Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l’Inde/Livre 9

慧立 Hui Li, 彦悰 Yan Cong
Traduction par Stanislas Julien.
(p. 326-334).

LIVRE NEUVIÈME.


Ce livre commence à la troisième lune de la première année de la période Hien-k’ing (656), « lorsque Hiouen-thsang remercie l’empereur d’avoir daigné composer l’inscription destinée au couvent Ta-ts’o-’en-sse (de la Grande bienfaisance) ; il finit au moment où le Maître de la loi le remercie d^avoir rendu un décret pour qu’un médecin du palais s’informât de sa santé.
RÉSUMÉ.

La première année de la période Hien-k^ing (656), tiu jour Koueî-haî de la troisième lune du printemps, lorsque Tinscription impériale du couvent Ta-b^e-’enr sse fut terminée , Ilia-king-isong , président du ministère des rites, chargea un messager d’aller la porter au Maître de la loi.

Au jour Kia-tseu, le Maître de la loi se rendit au par lais à la tète des religieux du couvent, pour offrir ses remercîments à l’empereur.

Aux jours I-tcheou et Keng-in de la même lime, Hiouen-thsang adresse encore, dans le même but, plusieurs lettres inspirées par la reconnaissance, et remplies d’éloges sur l’élégance et la noblesse de la composition Impériale.

Le huitième jour de la quatrième lune, on acheva de graver l’inscription que venait de tracer le pinceau impérial.

Le quinzième jour, on ordonna sept novices, et l’on servit à mille religieux un repas maigre, pendant lequel les neuf troupes de musiciens, rangées devant le palais Fo-tien (ou palais du Bouddha), firent entendre d’harmonieux concerts. La multitude ne se dispersa que le soir.

Le seizième jour, le Maître de la loi, accompagné de la foule de ses disciples, se rendit au palais pour remercier l’empereur de l’inscription.

Hiouen-thsang avait jadis été malade par suite du froid glacial qu’il avait éprouvé en franchissant le mont Sioaechan (Mousour dabaghan) et les monts Tsong-lingy mais les secours de la médecine lui avaient rendu la santé.

Dans la cinquième lune, ayant cherché le frais pour se soustraire aux chaleurs accablantes de l’été, il sentit son ancienne maladie se réveiller et présenter les symptômes d’une affection incurable. Les religieux et les laïques en furent profondément affligés. Dès la première nouvelle de cet événement, l’empereur envoya plusieurs médecins du palais pour lui donner des soins. Tous les jours, des courriers officiels se succédaient d’heure en heure pour l’informer de l’état de sa santé. Un père affectueux n’aurait pas montré plus de sollicitude pour son fils. Les médecins du palais ne le quittaient ni le jour ni la nuit. Enfin, au bout de cinq jours, le Maître de la loi se trouva mieux, et alors le calme revint dans l’âme des personnes du dedans et du dehors.

Hiouen-thsang, ému des bontés de l’empereur, lui adresse une lettre pour lui en témoigner sa reconnaissance. L’empereur le félicite de son heureux rétablissement et l’engage à modérer son ardeur studieuse et à prendre du repos.

Hiouen-thsang adresse à l’empereur une nouvelle lettre de remercîments.

Le premier jour de la dixième lune , l’impératrice fait don au Maître de la loi d’un Kia-cha {Kachâya) « vêtement religieux » et y ajoute plusieurs dizaines d^autres présents. Hiouen-thsang lui envoie une lettre de remercîments, dans laquelle il fait des vœux pour qu^elle accouche heureusement, et lui souhaite un grand nombre de fils et un bonheur sans bornes.

Le cinquième jour de la douzième lune, l’empereur, à l’occasion de la naissance de son fils que le Maître de la loi avait surnommé Fo-kouang-wang (le prince qui a l’éclat du Bouddha), fait ordonner sept novices et prie Hiouen-thsang de leur couper les cheveux au nom du roi[1].

Le Maître de la loi remercie le prince de cet insigne honneur. Le même jour, Hiouen-thsang félicite l’empereur de ce que Fo-kouang-wang (c’est-à-dire le nouveau-né) a atteint un mois accompli ; il lui envoie une lettre de congratulation et, pour son fils, divers objets à l’usage des religieux, savoir : le texte de la Pradjñâ, en un livre, écrit en lettres d’or et renfermé dans une riche enveloppe, ainsi que le livre Pao-’en-king (le livre sacré de la reconnaissance) ; un vêtement appelé Kia-cha (Kachâya), un costume complet de religieux, une cassolette et une table à parfums, un pot à eau, un casier pour les livres sacrés, un chapelet, un bâton de Çramana et un bassin pour les ablutions.

Au deuxième mois du printemps de la deuxième année, l’empereur visita le palais de Lo-yang en compagnie du Maître de la loi et de cinq traducteurs, suivis chacun d’un disciple et voyageant aux frais de Fétat.

Le char de Fo-kouang-wang (c’est-à-dire du jeune prince) marchait en tête du cortége. Hiouen-thsang accompagnait le prince royal ; les autres religieux venaient à la suite. Une fois arrivés, ils s’établirent dans le palais Tsi-tsouî’kong.

Dans la quatrième lune, en été, l’empereur, pour se mettre à l’abri de la chaleur, se retira dans le palais Ming-te-kong. Le Maître de la loi l’accompagna encore et s’établit dans le palais Feî-hoa-tien. Au midi, ce palais touchait au riusseau Tsao-kien ; au nord, il franchissait le rivage de la rivière Lo et communiquait au palais Hien-jin-kong.

Dans la cinquième lune, un décret ordonna au Maître de la loi de retourner dans le palais Tsi-tsam-kùng pour se livrer à la traduction des livres sacrés.

À la réception de cet ordre, Hiouen-thsang écrivit à l’empereur une lettre pour s’en excuser. Il rappelle à l’empereur que, lorsqu’il résidait à la capitale, il avait trouvé le Traité Fa-tchi-lun (Abhidharma djndna prasthâna), en trente livres, et le Traité Ta-pi-p’a-cha-lun (Mahâ vibhâcha çâstra) y dont la traduction, commencée avant lui, n’était pas encore achevée.

Un nouveau décret recommande à Hiouen-thsang de s’occuper d’abord des livres sacrés et des Traités qui n avaient pas encore été traduits, et de ne passer qu’en second lieu à ceux dont il existait déjà des traductions.

Le Maitre de la loi répond à l’empereur, que les Traités Fa-tchi-lun (Abhidharma djñâna prasthâna) et Pi-p’o-cha-lun (Vibhâcha çâstra) forment ensemble deux cents livres ; qu’avant lui, on n’en possédait en Chine que la moitié et qu’il en reste encore à traduire cent livres, dont le texte est confus et rempli de fautes. « Maintenant, ajoute-t-il, après les avoir corrigés, je me suis mis à les traduire ; depuis l’automne dernier, j’en ai déjà interprété soixante et dix livres, et il ne m’en reste plus que trente à mettre en chinois. Ces deux Traités sont extrêmement importants pour les étudiants ; j’ose espérer que vous me permettrez de les compléter. Il y a encore d^autres livres sacrés et des Traités différents de ceux-ci par leur étendue , mais plus incorrects et plus altérés. Je désire être autorisé à les traduire à la suite des précédents. »

L’empereur le lui permit.

Le Maitre de la loi s’était un peu éloigné de la capitale de l’Est (Lo-yong). Il profita de cette excursion à la suite de l’empereur, pour obtenir la faculté de visiter son village natal et son ancienne habitation. Il s’informa de ses parents et de ses vieux amis qui étaient sur le point de s’éteindre, car il ne lui restait plus qu’une sœur, nommée Tchang-chi, qui était allée à Ing-tcheou. Il envoya quelqu’un pour l’avertir, alla au-devant d’elle et la revit avec un sentiment de tristesse et de joie. Il demanda à sa sœur où étaient les tombeaux de son père et de sa mère. Il y alla lui-même avec elle, et arracha de ses propres mains les herbes incultes qui les couvraient depuis longues années. Ensuite il choisit un lieu heureusement situé et prépara un cercueil double pour les inhumer ailleurs ; mais quoique sa résolution fut bien arrêtée, il n’osa l’exécuter de son propre mouvement. Il adresse à l’empereur un placet où il rappelle que, « par suite des troubles des dernières années des Souï, ses parents ont été ensevelis, il y a plus de quarante ans, avec une grande précipitation que les circonstances seules pouvaient excuser. Maintenant les tombes de ses parents se trouvent ruinées par le temps et bientôt il n en restera plus de traces. En songeant à leurs bontés passées, il se sent agité d’inquiétude et de regrets. Aujourd’hui, il désire, avec sa sœur déjà chargée d’années, recueillir leurs restes précieux et les retirer d’un lieu étroit et ignoble pour les transporter dans la plaine occidentale. N’ayant plus que sa sœur pour l’aider dans l’accomplissement de ce devoir sacré, il prie l’empereur de daigner prolonger de quelques jours le congé qu’il lui avait ac- cordé, afin de s’acquitter, avec la maturité convenable, de tous les soins que prescrit la piété filiale. »

L’empereur accède à ce vœu, et ordonne par un décret que tous les frais des obsèques soient supportés par le trésor public. Le cortège funèbre, qu’entourait une pompe imposante, était formé par les plus hauts personnages de l’empire, et il était suivi de plus de dix mille religieux et laïques de la ville de Lo-yang.

L’empereur Hiao-wen-ti de la dynastie des seconds Weï (471-476 après J. C.), ayant transporté sa cour à Lo-yang, construisit, au nord du mont Chao-chi-chan, le Couvent du petit bois (Chao-lin-kia-lan). A l’est, il s’appuyait sur un pic qui s’élevait au sud de la montagne sacrée Song-yo, et au nord, sur un sommet élevé, et trois rivières lui formaient une ceinture. On ne voyait partout que des rochers escarpés et des sources retombant en brillantes cascades. Des sapins élancés, des bambous élégants étaient réunis par des lianes et Tonnaient un rideau de verdure. Des canneliers, des cyprès et des saules mariaient leur ombre et donnaient à tout le paysage de la majesté, de la grâce et de la fraîcheur. C’était vraiment un des sites les plus délicieux de tout l’empire. La tour occidentale se distinguait par la pureté et l’élégance de sa construction. C’était là que Pou-ti-lieou-tchi (Bôdhiroutchi) traduisait les livres sacrés ; c’était là aussi que Bhadra, le célèbre maître de la Dhyâna, se livrait à la méditation. On voyait jadis une tour qui renfermait leurs restes ; mais sur la fin de la période Ta-nic (605-617), des brigands la détruisirent par le feu, sans cependant brûler les riches couvents qui se trouvaient à l’entour. Au bas d’un monl qui s’élevait au nord-ouest, au sud-est du district de Heou-chi, dans la vallée Fong-hoang-kou (la vallée du Phénix), se trouvait le village de Tchin, qu’on appelait aussi Tchin-pao ; c’était le pays natal du Maître de la loi.

Le vingtième jour de la neuvième lune (657), en automne, le Maître de la loi adresse à l’empereur une lettre où il demande la permission d’entrer dans le couvent Chao-lin-sse (le Couvent du petit bois), pour se livrer à la traduction des livres et à la méditation. Il rappelle que ce fut là que, sous les seconds Weï (dans les années 471-476), le religieux Bôdhiroutchi traduisit des livres sacrés.

L’empereur répond qu’il ne peut se passer de l’appui de ses lumières, et qu’il ne souffrira pas qu’il aille s’ensevelir, pour le reste de ses jours, au milieu des rochers et des bois.

Hiouen-thsang, touché des observations de l’empereur, le remercie de sa réponse gracieuse et déclare qu’il ne réitérera point sa demande.

Le cinquième jour du onzième mois, en hiver, jour où le jeune prince, surnommé Fo-kouang-wang, avait accompli sa première année, le Maître de la loi offre pour lui un vêtement religieux et une lettre écrite à son intention, dans laquelle il lui souhaite « d’être protégé par les dix mille esprits du ciel, d’être entouré de toutes sortes de félicités, de reposer en paix et de jouir en grandissant de tous les avantages de la santé, de mettre en honneur les trois Précieux à l’exemple de ses ancêtres, de dompter les démons, de pratiquer les actes d’un Bôdhisattva et de continuer à protéger la religion du Bouddha. »

Pendant que le Maître de la loi traduisait les livres sacrés dans le couvent Tsi-tsouï-kong, il avait travaillé avec ardeur, sans prendre un moment de repos, et l’excès de la fatigue avait déterminé une maladie grave. Il en avait informé l’empereur qui, inquiet pour une vie aussi précieuse, avait ordonné à un médecin du palais, nommé Liu-hong-chi, d’aller lui porter des consolations et les secours de son art.

Le Maître de la loi en fut touché jusqu’au fond du cœur et lui adressa une lettre pour lui en exprimer si profonde reconnaissance.

L’empereur, heureux d’apprendre son rétablissement, lui envoie des messagers qu’il charge de le reconduire au palais Tsi-tsouï-kong , pour qu’il continue ses traductions.

Le premier mois du printemps de la troisième année (de la période Hien-khing — 658), l’empereur s’en retourne à la capitale de l’ouest et le Maître de la loi revient avec lui.

  1. C’est-à-dire au nom de son fils Fo-kouang-wang.