Histoire des Sciences
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 84 (p. 199-226).
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HISTOIRE
DES SCIENCES

L’ANCIENNE ACADEMIE ET LES ACADEMICIENS

L’Académie des Sciences et les Académiciens de 1666 à 1793, par M. Joseph Bertrand, membre de l’Institut; Paris 1869.

Notre siècle se distingue par les études historiques. Nous savons mettre en lumière la physionomie des temps passés, placer dans leur vrai jour les hommes et les idées d’autrefois. Nous excellons à éclairer ainsi le présent par le souvenir des époques qui ont précédé. Nous recherchons soigneusement l’origine de nos institutions, de nos opinions, de nos connaissances, nous en examinons curieusement le développement progressif; nous arrivons ainsi à juger sainement de l’état où nous sommes parvenus et à estimer, par le chemin que nous avons déjà fait, celui que nous avons encore à faire. C’est ainsi que l’histoire proprement dite, l’histoire des nations, a été reconstruite sous nos yeux par des méthodes entièrement nouvelles. Nous avons vu également la philosophie se résoudre en une sorte de critique historique, en une histoire des idées. Partout la méthode historique a illuminé les questions actuelles par le reflet des choses anciennes. A vrai dire, c’est l’œuvre principale de nos écrivains les plus éminens. Ils ont développé dans notre littérature le sentiment de l’évolution humaine, ils nous ont habitués à considérer les formes successives de la vie des peuples, et à trouver dans cette étude une source féconde d’enseignemens.

Il semble au premier abord qu’il n’y ait qu’un faible avantage à appliquer la méthode historique aux sciences proprement dites, aux sciences mathématiques, physiques, naturelles. On est porté à croire que les objets dont ces sciences s’occupent ont quelque chose d’absolu qui les met en dehors de l’histoire; mais c’est là une erreur qui ne tient pas contre l’examen des faits. Nous pouvons dire que, pour comprendre véritablement les sciences, il est indispensable de connaître les différentes phases qu’elles ont traversées. L’enseignement classique nous présente un certain nombre de vérités dont l’ensemble constitue une science; il les met toutes sur la même ligne, ou du moins il essaie d’établir entre elles un ordre logique, passant des plus simples aux plus compliquées. Cela serait peut-être suffisant, s’il s’agissait de sciences entièrement faites et dont tous les élémens seraient connus : l’édifice pourrait alors être construit de toutes pièces dans un dessein bien arrêté; mais il n’en est pas ainsi la plupart du temps, il s’agit de connaissances incomplètes, de découvertes partielles, d’aperçus à demi lumineux, qui ne nous permettent que des conjectures sur le plan de l’œuvre totale. L’ordre qu’on établit est donc artificiel, et il est bien difficile qu’il s’impose assez nettement à notre esprit pour lui être d’un grand secours; dès lors nous nous trouvons en face d’un amas confus de vérités, sans trop savoir quelles sont celles qui présentent le plus d’importance, sans avoir de points fixes auxquels nous puissions nous attacher. Que si à l’ordre logique on vient substituer l’ordre historique, tout se classe et s’éclaire; nous comprenons alors les efforts successifs de l’esprit humain, et nous voyons, au milieu des tentatives avortées, naître les germes heureux que doit féconder l’avenir. Les systèmes qui s’écroulent les uns sur les autres nous expliquent les traces qu’ils ont laissées dans la science et dont le sens nous avait d’abord échappé. Les controverses anciennes nous font comprendre l’intérêt qui s’attache à certains faits dont la portée spéciale est d’ailleurs devenue fort restreinte. La science perd ainsi ce qu’elle avait de froid, de terne, d’impersonnel; elle devient vivante, animée, elle prend couleur humaine.

Il est donc certain que l’enseignement classique des sciences gagnerait beaucoup, si l’on y introduisait dans une certaine mesure les considérations historiques dont il est encore entièrement privé; mais il est surtout une lacune qu’il importe vraiment de faire disparaître au plus tôt. Comment n’y a-t-il pas dans l’enseignement supérieur une seule chaire d’histoire des sciences? La création d’une pareille chaire, soit au Collège de France, soit à la Sorbonne, répondrait à un véritable besoin. Quant aux livres propres à donner une idée de l’intérêt que la méthode historique introduit dans les études scientifiques, ils sont extrêmement rares. On peut citer, parmi les plus anciens, l’Histoire des Mathématiques de Bossuet, l’Histoire de l’Astronomie de Bailly, quelques-unes des œuvres d’Arago, la Philosophie chimique de M. Dumas. Parmi les livres récens, nous ne voyons guère, comme exemple à donner, que l’Histoire des Doctrines chimiques depuis Lavoisier, par M. Wurtz. Nous sommes donc encore bien pauvres sous ce rapport, et il y a là une mine féconde qu’il importe d’exploiter. Il est certain qu’une histoire générale des sciences serait un des livres les plus beaux et les plus utiles qu’on pût l’aire actuellement, et qu’à défaut d’une œuvre si considérable il y a encore à entreprendre des travaux de haute conséquence en traçant les annales de quelques sciences particulières.

Celui qui ne craindrait pas d’aborder de front l’histoire générale qui ne reculerait pas devant la tâche ardue de tracer ainsi un vaste tableau d’ensemble, trouverait un cadre commode et nettement dessiné dans l’histoire même de notre Académie des Sciences. Elle a pris depuis deux cents ans la part la plus active à toutes les recherches et à toutes les découvertes; elle n’a pas cessé d’être comme le foyer où sont venus converger les efforts des savans. Elle s’est recrutée d’ailleurs de tous les hommes qui ont marqué dans nos fastes scientifiques ; il n’y manque aucun nom célèbre, et on peut remarquer qu’elle a été sous ce rapport plus heureuse que l’Académie française, qui a omis d’appeler dans son sein des hommes tels que Molière et La Fontaine, — pour ne citer que ces deux-là. Une histoire de l’Académie des Sciences deviendrait donc facilement, entre les mains d’un auteur habile et compétent, une histoire des sciences elles-mêmes, et l’on y verrait naître et se développer dans leur vrai milieu tous les grands problèmes qui ont successivement excité la curiosité humaine. M. Joseph Bertrand, en se faisant dans un livre récent l’historien de l’ancienne académie, ne s’est point proposé une œuvre si complète. Et d’abord il s’arrête aux dernières années du XVIIIe siècle, au moment où toutes les académies furent dispersées par des décrets de la convention; mais, dans la période même qu’il embrasse, il ne s’attache pas à marquer, même à grands traits, la marche générale des sciences. Il s’est fait un plan plus modeste. Il a recueilli nombre de données intéressantes sur la vie intérieure de l’ancienne académie, dont il a compulsé les procès-verbaux; il est arrivé ainsi à faire revivre la physionomie des séances et à nous montrer les académiciens dans leurs travaux et dans leurs préoccupations de chaque jour. C’est un des côtés du sujet, la chronique plutôt que l’histoire. S’il a plu à M. Bertrand de considérer la question à ce point de vue restreint, on sait que personne n’était plus apte que lui à mener à bonne fin le travail d’ensemble dont nous parlions tout à l’heure. Prenons pour le moment ce qu’il nous donne. L’esquisse légère à laquelle il a voulu se borner nous montre du moins, sous une forme vivante, l’Académie dans les principales périodes de son existence.

I.

C’est Charles Perrault, l’auteur des Contes de fées, qui détermina Colbert à fonder une Académie des Sciences sur le modèle de la Société royale de Londres. Cette académie, à l’origine (1666), comprenait non-seulement des géomètres et des physiciens, mais aussi des érudits et des hommes de lettres ; elle était divisée en sections qui s’assemblaient séparément et qui avaient seulement quelques réunions générales; c’était à peu près, sur une échelle réduite, l’organisation actuelle de notre Institut. Cependant l’Académie française et l’Académie des Inscriptions, qui existaient déjà de leur côté, — la première fondée, comme on sait, par Richelieu en 1635, la seconde par Colbert lui-même en 1663, — s’émurent du caractère de généralité donné à cette institution rivale; elles firent remarquer qu’il y avait là un double emploi, et au bout de très peu de temps Colbert réduisit le rôle de l’académie nouvelle aux études et aux recherches purement scientifiques. L’académie ainsi constituée ne comprit d’abord que seize membres choisis par Colbert avec grand soin. Les plus célèbres de ces premiers académiciens furent Huyghens, Roberval, Picard, Auzout; nous y pouvons ajouter Claude Perrault, le frère de Charles, à la fois médecin et architecte, et qui devait bientôt s’immortaliser en fournissant les plans du nouveau Louvre,

Sous la protection éclairée de Colbert, les seize académiciens formaient une petite famille assidue au travail, aussi modeste que laborieuse, attentive à tout étudier et absorbée dans le désir de découvrir des vérités nouvelles. L’académie se réunissait deux fois par semaine, le mercredi et le samedi ; les séances du mercredi étaient spécialement consacrées aux travaux mathématiques, celles du samedi aux expériences de chimie et d’histoire naturelle, que la langue du temps réunissait sous la désignation commune de physique. Tous les membres payaient largement de leur personne, tous les plans d’études étaient mis en commun, et chacun s’ingéniait à combiner son action avec celle de ses collègues. Ce n’est pas que les plans proposés fussent toujours heureux, ni que les expériences que l’on instituait fussent toujours fécondes. Il est certain que les méthodes alors suivies dans les études de chimie, d’histoire naturelle, nous paraissent maintenant bien stériles, et l’historiographe de l’académie n’a pas de peine à provoquer notre sourire en nous retraçant par le menu quelques-unes des recherches qui étaient alors gravement poursuivies dans le laboratoire de nos savans. Pourtant son récit nous laisse une impression sérieuse; on se sent pris de sympathie pour les allures simples, pour la robuste foi de ce petit groupe d’hommes entièrement adonnés, à la recherche de la vérité.

Les travaux d’Huyghens suffiraient seuls à jeter un éclat durable sur les débuts de l’Académie des Sciences placé entre Galilée et Newton, Huyghens est à peine inférieur à ces deux grands hommes; son Traité sur le pendule, son Traité sur la lumière, restent parmi les livres qui ne peuvent pas périr et qui jalonnent de siècle en siècle la voie des connaissances humaines. Les astronomes de l’académie naissante se signalèrent aussi par de véritables succès. Picard et Auzout, chargés par le roi de mesurer la grandeur de la terre, perfectionnèrent les méthodes géodésiques en appliquant pour la première fois les lunettes à la mesure des angles. Ce fut aussi Picard qui alla déterminer la position précise de l’observatoire que Tycho-Brahé avait fondé à Uranienborg. On s’occupait alors de construire l’observatoire de Paris, et il importait de fixer avec la dernière exactitude la position relative des deux établissemens pour pouvoir utiliser les travaux de Tycho-Brahé. Picard s’acquitta fort heureusement de cette mission. Il obtint encore dans ce voyage un autre résultat des plus précieux; il ramena de Danemark en France et attacha à l’Académie des Sciences le jeune Rœmer, qui devait le premier déterminer la vitesse de la lumière en observant les occultations des satellites de Jupiter.

Colbert avait toujours soutenu avec un soin intelligent l’académie qu’il avait fondée, plein de prévenances et de ménagemens pour elle, soucieux de ses intérêts et de sa dignité. Après la mort de Colbert (1683), elle trouva dans l’impérieux Louvois un protecteur moins éclairé. Louvois, en accordant sa faveur à l’académie, n’entendait pas la laisser libre de suivre à son gré des recherches d’une pure utilité scientifique; il voulait qu’elle eût toujours en vue les intérêts de l’état et la grandeur du roi. Cette pression administrative froissa et paralysa l’Académie des Sciences. Elle subit d’ailleurs vers cette époque des pertes irréparables; Huyghens quitta la France après la révocation de l’édit de Nantes, sans vouloir profiter des facilités exceptionnelles qu’on lui offrait; Rœmer se retira de même en Danemark, et Picard mourut en 1684. On voit alors l’académie s’effacer et languir; elle abandonne le système du travail en commun qui avait soutenu son zèle ; le laboratoire est déserté, et les procès-verbaux deviennent stériles.

Cet état de choses dura jusqu’en 1699. Une nouvelle organisation donnée alors à l’académie devint pour elle le signal d’une sorte de renaissance. Ponchartrain avait succédé à Louvois comme protecteur de la compagnie; son neveu, l’abbé Bignon, s’en fit donner la direction et mit en vigueur un règlement nouveau. Le nombre des académiciens fut porté de seize à cinquante, dont dix membres honoraires, vingt pensionnaires et vingt associés. Les membres honoraires étaient de grands seigneurs à qui l’on ne demandait pas une collaboration effective. Les pensionnaires, recrutés pour la plupart parmi les membres de l’ancienne compagnie, furent partagés en six sections, celles de géométrie, d’astronomie, de mécanique, de chimie, d’anatomie et de botanique. Les associés étaient des sortes d’adjoints dont douze devaient être pris parmi les Français et huit parmi les savans étrangers[1]. Une mesure importante caractérisait le nouvel ordre de choses : l’académie se recrutait elle-même en présentant pour chaque place vacante une liste de trois membres à la nomination du roi. Le système se complétait par l’adjonction d’un élève à chaque pensionnaire. Les pensionnaires choisissaient eux-mêmes leurs élèves avec l’agrément de la compagnie et les soumettaient à la sanction royale; ces jeunes surnuméraires avaient d’ailleurs le privilège de figurer, dans une proportion déterminée, sur les listes de présentation pour les places d’associés[2].

L’académie, ainsi renouvelée et agrandie, fut solennellement installée au Louvre dans un logement spacieux et comfortable. Une nouvelle ère de travail commence alors pour elle. On a renoncé aux plans d’ensemble, à la culture collective de la science. Chacun travaille comme il l’entend, choisit ses sujets de recherches; mais une règle sévère astreint tout académicien à un labeur effectif : sauf les membres honoraires, chacun doit fournir son tribut aux discussions et aux mémoires publiés par la compagnie. Des exclusions rigoureuses sont prononcées non-seulement contre les membres qui, sans excuse valable, restent trop longtemps absens, mais même contre ceux qui assistent aux séances sans y apporter leur part de travail. Ceux dont l’âge a diminué les forces obtiennent seuls, sur leur demande, le titre de vétéran, qui les dispense d’une occupation régulière[3].

Sous l’empire de ces dispositions, le rôle et l’influence de l’académie grandissent rapidement. Elle acquiert une notoriété considérable, et tout ce qui intéresse les sciences vient peu à peu se soumettre à son contrôle; les particuliers, l’administration, prennent l’habitude de la consulter sur les grandes questions où sa voix peut se faire entendre avec utilité. Tous les géomètres, tous les savans, lui adressent leurs mémoires, et elle s’astreint à examiner régulièrement tout ce qui lui est envoyé; de 1699 à 1790, ses archives ne contiennent pas moins de dix mille rapports. Avec un budget des plus modestes, — 30,000 ou 40,000 livres tout au plus, dont la plus grande part constituait les pensions des membres, — elle trouve moyen de fonder des prix et de susciter ainsi sur une foule de problèmes des recherches intéressantes.

L’initiative privée lui vint en aide à cet égard, et il est juste d’appeler l’attention sur le nom de Rouillé de Meslay, qui donna le signal de pareilles libéralités. Rouillé de Meslay, conseiller au parlement, mort en 1715, légua à l’Académie des Sciences une rente de 4,000 livres, au principal de 100,000 livres, constituée à son profit par les prévôts des marchands et échevins de la ville de Paris, à condition que MM. de l’académie proposeraient tous les ans un prix de la moitié de ladite somme pour être donné à qui aurait le mieux réussi « par raison et non par éloquence, » en quelque langue et style que ce fut, dans une dissertation « touchant ce qui contient, soutient et fait mouvoir en ordre les planètes et autres substances contenues dans l’univers, le fond premier et principal de leurs productions et formations, le principe de la lumière et du mouvement. » L’autre moitié de la somme devait être affectée «aux rétributions ou épices de MM. les juges » et aux frais de publication. Rouillé de Meslay donnait encore à l’académie, dans les mêmes conditions, une rente de 1,000 livres pour la fondation d’un prix destiné à récompenser chaque année « celui qui aurait le mieux réussi en une méthode courte et facile pour prendre plus exactement les hauteurs et degrés de longitude en mer et en des découvertes utiles à la navigation et grands voyages. » Il voulait ainsi contribuer après sa mort à la solution de ces problèmes dont il s’était occupé de son vivant, et pour lesquels il avait proposé des solutions quelquefois bien bizarres. En ce qui concerne les longitudes par exemple, il avait espéré qu’un coq né sous un certain méridien et habitué à chanter à un certain moment dans le lieu de sa naissance continuerait à chanter aux mêmes intervalles, si on le transportait en d’autres lieux; un coq de Lisbonne, habitué à chanter chez lui à minuit, chanterait ainsi à une heure à Paris. Cet animal devait donc servir de chronomètre pour estimer entre deux stations la différence des heures, c’est-à-dire des longitudes. De pareilles singularités furent invoquées comme des preuves d’insanité d’esprit par le fils de Rouillé de Meslay, qui, mécontent de voir son héritage entamé, attaqua le testament paternel; mais l’académie obtint gain de cause, et à partir de 1721 elle commença la distribution des prix en se conformant autant que possible aux volontés du testateur. Le problème de la cause première du mouvement des planètes disparut bientôt de ses programmes; mais celui des longitudes resta à l’ordre du jour pendant plus de cinquante ans. D’autres prix vinrent s’y joindre, et l’on vit les plus grands noms de l’Europe, les Bernoulli, les Euler, se disputer à l’envi les récompenses académiques et les mériter par des travaux considérables.

L’autorité que l’Académie des Sciences avait acquise lui assurait d’ailleurs de la part de l’administration des subventions spéciales dans les occasions extraordinaires, et elle trouvait ainsi des ressources pour organiser une série d’expéditions lointaines. Cette tâche, il faut le dire, lui était souvent facilitée par le désintéressement et la générosité de ceux de ses membres qui étaient chargés de ces voyages. Une des plus anciennes parmi les explorations scientifiques est celle que Richer fit à Cayenne ; il y résolut plusieurs questions d’une importance capitale ; il y démontra que le pendule qui bat la seconde est plus court dans les régions équatoriales qu’à Paris, et il fournit ainsi les premiers élémens pour déterminer la façon dont la pesanteur varie suivant les latitudes. Dans le même voyage fut calculée la distance de la planète Mars à la terre ; c’était un moyen de fixer le rayon encore inconnu de l’orbite terrestre. Jusque-là les astronomes ne connaissaient que les rapports des distances planétaires, et ils n’avaient aucune idée de la valeur absolue de ces grandeurs. On eut dès lors un terme de comparaison qui établit les véritables dimensions du système solaire.

La double expédition envoyée en Laponie et au Pérou pour mesurer la longueur des degrés polaires est une des plus célèbres dans les annales de l’académie. Bien que les théories de Newton eussent commencé à se répandre en France, on n’était pas encore fixé sur la véritable figure de la terre. Cassini, directeur de l’Observatoire, et beaucoup d’autres astronomes, se fondant sur les mesures données par Picard, prétendaient que les degrés sont plus courts au pôle qu’à l’équateur, et ils en tiraient cette conclusion géométrique, que la terre est un sphéroïde allongé dans le sens des pôles. Fallait-il admettre un résultat si contraire au système newtonien, qui représentait la terre comme un ellipsoïde à pôles aplatis? L’académie résolut en 1735 de faire une vérification solennelle et définitive. Maupertuis partit pour la Laponie, emmenant avec lui Clairaut, Lemonnier et l’abbé Outhier. La Condamine, Bouguer et Godin, accompagnés de Joseph de Jussieu et de Couplet, s’embarquèrent pour le Pérou. L’expédition du nord fut heureuse. Maupertuis revint triomphant en 1738, rapportant les mesures polaires qui, comparées aux mesures prises en France, suffisaient à la rigueur à résoudre la question. Les degrés polaires étaient décidément les plus longs, et la terre était par conséquent un ellipsoïde aplati. Les gravures du temps nous ont conservé le souvenir du succès obtenu par Maupertuis; elles le représentent en costume d’hercule lapon, un bonnet fourré sur les yeux; d’une main, il tient une massue, et de l’autre il écrase un globe terrestre. Si la mission de Laponie réussit pleinement, celle de l’équateur subit au contraire une série de traverses funestes. Couplet en arrivant à Quito fut emporté par une fièvre maligne; Seniergues, le chirurgien de l’expédition, fut assassiné par la populace de Cuença. Godin fut pris d’autorité par le vice-roi du Pérou et installé à Lima dans une chaire de mathématiques qu’il n’eut pas la faculté de refuser. Joseph de Jussieu quitta lui-même l’expédition et se fixa au Pérou, d’où il ne revint que plus de trente ans après, infirme et entièrement privé de mémoire. Bouguer et La Condamine rapportèrent seuls en France les résultats de la mission, retardée par mille contre-temps ; Bouguer ne revint qu’en 1742, La Condamine en 1743, et, à peine réunis à Paris, ils donnèrent au public le fâcheux spectacle de leurs dissentimens et de leur rivalité.

Citons encore le voyage que La Caille fit en 1752 au cap de Bonne-Espérance pour étudier les étoiles de l’hémisphère austral. Peu de voyages furent aussi fructueux par l’abondance des matériaux rassemblés. Pendant qu’il rendait ainsi à l’astronomie des services signalés avec des ressources bien modestes, La Caille était sans cesse poursuivi de la crainte de coûter trop cher au gouvernement, qui faisait les frais de sa mission. « J’ai toujours, écrivait-il, ménagé la dépense depuis que je suis ici, et si je n’avais pas avec moi un ouvrier qui dépense plus que moi, quoique jamais mal à propos, je n’aurais pas dépensé cinquante piastres par-dessus ma pension. »

Un phénomène qui ne se renouvelle que deux fois par siècle avait été choisi par les astronomes pour vérifier la distance de la terre au soleil, calculée d’abord, comme nous l’avons dit, par Richer; ce phénomène était le passage de Vénus sur le disque du soleil; il devait avoir lieu le 6 juin 1761 et se renouveler en 1769. Un grand nombre d’observateurs se répandirent sur tous les points du globe pour en étudier les diverses circonstances. C’est ainsi que Pingre alla à l’île Maurice, Le Gentil à Pondichéry, l’abbé Chappe en Sibérie. Ce bon abbé Chappe, que l’impératrice Catherine accusait à cette occasion d’avoir tout vu en Russie « en courant la poste dans un traîneau bien fermé, » devait cependant périr, peu d’années après, victime de son dévouement à la science. Envoyé en Californie en 1769 pour observer le second passage de Vénus, il fut atteint, à son arrivée dans le pays, d’une maladie contagieuse qui enleva tous ses aides et ses compagnons. Affaibli lui-même, languissant, privé de tout secours dans un pays désert, il avait réussi cependant à échapper au danger; mais, le moment décisif de l’observation étant venu, il ne voulut pas laisser perdre une occasion qui ne devait plus se représenter de longtemps : il se traîna jusqu’à son observatoire volant, y épuisa ses dernières forces et mourut.

II.

L’historiographe de l’Académie des Sciences, c’est M. Bertrand que nous voulons dire, met ainsi en relief, à travers les travaux de nos savans, la physionomie propre d’un grand nombre d’académiciens. Il trace toute une série de portraits rapidement enlevés en quelques traits. C’est comme une galerie de médaillons finement touchés. On y trouve, à côté des hommes célèbres dont la gloire a été consacrée par la postérité, un certain nombre de figures secondaires, oubliées maintenant, mais qui n’ont pas laissé de remplir dans leur temps des rôles de quelque importance.

Voici d’abord la série des secrétaires perpétuels de la compagnie. Le premier fut Duhamel, un modeste et savant abbé que Colbert avait choisi à cause de sa belle latinité. Duhamel avait résumé dans un livre un instant célèbre, Philosophia vetus et nova, les opinions philosophiques de toutes les écoles. Sans se piquer d’invention, il savait exposer les idées d’autrui, et sa critique témoigne d’un jugement sûr. Duhamel eut d’ailleurs la bonne fortune de choisir pour aide et de léguer à l’académie, pour second secrétaire perpétuel, l’ingénieux et brillant auteur de la Pluralité des mondes. Fontenelle ne fut jamais très savant; il n’entra jamais bien profondément dans les diverses théories dont sa charge l’amenait à parler; mais il avait une merveilleuse aptitude à saisir la surface des choses, il savait prendre dans chaque question ce qu’elle avait de brillant, et la présenter au public sous l’angle où elle rayonnait le mieux. Sceptique d’ailleurs et ne se laissant aller entièrement à aucune opinion, il se jouait également avec tous les systèmes et les présentait tous avec une aimable désinvolture. « Il ne faut donner, disait-il, qu’une moitié de son esprit aux choses de cette espèce, et en tenir une autre moitié libre où le contraire puisse être admis. » Deux fois par an, l’Académie des Sciences entendait solennellement l’éloge de ceux de ses membres qui étaient morts depuis la dernière réunion publique. Les éloges prononcés par Fontenelle dans ces occasions ont acquis une juste célébrité. Un tour noble et aisé, un choix heureux de détails biographiques, une analyse ingénieuse des travaux et des découvertes de chacun, font de ces petits morceaux autant de chefs-d’œuvre qui sont restés dans notre littérature et qu’on n’a cessé d’imiter. Fontenelle ne mourut n’en 1757, âgé de près de cent ans; mais dès l’année 1739 il fut remplacé comme secrétaire perpétuel par Dortous de Mairan.

Mairan est un exemple de ces célébrités d’un jour qui s’évanouissent devant la postérité; peu de savans ont eu une carrière plus facile et ont joui de plus d’estime parmi leurs contemporains. L’Académie des Sciences, comme pressée de le posséder, lui fit un honneur qu’elle n’avait encore fait à personne, et qui fut refusé plus tard aux hommes les plus illustres : elle le nomma d’emblée pensionnaire sans le faire passer par les grades inférieurs d’adjoint ou d’associé. L’Académie française le distingua de son côté et l’appela dans son sein. Rien ne justifie à nos yeux les faveurs exceptionnelles dont Mairan fut ainsi l’objet. Sans doute son principal mérite consistait dans ces qualités d’entregent qui frappent vivement les contemporains, mais dont l’histoire perd le souvenir. Il ne resta d’ailleurs que trois ans secrétaire, et céda sa place en 1743 à Grandjean de Fouchy. L’académie eut en Fouchy, pendant plus de trente ans, un secrétaire diligent et infatigable, activement mêlé aux travaux de ses collègues et attentif à les enregistrer avec un soin jaloux. Sous des dehors un peu ternes, il avait les qualités solides de son emploi. Comme Duhamel, qu’il rappelle par plusieurs côtés, il eut la modestie de se choisir un adjoint doué des qualités les plus brillantes, et de se donner ainsi un successeur qui devait l’effacer ; ce fut Condorcet, qui conserva les fonctions de secrétaire jusqu’en 1793. Condorcet s’était fait de bonne heure un nom comme géomètre ; il s’était donné dès la jeunesse cette forte éducation scientifique que rien ne remplace. Assez instruit pour entrer dans le vif de toutes les questions, doué d’un esprit assez ouvert pour embrasser l’ensemble des sciences, habile à écrire et à parler, il remplit ses fonctions avec autant de zèle que d’éloquence jusqu’au moment où la vie politique vint l’absorber tout entier. Ses éloges académiques, moins gracieux, mais plus nourris que ceux de Fontenelle, étaient fort goûtés de ses contemporains. « Le public, lui écrivait Voltaire, va désirer qu’il meure un académicien par semaine pour vous en entendre parler. »

Telle est la liste des secrétaires perpétuels de l’ancienne académie. Il faillit s’y introduire, entre les noms de Fontenelle et de Condorcet, un nom bien plus glorieux, celui même de Voltaire. À l’époque où Fontenelle songeait à abandonner une fonction devenue trop fatigante pour sa vieillesse. Voltaire avait conçu le secret dessein de recueillir cette charge de « premier ministre de la philosophie. » Voltaire, à cette époque, n’était point encore entré à l’Académie française ; ses ennemis avaient réussi à l’en écarter, et un certain dépit à poussait à fausser compagnie aux quarante en allant remplir chez leurs voisins un office auquel il eût sans doute donné un grand éclat. Il s’appliquait donc à se créer des titres scientifiques. Retiré à Cirey, il s’occupait de physique avec l’ardeur qu’il mettait à toutes choses ; il étudiait Newton, dont il résumait les théories dans son livre des Élémens de philosophie newtonienne ; il faisait des expériences originales sur la chaleur, et concourait pour un prix proposé par l’académie sur la nature et la propagation du feu. Jaloux enfin de faire ses preuves de géomètre, il prenait part à la grande controverse qui agitait les savans de l’époque au sujet de la mesure de la force, et combattait la théorie des « forces vives » dans un long mémoire qu’il envoyait à l’académie (1741). Ce ne furent là que des velléités passagères ; il abandonna bientôt la physique et la géométrie, et cessa de leur consacrer un temps qu’il trouvait à employer plus utilement pour sa gloire. Laissons donc la candidature hypothétique de Voltaire, et revenons vite aux véritables académiciens, pour recueillir dans la galerie de M. Bertrand quelques physionomies et quelques traits.

De toutes les sections de l’Académie des Sciences, celle de géométrie est sans contredît la plus riche en grands noms. Elle forme comme le cœur de l’illustre compagnie. Sans compter Huyghens, dont nous avons déjà rappelé les principaux ouvrages, sans compter Sauveur, dont les travaux sur le son inaugurent brillamment les grandes recherches de physique mathématique, sans compter Maupertuis, qui doit une bonne partie de sa célébrité à l’inimitié de Voltaire et à la Diatribe du docteur Akakîa, nous y trouvons, vers le milieu du XVIIIe siècle, deux hommes véritablement illustres, Clairaut et d’Alembert. Clairaut nous apparaît comme le type du géomètre pur ; c’est un de ces esprits qui ont la claire perception des hautes vérités mathématiques, et qui se trouvent assez à l’aise sur les sommets de la géométrie pour tracer sans effort des voies nouvelles. Fils d’un pauvre professeur de mathématiques qui élevait à grand’peine sa nombreuse famille, il fut nourri dès son enfance des plus fortes études. Ce fut une sorte d’enfant prodige, et contrairement à ce qui arrive d’ordinaire en pareil cas, il tint les promesses de ses premières années. À dix-huit ans, il entrait à l’Académie des Sciences avec une dispense d’âge. Une modique pension, rehaussée par sa gloire précoce, lui permit de se livrer tout entier à ses travaux ; il le fit tout en remplissant dans le monde ce rôle brillant que la société du XVIIIe siècle assurait à tous les esprits d’élite. Le Traité sur la figure de la terre, publié par Clairaut à la suite de son voyage en Laponie, demeure comme un des monument de l’histoire des sciences. Maupertuis, à peine revenu de l’expédition, s’était hâté d’en publier les résultats (1738) pour s’en attribuer le principal honneur. Clairaut ne se pressa point ; c’est en 1743 seulement qu’il donna au public le fruit de ses recherches et de ses méditations. « L’ouvrage de Clairaut, dit M. Bertrand, est peut-être, de tous les écrits mathématiques composés depuis deux siècles, celui qui, par la forme sévère et la profondeur ingénieuse des démonstrations, pourrait le mieux être comparé, égalé même, aux plus beaux chapitres du Livre des principes. Clairaut s’est pénétré de l’œuvre admirable de Newton, et de ce commerce intime avec un génie plus grand que le sien, mais de même famille, est sorti un géomètre tout nouveau. Les premiers travaux de Clairaut avaient donné de grandes espérances; le Traité sur la figure de la terre les dépasse, et de bien loin. » Clairaut devait être en effet le premier à reprendre, après cinquante ans, l’œuvre commencée par Newton. Le grand géomètre anglais avait tracé les principales lignes du système du monde; mais il n’avait fait qu’une sublime ébauche, qui demandait à être précisée et complétée. Parmi les travaux de premier ordre qui vinrent ainsi s’ajouter à l’œuvre du maître, il faut citer le livre de Clairaut sur la théorie de la lune. La lune, attirée par la terre et par le soleil, suit en somme une marche compliquée dans l’espace, et Clairaut en détermine habilement les détails. C’est ce qu’on appelle le problème des trois corps; il constitue une des plus hautes difficultés de l’astronomie mathématique. Dans un sujet que l’analyse ne peut traiter d’une façon absolument rigoureuse, les calculs de Clairaut, immenses tout en étant ingénieusement abrégés, se rapprochaient de plus en plus de la vérité par une série d’approximations successives. Cette méthode excita l’étonnement des contemporains, les vieux géomètres, habitués à la ligueur des anciens procédés, crièrent au scandale; elle est restée cependant, et elle a donné les fruits les plus heureux entre les mains des successeurs de Clairaut.

D’Alembert, lui aussi, est né géomètre. Enfant abandonné, recueilli par une pauvre femme, il avait besoin de songer à sa fortune, et il craignait avec quelque raison que l’étude pure des mathématiques ne fût un mauvais moyen de réussir dans le monde. Résistant à sa vocation, il prit le parti d’étudier la médecine. Le voilà donc qui se sépare, comme de compagnons dangereux, de tous ses livres de géométrie et qui va les déposer chez un de ses amis; mais bientôt les livres reprennent un à un le chemin de son logement, et d’AIembert, renonçant aux études qu’il s’était imposées, s’abandonne sans contrainte à son génie naturel. A ses premiers essais, on reconnut un maître, et l’Académie des Sciences le reçut à l’âge de vingt-trois ans. L’œuvre principale de d’Alembert comme géomètre est son Traité de mécanique, qui a entièrement renouvelé la science du mouvement; mais son esprit, aussi étendu que solide, a suffi à plus d’une tâche. L’ami de Voltaire et de Diderot, le rédacteur du discours préliminaire de l’Encyclopédie, est devenu une des grandes figures de son siècle et une des gloires des lettres françaises. Peu d’hommes inspirent par leur caractère autant d’estime et de sympathie que d’Alembert.. On chercherait en vain mie vie plus simple et plus noble. Sensible à tous les grands intérêts de l’humanité, ému de tous les souffles qui peuvent faire vibrer une âme honnête, il semble planer dans une région supérieure réservée aux grandes intelligences, et il dédaigne tout ce qui ne s’élève pas jusqu’à ce niveau. Rien n’est curieux comme le contraste qu’on remarque à cet égard entre Voltaire et d’Alembert, et qui éclate dans leur correspondance. Voltaire, inquiet, agité, s’irrite d’incidens mesquins, se préoccupe des attaques les plus viles, s’arrête à mille détails vulgaires, fait lui-même la cuisine de sa gloire. Rien de pareil chez d’Alembert; toutes ces choses triviales le laissent calme et indifférent; il n’a aucun effort à faire pour les mépriser, car, les yeux fixés plus haut, il ne les voit pas.

Après Clairaut et d’Alembert, l’académie eut une seconde moisson de grands géomètres. Laplace, l’illustre auteur de la Mécanique céleste, était un autre géomètre de race. Il se fit connaître de bonne heure par des mémoires qui marquaient la puissance de son esprit. Cependant l’académie se fit longtemps prier pour lui ouvrir ses portes. Il dut se présenter plusieurs fois avant d’être nommé adjoint, et ce n’est qu’en 1783, à l’âge de trente-quatre ans, qu’il obtint le titre d’associé. Sans doute, dans nos habitudes actuelles, c’est un jeune académicien qu’un homme de trente-quatre ans; mais il faut se reporter à l’époque dont nous parlons. L’académie n’était pas alors une retraite, on n’y entrait pas pour s’y reposer des fatigues d’une vie de travail. Elle voulait avoir un rôle actif, et attirait à elle, sur quelques promesses brillantes, des sujets encore tout pleins du premier feu de la jeunesse. Peut-être faut-il chercher dans le caractère de Laplace les motifs du retard qu’il subit. De bonne heure, Laplace manqua de simplicité, et les grands airs qu’il affectait déplaisaient fort à d’Alembert, alors très influent dans les choix académiques. — Lagrange, né à Turin, avait été recommandé par d’Alembert à Frédéric II, qui l’attira à Berlin; il ne devint Français qu’aux approches de 1789. « Il nous effacera tous, avait dit d’Alembert, ou du moins empêchera qu’on nous regrette. » Sans aller jusque-là, Lagrange a marqué sa place au premier rang des géomètres; son analyse ferme et lucide a joué un rôle décisif dans la solution des hauts problèmes astronomiques qu’agitait la fin du XVIIIe siècle. — Monge, fils d’un pauvre marchand ambulant, fut élevé par les oratoriens de Beaune, qui, frappés de ses heureuses dispositions, voulurent l’attacher comme professeur à leur ordre. Monge préféra entrer à l’école du génie de Mézières, embrassant ainsi une carrière où son humble naissance le condamnait à végéter dans les grades inférieurs. Il eut bientôt renouvelé tout l’art des fortifications, et fait jaillir comme d’une source ignorée les méthodes fécondes de la géométrie descriptive. Attaché comme professeur à l’école de Mézières, il fut appelé à Paris par Turgot, et entra en 1783 à l’Académie des Sciences. — Deux ans après, en 1785, l’académie s’attachait Legendre, sur qui son attention avait été appelée par de brillans succès d’écolier obtenus au collège Mazarin, le seul où l’on enseignât alors les hautes mathématiques. Legendre est surtout connu de notre génération par un traité élémentaire de géométrie qui servait encore à l’enseignement classique il y a dix ans : il est en quelque sorte pour nous le pendant du grammairien Lhomond; mais la haute géométrie lui doit d’importantes théories, et notamment celles des fonctions elliptiques. Laplace, Lagrange, Monge et Legendre, ces quatre noms considérables illustrent les dernières années de la section de géométrie, ils forment comme un lien naturel entre l’ancienne Académie des Sciences et la première section de l’Institut qui la remplaça plus tard.

La section d’astronomie a de son côté de glorieux états de service. Lalande, qui n’était guère porté à la louange, écrivait en 1766 : « La collection des Mémoires de l’Académie des Sciences renferme le plus riche trésor que nous ayons en fait d’astronomie. La découverte des satellites de Saturne, l’étude consciencieuse et prolongée de la grandeur et de la figure de la terre, l’application du pendule aux horloges, celle des lunettes aux quarts de cercle et des micromètres aux lunettes, des discussions continuelles et savantes sur la théorie du soleil et de la lune, leurs inégalités, les réfractions, l’obliquité de l’elliptique, la théorie des satellites de Jupiter, tout cela se trouve longuement développé et traité à bien des reprises dans cette collection, dont l’analyse formerait, si on le voulait, un traité complet d’astronomie. » Nous avons déjà indiqué comment les recherches astronomiques occupèrent une place importante dans les premiers travaux de l’académie. L’observatoire de Paris fut fondé en même temps que l’académie elle-même; c’est en 1664 que la création en fut décidée, et c’est en 1667 qu’on en posa la première, pierre. Les astronomes du temps n’épargnèrent pas les plaintes au sujet de ce massif bâtiment, auquel on a toujours fait beaucoup de reproches, et qui vient encore de donner lieu sous nos yeux à des controverses animées. Ils prétendaient que l’architecte Claude Perrault n’avait écouté que d’une oreille distraite les recommandations des savans, qu’il avait sacrifié les commodités de la science à la beauté des lignes et à la majesté des formes. Le premier directeur de l’Observatoire fut un de ces Italiens qui depuis les Médicis avaient pris l’habitude de venir chercher fortune en France. Cassini fut recommandé à Colbert par Picard et Auzout, et il éclipsa bientôt ses protecteurs. Homme d’esprit, homme de cour, il sut se pousser auprès du roi. Il apportait dans les questions de science beaucoup de finesse et de perspicacité; mais, sans manquer de science véritable, il savait surtout jeter de la poudre aux yeux. C’était, comme nous dirions aujourd’hui, un « faiseur. » Il excellait à tirer parti de ses collaborateurs et à extraire des circonstances tout ce qui pouvait servir à sa fortune. Ayant trouvé deux nouveaux satellites de Saturne, il se hâta de faire remarquer que cette découverte portait à quatorze le nombre des astres errans ; c’était le chiffre même du roi-soleil. Le grand Louis aimait ces flatteries, et il récompensa celle-là par une grasse pension. À ses talens, Cassini joignit celui de fonder une véritable dynastie ; ses descendans, Jacques Cassini et Cassini de Thury[4], gérèrent l’Observatoire pendant une grande partie du XVIIIe siècle.

Au reste, les travaux astronomiques n’étaient pas concentrés à l’Observatoire royal. La ville de Paris, pendant tout le siècle, compta presque constamment huit ou dix observatoires sérieusement organisés pour l’étude du ciel. Ainsi Bernoulli, dans un voyage qu’il fit à Paris en 1767, constata que Lemonnier, astronome du roi, avait chez lui, rue Saint-Honoré, une station organisée au moyen des instrumens qui avaient servi à ["expédition de Laponie ; Lalande observait au Luxembourg, Lacaille au collège Mazarin. L’École-Militaire avait un observatoire confié à l’académicien Jeaurat ; la marine en avait à l’hôtel de Cluny un autre qui était dirigé par Messier ; la confrérie de Sainte-Geneviève faisait étudier le ciel par son bibliothécaire, Pingré, d’ans les bâtimens actuels du lycée Napoléon. Enfin le marquis de Courtanvaux, académicien honoraire et grand seigneur fort riche, avait installé dans sa terre de Colombes un observatoire des plus coquets et des mieux pourvus.

Nous pourrions ainsi trouver dans la section d’astronomie une longue liste d’observateurs exacts et laborieux. Prenons-y seulement quelques noms qui attirent plus particulièrement l’attention. — Bailly, fils d’un gardien des tableaux du roi, s’instruisit seul dans les sciences, et débuta pair une théorie des satellites de Jupiter qui eut un grand succès dans son temps. L’œuvre principale de Bailly est pour nous son Histoire de l’astronomie, ouvrage d’un style recherché, mais plein d’érudition et d’une science exacte et sérieuse. C’est une figure singulière et originale que celle de l’astronome Lalande. On nous le représente comme une sorte de bourru bienfaisant, en querelle avec tout le monde, affectant de braver les préjugés et d’appeler chaque chose par son nom, ne craignant pas de s’installer sur le Pont-Neuf pour montrer les étoiles aux passans, fort honnête homme d’ailleurs, loyal et généreux à sa manière. Il était, comme on sait, irréligieux avec passion, ce qui ne l’empêcha pas, au plus fort de la terreur, de cacher dans son observatoire plusieurs prêtres menacés de mort. « Je vous ferai passer, leur dit-il, pour des élèves astronomes. » Et comme ils hésitaient : « Je ne mentirai pas, ajouta-t-il, nous nous occupons du ciel, vous et moi, mais pas de la même façon. » Au reste, il semble que les astronomes, élevés dans une région supérieure par la contemplation des corps célestes, aient eu ainsi comme une grâce d’état pour mépriser les fureurs de la révolution, témoin ce trait qu’on nous raconte. Messier, enfermé dans son observatoire de l’hôtel de Cluny, trouve une comète aux plus mauvais jours de la terreur; malhabile aux calculs, il était embarrassé pour déterminer l’orbite de l’astre errant. Il songea au président Bochard de Saron, habile calculateur, qui aimait à aider les astronomes dans leurs travaux. Le président, déjà condamné par le tribunal révolutionnaire, n’avait plus que quelques heures à vivre. Il les employa à déterminer, à l’aide des observations de Messier, l’orbite de la nouvelle comète.

La section de mécanique comprenait surtout, dans les idées du temps, ceux qui s’appliquaient aux mécanismes et à la physique expérimentale. Nous y voyons figurer au début Amontons, connu pour avoir eu le premier l’idée d’employer comme force motrice celle de l’air échauffé. Huyghens voulait utiliser la force de la poudre, Papin celle de la vapeur d’eau ; Amontons eut recours à la force élastique de l’air, et ses recherches sur ce point l’amenèrent incidemment à constater un phénomène des plus importans : il découvrit la constance de la température d’ébullition de l’eau. C’est encore Amontons qui a le premier donné des idées précises sur le frottement; il prouva que cette résistance est proportionnelle à la pression et indépendante des surfaces en contact. C’est lui enfin qui, bien avant les frères Chappe, proposa l’établissement de télégraphes optiques ; des gens munis de lunettes et placés dans des postes convenablement espacés devaient en peu de minutes transmettre un signal de Paris à Rome. — Vaucanson eut de bonne heure le génie des amusemens mécaniques. A vingt ans, il présentait à l’académie son célèbre automate joueur de flûte. C’était d’ailleurs un homme d’esprit que ce Vaucanson. Les ouvriers en soierie de Lyon réclamaient pour leurs privilèges compromis par l’usage des machines, ils arguaient de l’intelligence requise dans leur métier; Vaucanson leur produisit aussitôt un appareil auquel il suffisait d’atteler un âne pour fabriquer les étoffes les plus riches. Vaucanson avait formé chez lui une nombreuse collection de machines, véritable musée qu’il légua à l’état, et qui devint le premier fonds de la galerie des Arts et Métiers. — Voici encore Perronnet, le constructeur du pont de Neuilly, et Trudaine, le fondateur de l’École des ponts et chaussées; ce sont les ancêtres de ce corps d’ingénieurs qui a pris dans l’histoire des travaux publics une place si éminente. — La physique expérimentale est spécialement représentée par les noms de Coulomb, de Borda, de Mariotte. Coulomb avait débuté comme officier du génie et s’était longtemps occupé de travaux tout pratiques. Quand il s’adonna aux recherches scientifiques, il y porta une grande sûreté de vues et un talent alors bien rare pour observer les phénomènes avec précision. A cet effet, il inventa des instrumens nouveaux; la balance de torsion lui permit de faire sur les petites forces, notamment sur les forces électriques, des expériences excellentes auxquelles le temps n’a rien ôté de leur valeur. Borda, d’abord officier du génie comme Coulomb, servit ensuite dans la marine. Il fut le représentant naturel de l’Académie des Sciences dans les recherches relatives aux montres marines et à la détermination des longitudes. Mariotte est surtout célèbre par un traité sur la nature de l’air qui peut être encore aujourd’hui considéré comme un modèle; le nom de Mariotte s’attache pour nous à la loi fondamentale qui a brillamment inauguré l’étude des gaz.


III.

Les physiciens que nous venons de citer, sans obtenir une renommée de premier ordre, ont laissé des travaux excellens et définitifs, des travaux qui ont encore pour nous tout leur prix sous la forme même où ils les ont produits. La section de chimie nous présente un spectacle bien différent. A nos yeux, la chimie date de Lavoisier, et tout ce qui précède est comme non avenu. L’académie, jusqu’au dernier quart du XVIIIe siècle, ne nous offre que des chimistes tout à fait surannés. Bien de puéril pour la science moderne comme leurs doctrines, rien de confus comme leurs recherches. Ce sont eux qui, dans les procès-verbaux de l’académie, nous fournissent le mot pour rire. Duclos, un chimiste de la fondation, un des seize membres choisis par Colbert, établit les principes des corps. « Quand on résout les mixtes naturels, il ne reste que de l’eau. C’est elle qui, altérée par un efficient impalpable et spirituel, produit le mercure, le soufre, le sel et les autres mixtes. Les esprits parfaits et qui ont quelque participation de la vie contiennent un troisième principe nommé archée, en sorte qu’il existe en tout trois principes : le corps matériel, qui est l’eau, l’esprit altératif et l’âme vivifiante ou archée. » Un autre, s’en tenant à la théorie des quatre élémens, déclare qu’à ces quatre élémens qui composent les corps correspondent quatre couleurs élémentaires, le rouge, qui est la couleur du feu, le bleu, qui est la couleur de l’air, le vert et le blanc enfin, qui sont respectivement les couleurs de l’eau et de la terre. La distillation est le procédé incessamment employé par les chimistes de cette époque. L’académie, à l’instigation de ses chimistes, passe un temps considérable à suivre des distillations : on espérait ainsi séparer les essences des corps; mais on n’arrivait qu’à en détruire ou à en confondre les principes immédiats. « La compagnie étant assemblée le 14 juillet 1667, M. Bourdelin a fait voir l’analyse de quarante crapauds tout vivans; il y en avait qui étaient gardés depuis dix-huit jours dans un panier, et ceux-là sentaient fort mal. Ils pesaient 2 livres, 11 onces et plus. On en a tiré 35 onces et 3 gros de liqueur. Les 5 premières onces ont été tirées au bain vaporeux. La première, claire et limpide, d’une saveur piquante, a blanchi l’eau de sublimé; la seconde a rendu laiteuse l’eau de sublimé; la troisième a troublé l’eau de vitriol, etc.. Il en reste 10 onces fort sèches. » Une autre fois nous retrouvons le même M. Bourdelin apportant l’analyse de « 3 livres d’excellent café. Les 3 livres ont donné 20 onces 7 gros de liqueur qu’on a tirée par la cornue. La première partie, de 4 onces, un peu austère, a rougi le tournesol. La seconde, avec un peu d’acidité, a fait couleur de vin de Chablis avec le vitriol. La troisième a fait couleur de minium en mettant une portion de vitriol sur sept de cette liqueur. La quatrième, d’odeur de cumin austère et amère, a rendu laiteuse la solution du sublimé, etc. La tête morte avait plus de volume que le café. » Voilà du café bien mal employé, M. Bourdelin eût mieux fait de le boire.

Au milieu des nuages de cette chimie antérieure à Lavoisier, deux noms se distinguent, ceux de Homberg et de Leymery. Ils ont fait autorité dans leur temps; ils ont été cités par Voltaire, d’Alembert et les encyclopédistes. Homberg était fils d’un gentilhomme saxon ruiné par la guerre de trente ans, et qui avait émigré à Batavia pour essayer d’y refaire sa fortune. Le jeune Homberg vint de bonne heure en Europe, et suivit les cours des principales universités de l’Allemagne, où il acquit une instruction très sérieuse sur toutes les sciences alors cultivées. Cette instruction fut complétée par des voyages, et Homberg avait déjà en Europe la réputation d’un savant distingué quand il fut appelé en France par Colbert. Il se lia avec le duc d’Orléans, qui le nomma son médecin, et qui installa pour lui le plus beau laboratoire de chimie qu’on eût encore vu. Ses relations avec ce prince amenèrent un jour sur la tête de Homberg de sinistres accusations. Quand la mort frappa la famille royale à coups redoublés, que le dauphin, puis la duchesse et le duc de Bourgogne disparurent soudainement, bien des gens voulurent voir dans ces catastrophes la main du duc d’Orléans; le mot de poison fut prononcé, et l’officine de Homberg suspectée. Le roi méprisa ces clameurs accusatrices; mais elles assombrirent les dernières années du chimiste. Les mémoires de l’Académie des Sciences contiennent un grand nombre de travaux de Homberg. C’était un expérimentateur infatigable, et il touchait à tout sans avoir d’ailleurs pour se guider de principes bien lucides. On en peut juger par cet exemple. « Une personne de considération, dit-il, me demanda avec instance d’essayer si de la matière fécale je ne pourrais pas tirer une huile distillée, sans mauvaise odeur, qui fût claire et sans couleur comme de l’eau de fontaine, parce qu’elle en avait vu, comme elle le croyait, un effet surprenant, qui était de fixer le mercure commun en argent fin. » Homberg organise aussitôt les essais qu’on lui conseille, et, ne voulant pas opérer sur des élémens ramassés au hasard, il loue pour alimenter son travail quatre hommes sains et robustes; il les enferme pendant trois mois dans une maison munie d’un grand jardin, après avoir fait avec eux la condition qu’ils ne se nourriraient que d’excellent pain de Gonesse, et qu’ils ne boiraient que du vin de Champagne. Sa matière première ainsi assurée, Homberg la traite par tous les. moyens connus, tantôt par voie sèche, tantôt par voie humide; il distille, décante, filtre ses produits, recueille des liqueurs plus ou moins rousses, plus ou moins acres. Au bout de plusieurs mois seulement, il obtint « une huile incolore, presque sans odeur, et le peu qu’elle avait était légèrement aromatique ; » mais hélas ! elle ne changeait pas le mercure en argent.

Leymery est l’auteur d’un traité de chimie qui, de 1675 à 1713, eut dix éditions, et qui fut traduit dans toutes les langues de l’Europe. Ce traité ramène tous les mixtes à cinq sortes de substances : l’eau, l’esprit, l’huile, le sel et la terre; « de ces cinq, il y en a trois actives, l’esprit, l’huile et le sel, et deux passives, l’eau et la terre. » Leymery eut surtout de grands succès comme professeur; il faisait chez lui des cours qui étaient suivis par les hommes les plus considérables, et où l’on voyait même quantité de dames.

À cette période de l’histoire de la chimie, nous pouvons encore emprunter une figure originale. Rouelle, qui introduisit en France la doctrine du phlogistique, peut représenter dans notre galerie un type sans lequel elle serait évidemment incomplète, le type du savant distrait, excentrique, qui met sa perruque et ses bas de travers. C’est Grimm, le nouvelliste de la philosophie et des sciences, qui nous a tracé le portrait de Rouelle. « Il était d’une pétulance extrême; ses idées étaient embrouillées et sans netteté, et il fallait un bon esprit pour le suivre et pour mettre dans ses leçons de l’ordre et de la précision... Ordinairement il expliquait ses idées fort au long, et quand il avait tout dit, il ajoutait : Mais ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne !... Il avait une si grande habitude de s’aliéner la tête que les objets extérieurs n’existaient pas pour lui. Il se démenait comme un énergumène en parlant sur sa chaise, se renversait, se cognait, donnait des coups de pied à son voisin, lui déchirait ses manchettes sans en rien savoir. Un jour, se trouvant dans un cercle où il y avait plusieurs dames, et parlant avec sa vivacité ordinaire, il défait ses jarretières, tire son bas sur son soulier, se gratte la jambe pendant quelque temps de ses deux mains, remet ensuite son bas et sa jarretière, et continue sa conversation sans avoir le moindre soupçon de ce qu’il venait de faire. » Ce sont là distractions assez innocentes; mais un chimiste peut en avoir de plus dangereuses. Une autre fois Rouelle, faisant un cours devant une nombreuse assemblée, disait à ses auditeurs : « Vous voyez bien, messieurs, ce chaudron sur ce brasier? Eh bien ! si je cessais de remuer un seul instant, il s’ensuivrait une explosion qui nous ferait tous sauter en l’air. » En disant ces paroles, il ne manqua pas d’oublier de remuer, et une formidable explosion vint aussitôt lui donner raison. Tel est le portrait un peu humoristique que Grimm nous trace du vieux chimiste.

Mais voici venir Lavoisier, et la théorie de l’oxydation apparaît comme une lueur éclatante au milieu des ténèbres de la science. Les débuts de la chimie moderne sont trop connus, et nous en avons d’ailleurs rappelé trop récemment les traits principaux[5], pour qu’il y ait lieu d’insister ici sur le rôle de Lavoisier. Non-seulement il renouvela la chimie, mais ses études sur la respiration et la chaleur animale ouvrirent à la physiologie des voies nouvelles. L’académie n’accueillit d’abord qu’avec beaucoup de défiance les idées de Lavoisier ; les chimistes de profession, les Macquer, les Sage, les Baume, continuaient à défendre la doctrine du phlogistique; ils s’appuyaient sur l’opinion des savans étrangers les plus considérables, des Sheele, des Cavendish, des Priestley, car, chose singulière, Priestley, qui en découvrant l’oxygène fournit à Lavoisier la base de la chimie nouvelle, mourut sans jamais renoncer à la théorie de Stahl. Peu à peu cependant les résistances s’effacèrent, et, quand Lavoisier tomba frappé par la hache révolutionnaire, la chimie moderne était fondée.

Les sciences que nous appelons naturelles, et que la langue du XVIIIe siècle désignait sous le nom général de physique, alimentaient les sections d’anatomie et de botanique. La section d’anatomie se recrutait principalement de médecins, de chirurgiens, dont les travaux n’ont guère pour nous plus de valeur que ceux des anciens chimistes. Ce sont encore les médecins de Molière. Ils remplissent de leurs querelles les procès-verbaux de l’académie ; mais leur science y tient peu de place. Nous trouvons cependant parmi les anatomistes un physicien de premier ordre, Réaumur. C’était un esprit universel; une grande position de fortune lui avait permis de se livrer de bonne heure à l’étude de toutes les sciences, où son goût le portait. Il débuta par des mémoires de géométrie, puis il se fit connaître par d’importantes recherches sur la fabrication des aciers. Les résultats en furent consignés dans un livre, l’Art de convertir le fer en acier, et l’art d’adoucir le fer dur, qui eut un immense succès sous la régence, et dont l’intérêt ne s’est guère effacé que dans ces dernières années par suite des progrès tout récens qu’a réalisés l’industrie des aciers; mais Réaumur se fit surtout un nom important par ses études sur les animaux inférieurs. Il observa avec autant de sagacité que de patience les mœurs des mollusques et des insectes, et jeta un grand jour sur les conditions élémentaires de leur vie. Ses recherches sur les insectes sont réunies dans un traité en six gros volumes d’une lecture agréable et facile, et qui est pour les naturalistes une œuvre de premier ordre.

Si le XVIIIe siècle fut pauvre sous le rapport des études anatomiques, il faut reconnaître au contraire que la botanique y brilla d’un vif éclat. Les progrès en furent favorisés par une institution qui, pendant toute la période dont nous nous occupons, fut comme une annexe de l’Académie des Sciences; nous voulons parler du Jardin du roi, devenu plus tard le Muséum d’histoire naturelle. Quand l’académie fut réorganisée en 1699, le premier membre qu’elle élut fut Fagon, médecin de Louis XIV et directeur du Jardin du roi. Fagon, absorbé par la pratique de son art, n’était pas un savant; mais il s’entendait à juger les gens. Il sut attacher à l’établissement qu’il dirigeait nombre d’hommes distingués et l’élever ainsi à un haut degré de prospérité. A la mort de Fagon, Chirac, nommé premier médecin du roi, reçut aussi, comme une dépendance de sa charge, la direction du Jardin du roi. Il voulut y prendre une part active, faire tout par lui-même et s’occuper de tous les détails, au point qu’aucune graine ne pouvait être donnée ou reçue que par ses mains. C’était trop, et, distrait d’ailleurs par d’autres soins, il laissa péricliter l’établissement. Dufay lui succéda en 1732; c’était un physicien de mérite, — dans le sens que le mot physicien a pour nous maintenant. L’électricité lui doit l’hypothèse des deux fluides, et c’est là, pour le dire en passant, un assez mauvais service qu’il rendit à la science. En tout cas, il sut remettre le Jardin du roi sur un bon pied et s’entourer d’un personnel d’élite. Atteint de la petite vérole et se sentant mourir, il pria le roi de lui donner pour successeur le jeune Buffon, qui ne paraissait alors avoir aucun titre à un pareil choix. Fils d’un magistrat fort riche et fort considéré, Buffon, comme Réaumur, étudia d’abord toutes les sciences en amateur; il commença par produire des mémoires de géométrie ; mais en voyageant à travers l’Europe il avait rassemblé quelques notions sur les sciences de la nature, et lorsque l’Académie des Sciences l’appela dans son sein, à l’âge de vingt-sept ans, elle le plaça dans la section de botanique. Ce fut cinq ans après que le choix de Dufay mourant le désigna pour l’intendance du Jardin du roi. Sa vocation fut dès lors décidée, et il s’appliqua de toutes les forces de son génie à mériter cette épigraphe qu’on devait mettre un jour sur sa statue : naturam amplectitur omnem. L’écrivain chez Buffon a éclipsé le savant. En somme, il n’a laissé que bien peu d’observations nouvelles et d’expériences précises. Son génie oratoire se complut soit dans des œuvres de haut vol, où se déroulent avec audace les hypothèses les plus hasardées, soit dans de splendides descriptions qui brillent surtout par la belle et majestueuse ordonnance des détails.

À côté de Buffon et sous sa direction, nous trouvons dans le Jardin du roi une phalange d’éminens collaborateurs. Nommons d’abord Daubenton, compatriote et ami de l’historien de la nature. Il rédigea en partie les premiers volumes de l’Histoire naturelle des animaux ; mais il eut à souffrir d’un contact trop soutenu avec la hautaine personnalité de son ami, et il finit par s’absorber tout entier dans les collections du jardin, dont il fit un magnifique musée. On sait aussi que ce fut Daubenton qui naturalisa en France la race des moutons espagnols à long poil. — Voici maintenant toute la famille des Jussieu, c’est-à-dire une série de travailleurs assidus et modestes, qui ont fait sans bruit une œuvre considérable et créé en quelque sorte la science des plantes. Antoine de Jussieu, le premier membre célèbre de cette famille, était fils d’un apothicaire de Lyon. Venu à Paris, il fut distingué par Fagon, qui le choisit à vingt-trois ans (1709) pour remplacer Tournefort comme professeur de botanique au Jardin du roi. Appelé en 1711 à l’académie, il fut chargé d’une mission scientifique en Espagne, et en rapporta d’excellens mémoires sur les diverses branches de l’histoire naturelle. Antoine éleva et instruisit son jeune frère Bernard, homme rare et éminent, qui amassa des trésors d’observations et qui, sans les produire lui-même, les légua précieusement aux héritiers de son nom. L’esprit de famille et d’union brilla au plus haut point chez les Jussieu. Dans la petite maison de la rue des Bernardins, qu’habitaient Antoine et Bernard, on vit arriver un jour un troisième frère, Joseph, celui qui avait fait partie de l’expédition de Bouguer et de La Condamine. Resté en Amérique bien longtemps après ses compagnons, il revenait tout à fait épuisé ; son intelligence ruinée ne conservait plus même le souvenir de ses longs voyages. Ses frères n’osèrent pas le montrer à l’académie, qui l’avait élu en 1743, pendant son absence ; mais ils lui prodiguèrent à leur foyer les soins les plus affectueux.

Antoine mourut en 1758, et Bernard continua seul le travail commun, accumulant avec patience de précieux matériaux que sa modestie l’empêchait de livrer au public. En 1765, il appela auprès de lui un jeune neveu, Laurent de Jussieu, alors âgé de dix-sept ans. Il en fit son élève, il lui communiqua la méthode de classification des plantes à laquelle l’avaient conduit ses longs travaux, et il lui confia toutes les richesses scientifiques qu’il avait amassées en silence. Le monde savant d’ailleurs ne se trompait pas sur le mérite de Bernard. Sans qu’il eût presque rien publié, chacun savait ce qu’il valait, et peu à peu son nom était devenu célèbre dans toute l’Europe. A sa recommandation, Buffon fit monter le jeune Laurent, âgé de vingt-deux ans, dans la chaire de botanique du Jardin du roi. Bernard n’avait jamais voulu faire de leçons publiques; il se défiait de sa parole, et il se contentait des modestes fonctions de démonstrateur du cours dont son neveu venait d’être chargé. On vit donc le vieux savant, assis à côté de son élève chéri, tendre d’une main émue au jeune professeur les plantes qu’il lui avait appris à connaître. Bernard mourut en 1777, et c’est en 1789 seulement que Laurent publia le Genera plantarum secundum ordines naturales disposita. « Ce livre, dit Cuvier, marque dans les sciences d’observation une époque aussi importante que la Chimie de Lavoisier dans les sciences d’expérience. » En le publiant, Laurent eut soin de le donner comme une sorte de testament du vieillard illustre qui lui avait servi de père et de maître.


IV.

Depuis sa fondation, l’académie avait soigneusement borné son horizon au domaine de la science, et s’était strictement abstenue de toute préoccupation politique. Dans la longue série de ses procès-verbaux, on eût cherché vainement, avant 1789, une simple allusion aux événemens du dehors. Les temps allaient venir où, quelque soin qu’elle mît à s’en défendre, les agitations de la vie publique devaient retentir jusque dans son sein. Le 4 juillet 1789, on lit au procès-verbal : « Il est décidé de témoigner à M. Bailly, de la part de l’académie, sa satisfaction de la manière dont il a rempli les fonctions de président de l’assemblée nationale. » Après cette motion tout à fait inusitée, l’académie se hâte de reprendre son ordre du jour; elle entend une lecture de Coulomb sur le frottement des pivots et un mémoire sur la culture de l’indigo. Quelques jours après, l’académie se rend en corps à Chaillot, où habitait Bailly, pour le féliciter au sujet de sa nomination de maire de Paris. A l’heure même où ses collègues faisaient cette démarche, Bailly était à l’hôtel de ville, où il cherchait en vain à soustraire Berthier et Foulon aux fureurs de la populace. Dès la séance suivante, il accourt pour remercier ses collègues de la part qu’ils prennent à son rôle politique. Ce sont là des faits tout à fait extraordinaires dans les annales académiques. D’ordinaire les procès-verbaux restent impassibles en face des plus graves événemens. Le lendemain de la prise de la Bastille, le mercredi 15 juillet 1789, l’académie tient séance comme à l’ordinaire; aucune trace de ce qui s’est passé la vieille; vingt-trois membres sont présens : Tillet et Broussenet rendent compte d’une machine pour enlever la carie du blé ; un auteur étranger propose un procédé pour conserver l’eau douce à la mer; Charles enfin lit un travail sur la graduation des aréomètres. A la séance suivante, trois jours après, Laplace présente un grand travail sur l’obliquité de l’écliptique.

Il semble que l’académie, un peu émue d’abord au premier souffle de la révolution, ait vite repris possession d’elle-même, et se soit imposé de nouveaux efforts pour se maintenir strictement sur le terrain de la science. Plusieurs mois seulement après la nuit du à août, dans les derniers jours de 1789, le duc de La Rochefoucauld vient proposer d’abolir toute distinction entre les académiciens. L’académie n’accepte qu’avec tiédeur cette motion égalitaire, elle nomme des commissions, elle élabore des projets, elle traîne l’affaire en longueur. Pendant ce temps, les séances ne laissent pas d’être remplies par des communications du plus haut intérêt : Legendre fait connaître les recherches sur les fonctions elliptiques; Laplace apporte les premiers û:agmens de sa Mécanique céleste; Lavoisier, aidé de Berthollet et de Fourcroy, achève sa victoire sur les anciennes écoles chimiques. Le contraste est complet entre les agitations de la place publique et les paisibles discussions de la savante assemblée.

Cependant les événement se précipitent. L’académie, malgré le soin qu’elle met à se tenir à l’écart, est entraînée à des communications fréquentes avec l’assemblée nationale, puis avec la convention. Chargée de préparer les élémens de la réforme générale des poids et mesures, elle nomme aussitôt cinq commissions pour ce grand objet; Cassini, Méchain et Legendre s’occupent des mesures astronomiques; Meusnier et Monge sont chargés de mesurer les bases terrestres avec une rigoureuse précision ; Borda et Coulomb étudient La longueur du pendule qui bat la seconde; Lavoisier et Haüy déterminent le poids de l’eau distillée; Tillet, Brisson et Vandermonde enfin dressent l’inextricable réseau des mesures anciennes. Toutes ces commissions se mettent à l’œuvre, incessamment pressées par l’assemblée toute-puissante, qui s’étonne que ce qu’elle a décrété ne soit pas aussitôt achevé de tout point. Sur beaucoup de questions secondaires, l’académie cherche à éluder les embarras qui résultent pour elle des consultations qu’on lui demande. Elle émet le désir de n’avoir plus à donner son avis sur les indemnités que les particuliers ou les villes réclament au gouvernement. On la consulte sur des données relatives à la question brûlante des subsistances; elle se retranche derrière des résultats antérieurement acquis. On la consulte sur des engins de guerre ; elle argue de sa mission de paix.

Elle avait tous les genres de prudence, et évitait soigneusement de donner prise aux déclamations des clubs. Quelques membres mettent un jour en avant l’idée de construire un grand télescope sur le modèle de celui qu’Herschel avait récemment établi. La dépense devait s’élever à 100,000 francs. On proposait d’y affecter une somme de 36,000 francs que l’académie avait en caisse et qui provenait de prix non distribués; on y consacrerait encore la valeur d’une pépite d’or pesant plus de 10 livres et qui ornait le cabinet de l’académie; le surplus serait demandé à l’assemblée nationale. L’académie vit bientôt qu’elle avait fait fausse route en appelant l’attention des clubs sur la petite fortune dont elle disposait; elle renonça à son télescope, et elle se hâta d’offrir à la nation sa pépite ainsi que le résidu de sa caisse.

L’esprit d’union régnait d’ailleurs parmi les académiciens. A mesure que les circonstances devenaient plus graves, ils se serraient plus étroitement les uns contre les autres pour faire face aux dangers communs. Les procès-verbaux ne mentionnent à cet égard qu’une seule exception, et M. Bertrand l’a relevée pour la flétrir. Le 11 août 1792, le lendemain de l’invasion des Tuileries, Fourcroy, le chimiste Fourcroy, qui devait être plus tard un des hauts fonctionnaires de l’empire, se lève et demande qu’on lise la liste des académiciens pour y effectuer des radiations. On élude sa proposition; mais huit jours après il revient à la charge : il fait remarquer que la Société de médecine a rayé plusieurs de ses membres émigrés ou notoirement convaincus d’incivisme ; il demande qu’on en use de même. On lui répond que « l’académie ne doit pas prendre connaissance des principes de ses membres ni de leurs opinions politiques, le progrès des sciences étant son unique occupation. » Battu sur ce terrain, Fourcroy se tourne d’un autre côté, et demande qu’on applique le règlement qui permet d’exclure les membres absens plus de deux mois sans congé. On discute, et on ajourne la décision à huit jours. A la séance suivante, le géomètre Cousin fait remarquer que l’académie a pour tradition de s’en remettre aux ministres de toutes les mesures qui ne concernent pas l’avancement des sciences; « il s’étonne que dans un moment où le ministre de l’intérieur, appelé par le vœu de la nation (c’était Roland, revenu au ministère après l’insurrection du 10 août), mérite plus que jamais la confiance de l’académie, elle n’en use pas envers lui comme elle faisait autrefois envers ses prédécesseurs, et il propose de charger les officiers de l’académie de conférer avec le ministre sur l’objet proposé, tandis qu’elle se livrera à des occupations plus intéressantes. » On s’empresse d’adopter cette solution comme un moyen de traîner l’affaire en longueur et de la faire avorter ; mais Fourcroy ne l’entendait pas ainsi. Le 5 septembre, au moment même où le sang des suspects coule à flots dans les prisons de Paris, il poursuit, seul contre tous, sa sinistre motion, et interpelle le secrétaire perpétuel pour savoir s’il a reçu réponse du ministre au sujet de la radiation qui devait être faite des membres hostiles à la révolution. On lit au procès-verbal : « Le secrétaire ayant répondu qu’il n’avait reçu aucune lettre du ministre, l’académie arrête que, le ministre n’ayant pas répondu, le secrétaire ne pourra délivrer aucune liste des membres, ni en faire imprimer aucune jusqu’à ce que cette réponse soit parvenue. » Le zèle opiniâtre de Fourcroy fut ainsi paralysé par l’énergique et unanime réprobation de ses collègues.

La prudence de l’académie ne devait pas la sauver. En vain elle gardait la plus grande réserve et éludait autant que possible les questions qu’on lui posait. Il lui fallait bien quelquefois, bon gré mal gré, émettre une opinion; dans beaucoup de circonstances, il était aussi dangereux de se taire que de parler. Sa cause était d’ailleurs liée jusqu’à un certain point à celle des autres académies, de l’Académie française, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, des académies de peinture et de musique, qui toutes étaient menacées.

Un premier décret de la convention suspendit la nomination aux places vacantes dans les académies (18 novembre 1792); par un singulier hasard, il fut rendu précisément dans une séance où le président de l’assemblée, avec le langage ambitieux de l’époque, avait hautement félicité les membres de l’Académie des Sciences sur leurs travaux relatifs aux poids et mesures. « Estimables savans, leur avait-il dit, depuis longtemps les philosophes plaçaient au nombre de leurs vœux celui d’affranchir les hommes de cette différence de poids et mesures qui entrave les transactions sociales; mais le gouvernement ne se prêtait pas à cette idée des philosophes, jamais il n’aurait consenti à renoncer à un moyen de désunion. Enfin le génie de la liberté a paru, il a demandé au génie des sciences quelle est l’unité fixe et invariable, indépendante de tout arbitraire. Estimables savans, c’est par vous que l’univers devra ce bienfait à la France ! »

C’était là un singulier commentaire au décret du 18 novembre. Aussi Lakanal, qui défendait dans le comité de l’instruction publique les intérêts de l’académie, espéra-t-il qu’il pourrait en pré- venir la ruine. Sur sa proposition, le 17 mai 1793, un nouveau décret permit de pourvoir provisoirement aux places d’académiciens vacantes ; mais bientôt la dissolution fut définitivement prononcée. Lakanal essaya encore d’atténuer les effets de cette mesure. Il fit décider que les membres « de la ci-devant Académie des Sciences » auraient du moins le droit de s’assembler sans titre officiel dans le lieu ordinaire de leurs séances pour traiter des différens objets qui leur seraient déférés par la convention. Le décret portait que les scellés mis sur les papiers et registres de la compagnie seraient levés, et que les attributions annuelles faites aux savans qui la composaient leur seraient payées comme par le passé jusqu’à ce qu’il en eut été autrement ordonné.

Les académiciens ne jugèrent point qu’il fût prudent de profiter de cette espèce de tolérance; ils se dispersèrent et cherchèrent pour la plupart à se faire oublier. On sait qu’ils n’y réussirent pas tous; plus d’un fut atteint dans sa retraite par les tribunaux révolutionnaires. Quelques-uns seulement restèrent en relation avec le comité de salut public, et maintinrent les droits de la science dans ce redoutable voisinage. De ce nombre fut Berthollet. Il conserva la confiance du terrible comité sans l’acheter par aucune condescendance, comme en témoigne cet épisode qui termine fièrement le livre de M. Bertrand et par lequel nous terminerons aussi cette étude. Peu de jours avant le 9 thermidor, on trouva un dépôt suspect dans une barrique d’eau-de-vie destinée à l’armée. Les fournisseurs sont aussitôt arrêtés, la passion populaire les accuse d’empoisonnement, et l’échafaud se dresse déjà devant eux. Cependant Berthollet examine l’eau-de-vie et la déclare pure de tout mélange. « Tu oses soutenir, lui dit Robespierre, que cette eau-de-vie ne contient pas de poison? » Pour toute réponse Berthollet en avale un verre en disant ; « Je n’en ai jamais tant bu ! — Tu as bien du courage ! s’écrie Robespierre. — J’en ai eu davantage, dit Berthollet, quand j’ai signé mon rapport. »

L’Académie des Sciences ne devait pas rester bien longtemps dispersée. En 1795, le directoire organisa l’Institut de France, divisé en cinq classes, dont les quatre premières correspondaient aux anciennes académies et dont la cinquième, de fondation nouvelle, comprenait les sciences morales et politiques. L’Académie des Sciences était devenue la première classe de l’Institut. Sous cette nouvelle forme, elle se hâta de renouer la chaîne que la violence des temps avait un instant interrompue, et elle tint à honneur de restaurer toutes les traditions de l’ancienne compagnie qui, pendant un siècle et demi, avait pris une part si considérable au mouvement général des sciences.


EDGAR SAVENEY.

  1. Les huit, premiers associés (étrangers furent Leibniz, Tchisnauss, Gulhiemini, Hartsœcker, les deux frères Bernoulli (Jacques et Jean), Rœmer et Newton.
  2. Le titre d’élève fut aboli en 1716 par une ordonnance du régent, et remplacé par celui d’adjoint.
  3. Le titre de vétéran fut accordé successivement à Saurin, à Jacques Cassini, à Maraldi, à Fontenelle, à Leymery, à Mairan, à La Condamine et à Grandjean-Fouchy.
  4. Ce dernier a attaché son nom à cette belle raite de France qui a été le résultat des travaux géodésiques de tout le siècle, et qui donnait une représentation exacte du pays à l’échelle d’une ligne pour cent toises. Cassini de Thury avait su intéresser à cette œuvre le roi Louis XV, qui y consacra d’abord des sommes importantes. L’état des finances ayant fait supprimer ces libéralités royales, Cassini de Thury ne se découragea pas ; il organisa une association particulière qui soutint l’entreprise à ses frais, et la continua, jusqu’en l’année 1793, où la convention, sur le rapport de Fabre d’Églantine, s’empara de la carte et des planches gravées comme d’un bien appartenant à l’état.
  5. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1869, l’Évolution des doctrines chimiques depuis Lavoisier.