des incertitudes qui, depuis plus de 400 ans (1418), nous dérobent leur destinée, la preuve vient d’être acquise qu’en 1133 elles s’étaient étendues jusqu’aux îles des Femmes dans la baie de Baffin.

Cette connaissance forme époque dans l’immense espace de temps qui s’écoula entre les voyages de Gun-Biurn et de Colomb. L’attention peut s’y reposer encore pour examiner l’origine des murailles et des monnaies trouvées dernièrement à Terre-Neuve, qui parurent à quelques personnes indiquer les ruines d’un fort bâti au xive siècle par le prince Zichmni. La critique doit peut-être s’arrêter aussi pour discuter l’authenticité d’une entreprise portugaise que Juan Vas Costa Cortereal et Alvaro Martens Hornen dirigèrent en 1463, à la recherche d’un passage au nord vers les contrées de l’Orient, et qui les conduisit aux côtes de Baccalaos. Elle n’aura pas moins de peine à dissiper l’obscurité qui s’attache aux prétentions des Basques et du capitaine Jean de Echaide, qui, le premier, les conduisit à Terre-Neuve.

Si nous professons encore un respect classique pour l’expédition des Argonautes et pour les erreurs d’Ulysse, si nous sommes journellement séduits par le merveilleux d’un grand nombre de découvertes accidentelles, quelle admiration ne devons-nous pas au navigateur audacieux, dont le génie devina la moitié du globe, et dont le courage sut prouver, malgré les hommes et les élémens, la réalité de ses grandes conceptions. Cependant Gênes et Lisbonne refusèrent le monde qui leur était offert ; la France oubliée fut punie dès-lors d’avoir négligé la marine. La cour de Londres n’eut pas le temps de se décider, Ferdinand craignit d’abord, en favorisant des chimères, de compromettre le titre de roi d’Aragon ; et quand enfin la généreuse Isabelle fit en faveur des Castillans l’échange de ses pierreries contre les trésors de l’Amérique, elle céda plutôt à l’entraînement qu’à l’espérance. Tant d’obstacles, tant d’incrédulité auraient jeté le découragement dans un esprit moins élevé, mais Colomb montra la même persévérance, la même conviction en soutenant ses projets, qu’en luttant contre les erreurs de la boussole et les menaces de ses timides compagnons.

On chercherait inutilement à diminuer le mérite de Colomb, car si l’on ne peut refuser aux enfans d’Odin quelques légers fleurons de la couronne glorieuse du navigateur génois, les prétentions jalouses des autres peuples ne supportent pas la critique avec le même avantage. Les Anglais, les Portugais et les Français ont présenté dans la lice Madoc-Ap-Owen, Alonso Sanchez et Cousin, dont les voyages à la Virginie, à la Floride, au Mexique, à Saint-Domingue et au fleuve des Amazones, remontaient, suivant de vieilles archives, aux années 1170, 1480 et 1488. Dans cette dispute de primauté, fondée sur d’obscures traditions, les Allemands ont voulu aussi être représentés par Martin Behem, prétendu découvreur du Brésil, du détroit de Magellan et des Patagons, les Vénitiens par un de leurs compatriotes, et les Arabes pourraient l’être à égal titre par les frères Almagrurim, avant le milieu du xiie siècle. Il semble aussi que la nature elle-même ait voulu conspirer contre Colomb par des illusions atmosphériques, sources des fables répandues sur les îles d’Antilla, de Saint-Brandon et des sept Cités, qui remplacèrent sur les anciennes cartes cette main noire, cette terre de la main de Satan qui devrait glacer d’effroi par son nom cabalistique les marins aventurés sur l’Océan. Enfin, l’Europe, en donnant un nom au nouveau continent, sembla partager l’envie qui s’attache toujours au mérite.

Quoi qu’il en soit des prétentions de quelques peuples rivaux, et des efforts d’imagination d’après lesquels des cartes furent construites, il est certain que la grande découverte de l’Amérique, précédée par le fameux voyage de Marco Polo aux confins de la Chine, devint le fruit d’une immense erreur géographique sur la petitesse de la terre et l’étendue de l’Asie, et de réflexions savantes sur l’antique théorie des Antipodes, l’équilibre des terres, la masse des eaux, la direction des vents, et l’arrivée de productions étrangères sur les rivages des Açores.

Voyons aussi dans ce grand événement une conséquence de l’agitation des esprits excités par l’usage devenu général de la boussole, de l’imprimerie et de la poudre à canon. Les peuples héritiers de la force et de la civilisation n’habitaient plus les bords d’un grand lac, leur imagination développée franchissait toutes les bornes, ils comprenaient généreusement que devant ces dons du génie le monde devait s’agrandir. Dans d’autres circonstances, les succès de Colomb n’eussent pas eu les immenses résultats qui les suivirent, résultats si rapides, si compliqués, quelquefois si imprévus, si indépendans, qu’il nous faut dès le principe abandonner cette forme de considérations générales pour suivre sans nous égarer toutes les traces de Colomb et de ses émules. C’est d’abord en décrivant les courses des découvreurs, et ensuite en racontant les progrès de la colonisation, c’est en disant comment les habitans de l’Europe se mêlèrent avec ceux de l’Amérique lorsqu’ils ne les anéantirent point, que j’essaierai de remplir ma tâche. L’histoire des progrès de la géographie de l’Amérique est aussi l’histoire de la civilisation moderne de cette partie du monde.

Lorsque l’envoyé de l’Europe quitta l’Espagne, il se dirigeait vers les régions orientales du Cathay, où il croyait aborder après une navigation plus courte que celle des Portugais ; mais un heureux obstacle[3] devait l’arrêter dans sa course, et le 11 octobre 1492, il rencontra la fameuse Guanahim, annoncée dans la nuit par la lueur d’un foyer. La découverte des Lucayes, de Cuba et de Saint-Domingue termina glorieusement ce premier et merveilleux voyage. Quel phare célèbre et construit à grands frais rendit jamais de plus grands services que cette lumière modeste qui guida la première navigation des Européens au Nouveau-Monde !

L’Europe était révélée à l’Amérique, il fallait aussi révéler l’Amérique à l’Europe. Colomb avait mérité la gloire, mais il ne pouvait en jouir qu’en rapportant ses titres en Espagne. L’affreuse tempête qui l’assaillit à son retour près des Açores pouvait rompre les liens à peine formés qui venaient d’unir les deux mondes. Les frêles barques chargées de son destin résistèrent à ces vagues qui devaient engloutir par la suite tant de nobles vaisseaux, mais les autres monumens de son voyage furent anéantis. La mer ne nous a point rendu le précieux journal confié à ses flots courroucés, et les armes des Indiens n’avaient accordé qu’une courte existence à la petite colonie laissée à Hispaniola.

Le Portugal reçut le premier les pavillons triomphans du héros dont naguère il avait dédaigné les inspirations ; mais la perte de la moitié du monde devait être une leçon inutile : quarante ans plus tard il refusait encore de seconder le génie de Magellan. Il semble qu’il lui suffisait d’avoir reculé le premier les bornes de l’univers, et d’avoir produit à la fois un Gama et un Camoëns.

Pendant l’absence de Colomb, l’attente avait été bien vive, mais au bout de neuf mois l’enthousiasme du succès transporta les plus incrédules. Jour à jamais fameux où des Américains foulèrent de leurs premiers pas le sol de l’Europe, où le découvreur de l’Amérique en raconta les mystères à Isabelle !

L’amiral de la mer océane se hâta de poursuivre sa grande mission, et bientôt dans une seconde entreprise autorisée par Alexandre vi, il fit connaître une partie des petites Antilles, Portorico et la Jamaïque ; mais son souvenir rappelle tristement les excès de l’affreuse tyrannie qui commença à s’apesantir sur les timides habitans de Saint-Domingue. Cependant jusqu’alors Colomb n’avait vu que des îles ; en 1498, après avoir renoncé au projet de naviguer sous l’équateur, et découvert la Trinité, il aperçut la côte ferme près des bouches du Dragon, et la suivit jusqu’à la pointe d’Araya : l’aspect isolé de la pointe de Paria, qu’il nomma d’abord Isla Santa, l’aurait encore induit en erreur, si le courant rapide des eaux douces de l’Orénoque ne lui eût révélé la présence d’un grand continent.

L’impulsion était donnée ; en 1595, le monopole des découvertes cessa, la carrière devint libre, les relations commencèrent à devenir actives entre l’Europe et ces régions nouvelles. Le xve siècle allait finir quand Alonso de Ojeda, ayant reçu d’une main jalouse le dernier journal de Colomb, attérit à Maracapana sur les rives de la Guyane, découvrit Venezuela, le lac de Maracaybo, et borna ses reconnaissances au cap de la Vela. Il était accompagné d’Americ Vespuce, dont l’obscurité n’annonçait pas alors l’heureuse usurpation qui a rendu son nom immortel. Bientôt on vit aussi paraître sur ces rivages Alonso Nino et Christoval Guerra, qui les visitèrent dans un but mercantile.

L’injustice n’était pas encore un caractère si naturel aux Européens, qu’ils n’eussent aucun scrupule de s’approprier les possessions des Américains ; mais Alexandre vi rassura la conscience des maîtres de l’Espagne, qui présentèrent leurs expéditions militaires comme des espèces de croisades[4]. Une ère nouvelle s’ouvrit alors pour des entreprises non moins remarquables que celles qui avaient illustré les années précédentes. Des navigateurs rivaux de gloire s’élancèrent dans la carrière où il est difficile de suivre leurs courses multipliées et rapides. En 1500, Vicente Yanez Pinzon, le premier capitaine espagnol qui ait passé la ligne équinoxiale, découvre le cap Saint-Augustin, le fleuve des Amazones, et parcourt six cents lieues de côtes avant d’arriver à l’Hispaniola. Presque aussitôt Diego de Lepe et Alonso Velez de Mendoza suivent les mêmes traces, et lèvent des cartes. Ignorant le succès de ces voyages, Pedro Alvarez Cabral est conduit par le hasard et les élémens sur la côte du Brésil qu’il prolonge depuis le dixième parallèle jusqu’à Porto Seguro, prouvant ainsi que la découverte de l’Amérique devait tôt ou tard devenir une conséquence de celle du cap des Tempêtes, dépassé par Gama. Un an après Améric Vespuce aborde vers le cap Saint-Roch, établit une faible colonie, prolonge sept cent cinquante lieues de côtes jusqu’au trente-deuxième parallèle, s’éloigne encore vers le sud, et découvre une nouvelle terre qui doit être la Géorgie de Cook. Les rigueurs de l’hiver austral le privent seules peut-être de la double gloire que devaient acquérir ensuite Balboa et Magellan sur l’océan de l’ouest. Deux escadres portugaises commandées par Goncalo Coelho et Christovao Jacquez examinent les parties méridionales du Brésil, et s’avancent jusqu’au cap des Vierges. Roderigo de Bastidas, et Juan de la Cosa, après avoir visité les pays vus par leurs devanciers, parcourent cent lieues de rivages inconnus, là où s’élevèrent depuis Santa-Martha, Carthagena et Nombre de Dios.

Enfin en 1502 Colomb, cherchant encore la route des Indes par un passage nouveau, et connaissant le voyage de Bastidas, termine sa vie maritime par la découverte de la Martinique, de la côte d’Honduras, de l’île de Guanaja, du cap Gracias à Dios, du riche pays de Veragua, et par la fondation d’une colonie à la Jamaïque. Aucune renommée humaine ne peut lutter contre la sienne ; cependant sa vie fut abreuvée d’amertume, et il eut à lutter contre les plus noires intrigues. À son premier voyage, l’incertitude s’était changée en admiration, mais au second ce sentiment fit place à l’envie. Plus tard, ô honte éternelle ! ce fut dans les fers qu’il reparut aux yeux d’Isabelle ; enfin, dans sa dernière expédition, les ports de Saint-Domingue refusèrent un abri à celui qui les avait découverts ; et soumis aux plus cruelles épreuves, la jalousie de ses rivaux sut encore aggraver l’horreur de sa position. L’âme accablée cesse de soutenir le corps, et l’illustre amiral meurt après avoir dévoilé le mystère de son siècle, mais sans savoir quelle brillante réalité effaçait jusqu’à ses plus belles visions de gloire. Privé à sa dernière heure de la certitude si consolante, si douce à sa grande âme, d’avoir ajouté un nouveau continent à l’ancien, il quitte sans l’avoir connu ce monde qu’il nous avait donné. Le jour de la reconnaissance fut celui de ses funérailles, mais ses chaînes furent les seules richesses qui l’accompagnèrent au tombeau.

À cette époque, c’est-à-dire dix ans après le premier voyage de Colomb, en réunissant les travaux des Espagnols, des Portugais et des Anglais, il ne restait plus à découvrir sur la côte orientale d’Amérique, depuis le détroit d’Hudson jusqu’à celui de Magellan, que l’intervalle compris entre le golfe d’Honduras et la baie de la Chesapeak, et quelques points dont les navigateurs avaient éloigné leurs routes. Cependant toutes les incertitudes n’étaient pas encore détruites ; les premières entreprises n’avaient pas eu toutes de la publicité : chaque découvreur disait n’avoir aperçu qu’une île, et les opinions les plus singulières, à les examiner aujourd’hui, prévalurent successivement. Ainsi, Colomb, qui, en pénétrant dans la zone torride, conçut, pour ainsi dire, le premier l’applatissement des pôles, en croyant s’être rapproché du ciel, regarda pendant long-temps Saint-Dominique comme le pays de Cipangu, et la pointe orientale de Cuba comme l’extrémité de l’Asie. Il prit aussi l’Orénoque pour un des quatre fleuves du paradis terrestre, et fut persuadé que les mines de l’Hayna avaient fourni à Salomon l’or du temple de Jérusalem. Par un rapprochement curieux, il en destinait les nouveaux produits à la délivrance du Saint-Sépulcre ; des idées de croisade se lièrent à tous ses rêves de richesses. Ces erreurs ne lui furent point particulières, elles appartinrent à son siècle : Pinzon fut persuadé qu’il avait rencontré la presqu’île transgangétique, et dépassé la grande ville de Cambalu. La plupart des capitaines qui les premiers firent voile vers l’Amérique, eurent l’espoir de paraître à la cour du grand Khan, et prirent à leur suite des interprètes arabes ; enfin, on n’a pas oublié l’épisode de ce plénipotentiaire parlant l’hébreu et le chaldéen, dont la mission auprès d’un pauvre chef de l’île de Cuba eut pour fruit la première découverte du tabac.

Les découvertes principales des Castillans, connues de toute l’Europe, augmentèrent l’enthousiasme déjà si vif des Portugais, et rendirent les Anglais jaloux de partager avec ces peuples un si bel héritage. Cette nation, qui, cinquante ans plus tôt, s’arrêtait encore aux colonnes d’Hercule, fut la seconde qui parut sur les côtes du Nouveau-Monde, mais il fallut qu’un pilote étranger y guidât ses navigateurs. Henri vii, à qui les projets de Christophe Colomb avaient été soumis par son frère Barthélemi, lorsque l’Espagne dédaignait ses services, voulut se ressaisir d’une portion de cette gloire qui lui était échappée : il favorisa l’entreprise des Vénitiens Jean et Sébastien Cabota, qui, en cherchant vers l’empire du Cathay, un passage au nord des contrées aperçues par Colomb, virent Terre-Neuve ou Prima-Vista, et furent arrêtés, en 1497, par la rencontre des rivages de l’Amérique septentrionale, qu’ils prolongèrent depuis le cinquante-sixième jusqu’au trente-huitième parallèle, sans débarquer sur aucun point[5]. Les guerres d’Écosse, et le désir de ménager la cour d’Espagne, jalouse des droits établis par la fameuse bulle, firent négliger les découvertes des Cabota, et les terres qu’ils avaient reconnues ne furent même considérées alors que sous le rapport des difficultés qu’elles présentaient à la navigation de l’Inde.

Le roi de Portugal, voulant surmonter ces obstacles, confia, en 1500, une expédition à Gaspar de Cortereal. Ce navigateur aperçut une partie des côtes vues par les Scandinaves et les Anglais, traversa le détroit de Belle-Isle, découvrit la terre du Labrador, l’embouchure du Saint-Laurent et le détroit d’Anian, qui prit plus tard le nom d’Hudson. Les désastres qui signalèrent les voyages postérieurs de Cortereal et de son frère, joints au peu de succès du premier, quant au résultat unique qu’on se proposait d’obtenir, firent cesser pendant quelque temps les expéditions au nord de l’Amérique. Celles qu’on vient d’indiquer, remarquables par la noblesse et la grandeur de leur but, n’étaient peut-être pas les premières : on sait qu’en 1500 la pêche attirait un grand nombre de navires portugais, basques et normands dans ces parages, où la mer est peu profonde, mais son origine paraît être plus ancienne. Dès cette époque, les Dieppois visitèrent fréquemment les terres de Baccalaos ou les côtes de l’Acadie et du Canada ; et en 1506, deux Rouennais levèrent les premières cartes de Terre-Neuve. Le premier essai de colonisation dans ces parages date de 1518, et fut entrepris sans succès sur l’île de Sable par le baron de Lery.

Malgré ces tentatives isolées, les Français n’avaient pas encore pris aux découvertes la part qui convenait à un grand état maritime : le génie entreprenant de la nation ne s’était signalé que dans des expéditions particulières, dont le souvenir devait se perdre[6]. Il était réservé au roi restaurateur de faire acquérir à son peuple de nouveaux titres de gloire : en 1523, un Italien fit pour la France ce que trois de ses compatriotes avaient fait pour l’Espagne et l’Angleterre ; Verazzano partit de Dieppe, et suivant les instructions de François Ier, parcourut sept cents lieues de côtes de l’Amérique septentrionale, depuis le trente-unième jusqu’au cinquantième parallèle ; le nom de Nouvelle-France leur fut donné. Dix ans après, Cartier fit deux voyages, dont la découverte authentique du Canada, de la rivière Saguenai, de l’île Hochelaga, de la baie des Chaleurs, et des renseignemens sur les pays arrosés par le Saint-Laurent, furent les utiles résultats. Aussitôt une rivalité naturelle amena les Anglais dans les mêmes parages, et ils visitèrent, en 1528, le détroit de Belle-Isle, le cap Breton et la côte d’Arambec. En même temps un de leurs navires, le Dominus vobiscum, fit vers le pôle nord un voyage malheureux.

Cependant, après une très-courte interruption, les Castillans, occupés à conquérir et à fonder des colonies, avaient poursuivi leurs découvertes vers le nord et vers le sud avec leur première activité. En 1505, l’horrible Ovando, rivalisant de cruauté avec Bovadilla, achève de soumettre l’île de Saint-Domingue ; il y fait venir les premières familles de ces Africains destinés à succéder d’abord aux Caraïbes massacrés, et plus tard à devenir les meurtriers de leurs maîtres. D’accord avec une antique prédiction, l’année suivante, Juan Diaz de Solis et Yanez Pinzon visitent l’étendue entière de la Côte-Ferme, le golfe d’Honduras, et la partie orientale de la presqu’île de l’Yucatan. Dans un autre voyage, les mêmes capitaines reconnaissent la côte du Brésil, depuis le cap Saint-Augustin jusqu’au quarantième degré. La découverte du Rio de la Plata leur échappe, et ce n’est qu’en 1516 que Solis, en cherchant un détroit, entre dans ce large fleuve, où il reçoit la mort des mains des terribles Charruas, après avoir visité, le premier, la baie magnifique de Rio-Janeiro. En 1507, la forme de l’île de Cuba est déterminée par Sébastian de Ocampo, qui en fait le tour, et (1512) celle de Portorico est soumise par Juan Ponce de Léon, qui bientôt après, en cherchant la fontaine de Jouvence, d’après les traditions des Indiens, visite les Lucayes, découvre la Floride, qu’il croit être une île, et navigue sur l’important canal de Bahama, jusqu’au-delà du trentième degré de latitude : Vasquez de Ayllon le suit bientôt dans la même province. Enfin, Alonso de Ojeda et Diego de Nicuessa portent le ravage chez les habitans de la Côte-Ferme ; ils n’obtiennent pas même de sanglans lauriers, mais à cette école d’adversité, Balboa et Pizarro apprennent à enchaîner la victoire.

L’imagination, attristée par le souvenir de ces rapines et de ces massacres, aussi cruels qu’impolitiques, se plaît à contempler la prospérité d’un établissement gouverné à la Jamaïque, depuis 1509, par le généreux Juan d’Esquibel, selon les lois de la justice et de l’humanité. Honorable et unique exception au milieu de la barbarie de la conquête.

Les premières années du règne de Charles-Quint furent signalées par le merveilleux succès d’une entreprise qui contribua à diminuer les embarras de la métropole, en donnant des bases solides à la puissance espagnole en Amérique. Diego Velasquez, gouverneur de Cuba, en avait fait la facile conquête, et le sol y manquait déjà à l’avidité espagnole. En 1517, il envoie Fernandez de Cordova avec plusieurs navires, reconnaître le continent voisin, dont les insulaires racontaient des choses merveilleuses. La découverte du cap Catoche et celle de la côte de Campêche, sont les fruits de cette entreprise, qui est bientôt suivie d’un nouvel armement. Juan de Grijalva aborde à l’île Cozumel, remonte au nord, et prolongeant ensuite le rivage, découvre les rivières Tabasco, Tonala, Alvarado et Banderas, la province de Panuco, et l’île San-Juan de Ulua qui, trois siècles après, devait être un des derniers remparts de l’Espagne américaine contre les fils de ses audacieux conquistadores. Alonso Alvarez de Pineda achève aussitôt la reconnaissance du golfe du Mexique ; choisi par Velasquez pour soumettre ces riches contrées, qui venaient de recevoir le nom de Nouvelle-Espagne, le jeune Hernan Cortez commence cette immortelle entreprise en 1519, et dans le cours de trois années, par la supériorité de son génie, et l’ascendant irrésistible de son beau caractère, il réduit à l’obéissance le riche, le puissant empire de Montezuma, avec une grande partie des provinces de Mechoacan, Tututepec, Panuco, Guascaco et Soconusco. Si la postérité lui refuse un jour son admiration, c’est parce qu’il fit trop avec de faibles moyens, pour que ses exploits ne paraissent pas fabuleux.

Après la découverte de l’Amérique, beaucoup de savans cosmographes continuèrent, pendant quelque temps, de penser que les Espagnols avaient abordé sur les côtes orientales de l’ancien continent, et lui donnèrent une dénomination impropre. Une erreur si grossière pour nous, en apparence, devait être bientôt dissipée, et l’on fut conduit alors à cette idée naturelle que, s’il n’existait pas encore d’autres pays intermédiaires, le même océan qui baignait les côtes de la Chine devait borner les rivages occidentaux du Nouveau-Monde. La première connaissance de cette mer fut donnée aux conquérans par les naturels du Darien ; Nunez de Balboa voulut aussitôt vérifier ce rapport, et le 25 septembre 1513, du haut des montagnes de Pancas, où Pizarro l’accompagna, il aperçut en même temps les deux mers, l’une au nord et l’autre au sud. Telle fut l’origine des noms ridicules qu’elles portèrent si long-temps ; descendant sur ces plages nouvelles, il prit possession pour son roi d’une mer qui couvre la moitié du globe. Deux ans après, Tello de Guzman découvre Panama, et bientôt Pedrarias Davila fonde les premiers établissemens de la Castille d’or.

Charles-Quint avait consacré l’esclavage des Indiens, mais la religion voulut adoucir ses décrets. Dès le second voyage de Colomb, les missionnaires s’étaient joints aux conquérans, dont cette alliance gêna le despotisme. Fatigués des contrariétés qu’ils éprouvèrent, ils voulurent prêcher la foi aux Indiens encore libres. En 1512, Cumana devint le théâtre des conquêtes évangéliques ; mais après quelques succès merveilleux, une perfidie affreuse fut cause que les religieux ne purent s’y présenter que pour recevoir le martyre. Gonzalo Ocampo vengea la mort de plusieurs d’entre eux ; toutefois ce ne fut qu’en 1523 que Yago Castellos forma à Cumana le premier établissement durable. Les aventuriers espagnols avaient commis des atrocités dans toute l’étendue de la côte ferme ; Juan Ampues fut chargé d’y mettre un terme. L’administration de cet homme estimable, qui s’établit à Coro en 1527, ne produisit qu’un bien passager, car la province de Venezuela, cédée à la compagnie des Welsers pour payer les dettes de l’empereur, fut soumise bientôt à toutes les horreurs du brigandage ; les habitans se virent poursuivis dans les forêts comme des bêtes fauves ; Juan Spirra fit contre eux une campagne qui dura cinq années, et rapporta en 1539, à Coro, la première nouvelle du pays d’El Dorado. Le gouvernement passa alors aux mains d’un évêque, et cependant les atrocités continuèrent. Malgré des ordres précis, l’homme fut toujours une marchandise ; des incursions furent faites auprès du lac de Maracaybo, et Phillip de Hutten, en portant au loin le ravage, recueillit de nouveaux renseignemens sur l’El Dorado, et entreprit de l’atteindre. En 1545, la ville de Tocuyo s’éleva. Bientôt après la couronne d’Espagne reprit ses droits, et les horreurs eurent un terme. Les mines de Philippe de Buria furent découvertes. De 1550 à 1572, on fonda les villes de Barquisimeto, Nirgua, Valence, Caravalleda, Truxillo et Carora. En même temps la conquête de la province de Caracas, tentée par Faxardo, Miranda et le cruel Aguirre, fut achevée par don Diego Losada, qui bâtit sa capitale ; et Alonso Pacheco soumit avec peine les naturels de Maracaybo. La province de Venezuela subit plus que toute autre les horreurs de la guerre ; l’injustice et la cruauté des Espagnols avaient rendu toute alliance avec les habitans impossible. De la nécessité de posséder naquit celle de vaincre et de massacrer.

Dès qu’on apprit que la mer des Indes formait les limites orientales de l’Afrique, l’espoir de la réussite en devint le gage, et les vaisseaux d’Emmanuel naviguèrent peu de temps après dans le golfe d’Oncan, au-delà du fameux cap où le succès de Vasco de Gama couronna l’espérance de Barthelemi Diaz. De même la découverte du grand Océan excita la plus vive ardeur chez les Espagnols qui avaient déjà tiré de la direction des côtes des conséquences favorables à l’existence d’une mer libre ou d’un passage au sud de l’Amérique. Arrêté par un monde, Colomb n’avait pu pénétrer jusqu’aux régions de l’Inde ; c’était également en vain que d’habiles capitaines avaient reconnu un long développement de côtes non interrompues. Magellan n’est pas rebuté du peu de succès des premières tentatives, il jure de réussir, et l’Espagne lui confie ses navires. Il part, aborde au Brésil, reconnaît avec soin le Rio de la Plata, visite la Patagonie, découvre le détroit fameux qui l’immortalise, et le traverse avec rapidité. Enfin, le 27 octobre 1520, il vogue sur le nouvel océan, qui reçoit le nom de Pacifique, et s’éloigne triomphant des rivages orageux du continent qu’il a franchi. Le voyage de Magellan est une chaîne qui embrasse le globe en unissant les héroïques travaux de Colomb et de Gama.

La découverte de Balboa avait ouvert un vaste champ à des entreprises, dont Panama devint le centre. Cortez, dont les premiers messagers n’avaient point reparu, envoya vers la mer du sud Francisco Chico qui la rencontra à Tehuantepec et à Zacatula. Dès 1516, Hernan Ponce de Léon avait atteint le golfe de Nicoya ; Gonzales Davila et Andres Nino arrivent au même point en 1522, ils font des conquêtes dans la province de Nicaragua, et s’avancent jusqu’à la baie Fonseca. Ils terminent leur belle campagne dans ce paradis de Mahomet, sans avoir trouvé le détroit qui devait les conduire dans la mer du nord, mais ils révèlent l’existence du grand lac et du Rio San-Juan. En même temps et pour obéir à son roi en cherchant le secret d’un détroit pour naviguer directement vers les régions de la Especeria, Cortez, que ses victoires avaient amené sur les côtes occidentales du Mexique, fait armer à Zacatula plusieurs navires, dont les explorations, réunies à celles d’une flotille de Davila, procurent des renseignemens exacts sur les rivages qui séparent Colima du golfe de San-Miguel ; d’un autre côté, il faisait explorer les rivages opposés de Panama à la Floride, par Christophe de Olid et d’autres capitaines. Bientôt le conquérant traverse en personne les provinces qui séparent Mexico des pays de Honduras et d’Ybueras, où il espérait trouver un détroit près du port de Terminos, et revient en prolongeant les côtes. Enfin, en 1524, le royaume de Guatemala est conquis par Pedro de Alvarado, qui fonde sa capitale et Ciudad Vieja, et découvre en 1534 le port d’Acajutla près Zonzonate. Des divisions qui éclatent entre plusieurs chefs castillans (Fernandez de Cordova, Olid, Davila), les conduisent dans des parties peu connues où ils bâtissent les villes de Léon, Granada, Nueva Segovia, Bruselas, Gil de Buena Vista et Truxillo ; ensuite Juan Perez Dardon, lieutenant d’Alvarado, soumet la province de Chiquimula de la Sierra ; Francisco de Montejo s’empare de Honduras, et forme à égale distance des deux océans la colonie de Santa-Maria de Concayagua, tandis que Las Casas prêche l’Évangile dans celle de la Vera Paz, qui perd le nom de Tierra de guerra. À cette époque appartient l’expédition d’Estevan Gomez, le premier Espagnol qui, s’élevant beaucoup au nord en 1525, rivalisa avec Cabota et Verazzano, dont il rattacha les découvertes à celles de Colomb et de ses compatriotes. On conserve également le souvenir de l’entreprise barbare de Vasquez de Ayllon, qui, l’année suivante, prolongea la côte de la Floride jusqu’au trente-quatrième parallèle, et enleva des Indiens destinés à mourir dans les mines d’Hispaniola.

Les premières expéditions maritimes des Espagnols dans le grand Océan montrèrent combien ils excellaient dans le difficile ; au milieu des obstacles, on admira les grandes ressources du génie, le mépris du danger et l’ignorance de l’impossible qui caractérisaient ces conquérans du Nouveau-Monde, aussi étonnans que leurs aventures. Nous savons par l’histoire que les treize brigantins employés par Cortès au siége de Mexico furent apportés de quatorze lieues par huit mille Tlascalans, escortés par trente-deux mille autres. Quand Balboa voulut faire construire deux navires à Panama, le bois nécessaire fut coupé à Ada sur le golfe du Mexique ; des Européens, des naturels et des nègres transportèrent toutes les pièces travaillées, le fer et le gréement à travers l’isthme de Darien jusqu’aux bords du grand Océan. Enfin, nous ne sommes pas moins surpris de voir dans le premier armement ordonné par Cortez, quatre années après son premier débarquement, que le fer, les voiles et le gréement nécessaires furent apportés à dos d’hommes de la Vera-Cruz à Zacatula, qui en est éloigné de plus de cent cinquante lieues.

Des découvertes importantes et des succès inouis viennent ici commander l’admiration la plus vive. Depuis douze années, l’existence du Pérou avait été révélée à Balboa, et Pasqual de Andagoya venait de visiter ses frontières, lorsqu’en 1524 Pizarre et Almagro préludent à sa conquête. La faiblesse de leurs moyens isolés retarde le succès de leurs armes ; mais en 1531, cette conquête est sérieusement entreprise avec une ardeur nouvelle et des ressources mieux calculées. On voit alors se succéder ces événemens remarquables, ces brillantes actions d’une bravoure cruelle et téméraire qui soumirent au joug espagnol l’antique empire des Incas, en rendant un seul Castillan supérieur à quatre mille Indiens. D’abord les découvertes, fruits de la guerre, ne s’étendirent que de Tumbez à Cusco ; mais en 1536, Belalcazar, après avoir visité en vainqueur Quito, Pasto, Popayan, Cauca et la province d’Esmeraldas, parvient dans la mer du nord en suivant le cours de la Magdalena, qui venait de conduire Ximénès de Quesada au centre du puissant royaume de Cundinamarca dans les plaines de Bogota et d’Ebate. De son côté, Gonzalo Diaz de Pineda traverse les pays de Quixos, Macas et Canelos, que Gonzalo Pizarro entreprend de réduire dans une entreprise mémorable vers le pays d’El Dorado, dont le résultat fut glorieusement couronné par la célèbre navigation d’Orellana sur le fleuve des Amazones en 1541. En même temps le joug espagnol s’affermissait, et suivant les progrès d’un autre capitaine, il s’appesantissait sur les régions du sud. Lima où la ville des rois est fondée, les villes de Truxillo, de Puerto Viejo et de Guayaquil s’élèvent auprès du grand Océan. Alonso de Alvarado pénètre dans le pays de Chiachapoyas, et la ville de San-Juan de la Frontera lui doit son origine. Almagro traverse les vallées de Capiapo et de Coquimbo, et s’avance dans le Chili ou la Nouvelle-Tolède jusqu’à la grande ville de Concomicagua ; il revient au Pérou sans avoir formé d’établissemens, mais la ville de Paria est bâtie par ses ordres dans la province de Charcas, qui fut bientôt colonisée, et eut la Plata pour capitale. Après des guerres civiles et la mort d’Almagro, Pizarro fait construire Arequipa, il envoie des forces au Chili, et Pedro de Valdivia qui les commande, devient en 1541 le fondateur de San-Yago. Enfin, la conquête des pays de Jaen, des Pacamoros, du Tucuman, du Cuyo, de Quixos, de la province de Mullubamba, et la découverte du Potosi terminent cette époque des grandes expéditions que le Pérou vit se former, et qui se réunirent à celles qui partaient des bords de la Plata.

Pendant plusieurs années, on parut avoir oublié que l’audace de Magellan avait réuni les deux mers, et ce ne fut qu’en 1525, que Charles-Quint, voulant profiter des avantages du détroit, confia à Joffre de Loaysa le commandement d’une flotte qui devait faire le tour du monde en suivant cette route. Ce voyage n’eut pas le résultat qu’on en attendait, mais le navire de Francisco de Hozes découvrit la terre des États, peut-être même le cap de Horn ; et un autre abordant au Mexique, devint le sujet des tentatives réitérées de Cortez pour établir des communications régulières avec les îles à Épices. D’autres essais plus malheureux encore, tel que celui d’Alcazaba, et la cession des Moluques au Portugal durent naturellement ralentir le zèle des Espagnols, firent sentir tous les inconvéniens du détroit, et engagèrent à porter toutes les vues sur la partie la plus étroite du continent. Des communications furent proposées par la navigation du lac de Nicaragua, de la rivière Chagres, et par des routes tracées de la Vera-Cruz au golfe de Tehuantepec, et de Nombre de Dios à Panama. Cette dernière voie obtint la préférence et l’a conservée jusqu’à nos jours.

Cependant tandis que Pizarre faisait la conquête du Pérou, les nouveaux maîtres du Mexique, avides de gloire et de trésors, s’emparaient du pays de Xalisco, et réunissant ces contrées à celles qui leur obéissaient déjà sur le grand Océan, à partir du Hâvre de Navidad, ils en formaient la province de Nouvelle-Galice. Des rapports mensongers et des contes extravagans sur la prodigieuse richesse des pays situés au Nord, et l’opulence de leurs sept villes avaient engagé les Espagnols à pousser plus loin leurs explorations. En 1531, Nunez de Guzman s’était avancé à la tête d’une petite armée ; il avait soumis entièrement la province de Mechoacan, pénétré plus loin que celles de Culiacan et de Cinaloa, et ne trouvant pas les cités merveilleuses qu’il cherchait, il avait fondé celles de Compostella et de San-Miguel. Les villes de Guadalaxara, San-Luis et Puebla de los Angeles s’élevèrent peu de temps après, et dès-lors les Espagnols s’empressèrent de former des établissemens dans les contrées voisines du Mexique, dont les premières cartes venaient d’être dressées par ordre des magistrats. En 1554 ou 1559, Durango fut bâtie par Alonso Pacheco dans la vallée de Guadiana, pour repousser les incursions des Indiens Chichimeches, et Francisco de Ybarra fonda les colonies de Topia, Santa-Barbara, San-Juan, San-Sebastian et Chiametlan dans le voisinage de riches mines d’argent. En même temps Philippe ii réunissait à sa couronne les îles Manilles qui prenaient son nom, et les fameux galions allaient bientôt établir des relations suivies entre ce vaste Archipel et les côtes de la Nouvelle-Espagne.

Vers la même époque, d’autres soins occupaient le fameux Hernan Cortez. N’ayant plus d’ennemis à combattre au Mexique, et voyant la terre interdite à sa gloire, le marquis[7] crut trouver encore dans des entreprises maritimes sur les deux mers le seul moyen de satisfaire l’activité de son génie sans exciter les inquiétudes d’un souverain ombrageux. En 1532, il confia à Diego Hurtado de Mendoza le commandement de deux navires qui reconnurent une partie des côtes orientales de la mer Vermeille (mer de Cortez). Un second armement, aux ordres de Diego Becerra et de Hernando de Grijalva, procura l’année suivante la découverte de la Californie méridionale, celle de l’île Socorro, et un examen plus soigné de la côte du Mexique jusqu’au golfe de Tehuantepec. Les cartes sur toile où les Mexicains représentèrent eux-mêmes leurs connaissances géographiques, n’anéantirent pas tout espoir d’une communication. Ordaz eut ordre de diriger les recherches dans la mer des Antilles, et ayant fini par tourner ses vues sur l’Orénoque, il remonta ce fleuve en 1535, après un premier désastre, jusqu’à l’embouchure de la Meta.

Les expéditions de ces différentes flotilles n’ayant pas rempli le but désiré, celui de trouver un détroit, Cortez voulut en diriger une en personne, et se confiant à sa fortune, il aborda en 1537, après une navigation orageuse, sur les rives de la Californie. Cet important voyage, qui eût suffi pour illustrer tout autre capitaine, ne put rien ajouter à la réputation du héros du Mexique.

Jusqu’alors les conquérans du Nouveau-Monde, souillant leurs victoires par des excès horribles, s’étaient rendus odieux par leur froide inhumanité ; mais en 1538, sous le gouvernement de Antonio de Mendoca, Las Casas persuada de ramener les Indiens à l’obéissance par de bons traitemens et des promesses sincères : de saints hommes reçurent la douce mission d’inspirer des sentimens de paix en répandant les vérités du christianisme. Plusieurs de ces apôtres de notre foi, après avoir obtenu des succès faciles, entreprirent des excursions dangereuses et pénibles dans des pays jusqu’alors fermés aux Européens. Sans armes, sans autre protection qu’une croix, ils firent des découvertes importantes en propageant chez les nations inconnues du nord les principes d’une religion amie des hommes. La plus remarquable de ces pieuses missions fut celle de Marcos de Niza, dont le voyage aventureux se lie à plusieurs autres tentatives. Parti de Culiacan en 1539, ce moine franciscain gagne Petatlan, parcourt un désert, examine le pays qu’il traverse en publiant le nom de Dieu et celui de l’empereur, atteint la région des sept villes, croit apercevoir la cité magnifique de Cibola, et revient annoncer le succès de ses recherches. On veut s’assurer de la confiance que méritent les rapports merveilleux de Marcos, on brûle de parvenir à ce Tombouctou mexicain, et bientôt une petite flotille, commandée par Francisco de Ulloa, fait le tour de la mer Vermeille, double le cap Saint-Lucas, et remonte vers le nord jusqu’au trente-huitième parallèle. Telle fut la dernière entreprise à laquelle Cortez prit part. Son zèle pour les découvertes qu’animaient principalement des idées de conquête et de gain, eût produit des résultats surprenans, si sa puissance limitée et la présence d’un rival n’y avaient mis obstacle. Ses plans étaient dignes de son vaste génie, et en raison des difficultés qu’il rencontra, ses efforts furent extraordinaires.

La navigation d’Ulloa n’avait eu aucun rapport avec les courses de Marcos ; mais, à son retour, des préparatifs faits par Mendoca, l’habile rival de Cortez, se trouvaient terminés. Francisco Vasquez Coronado s’avance avec des forces dans le pays de Cibola, fait la conquête de cinq grands villages, source de tant de fables, et pénètre jusqu’au quarantième parallèle dans la province de Quivira. En même temps, et par une mesure combinée, Hernando de Alarcon parvient à l’entrée du Colorado, remonte cette rivière à quatre-vingt-cinq lieues de son embouchure, et offre, dans ses échanges avec les Indiens, le premier exemple du commerce des fourrures dans cette partie de l’Amérique. Continuant la reconnaissance des côtes extérieures de la Californie, Juan Rodriguez Cabrillo, parti en 1542 de la Navidad, examine tous les caps et entrées, découvre le port de Monterey ou de Los Pinos, s’élève, malgré le mauvais temps, jusqu’au cap Mendocino par 37° 10’, et prouve, par le succès, qu’il aurait fait de plus grandes découvertes, si, dans les ordres qu’on lui remit, on eût eu égard aux saisons. Il périt près du canal de Santa-Barbara, et son pilote, Bartolome Ferrela, parvient jusqu’au quarante-troisième degré sur les côtes du Cap-Blanc. À la même époque, Rui Lopez de Villalobos aperçoit le premier, en se rendant aux Moluques, les îles inhabitées de Roca-Partida, Santo Tomas et Nublada.

Pendant ce demi-siècle, qui avait vu la puissance espagnole s’étendre si rapidement dans les régions bordées par l’océan Pacifique, les explorations et les conquêtes furent dirigées avec non moins d’ardeur du côté de l’Atlantique. En 1516, Thomas Pert et Sébastien Cabota font, pour des marchands anglais, un voyage au Brésil et aux Antilles. Le second de ces navigateurs, envoyé bientôt après, par la jalousie de l’Espagne, à la recherche des pays de Tarsis, d’Ophir, de Cathay et de Cipangu, au-delà de l’Amérique, pénètre dans la Plata, et remonte le Parana à une grande distance de son embouchure. Il est rejoint par Yago Garcia, qui venait de rencontrer les Abrolhos sur la côte du Brésil, en même temps que les Français étaient entrés dans la baie de tous les Saints ; Garcia franchit en 1525 les frontières du Pérou.

En 1528, Francisco de Montejo entreprend de soumettre l’Yucatan ; peu de temps après, Panfilo de Narvaez, et plus tard encore, Fernando de Soto, l’un des douze héros du Pérou, échouent dans leurs projets d’établissement à la Floride ; mais, conquérant heureux, ce dernier chef parcourt en vainqueur la partie occidentale de cette province jusqu’aux rives du Mississipi, en traversant les pays d’Apalache, d’Achusi, de Chisca et d’Anilco. On réclame aussi pour lui la gloire d’être parvenu jusqu’à la Susquehannah. Il périt, et son successeur, Luys Moscoso de Alvarado, regagne le Mexique. Alvaro Nunez Cabeca de Vaca, et trois autres compagnons de Narvaez arrivent sur la côte de Culiacan, après avoir erré plusieurs années dans la Louisiane et la partie septentrionale du Mexique. En 1549, une mission religieuse, et dix ans plus tard, une expédition de conquête, n’obtiennent pas plus de succès sur les mêmes rivages. En 1530, le célèbre Martim Affonso de Souza se dirige vers les rivages brésiliens, divisés dès-lors en capitaineries, avec l’ordre de les explorer depuis Bahia jusqu’au Rio de la Plata. Les navigations précédentes, imparfaitement connues, lui font croire qu’il entre le premier dans la baie de Rio-Janeiro ; il établit une colonie dans celle de Santos. La domination portugaise commence à envahir le Brésil, et Thome de Sousa, profitant des succès obtenus par quelques Juifs, y régularise le gouvernement et bâtit San-Salvador. Après s’être occupé pendant quarante années de la conquête des provinces de Cumana, Venezuala et Maracaybo, on pense à profiter du cours de l’Orénoque, et ce fleuve est remonté loin de son embouchure.

En 1535, Mendoza jette les premiers fondemens de Buenos-Ayres ; aussitôt après, Ayolas et Irala suivent le cours du Paragay jusqu’aux lacs temporaires de Xarayes, et l’Assuncion s’élève pour offrir, dans l’histoire des établissemens européens aux Indes, le phénomène unique d’un foyer intérieur de colonisation et de découvertes. En effet, cette capitale du Paraguay devient le centre des communications qui s’établissent avec le Pérou, le Brésil et le Tucuman. Après les troubles du Pérou, la ville de La Paz s’élève ; les Chiquitos, les Moxos sont visités par Chaves, qui bâtit Santa-Cruz de la Sierra. Un de ses compagnons descend le Rio-Madeira et l’Amazone ; Zamora est fondé par Alonso de Mercadillo ; le pays de Quixos possède la ville espagnole de Baeza ; l’existence de Santa-Fé de la Vera-Cruz, et celle de Cordova, dans le Tucuman, datent du même jour. Manso explore les Llanos, qui ont conservé son nom. Ces découvertes et ces travaux, comme ceux de Belalcazar, de Quesada, de Marcos, de Cabrillo et d’Orellana, appartiennent au milieu du seizième siècle. Alors le fleuve Saint-Laurent avait été remonté ; Soto et Moscoso de Alvarado, son compagnon, venaient d’arriver à l’embouchure du Mississipi. Après l’époque fameuse dans les annales du monde, qui vit la première entrevue des habitans des deux hémisphères, en est-il une plus remarquable que celle où, simultanément, le Péruvien et l’Araucano apprirent l’existence de l’Iroquois et du Californien, lorsque, par l’intermédiaire des peuples de l’Europe, des relations subites s’ouvrirent entre le Paraguay, le Chili, la Louisiane, la Californie, le Pérou, le Canada, l’océan Atlantique et la mer Caraïbe ?

En 1541, Alonso de Camargo avait tenté de conduire trois vaisseaux dans le grand Océan ; un seul avait franchi le passage et atteint Arequipa, après avoir prolongé toute la côte du Chili et du Pérou. Les désastres de cette flotte, qui pénétra jusque dans le détroit de Lemaire, firent renoncer à la navigation qu’elle avait entreprise, et l’on fortifia Nombre de Dios pour assurer, par l’isthme de Darien, les communications entre les deux océans. Plusieurs années se passèrent ainsi, sans qu’aucun navire fréquentât le détroit de Magellan, que l’on disait s’être fermé, et il s’était élevé, contre les explorations en elles-mêmes, un préjugé ridicule, fondé sur la mort tragique des hommes tels que Balboa, Magellan, Almagro et Pizarre, qui avaient fait les plus remarquables découvertes[8]. Cependant la domination espagnole étant bien établie au Chili, on pensa encore à profiter des facilités qu’offrait le détroit pour entretenir des rapports directs avec la métropole. En 1543, Valdivia avait chargé le capitaine Juan Bautista de Pastène, Génois de naissance, venu d’Europe dans des vues de commerce, d’examiner la côte jusqu’au fameux passage, et il en avait reçu des renseignemens utiles. Neuf ans plus tard, ayant fondé les villes de Coquimbo, Ciudad-Rica, Impériale, Villa-Rica, celle enfin qui a conservé son nom, et découvert de riches mines d’or près de la Concepcion, il se flatta de l’espoir d’importer bientôt d’immenses trésors en Espagne, voulut en faire explorer la route, et charger Francisco de Ulloa de la reconnaître jusqu’au détroit. La mort arrêta ses projets, mais ils furent repris par son successeur, don Garcia Hurtado de Mendoza, qui, en 1557, confia à Juan Ladrilleros le commandement d’une nouvelle expédition, à laquelle on dut une connaissance détaillée de l’île Chiloe et des archipels voisins ; elle offrit aussi le premier exemple du passage d’une mer à l’autre, exécuté de l’ouest à l’est. D’autres armemens furent dirigés dans un but presque semblable, mais l’histoire ne nous a transmis que le souvenir de leurs malheurs. Le nouvel Adelantado se signala par d’autres actions : il poussa ses conquêtes jusque dans le pays des Araucanos, et fonda la ville de son nom dans la province de Cuyo, que Pedro Castillo, succédant à Francisco de Aguirre, venait de soumettre entièrement. La guerre interminable contre les Araucanos, entreprise par Valdivia, dont elle abrégea la carrière, fut noblement célébrée par la poésie ; elle offrit enfin aux Espagnols des ennemis dignes de leur courage. Ce fut au milieu des plus grandes difficultés qu’ils pénétrèrent, à plusieurs reprises, dans le territoire de ce brave peuple, qui sut préserver son indépendance. La dernière marche de Mendoza le conduisit jusqu’à l’archipel d’Amud ou des îles du Chili, et ce fut le célèbre Ercilla qui, s’avançant plus loin que ses compagnons, traça en vers, sur l’écorce d’un arbre, l’histoire de la découverte, le 31 janvier 1559.

Le perfectionnement de la navigation conduisit vers la même époque à la découverte de quelques îles. Antonio Urdaneta, s’élevant vers le nord, fit connaître en 1565 la route de l’ouest à l’est, à travers l’océan Pacifique, et deux ans plus tôt, Juan Fernandez avait démontré que sans le secours de la magie, mais seulement en s’éloignant des côtes, on abrégeait les voyages du Pérou au Chili. Ces nouvelles directions, suivies par les vaisseaux, leur firent rencontrer des terres isolées. Juan Fernandez découvrit, en 1563, les îles Mas-a-Fuera et Mas-a-Tierra, lorsque celles de Malpelo et des Cocos avaient été déjà aperçues ; enfin l’archipel des Gallapagos fut connu avant 1570, et quatre années plus tard on rencontra les îles San-Felix et San-Ambor. Il n’est pas hors de propos de dire ici que, de nos jours, don Joseph Arosbide donna l’exemple unique d’une navigation courte et directe de Manille à Lima, contre toutes les chances qui devaient lui être contraires.

Les événemens des règnes de Philippe ii et d’Élisabeth, en excitant une grande animosité entre les nations espagnole et anglaise, donnèrent naissance aux courses des flibustiers, aux établissemens temporaires des boucaniers, et à des entreprises particulières que les gouvernemens paraissaient tolérer, lorsqu’ils ne les encourageaient pas en secret. Les premiers hauts faits de ces aventuriers eurent pour théâtre la mer des Antilles ; et l’un d’eux, l’intrépide Oxnam, eut, en 1572, assez d’audace pour traverser l’isthme de Darien, et établir sa croisière dans le golfe de Panama avec un navire de sa construction. Plusieurs fois le continent ne fut pas à l’abri des attaques des pirates, qui, à l’exemple du fameux Morgan (1671), rançonnèrent ou pillèrent les villes les plus importantes de l’isthme. Ce fut dans une expédition de ce genre, en 1572, que le fameux sir Francis Drake, ayant aperçu le grand Océan, pria le ciel de lui accorder la faveur d’y naviguer un jour sur un vaisseau de l’Angleterre. En effet, avec de très-petits navires, dont le plus fort ne dépassait pas cent tonneaux, il ose bientôt entreprendre un voyage dont les difficultés et les périls avaient rebuté les hardis Espagnols. En 1578, il attérit sur la côte du Brésil, entre dans la Plata, visite plusieurs hâvres de la Patagonie, et traverse le détroit ; une tempête lui fait découvrir à son insu l’extrémité de l’Amérique sans l’avoir doublée, et après avoir porté le ravage sur les côtes du Chili, du Pérou et du Mexique, il continue de s’avancer vers le nord pour chercher un passage qui le ramène en Europe. La continuité des rivages l’arrête quelques degrés au nord des découvertes de Cabrillo, mais il ne renonce à son grand projet que pour en exécuter un plus gigantesque, en plaçant son nom auprès de celui de Magellan, comme le second des circumnavigateurs ; son exemple est bientôt suivi par des marins célèbres, au nombre desquels on distingue Thomas Cavendish, Richard Hawkins, Chidley, et John Davis, découvreur des îles Malouines en 1592, que nous verrons plus tard se signaler à la recherche du passage nord-ouest.

L’arrivée désastreuse de ces célèbres flibustiers, l’existence des Pichilingues, et plus tard, les courses des amiraux hollandais de Cordes, Mahn, Olivier Van-Noort, Spilbergen et l’Hermite, sur ces côtes, dont les Espagnols réclamaient la possession exclusive, auraient dû rappeler ceux-ci à leur activité première, et les engager à s’assurer, par des découvertes, des prises de possession et des comptoirs, la propriété des pays où des rivaux entreprenans pouvaient s’établir par un droit que la force aurait légitimé. Cependant si les possesseurs de l’Amérique firent alors des excursions remarquables vers le nord, leur gouvernement a dérobé au monde la masse des connaissances qu’ils acquirent : on sait seulement qu’en 1582, F. Galli tenta de revenir du Japon en Europe par la route de l’Amérique, et qu’il atteignit, vers 57° 30′, les côtes de l’archipel du prince de Galles ou du roi George, dans la Nouvelle-Cornouaille. Dans un très-long espace de temps, on distingue à peine quelques entreprises dont les relations, publiées et embellies sans doute par de zélés promoteurs de la recherche d’un détroit, forcent la critique impartiale à y faire la part de la réalité et celle de la fiction. On peut consulter avec une entière confiance le voyage du grand navigateur Viscaino, dont les résultats principaux furent l’examen soigné de la Californie, depuis le promontoire de San-Lucar jusqu’au cap Mendocino, et la première reconnaissance des ports de San-Francisco, San-Diego et Monterey, qu’il visita en 1602 ; mais il est difficile de croire qu’en 1592, Juan de Fuca parcourut l’entrée qui a conservé son nom, ou le canal de Georgie. On n’admet pas avec plus de confiance qu’en 1640 Bartolomeo de Fuente ait visité l’archipel de San-Lazaro, et il est reconnu que si les récits de Martin d’Aguilar, compagnon de Viscaino, ont quelque fondement, leur incertitude suffit pour les faire oublier. C’est à la même période des découvertes au N.-O. de l’Amérique, et à la même classe de relations apocryphes, brodées sur un fonds plus ou moins vrai, qu’appartiennent le roman nautique où Ferrer Maldonado mêla les descriptions de l’Amérique à celles du Japon, et le voyage de l’anglais Thomas Peche, qui, en cherchant l’embouchure occidentale du détroit d’Anian, paraît avoir atteint les îles Aléoutiennes dans l’année 1672. Les fables un peu plus anciennes de Chaque et d’Urdanietta ne méritent pas d’être développées.

La religion et le commerce se chargèrent en partie, pour une seule province, de réparer les négligences de la politique. De riches pêcheries de perles avaient rappelé l’attention sur la Californie, dont la côte intérieure devint, en 1615 et 1632, le but des expéditions intéressées des capitaines Yturbi, Castillo, Vicuna, Ortega, Carboneli et Barriga. En 1642, le gouverneur de Cinaloa et le père Jacinto Cortez examinèrent les mêmes rivages ; et après quarante années, qui virent échouer d’autres expéditions, parmi lesquelles celle de Luzenilla fut la plus remarquable, l’amiral Isidro de Atondo y Antillon et plusieurs jésuites formèrent les établissemens passagers de la Paz et de San-Bruno. Cependant ce ne fut qu’à la fin du dix-septième siècle, après deux cents ans de tentatives infructueuses, que cette stérile province fit réellement partie des domaines de l’Espagne, quand on vit s’élever les présides de San-Loreto et de San-Xavier, sous la direction des jésuites Salvatierra, Piccolo, Ugarte et Khün ou Kino, dont les voyages vers l’embouchure du Colorado détruisirent l’erreur naissante qui faisait de la Californie une île et même un archipel. Par le zèle infatigable d’Ugarte, des missions furent bientôt fondées au milieu de la presqu’île, sur ses deux côtes explorées, et chez les Indiens de la Pimeria Alta, tandis que le père Clément Guillen exécutait des courses pénibles dans l’intérieur et à l’ouest. Outre leur but évangélique, ces hommes infatigables se proposaient la recherche d’un port qui put recevoir le galion des Philippines. En 1744, les pères Consay et Sedelmayer parcoururent, le premier, les rives de la mer de Cortez, et le second le pays de Moqui, qu’arrosent le Gila, le Colorado et le Yaquesila. Une vingtaine d’années après, le visitador don José de Galvez soumit entièrement les provinces de Cinaloa, de Sonora, et finit par entrer dans la Californie, où sa raison égarée ne trouva point les richesses qu’elle cherchait. On prit possession de Monterey, de San-Diego et de San-Francisco ; des communications s’ouvrirent avec ces présides : les pères Garces et Font y parvinrent en 1773, en venant de la Pimeria Alta, sans toucher la mer de Cortez, et en visitant la fameuse Casa grande du Rio Gila. Enfin, quatre ans plus tard, deux moines franciscains, le P. Escalante et le P. Antonio Velez, pénétrèrent plus à l’est, dans la Nouvelle-Californie, et les pays que traversent le fleuve Zaguananos et le Rio de Nabajoa, jusqu’au lac, si long-temps douteux, de Teguayo, qui vient d’être retrouvé par les caravanes du Missouri.

Si une rivalité menaçante n’excita pas l’émulation des découvertes chez les Espagnols, ils n’en reconnurent pas moins avec effroi que les succès de Drake avaient offert le plus séduisant appât aux aventuriers de son pays, et porté l’atteinte la plus sensible à leurs droits de conquêtes. On voulut arrêter de nouvelles entreprises, et Pedro Sarmiento de Gamboa, qui s’était rendu du Pérou en Espagne en examinant l’archipel de Chonos, celui de la Madre de Dios et le détroit de Magellan, fut chargé, avec Diego Flores Valdez, d’intercepter le passage par la fondation d’une colonie qui fut établie en 1584, non loin du cap Forward, dans la Bahia de la Gente, dont le nom fut changé bientôt en celui de Puerto de la Hambre[9], pour indiquer le sort déplorable des premiers Européens qui furent abandonnés sur les terres magellaniques. Cette position, qui commandait le détroit, aurait sans doute arrêté plusieurs entreprises des interlopes ; mais elle eût été dépouillée de son importance par la découverte prochaine d’une communication plus avantageuse, dont la connaissance fut pour ceux qui la firent le fruit étonnant d’une double prohibition étrangère et nationale. On soupçonnait depuis long-temps que les eaux des deux océans se réunissaient au sud du continent dont on avait voulu même tracer les limites, lorsque la nécessité de parvenir aux Indes par une route libre et étrangère aux priviléges des compagnies fit entreprendre par Lemaire et Shouten leur grande et célèbre expédition. En réunissant les découvertes ignorées ou mal appréciées de Drake et d’Hozes par celle de la côte sud-est de la terre de Feu, ils tracèrent les contours méridionaux de l’Amérique, et cette fameuse route du détroit de Lemaire et du cap de Horn, qui, en facilitant les rapports de tous les pays, exerça sans aucun doute sur la navigation et le commerce une influence bien supérieure à celle qu’avait produite le passage de Magellan dans un bras de mer long et tortueux. Ce voyage mémorable des Hollandais produisit en Espagne une sensation plus désagréable que toutes les hostilités précédentes ; on voulut cependant profiter de ses résultats, et le désir d’en avoir une connaissance complète fut l’origine de l’entreprise des frères Nodal, qui, en 1618, observèrent les premiers les sondes de la côte de Patagonie, firent le tour de la terre de Feu, et découvrirent les îles Diego Ramirez, qui, pendant un siècle, furent sur toutes les cartes les terres les plus australes du globe. En même temps don Juan de Moze parut dans le détroit de Lemaire.

La rupture d’une trêve pensa bientôt détruire la puissance espagnole-portugaise dans l’Amérique méridionale, où elle fut attaquée par la Hollande avec un succès différent, au Pérou, au Brésil, et enfin au Chili en 1643. La flotte du Pérou, dirigée par l’Hermite et Shapenham, fit quelques découvertes sur les côtes méridionales de la terre de Feu, que l’on commença dès-lors à regarder comme un vaste archipel, et celle du Chili, commandée par Hendrick Brouwer, apprit que la terre des États, au lieu de s’avancer jusque dans le voisinage de l’Afrique, comme on l’avait cru d’abord, ne formait qu’une île peu considérable, séparée du continent par un étroit passage qui perdit alors sa première importance.


J. de Blosseville,
Lieutenant de vaisseau,


  1. Il ne faut pas le confondre avec Gun-Biurn.
  2. Habitant des îles Ferroer.
  3. C’est avec beaucoup de justesse que M. de Chateaubriand a dit : « L’Amérique barre le chemin de l’Inde comme une grande digue entre deux mers. » Une phrase aussi vraie de M. de Humboldt fait envisager la même idée sous un autre aspect : « Cette langue de terre contre laquelle se brisent les flots de l’Océan atlantique, est depuis des siècles le boulevart de l’indépendance de la Chine et du Japon. »
  4. Après les premières expéditions du fameux prince Henri, qui avait demandé au Saint-Siége la possession des terres que ses navigateurs rencontraient, le pape Grégoire vii s’était attribué le droit de donner à des nations catholiques l’investiture de leurs découvertes. À la suite du voyage de Colomb, son successeur, séparant le monde en deux parties par une ligne de marcacion qui passait à cent lieues dans l’ouest des îles Açores, donna l’orientale ou l’asiatique aux Portugais, et l’occidentale ou l’américaine aux Espagnols. La découverte du Brésil par les Portugais, et le voyage de Magellan, apportèrent des changemens à ces limites, et cette ligne, qui était devenue un grand cercle, et qu’on avait reculée vers l’ouest de deux cent soixante-dix lieues, prit alors le nom de demarcacion.
  5. Il est curieux d’observer que les lettres patentes de Cabota, pour découvrir et coloniser, rivalisaient, par leurs expressions et l’autorité qu’elles confiaient, avec le style de la fameuse bulle d’Alexandre.
  6. Les monumens historiques qui les attestent se retrouveront peut-être un jour, et ces journaux doivent exister dans quelques archives.
  7. C’est ainsi qu’aujourd’hui à Mexico on désigne Hernan Cortez, marques de el Valle de Oaxaca.
  8. Ce préjugé aurait pu exister également dans l’Amérique du Nord, dont les mers ensevelirent les découvreurs les plus remarquables, les frères Cortereal, Verazzano, Humphrey, Gilbert, Cartier, etc. etc. Raleigh fut décapité, les compagnons de La Salle l’assassinèrent ; les Espagnols firent éprouver le même sort à Ribaut.
  9. Port de la faim, port famine.