Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain/Tome 1/V

Traduction par François Guizot.
Texte établi par François GuizotLefèvre (Tome 1erp. 260-305).

CHAPITRE V.

Les prétoriens vendent publiquement l’empire à Didius-Julianus. Clodius-Albinus en Bretagne, Pescennius-Niger en Syrie, et Septime-Sévère en Pannonie, se déclarent contre les meurtriers de Pertinax. Guerres civiles et victoires de Sévère sur ses trois rivaux. Nouvelles maximes de gouvernement.

Proportion de la force militaire avec la population d’un état.

L’influence de la puissance militaire est beaucoup plus marquée dans une monarchie étendue que dans une petite société. Les plus habiles politiques ont calculé le nombre de bras que l’on peut employer au service des armes : selon eux, un état serait bientôt épuisé, s’il laissait ainsi dans l’oisiveté de l’état militaire plus de la centième partie des sujets qui le composent ; mais, quelque uniforme que puisse être cette proportion relative, l’influence de la puissance militaire sur le reste du corps social sera toujours en raison de la force positive de l’armée. Les avantages de la discipline et d’une tactique éclairée sont perdus, si les soldats ne forment point un seul corps, si ce corps n’est pas animé par une seule âme. Il est surtout essentiel de déterminer leur nombre. Ce n’est point avec une petite troupe que l’on peut tirer parti d’une semblable union ; dans une armée trop considérable, l’harmonie nécessaire pour les grandes entreprises ne saurait subsister : l’extrême délicatesse des ressorts ne contribue pas moins que leur pesanteur excessive à détruire la puissance de la machine. Une seule réflexion suffit pour démontrer la vérité de cette remarque. En vain la nature, l’art et l’expérience donneraient à un homme une force extraordinaire, des armes excellentes, une adresse merveilleuse ; malgré sa supériorité, il ne sera jamais en état de tenir perpétuellement dans la soumission une centaine de ses semblables. Le tyran d’une seule ville ou d’un domaine borné, s’apercevra bientôt que cent soldats armés sont une bien faible défense contre dix mille paysans ou citoyens ; mais cent mille hommes de troupes réglées et bien disciplinées, commanderont avec un pouvoir despotique dix millions de sujets, et un corps de dix ou quinze mille gardes imprimera la terreur à la populace la plus nombreuse d’une capitale immense.

Gardes prétoriennes ; leur institution.

Tel était à peine le nombre de ces gardes prétoriennes[1], dont l’extrême licence fut une des principales causes et le premier symptôme de la décadence de l’empire. Leur institution remontait à l’empereur Auguste. Ce tyran astucieux, persuadé que les lois pouvaient colorer une autorité usurpée, mais que les armes seules la soutiendraient, avait formé par degrés ce corps redoutable de gardes prêts à défendre sa personne, à en imposer au sénat, et à prévenir ou étouffer les premiers mouvemens d’une rebellion. Il leur accorda une double paye et des prérogatives supérieures à celles des autres troupes. Comme leur aspect formidable pouvait à la fois alarmer et irriter le peuple romain, ce prince n’en laissa que trois cohortes dans la capitale ; les autres étaient dispersées[2] en Italie dans les villes voisines. Mais après cinquante ans de paix et de servitude, Tibère crut pouvoir hasarder une mesure décisive qui rivât pour jamais les fers de son pays. Sous le prétexte spécieux de délivrer l’Italie de la charge des quartiers militaires, et d’introduire parmi les gardes une discipline plus rigoureuse, il appela le corps entier auprès de lui. [Leur camp.]Les prétoriens restèrent toujours dans le même camp[3], que l’on avait fortifié avec le plus grand soin[4], et qui, par sa situation avantageuse, dominait sur toute la ville[5].

Leur force et leur confiance.

Des serviteurs si redoutables, toujours nécessaires au despotisme, lui deviennent souvent funestes. En introduisant les gardes du prétoire dans le palais et dans le sénat, les empereurs leur apprirent à connaître leurs propres forces et la faiblesse de l’administration. Bientôt ces soldats envisagèrent avec un mépris familier les vices de leurs maîtres, et ils n’eurent plus pour la puissance souveraine cette vénération profonde que la distance et le mystère peuvent seuls inspirer dans un gouvernement arbitraire. Au milieu des plaisirs d’une ville opulente, leur orgueil se nourrissait du sentiment de leur irrésistible force ; il eût été impossible de leur cacher que la personne du monarque, l’autorité du sénat, le trésor public, et le siége de l’empire étaient entre leurs mains. Dans la vue de les détourner de ces idées dangereuses, les princes les plus fermes et les mieux établis se trouvaient forcés de mêler les caresses aux ordres, et les récompenses aux châtimens. Il fallait flatter leur vanité, leur procurer des plaisirs, fermer les yeux sur l’irrégularité de leur conduite, et acheter leur fidélité chancelante par des libéralités excessives. Depuis l’élévation de Claude, ils exigèrent ces présens comme un droit légitime à l’avènement de chaque nouvel empereur[6].

Leurs droits spécieux.

On s’efforça de justifier par des argumens une puissance soutenue par les armes ; et l’on prétendait que, suivant les premiers principes de la constitution, le consentement des gardes était essentiellement nécessaire à la nomination d’un empereur. L’élection des consuls, des magistrats et des généraux, quoique usurpée par le sénat, avait autrefois appartenu incontestablement au peuple romain[7]. Mais qu’était devenu ce peuple si célèbre ? on ne pouvait certainement pas le retrouver dans cette foule d’esclaves et d’étrangers qui remplissaient les rues de Rome ; multitude avilie et aussi méprisable par sa misère que par la bassesse de ses sentimens. Les défenseurs de l’état, composés de jeunes guerriers[8] nés au sein de l’Italie, et élevés dans l’exercice des armes et de la vertu, étaient les véritables représentans du peuple, et les seuls qui eussent le droit d’élire le chef militaire de la république. Ces raisonnemens n’étaient que spécieux ; il fut impossible d’y répondre, lorsque les indociles prétoriens, semblables au général gaulois, eurent rompu tout équilibre en jetant leurs épées dans la balance[9].

Ils mettent l’empire à l’enchère.

Ils avaient violé la sainteté du trône par le meurtre atroce de Pertinax ; ils en avilirent ensuite la majesté par l’indignité de leur conduite. Le camp n’avait point de chef ; ce Lætus, qui avait excité la tempête, s’était dérobé prudemment à l’indignation publique. Dans cette confusion, Sulpicianus, gouverneur de la ville, que l’empereur, son beau-père, avait envoyé au camp à la première nouvelle de la sédition, s’efforçait de calmer la fureur de la multitude, lorsqu’il fut tout à coup interrompu par les clameurs des assassins, qui portaient au bout d’une lance la tête de l’infortuné Pertinax. Quoique l’histoire nous ait accoutumés à voir l’ambition étouffer tout principe et subjuguer les autres passions, l’on a peine à concevoir que dans ces momens d’horreur, Sulpicianus ait désiré de monter sur un trône fumant encore du sang d’un prince si recommandable, et qui lui tenait de si près. Il avait déjà fait valoir le seul argument propre à émouvoir les gardes, et il commençait à traiter de la dignité impériale ; mais les plus prudens d’entre les prétoriens craignant de ne pas obtenir, dans un contrat particulier, un prix convenable pour un effet de si grande valeur, coururent sur les remparts, et annoncèrent à haute voix, que l’univers romain serait adjugé dans une vente publique au dernier enchérisseur[10].

Il est acheté par Julianus. A. D. 193, 28 mars.

Cette proclamation ignominieuse était le comble de la licence militaire ; elle répandit par toute la ville une douleur, une honte et une indignation universelles ; enfin elle parvint jusqu’aux oreilles de Didius-Julianus, sénateur opulent, qui, sans égard pour les malheurs de l’état, se livrait aux plaisirs de la table[11]. Sa femme, sa fille, ses affranchis et ses parasites lui persuadèrent aisément qu’il méritait le trône, et le conjurèrent de ne pas laisser échapper une occasion si favorable. Séduit par leurs représentations, le vaniteux vieillard se rendit en diligence dans le camp des prétoriens où Sulpicianus, au milieu des gardes, était toujours en traité avec eux. Du pied du rempart, Julianus commença à enchérir sur lui. Cette indigne négociation se traitait par des émissaires, qui, passant alternativement d’un côté à l’autre, instruisaient fidèlement chaque candidat des offres de son rival. Déjà Sulpicianus avait promis à chaque soldat un don de cinq mille drachmes, environ cent soixante livres st., lorsque Julianus, ardent à l’emporter, proposa tout à coup six mille deux cent cinquante drachmes, ou une somme de deux cents livres st. Aussitôt les portes du camp s’ouvrirent devant lui ; l’acquéreur fut revêtu de la pourpre, et reçut le serment de fidélité des troupes. Les soldats conservèrent en ce moment assez d’humanité pour stipuler qu’il pardonnerait à Sulpicianus, et qu’il oublierait quelles avaient été ses prétentions[12].

Julianus est reconnu par le sénat.

Il restait aux prétoriens à remplir les conditions de leur traité avec un souverain qu’ils se donnaient et qu’ils méprisaient : ils le placèrent au milieu de leurs rangs, l’environnèrent de tous côtés de leurs boucliers, et, serrés autour de lui, le conduisirent en ordre de bataille à travers les rues désertes de la ville. Le sénat convoqué reçut ordre de s’assembler ; ceux d’entre les sénateurs que Pertinax avait honorés de son amitié, ou qui se trouvaient être les ennemis personnels de Julianus, jugèrent devoir affecter plus de joie que les autres sur l’événement de cette heureuse révolution[13]. Après avoir rempli le sénat de gens armés, Julianus prononça un discours fort étendu sur la liberté de son élection, sur ses qualités éminentes, et sur sa confiance dans l’affection de ses concitoyens. Sa harangue fut universellement applaudie ; toute l’assemblée vanta son bonheur et celui de la nation, promit au prince de lui être à jamais fidèle, et le revêtit de tous les pouvoirs attachés à la dignité impériale[14].

Il prend possession du palais.

Du sénat, Julianus, accompagné du même cortège militaire, alla prendre possession du palais : les premiers objets qui frappèrent ses regards, furent le corps sanglant de Pertinax, et le repas frugal préparé pour son souper. Il regarda l’un avec indifférence, l’autre avec mépris. Il ordonna une fête magnifique, et il s’amusa jusque bien avant dans la nuit à jouer aux dés et à voir les danses du célèbre Pylades. Cependant, lorsque la foule des courtisans se fut retirée, l’on observa que ce prince, laissé en proie à de terribles réflexions dans les ténèbres et dans la solitude, ne put goûter les douceurs du sommeil ; il repassait probablement dans son esprit sa folle démarche, le sort de son vertueux prédécesseur, et ne se dissimulait pas combien était incertaine la possession d’un sceptre que l’argent et non le mérite lui avait mis entre les mains[15].

Mécontentement public.

Il avait raison de trembler : assis sur le trône du monde, il se trouvait sans amis et même sans partisans ; les prétoriens rougissaient eux-mêmes d’un souverain que l’avarice seule avait créé ; il n’était aucun citoyen qui n’envisageât son élévation avec horreur, et comme la dernière insulte faite au nom romain. Les nobles, à qui des possessions immenses et un état brillant imposaient la plus grande circonspection, dissimulaient leurs sentimens, et recevaient les égards affectés de l’empereur avec une satisfaction apparente et avec des protestations de fidélité ; mais parmi le peuple, les citoyens qui trouvaient un abri sûr dans leur nombre et dans leur obscurité, donnaient un libre cours à leur indignation ; les rues et les places publiques de Rome retentissaient de clameurs et d’imprécations ; la multitude furieuse insultait la personne de Julianus, rejetait ses libéralités, et, trop faible pour entreprendre une révolution, elle appelait à grands cris les légions des frontières, et les invitait à venir venger la majesté de l’empire.

Les armées de Bretagne, de Syrie et de Pannonie se déclarent contre Julianus.

Le mécontentement public passa bientôt du centre aux extrémités de l’état. Les armées de Bretagne, de Syrie et d’Illyrie déplorèrent la mort de Pertinax, avec lequel elles avaient tant de fois combattu, et qui les avait si souvent menées à la victoire. Elles apprirent avec surprise, avec indignation, peut-être même avec jalousie, cette étrange nouvelle, que l’empire avait été publiquement mis à l’enchère par les prétoriens, et elles refusèrent avec hauteur de ratifier cet indigne marché. Leur révolte prompte et unanime entraîna la perte de Julianus et troubla la tranquillité de l’état. Clodius-Albinus, Pescennius-Niger et Septime-Sévère, qui commandaient ces différentes armées, furent plus empressés de succéder à Pertinax que de venger sa mort. Les forces de ces trois rivaux étaient égales ; ils se trouvaient chacun à la tête de trois légions et d’un corps nombreux d’auxiliaires[16] ; et quoique d’un caractère différent, ils joignaient tous à la valeur du soldat les talens et l’expérience du général.

Clodius-Albinus en Bretagne.

Clodius-Albinus, gouverneur de la Grande-Bretagne, l’emportait sur ses deux compétiteurs par la noblesse de son extraction : il comptait parmi ses ancêtres plusieurs des citoyens les plus illustres de l’ancienne république[17] ; mais la branche dont il descendait, persécutée par la fortune, avait été transplantée dans une province éloignée. Il est difficile de se former une idée juste de son véritable caractère. On lui reproche d’avoir caché sous le manteau d’un philosophe austère la plupart des vices qui dégradent la nature humaine[18] ; mais ses accusateurs étaient des écrivains mercenaires, adorateurs de la fortune de Sévère, et qui foulaient aux pieds les cendres de son rival malheureux. La vertu d’Albinus, ou des apparences de vertu lui avaient attiré l’estime et la confiance de Marc-Aurèle ; et s’il conserva la même influence sur l’esprit du fils, on en pourrait conclure au moins qu’il était doué d’un caractère très-flexible. La faveur d’un tyran ne suppose pas toujours un défaut de mérite dans celui qui en est l’objet : souvent le hasard, le caprice, la nécessité des affaires publiques ont porté des princes à récompenser des talens et des vertus qu’ils étaient bien éloignés eux-mêmes de posséder.

Il ne paraît pas qu’Albinus ait jamais été le ministre des cruautés de Commode, ni même le compagnon de ses débauches. Il était revêtu d’un commandement honorable loin de la capitale, lorsqu’il reçut une lettre particulière de l’empereur, qui lui faisait part des complots de quelques officiers mécontens, et qui l’autorisait à se déclarer défenseur du trône et successeur à l’empire, en prenant le titre et la dignité de César[19]. Le gouverneur de Bretagne refusa sagement d’accepter un honneur dangereux qui l’aurait exposé à la jalousie, et qui pouvait l’envelopper dans la ruine prochaine de Commode. Albinus employa, pour s’élever, des moyens plus nobles, ou au moins plus imposans. Sur un bruit prématuré de la mort de l’empereur, il assembla ses troupes, et après avoir déploré les maux inévitables du despotisme, il leur représenta, dans un discours éloquent, le bonheur et la gloire dont leurs ancêtres avaient joui sous le gouvernement consulaire, et déclara qu’il était fermement résolu de rendre au peuple et au sénat leur autorité légitime.

Cette harangue populaire fut reçue par les légions britanniques avec des acclamations redoublées ; à Rome, elle excita des applaudissemens secrets. Tranquille possesseur d’une province séparée du continent et à la tête d’une armée moins célèbre, il est vrai, par la discipline que par le nombre et la valeur des soldats[20], le gouverneur de Bretagne brava les menaces de Commode, opposa une conduite équivoque à l’autorité de Pertinax, et leva l’étendard contre Julianus, dès que ce prince eut usurpé la couronne. Les convulsions de la capitale donnaient encore plus d’autorité aux sentimens patriotiques d’Albinus, ou plutôt à ses professions de patriotisme. La décence lui défendit de prendre les titres pompeux d’Auguste et d’empereur. Il voulut peut-être imiter l’exemple de Galba, qui, dans une circonstance pareille, s’était fait appeler le lieutenant du sénat et du peuple[21].

Pescennius-Niger en Syrie.

Le mérite personnel de Pescennius-Niger avait fait oublier sa naissance obscure, et l’avait élevé d’un emploi médiocre au gouvernement de la Syrie, poste important et très-lucratif, qui, dans des temps de guerre civile, pouvait lui frayer le chemin au trône. Cependant il paraissait plus fait pour briller au second rang que pour occuper le premier. Incapable de commander en chef, il aurait été le meilleur lieutenant de Sévère, qui eut dans la suite assez de grandeur d’âme pour adopter plusieurs institutions utiles d’un ennemi vaincu[22].

Niger, dans son gouvernement, gagna l’estime des troupes et l’amour de la province. Sa discipline rigide affermissait la valeur, et fixait l’obéissance des soldats, tandis que les voluptueux Syriens se laissaient charmer, moins par la douce fermeté de son administration, que par l’affabilité de ses manières, et le goût qu’il paraissait prendre à leurs fêtes splendides et nombreuses[23].

Dès que l’on apprit à Antioche le meurtre atroce de Pertinax, toute l’Asie se tourna vers Niger, pour l’inviter à venger la mort de ce prince, et le désigna comme son successeur au trône. Les légions de l’Orient embrassèrent sa cause. Depuis les frontières d’Éthiopie[24] jusqu’à la mer Adriatique, les provinces riches, mais désarmées, de cette partie de l’empire, se soumirent avec joie à son obéissance. Enfin les rois dont les états étaient situés au-delà du Tigre et de l’Euphrate, le félicitèrent sur son élection, et lui offrirent leurs services.

Niger, comblé tout à coup des biens de la fortune, n’avait point l’âme assez forte pour soutenir une révolution si subite. Il se flatta qu’il ne se présenterait aucun rival, et que son avènement au trône ne serait pas souillé par le sang des citoyens ; mais en s’occupant des vains honneurs du triomphe, il négligea de s’assurer de la victoire. Au lieu d’entrer en négociation avec les puissantes armées de l’Occident, dont les démarches devaient décider, ou au moins balancer le destin de l’empire ; au lieu de marcher sans délai à Rome, où il était attendu avec impatience[25], Niger perdit, dans les plaisirs d’Antioche, des momens précieux, dont le génie actif de Sévère profita habilement et d’une manière décisive[26].

Pannonie et Dalmatie.

Le pays des Pannoniens et des Dalmates, situé entre le Danube et l’extrémité de la mer Adriatique, était une des dernières conquêtes des Romains, et celle qui leur avait coûté le plus de sang. Deux cent mille de ces Barbares avaient pris à la fois les armes pour la défense de leur liberté, avaient alarmé la vieillesse d’Auguste, et exercé l’activité de Tibère, qui combattit contre eux à la tête de toutes les forces de l’empire[27]. Les Pannoniens se soumirent à la fin aux armes et aux lois de Rome. Cependant le souvenir récent de leur indépendance, le voisinage et même le mélange des tribus qui n’avaient point été conquises, peut-être aussi l’influence d’un climat où l’on prétend que la nature donne aux hommes de grands corps et peu d’intelligence[28], tout contribuait à entretenir leur férocité primitive ; et sous le maintien uniforme et soumis de sujets romains, on démêlait encore les traits hardis des premiers habitans de ces contrées barbares. Leur jeunesse belliqueuse fournissait sans cesse des recrues aux légions campées sur les bords du Danube, et qui, perpétuellement aux prises avec les Germains et avec les Sarmates, étaient regardées, à juste titre, comme les meilleures troupes de l’empire.

Septime-Sévère.

Septime-Sévère commandait alors l’armée de Pannonie. Ce général, né en Afrique, avait passé par tous les grades militaires. Il avait parcouru lentement la carrière des honneurs, nourrissant en secret une ambition démesurée, qui, ferme et inébranlable dans sa marche, ne fut jamais détournée ni par l’attrait du plaisir, ni par la crainte des dangers, ni par aucun sentiment d’humanité[29]. À la première nouvelle de la mort de Pertinax, il assembla ses troupes, leur peignit avec les couleurs les plus vives le crime, l’insolence et la faiblesse des prétoriens ; et il excita les légions à voler aux armes et à la vengeance. La péroraison de son discours était surtout extrêmement éloquente. Il promettait à chaque soldat une somme de quatre cents livres sterl., présent considérable et double de celui que le lâche Julianus avait offert pour acheter l’empire[30]. [Déclaré empereur par les légions de Pannonie. A. D. 193, 13 avril.]Les troupes conférèrent aussitôt à leur général le nom d’Auguste, de Pertinax et d’empereur. Ce fut ainsi que Sévère parvint à ce poste élevé, où il était appelé par le sentiment de son propre mérite, et par une longue suite de songes et de présages qu’avait enfantés sa politique ou sa superstition[31].

Ce nouveau prétendant à l’empire sentit les avantages particuliers de sa situation, et il sut en profiter. Son gouvernement, qui s’étendait jusqu’aux Alpes Juliennes, lui facilitait les moyens de pénétrer en Italie. [Il marche en Italie.]Auguste avait dit qu’une armée pannonienne pouvait paraître dans dix jours à la vue de Rome[32]. Ces paroles mémorables vinrent se présenter à l’esprit de Sévère. Par une promptitude proportionnée à l’importance de l’objet, il pouvait raisonnablement espérer de venger Pertinax, de punir Julianus, et de recevoir l’hommage du sénat et du peuple, comme empereur légitime, avant que ses compétiteurs, séparés de l’Italie par une immense étendue de terre et de mer, eussent été informés de ses exploits, ou même de son élection. Pendant sa marche, il se permit à peine le repos ou la nourriture ; toujours à pied, couvert de ses armes et marchant à la tête des légions, il s’insinuait dans l’amitié et la confiance des soldats, redoublait leur activité, relevait leur courage, animait leurs espérances ; et consentait avec joie à partager avec le moindre d’entre eux, des fatigues dont il avait toujours devant ses yeux l’immense récompense.

Il s’avance jusqu’à Rome.

Le malheureux Julianus s’était attendu, et se croyait préparé à disputer l’empire au gouverneur de Syrie ; mais lorsqu’il apprit la marche rapide des légions invincibles de Pannonie, sa perte lui parut inévitable. L’arrivée précipitée de chaque courrier redoublait ses justes alarmes. On lui vint annoncer successivement que Sévère avait passé les Alpes ; que les villes d’Italie, disposées en sa faveur, ou incapables d’arrêter ses progrès, l’avaient reçu avec des transports de joie et des protestations de fidélité ; que l’importante place de Ravenne s’était rendue sans résistance ; et enfin que la flotte de la mer Adriatique obéissait au vainqueur. Déjà l’ennemi n’était plus éloigné de Rome que de deux cent cinquante milles ; chaque instant resserrait le cercle étroit de la vie et de l’empire du prince.

Détresse de Julianus.

Cependant Julianus entreprit de prévenir sa perte, ou du moins de la reculer. Il implora la foi vénale des prétoriens, remplit la capitale de vains préparatifs de guerre, tira des lignes autour des faubourgs de la ville, et se fortifia dans le palais, comme s’il eût été possible, sans espoir de secours, de défendre ces derniers retranchemens contre un ennemi victorieux. La honte et la crainte empêchèrent les prétoriens de l’abandonner ; mais ils tremblaient au nom des légions pannoniennes, commandées par un général expérimenté, et accoutumées à vaincre les Barbares sur les glaces du Danube[33]. Ils quittaient, en soupirant, les bains et les spectacles, pour prendre des armes dont le poids les accablait, et qu’ils avaient perdu l’habitude de manier. On se flattait que l’aspect terrible des éléphans jetterait la terreur dans les armées du Nord ; mais ces animaux indociles ne reconnaissaient plus la main de leurs conducteurs. La populace insultait aux évolutions ridicules des soldats de marine tirés de la flotte de Misène, tandis que les sénateurs jouissaient secrètement de l’embarras et de la faiblesse de l’usurpateur[34].

Sa conduite incertaine.

Toutes les démarches de Julianus décelaient ses alarmes et sa perplexité, tantôt il exigeait du sénat que Sévère fût déclaré l’ennemi de l’état, tantôt il désirait qu’on l’associât à l’empire. Il envoyait publiquement à son rival des sénateurs consulaires, pour négocier avec lui comme ambassadeurs, tandis qu’il chargeait en particulier des assassins de lui arracher la vie. Il ordonna aux vestales et aux prêtres de sortir en pompe solennelle, revêtus de leurs habits sacerdotaux, portant devant eux les gages sacrés de la religion, et de s’avancer ainsi à la rencontre des légions Pannoniennes. Il s’efforçait en même temps d’interroger ou d’apaiser les destins par des cérémonies magiques, et par d’indignes sacrifices[35].

Il est abandonné par les prétoriens.

Sévère, qui ne craignait ni ses armes ni ses conjurations, n’avait à redouter que des complots secrets. Pour éviter ce danger, il se fit accompagner, pendant toute sa route, de six cents hommes choisis, qui, toujours armés de leur cuirasse, ne quittaient sa personne ni jour ni nuit. Rien ne l’arrêta dans sa marche rapide. Après avoir passé sans obstacle les défilés des Apennins, il reçut dans son parti les troupes et les ambassadeurs que l’on avait envoyés pour retarder ses progrès ; et il ne resta que fort peu de temps dans la ville d’Interamnia, aujourd’hui Teramo, située à soixante-dix milles de Rome. Déjà il était sûr de la victoire ; mais le désespoir des prétoriens pouvait la rendre sanglante ; et Sévère avait la noble ambition de vouloir monter sur le trône sans tirer l’épée[36]. Ses émissaires, répandus dans la capitale, assurèrent les gardes que s’ils voulaient abandonner à la justice du vainqueur leur indigne souverain et les meurtriers de Pertinax, le corps entier ne serait plus jugé coupable de ce forfait. Des soldats sans foi, dont la résistance n’avait jamais eu pour base qu’une opiniâtreté farouche, acceptèrent avec joie ces conditions si faciles à remplir. Ils se saisirent de la plupart des assassins, et déclarèrent au sénat qu’ils ne défendraient pas plus long-temps la cause de Julianus. Cette assemblée, convoquée par le consul, reconnut unanimement Sévère comme le seul empereur légitime, décerna des honneurs divins à Pertinax, et prononça une sentence de déposition et de mort contre son infortuné successeur. [Condamné et exécuté par ordre du sénat. A. D. 103, 2 juin.]Julianus, comme un criminel ordinaire, eut aussitôt la tête tranchée dans une salle des bains de son palais. Telle fut la fin d’un homme qui avait dépensé des trésors immenses pour monter sur un trône chancelant et orageux, qu’il occupa seulement pendant soixante-six jours[37]. La diligence presque incroyable de Sévère qui, dans un si court espace de temps, conduisit une armée nombreuse des rives du Danube aux bords du Tibre, prouve à la fois l’abondance des provisions produites par l’agriculture et par le commerce, la bonté des chemins, la discipline des légions, et l’indolente soumission des provinces conquises[38].

Disgrâce des prétoriens.

Les premiers soins de Sévère furent consacrés à deux mesures dictées, l’une par la politique et l’autre par la décence ; d’abord de venger Pertinax, et ensuite de rendre à ce prince les honneurs dus à sa mémoire. Avant d’entrer dans Rome, le nouvel empereur commanda aux prétoriens d’attendre son arrivée dans une grande plaine près de la ville, et de s’y rendre sans armes, mais avec les habits de cérémonie dont ils étaient revêtus lorsqu’ils accompagnaient le souverain. Ces troupes hautaines, moins touchées de repentir que frappées d’une juste terreur, obéirent à ses ordres. Aussitôt un détachement choisi de l’armée d’Illyrie les environna l’épée tournée contre eux. La résistance ou la fuite devenait impossible ; et les prétoriens attendaient leur sort en silence et dans la consternation. L’empereur, monté sur son tribunal, leur reprocha sévèrement leur perfidie et leur lâcheté, les cassa avec ignominie, les dépouilla de leurs magnifiques ornemens, et leur défendit, sous peine de mort, de paraître à la distance de cent milles de Rome. Pendant cette exécution, d’autres troupes avaient reçu ordre de s’emparer de leurs armes, d’occuper leur camp fortifié, et de prévenir les suites funestes de leur désespoir[39].

Funérailles et apothéose de Pertinax.

On célébra ensuite les funérailles de Pertinax avec toute la magnificence dont était susceptible cette triste cérémonie[40]. Le sénat rendit, avec un plaisir mêlé d’amertume, les derniers devoirs à cet excellent prince, qu’il avait chéri et qu’il regrettait encore. La sensibilité de son successeur était probablement moins sincère : il estimait les vertus de Pertinax ; mais ses vertus lui auraient fermé le chemin du trône, unique objet de son ambition. Sévère prononça son oraison funèbre avec une éloquence étudiée ; et, malgré la satisfaction intérieure qu’il ressentait, il parut pénétré d’une véritable douleur. Ces égards respectueux pour la mémoire de Pertinax, persuadèrent à la multitude crédule, que Sévère méritait seul d’occuper sa place. Cependant ce prince, convaincu que les armes, et non de vaines cérémonies, devaient assurer ses droits, quitta Rome au bout de trente jours ; et, sans se laisser éblouir par l’éclat d’une victoire facile, il se disposa à combattre des rivaux plus formidables.

Succès de Sévère contre Niger et contre Albinus.

Sa fortune et ses talens extraordinaires ont porté un historien élégant à le comparer au premier et au plus grand des Césars[41] : le parallèle est au moins imparfait. Où trouver dans le caractère de Sévère la supériorité éclatante, la grandeur d’âme, la générosité, la clémence de César, et surtout ce vaste génie qui savait réunir et concilier l’amour du plaisir, la soif des connaissances et le feu de l’ambition[42] ? Si ces deux princes ont quelques rapports entre eux, ce n’est que dans la célérité de leurs entreprises et dans les victoires remportées sur leurs concitoyens. [A. D. 193-197.]En moins de quatre ans[43], Sévère subjugua les provinces opulentes de l’Asie et les contrées belliqueuses de l’Occident ; il vainquit deux compétiteurs habiles et renommés, et défit des troupes nombreuses, non moins aguerries et aussi bien disciplinées que ses soldats. Tous les généraux romains connaissaient alors l’art de la fortification et les principes de la tactique : la supériorité constante de Sévère fut celle d’un artiste qui fait usage des mêmes instrumens avec plus d’adresse et d’industrie que ses rivaux. Je ne donnerai point la description exacte de toutes ses opérations militaires : comme les deux guerres civiles soutenues contre Niger et contre Albinus diffèrent très-peu dans la conduite, dans les succès et dans les suites, je rassemblerai sous un seul point de vue les circonstances les plus frappantes qui tendent à développer le caractère du vainqueur et l’état de l’empire.

Conduite des deux guerres civiles. Artifices de Sévère.

Si la dissimulation et la fausseté ont été bannies du commerce ordinaire de la société, elles ne semblent pas moins indignes de la majesté du gouvernement : cependant, tolérées en quelque sorte dans le cours des affaires publiques, elles ne nous présentent pas alors la même idée de bassesse. Dans le simple particulier, elles sont la preuve d’un manque de courage personnel ; dans l’homme d’état, elles indiquent seulement un défaut de pouvoir. Comme il est impossible au plus grand génie de subjuguer par sa propre force des millions de ses semblables, le monde paraît lui accorder la permission d’employer librement, sous le nom de politique, la ruse et la finesse. Mais les artifices de Sévère ne peuvent être justifiés par les priviléges les plus étendus de la raison d’état. Ce prince ne promit que pour trahir, ne flatta que pour perdre ; et quoique, selon les circonstances, il se trouvât lié par des traités et par des sermens, sa conscience, docile à la voix de son intérêt, le dispensa toujours de remplir des obligations gênantes[44].

Envers Niger.

Si ses deux compétiteurs, réconciliés par un danger commun, se fussent avancés contre lui sans délai, peut-être Sévère aurait-il succombé sous leurs efforts réunis. S’ils l’eussent attaqué en même temps, avec des vues différentes et des armées séparées, la victoire aurait pu devenir longue et douteuse ; mais attirés dans le piège d’une sécurité funeste par la modération affectée d’un adroit ennemi, et déconcertés par la rapidité de ses exploits, ils tombèrent successivement victimes de ses armes et de ses artifices. Sévère marcha d’abord contre Niger, celui dont il redoutait le plus la réputation et la puissance ; mais évitant toute déclaration de guerre, il supprima le nom de son antagoniste, et déclara seulement au sénat et au peuple qu’il se proposait de rétablir l’ordre dans les provinces de l’Orient. En particulier, il parlait de Niger, son ancien ami, avec le plus grand intérêt ; il l’appelait même son successeur au trône[45], et applaudissait hautement au dessein généreux qu’il avait formé de venger la mort de Pertinax. Il était du devoir de tout général romain de punir un vil usurpateur : ce qui pourrait le rendre criminel[46], serait de continuer à porter les armes, et de se révolter contre un empereur légitime, reconnu solennellement par le sénat. On retenait à Rome les enfans de tous les commandans de provinces, comme des gages de la fidélité de leurs parens[47] ; parmi eux s’étaient trouvés ceux de Niger. Maître de la capitale, Sévère fit élever avec le plus grand soin les fils du gouverneur de Syrie, et il leur fit donner la même éducation qu’à ses propres enfans, tant que la puissance de Niger inspira de la terreur ou même du respect ; mais ces infortunés furent bientôt enveloppés dans la ruine de leur père, et soustraits à la compassion publique par l’exil, ensuite par la mort[48].

Envers Albinus.

Tandis que Sévère portait la guerre en Orient, il avait raison de craindre que le gouverneur de Bretagne, après avoir passé la mer et franchi les Alpes, ne vînt occuper le trône vacant, et ne lui opposât l’autorité du sénat soutenue des forces redoutables de l’Occident. La conduite équivoque d’Albinus, qui n’avait point voulu prendre le titre d’empereur, ouvrait un champ libre à la négociation. Oubliant à la fois et ses protestations de patriotisme et la jalousie du pouvoir suprême, qu’il avait voulu obtenir, ce général accepta le rang précaire de César, comme une récompense de la neutralité fatale qu’il promettait d’observer. Sévère, jusqu’à ce qu’il se fût défait de son premier compétiteur, traita toujours avec les plus grandes marques d’estime et d’égard un homme dont il avait juré la perte ; et même dans la lettre où il lui apprend la défaite de Niger, il l’appelle son frère et son collègue ; il le salue au nom de sa femme Julie et de ses enfans, et il le conjure de maintenir les armées de la république dans la fidélité nécessaire à leurs intérêts communs. Les messagers chargés de remettre cette lettre avaient ordre d’aborder le César avec respect, de lui demander une audience particulière, et de lui plonger le poignard dans le sein[49]. Le complot fut découvert. Enfin le trop crédule Albinus passa sur le continent, résolu de combattre un rival supérieur qui fondait sur lui à la tête d’une armée invincible, et composée des plus braves vétérans.

Événement des guerres civiles.

Les combats que Sévère eut à livrer ne semblent pas répondre à l’importance de ses conquêtes. Deux actions, l’une près de l’Hellespont, l’autre dans les défilés étroits de la Cilicie[50], décidèrent du sort de Niger ; et les troupes européennes conservèrent leur ascendant ordinaire sur les soldats efféminés de l’Asie[51]. La bataille de Lyon, où l’on vit combattre cent cinquante mille Romains[52], fut également fatale à Clodius-Albinus. D’un côté, le courage de l’armée britannique ; de l’autre, la discipline des légions de la Pannonie, tinrent long-temps la victoire incertaine, et firent plus d’une fois pencher la balance. Sévère même était sur le point de perdre à la fois sa réputation et sa vie, lorsque ce prince belliqueux rallia ses troupes, ranima leur valeur[53], et vainquit enfin son rival[54]. La guerre fut terminée par cette journée mémorable.

Décidées par deux ou trois batailles.

Les discordes civiles qui ont déchiré l’Europe moderne ont été caractérisées non-seulement par une ardente animosité, mais encore par une constance opiniâtre. Ces guerres sanglantes ont été généralement justifiées par quelque principe, ou du moins colorées par quelque prétexte de religion, de liberté ou de devoir. Les chefs étaient des nobles indépendans, à qui la naissance et les biens donnaient une grande influence. Les soldats combattaient en hommes intéressés à la décision de la querelle. Comme l’esprit militaire et le zèle de parti enflammaient au même degré tous les membres de la société, un chef vaincu se trouvait immédiatement après sa défaite entouré de nouveaux partisans prêts à répandre leur sang pour la même cause ; mais les Romains, après la chute de la république, ne combattaient que pour le choix de leur maître. Quand les vœux du peuple appelaient un candidat à l’empire, de tous ceux qui s’enrôlaient sous ses étendards, quelques-uns le servaient par affection, d’autres par crainte, le plus grand nombre par intérêt, aucun par principe. Les légions, dénuées de tout attachement de parti, se jetaient indifféremment dans les guerres civiles, d’un côté ou de l’autre, déterminées par des présens magnifiques et des promesses encore plus libérales ; un échec qui ôtait au général les moyens de remplir ses engagemens, les relevait en même temps de leur serment de fidélité. Ces mercenaires, empressés d’abandonner une cause malheureuse, ne trouvaient de sûreté que dans une prompte désertion. Au milieu de tous ces troubles, il importait peu aux provinces au nom de qui elles fussent gouvernées ou opprimées. Entraînées par l’impulsion d’une puissance directe, dès que ce mouvement venait se briser contre une force supérieure, elles se hâtaient de recourir à la clémence du vainqueur, qui, pour acquitter des dettes exorbitantes, sacrifiait les provinces les plus coupables à l’avarice des soldats. Dans l’immense étendue de l’empire, les villes, sans défense pour la plupart, n’offraient point d’asile aux débris d’une armée en déroute. Enfin, il n’existait aucun homme, aucune famille, aucun ordre de citoyens, dont le crédit particulier eût été capable de rétablir la fortune d’un parti expirant sans être soutenu de l’influence puissante du gouvernement[55].

Siége de Byzance.

Il ne faut cependant pas oublier une ville dont les habitans méritent, par leur attachement à l’infortuné Niger, une exception honorable. Comme Byzance servait de principale communication entre l’Europe et l’Asie, on avait eu soin de pourvoir à sa défense par une forte garnison et par une flotte de cinq cents voiles, qui mouillait dans son port[56] : l’impétuosité de Sévère déjoua ce plan de défense si prudemment combiné. Ce prince laisse ses généraux autour des murailles de la place, force le passage moins gardé de l’Hellespont ; et, impatient de voler à des conquêtes plus faciles, il marche au-devant de son rival. Byzance, attaquée par une armée nombreuse et toujours croissante, et enfin par toutes les forces navales de l’empire, soutint un siége de trois ans, et demeura fidèle au nom et à la mémoire de Niger. Les soldats et les citoyens, animés d’une ardeur dont nous ignorons la cause, se battaient en furieux : plusieurs même des principaux officiers de Niger, qui désespéraient d’obtenir leur pardon, ou qui dédaignaient de le demander, s’étaient jetés dans ce dernier asile. Les fortifications passaient pour imprenables : un célèbre ingénieur, renfermé dans la place, avait employé, pour la défendre, toutes les ressources de la mécanique connue aux anciens[57]. Enfin Byzance, pressée par la famine, ouvrit ses portes : la garnison et les magistrats furent passés au fil de l’épée, les murailles démolies, les priviléges supprimés ; et cette ville, qui devait être un jour la capitale de l’Orient, ne fut plus qu’une simple bourgade ouverte de tous côtés, et soumise à la juridiction insultante de Périnthe[58]. L’historien Dion, qui avait admiré l’état florissant de Byzance, déplora ses ruines : il reproche à Sévère d’avoir, dans son ressentiment, privé le peuple romain du plus fort boulevard que la nature eût élevé contre les Barbares du Pont et de l’Asie[59]. Cette observation ne fut que trop vérifiée dans le siècle suivant, lorsque les flottes des Goths couvrirent le Pont-Euxin, et pénétrèrent sans obstacle, par le canal du Bosphore, jusque dans le centre de la Méditerranée.

Mort de Niger et d’Albinus. Suites cruelles des guerres civiles.

Albinus et Niger éprouvèrent le même sort : vaincus tous les deux, ils furent pris dans leur fuite et condamnés à perdre la vie. Leur mort n’excita ni surprise ni compassion : ils avaient risqué leurs personnes contre le hasard d’un empire ; ils subirent le sort qu’ils auraient fait subir à leur rival ; et Sévère ne prétendait point à cette supériorité arrogante qui permet à un rival de vivre dans une condition privée. Son caractère inexorable le portait à la vengeance : mais l’avarice le rendit encore plus cruel, même lorsqu’il n’eut plus rien à redouter. Les plus riches habitans des provinces, qui, sans aucune aversion pour l’heureux candidat, avaient obéi au gouverneur que la fortune leur avait donné, furent punis par la mort, par l’exil et par la confiscation de leurs biens. Sévère, après avoir dépouillé la plupart des villes de l’Asie de leurs anciennes dignités, en exigea quatre fois les sommes qu’elles avaient payées pour le service de son compétiteur[60].

Animosité de Sévère contre le sénat.

Tant que ce prince eut des ennemis à combattre, sa cruauté fut, en quelque sorte, retenue par l’incertitude de l’événement et par sa vénération affectée pour les sénateurs. La tête sanglante d’Albinus, la lettre menaçante dont elle était accompagnée, annoncèrent aux Romains que Sévère avait pris la résolution de n’épargner aucun des partisans de son infortuné rival. Persuadé qu’il n’avait jamais eu l’affection du sénat, il avait juré à ce corps une haine éternelle ; et il faisait éclater tous les jours son ressentiment, en prétextant la découverte récente de quelque conspiration secrète. Il est vrai qu’il pardonna sincèrement à trente-cinq sénateurs accusés d’avoir favorisé le parti d’Albinus ; il s’efforça même par la suite de les convaincre qu’il avait non-seulement pardonné mais oublié leur offense présumée ; mais dans le même temps il en fit périr quarante-un autres[61], dont l’histoire nous a conservé les noms. Leurs femmes, leurs enfans, leurs cliens, subirent le même supplice, et les plus nobles habitans de la Gaule et de l’Espagne furent pareillement condamnés à mort. Une justice aussi rigide, comme il plaisait à Sévère de l’appeler, était dans son opinion le seul moyen d’assurer la paix du peuple et la tranquillité du prince ; et il daignait déplorer la condition d’un souverain, qui, pour être humain, devait nécessairement, selon lui, commencer par être cruel[62].

Sagesse et justice de son gouvernement.

En général, les véritables intérêts d’un monarque absolu sont d’accord avec ceux de son peuple. Sa grandeur réelle consiste uniquement dans le nombre, l’ordre, les richesses et la sûreté de ses sujets ; et si son cœur est sourd à la voix de la vertu, la prudence peut au moins le guider, et lui dicter la même règle de conduite. Sévère regardait l’empire de Rome comme son bien propre : il n’en fut pas plus tôt possesseur paisible, qu’il n’oublia rien pour cultiver et pour améliorer une si précieuse acquisition. Des lois salutaires, exécutées avec une fermeté inflexible, corrigèrent bientôt la plupart des abus qui, depuis la mort de Marc-Aurèle, s’étaient introduits dans toutes les parties du gouvernement. Lorsque l’empereur rendait la justice, l’attention, le discernement et l’impartialité caractérisaient ses décisions. S’il s’écartait quelquefois des principes d’une exacte équité, il faisait toujours pencher la balance en faveur du pauvre et des opprimés, moins guidé, il est vrai, par quelque sentiment d’humanité que par le penchant naturel qu’ont les princes despotes à humilier l’orgueil des grands, et à rabaisser tous leurs sujets au niveau commun d’une dépendance absolue. Ses dépenses considérables en bâtimens et en spectacles magnifiques, et ses distributions constantes de blé et de provisions de toute espèce, étaient les moyens les plus sûrs de captiver l’affection du peuple romain[63].

Paix et prospérité universelles.

On avait oublié les malheurs des guerres civiles, et les provinces goûtaient encore une fois les avantages de la paix et de la prospérité. Plusieurs villes rétablies par la magnificence de Sévère, prirent le titre de colonies, et attestèrent, par des monumens publics, leur reconnaissance et leur félicité[64]. Ce prince habile, toujours suivi par la fortune, fit revivre la réputation des armes romaines[65], et il se glorifiait, à juste titre, de ce qu’ayant trouvé l’empire accablé de guerres civiles et étrangères, il le laissait dans le calme d’une paix profonde, honorable et universelle[66].

La discipline militaire relâchée.

Quoique les plaies faites à l’état par les discordes intestines parussent entièrement guéries, un poison mortel attaquait les sources de la constitution. Sévère possédait un caractère ferme et des talens supérieurs ; mais le génie audacieux du premier des Césars, où la politique profonde d’Auguste aurait à peine été capable de courber l’insolence des légions victorieuses. La reconnaissance, une nécessité apparente et une politique mal entendue, engagèrent Sévère à relâcher les ressorts de la discipline militaire[67]. Il flatta la vanité des soldats, et parut s’occuper de leurs plaisirs, en leur permettant de porter des anneaux d’or, et de vivre dans les camps avec leurs femmes. Leur paye n’avait jamais été aussi forte ; ils recevaient de plus des largesses extraordinaires à chaque fête publique, ou toutes les fois que l’état était menacé de quelque danger. Insensiblement ils s’accoutumèrent à exiger ces gratifications. Enflés par la prospérité, énervés par le luxe, et élevés par des prérogatives dangereuses au-dessus des sujets de l’empire[68], ils furent bientôt incapables de supporter les fatigues militaires ; et sans cesse disposés à secouer le joug d’une juste subordination, ils devinrent le fléau de leur patrie. De leur côté, les officiers ne soutenaient la supériorité de leur rang que par un extérieur plus pompeux et par une profusion plus éclatante. Il existe encore une lettre de Sévère, dans laquelle ce prince se plaint amèrement de la licence de ses armées[69], et exhorte un de ses généraux à commencer par les tribuns eux-mêmes une réforme indispensable. En effet, comme il l’observe très-bien, un officier qui perd l’estime de ses soldats ne peut en exiger l’obéissance[70]. Si l’empereur eût suivi cette réflexion dans toute son étendue, il aurait facilement découvert que la corruption générale prenait sa source, sinon dans l’exemple du premier chef, au moins dans sa funeste indulgence.

Nouveaux prétoriens.

Les prétoriens qui avaient massacré leur maître et vendu publiquement l’empire, avaient reçu le châtiment que méritait leur trahison ; mais l’institution nécessaire, quoique dangereuse, des gardes, fut rétablie sur un nouveau plan, et leur nombre devint quadruple de ce qu’il était auparavant[71]. Ces troupes n’avaient d’abord été composées que des habitans de l’Italie ; lorsque les mœurs amollies de la capitale s’introduisirent par degrés dans les contrées voisines, la Macédoine, la Norique et l’Espagne furent aussi comprises dans les levées. C’était de ces différentes provinces que l’on tirait une troupe brillante, dont l’élégance convenait mieux à la pompe des cours qu’aux opérations pénibles d’une campagne. Sévère entreprit de la rendre utile ; il ordonna que désormais les gardes seraient formées de l’élite des légions répandues sur les frontières. On choisissait dans leur sein les soldats les plus distingués par leur force, par leur valeur et par leur fidélité. Ce nouveau service devenait pour eux un honneur et une récompense[72]. La jeunesse italienne perdit ainsi l’usage des armes, et une multitude de Barbares vint étonner de sa présence et de ses mœurs la capitale tremblante ; mais l’empereur voulait que les légions regardassent ces prétoriens d’élite comme les représentans de tout l’ordre militaire ; il se flattait en même temps qu’un secours toujours présent de cinquante mille hommes, plus habiles à la guerre et mieux payés que les autres soldats, ferait évanouir tout espoir de rebellion, et assurerait l’empire à sa postérité.

Préfet du prétoire.

Le commandement de ces guerriers redoutables et si chéris du souverain, devint bientôt le premier poste de l’état. Comme le gouvernement avait dégénéré en un despotisme militaire, le préfet du prétoire, qui, dans son origine, avait été simple capitaine des gardes, fut placé à la tête, non-seulement de l’armée, mais encore de la finance et même de la législation[73]. Il représentait la personne de l’empereur, et exerçait son autorité dans toutes les parties de l’administration. Plautien, ministre favori de Sévère, fut revêtu le premier de cette place importante, et abusa pendant plus de dix ans de la puissance qu’elle lui donnait. Enfin, le mariage de sa fille avec le fils aîné de l’empereur, qui semblait devoir assurer sa fortune, devint la cause de sa perte[74]. Les intrigues du palais, qui excitaient tour à tour son ambition et ses craintes, menacèrent de produire une révolution. Sévère, qui chérissait toujours son ministre[75], se vit forcé, quoiqu’à regret, de consentir à sa mort[76]. Après la chute de Plautien, l’emploi dangereux de préfet du prétoire fut donné au savant Papinien, jurisconsulte célèbre.

Le sénat opprimé par le despotisme militaire.

Depuis la mort d’Auguste, ce qui avait distingué les plus vertueux et les plus prudens de ses successeurs, c’étaient leur attachement ou du moins leur respect apparent pour le sénat, et leurs égards attentifs pour le tissu toujours délicat de la nouvelle constitution. Mais Sévère, élevé dans les camps, avait été accoutumé dans sa jeunesse à une obéissance aveugle ; et lorsqu’il fut plus avancé en âge, il ne connut d’autorité que le despotisme du commandement militaire. Son esprit hautain et inflexible ne pouvait découvrir, ou ne voulait pas apercevoir l’avantage de conserver, entre l’empereur et l’armée, une puissance intermédiaire, quoique fondée uniquement sur l’imagination. Il dédaignait de s’avouer le ministre d’une assemblée qui le détestait et qui tremblait à son moindre signe de mécontentement ; il donnait des ordres, tandis qu’une simple requête aurait eu la même force. Sa conduite était celle d’un souverain et d’un conquérant ; il affectait même d’en prendre le langage ; enfin, ce prince exerçait ouvertement toute l’autorité législative, aussi-bien que le pouvoir exécutif.

Nouvelles maximes de la prérogative impériale.

Il était aisé de triompher du sénat ; une pareille victoire n’avait rien de glorieux. Tous les regards étaient fixés sur le premier magistrat, qui disposait des armes et des trésors de l’état : tous les intérêts se rapportaient à ce chef suprême. Le sénat, dont l’élection ne dépendait point du peuple, et qui n’avait aucunes troupes pour sa défense, ne s’occupait plus du bien public. Son autorité chancelante portait sur une base faible et prête à s’écrouler : le souvenir de son ancienne sagesse, cette belle théorie du gouvernement républicain, disparaissait insensiblement et faisait place à ces passions plus naturelles, à ces mobiles plus réels et plus solides que met en jeu le pouvoir monarchique. Depuis que le droit de bourgeoisie et les honneurs attachés au nom de citoyen avaient passé aux habitans des provinces, qui n’avaient jamais connu, ou qui ne se rappelaient qu’avec horreur l’administration tyrannique de leurs conquérans, le souvenir des maximes républicaines s’était insensiblement effacé. C’est avec une maligne satisfaction que les historiens grecs du siècle des Antonins observent qu’en s’abstenant, par respect pour des préjugés presque oubliés, de prendre le titre de roi, le souverain de Rome possédait, dans toute son étendue, la prérogative royale[77]. Sous le règne de Sévère, le sénat fut rempli d’Orientaux qui venaient étaler dans la capitale le luxe et la politesse de leur patrie. Ces esclaves éloquens et doués d’une imagination brillante, cachèrent la flatterie sous le voile d’un sophisme ingénieux, et réduisirent la servitude en principe. La cour les applaudissait avec transport ; et le peuple les écoutait avec tranquillité, lorsque, pour défendre la cause du despotisme, ils démontraient la nécessité d’une obéissance passive, ou qu’ils déploraient les malheurs inévitables qu’entraîne la liberté. Les jurisconsultes et les historiens enseignaient également que la puissance impériale n’était point une simple délégation ; mais que le sénat avait irrévocablement cédé tous ses droits au souverain. Ils répétaient que l’empereur ne devait point être subordonné aux lois ; que sa volonté arbitraire s’étendait sur la vie et sur la fortune des citoyens, et qu’il pouvait disposer de l’état comme de son patrimoine[78]. Les plus habiles de ces jurisconsultes et principalement Papinien, Paulus et Ulpien, fleurirent sous les princes de la maison de Sévère. Ce fut à cette époque que la jurisprudence romaine, liée intimement au système de la monarchie, parut avoir atteint le dernier degré de perfection et de maturité. Les contemporains de Sévère, qui jouissaient de la gloire et du bonheur de son règne, lui pardonnèrent les cruautés qui lui avaient frayé le chemin au trône. Leur postérité, qui éprouva les suites funestes de ses maximes et de son exemple, le regarda, à juste titre, comme le principal auteur de la décadence des Romains.

Notes du Chapitre V
  1. Leur nombre était originairement de neuf ou dix mille hommes (car Dion et Tacite ne sont pas d’accord à cet égard) divisés en autant de cohortes. Vitellius le porta à seize mille ; et, autant que les inscriptions peuvent nous en instruire, ce nombre, par la suite, ne fut jamais beaucoup moins considérable. Voyez Juste-Lipse, De magnutidine romanâ, I, 4.
  2. Suétone, Vie d’Auguste, c. 49.
  3. Tacite, Ann. IV, 2 ; Suétone, Vie de Tibère, c. 37 ; Dion Cassius, l. LVII, p. 867.
  4. Dans la guerre civile entre Vespasien et Vitellius, le camp des prétoriens fut attaqué et défendu avec toutes les machines que l’on employait au siége des villes les mieux fortifiées. (Tacite, Hist. III, 84.)
  5. Près des murs de la ville, sur le sommet des monts Quirinal et Viminal. Voyez Nardini, Roma antica, p. 174 ; Donatus, De Româ antiquâ, 46.
  6. Claude, que les soldats avaient élevé à l’empire, fut le premier qui leur fit des largesses : il leur donna à chacun quina dena, H. S., cent vingt liv. sterl. (Suétone, Vie de Claude, c. 10.) Lorsque Marc-Aurèle monta paisiblement sur le trône avec son collègue Lucius Verus, il donna à chaque prétorien vicena, H. S., cent soixante liv. st. (Hist. Auguste, p. 25 ; Dion, liv. LXXIII, p. 1231). Nous pouvons nous former une idée de ces exorbitantes libéralités par les plaintes d’Adrien sur ce que, lorsqu’il fit un César, la promotion lui avait coûté ter millies, H. S., deux millions et demi sterl.
  7. Cicéron, De legibus, III, 3. Le premier livre de Tite-Live, et le second de Denys d’Halycarnasse, montrent l’autorité du peuple, même dans l’élection des rois.
  8. Les levées se faisaient originairement dans le Latium, l’Étrurie et les anciennes colonies (Tac., Ann. IV, V). L’empereur Othon flatte la vanité des gardes en leur donnant les titres d’italiæ alumni, romana verè juventus. (Tac., Hist. I, 84.)
  9. Dans le siége de Rome par les Gaulois. Voyez Tite-Live, v. 48. Plutarque, Vie de Camille, p. 143.
  10. Dion, l. LXXIII, p. 1234 ; Hérodien, l. II, p. 63 ; Hist. Aug., p. 60. Quoique tous ces historiens s’accordent à dire que ce fut réellement une vente publique, Hérodien seul assure qu’elle fut proclamée comme telle par les soldats.
  11. Spartien adoucit ce qu’il y avait de plus odieux dans le caractère et l’élévation de Julianus.
  12. Une des principales causes de la préférence accordée par les soldats à Julianus, fut l’adresse qu’il eut de leur dire que Sulpicianus ne manquerait pas de venger sur eux la mort de son gendre. Voyez Dion, p. 1234 ; Hérod., l. II, c. 6. (Note de l’Éditeur.)
  13. Dion Cassius, alors préteur, était ennemi personnel de Julianus, l. LXXIII, p. 1235.
  14. Hist. Aug., p. 61. Nous apprenons par là une circonstance assez curieuse : un empereur, quelle que fût sa naissance, était reçu immédiatement après son élection au nombre des patriciens.
  15. Dion, l. LXXIII, p. 1235 ; Hist. Aug., p. 61. J’ai cherché à concilier les contradictions apparentes de ces historiens (*).
    (*) Ces contradictions ne sont point conciliées et ne peuvent l’être, car elles sont réelles. Voici le passage de l’Histoire Auguste :
    Etiam hi primùm qui Julianum odisse cœperant, disseminârunt, prunâ statim sic Pertinacis cœnâ despectâ, luxuriosum parasse convivium ostreis et alitibus et piscibus adornatum, quod falsum fuisse constat, nam Julianus tantæ parcimoniæ fuisse perhibetur ut per triduum porcellum, per triduum leporem divideret, si quis ei fortè misisset : sæpè autem, nullâ existente religione, oleribus, leguminibusque contentus, sine carne cœnaverit. Deindè neque cœnavit priusquàm sepultus esset Pertinax et tristissimus cibum ob ejus necem sumpsit, et primam noctem vigiliis continuavit de tantâ necessitate sollicitus. Hist. August., p. 61.
    Voici la traduction latine des paroles de Dion Cassius :
    Hoc modo quum imperium senatûs etiam consultis stabilivisset, in palatium profiscitur : ubi quum invenisset cœnam paratam Pertinaci, derisit illam vehementer et arcessitis, unde et quoquo modo tum potuit, pretiosissimis quibusque rebus mortuo adhuc intus jacente, semet ingurgitavit, lusit aleis et Pyladem saltatorem cum aliis quibusdam adsumpsit. Dion, l. LXXIII, p. 1255.
    Ajouter au récit de Dion la dernière phrase de celui de Spartien, ce n’est point concilier les deux passages ; c’est ce qu’a fait Gibbon. Reimarus n’a pas essayé de faire disparaître une contradiction si évidente ; il a discuté la valeur des deux autorités, et préféré celle de Dion, que confirme d’ailleurs Hérodien, II, 7, I. Voyez son Commentaire sur le passage précité de Dion. (Note de l’Éditeur.)
  16. Dion, l. LXXIII, p. 1235.
  17. Les Posthumiens et les Céjoniens. Un citoyen de la famille posthumienne fut élevé au consulat dans la cinquième année après son institution.
  18. Spartien, dans son indigeste compilation, fait un mélange de toutes les vertus et de tous les vices qui composent la nature humaine, et il en charge un seul individu. C’est dans cet esprit qu’ont été dessinés la plupart des portraits de l’Histoire Auguste.
  19. Hist. Aug., p. 80-84.
  20. Pertinax, qui gouvernait la Bretagne quelques années auparavant, avait été laissé pour mort dans un soulèvement des soldats. (Hist. Aug., p. 54) Cependant les troupes le chérissaient, et elles le regrettèrent ; admirantibus eam virtutem, cui irascebantur.
  21. Suétone, Vie de Galba, c. 10.
  22. Hist. Aug., p. 76.
  23. Hérodien, l. II, p. 68. On voit dans la Chronique de Jean Malala, d’Antioche, combien ses compatriotes étaient attachés à leurs fêtes, qui satisfaisaient à la fois leur superstition et leur amour pour le plaisir.
  24. L’Hist. Auguste parle d’un roi de Thèbes, en Égypte, allié et ami personnel de Niger. Si Spartien ne s’est pas trompé, ce que j’ai beaucoup de peine à croire, il a fait paraître une dynastie de princes tributaires entièrement inconnus aux historiens.
  25. Dion, l. LXXIII, p. 1238. Hérodien, l. II, p. 67. Un vers qui était alors dans la bouche de tout le monde, semble exprimer l’opinion générale que l’on avait des trois rivaux :

    Optimus est Niger, bonus Afer, pessimus Albus.

    Hist. Aug., p. 75.
  26. Hérodien, l. II, p. 71.
  27. Voyez la relation de cette guerre mémorable dans Velleius-Paterculus (II, 110, etc.), qui servait dans l’armée de Tibère.
  28. Telle est la réflexion d’Hérodien, l. II, p. 74. Les Autrichiens modernes admettront-ils l’influence ?
  29. Commode, dans une lettre à Albinus, dont nous avons déjà parlé, représente Sévère comme un des généraux ambitieux qui censuraient la conduite de leur prince, et qui désiraient d’en occuper la place. Hist. Aug., p. 80.
  30. La Pannonie était trop pauvre pour fournir tant d’argent. Cette somme fut probablement promise dans le camp, et payée à Rome après la victoire : j’ai adopté, pour la fixer, la conjecture de Casaubon. Voy. Hist. Aug., p. 66 ; Comm. p. 115.
  31. Hérodien, l. II, p. 78. Sévère fut déclaré empereur sur les bords du Danube, soit à Carnuntum (*), selon Spartien (Hist. Aug., p. 65) ; soit à Sabaria, selon Victor. M. Hume, en avançant que la naissance et la dignité de Sévère étaient trop au-dessous de la pourpre impériale, et qu’il marcha en Italie seulement comme général, n’a pas examiné ce fait avec son exactitude ordinaire. (Ess. sur le Contrat primitif.)
    (*) Carnuntum, vis-à-vis de l’embouchure de la Morava : on hésite, pour sa position, entre Pétronel et Haimburg. Un petit village intermédiaire paraîtrait indiquer un ancien emplacement par son nom d’Altenburg (vieux bourg). D’Anville, Géogr. anc., t. I, p. 154. Sabaria, aujourd’hui Sarvar. (Note de l’Éditeur.)
  32. Velleius-Paterculus, l. II, c. 3. En partant des confins les plus rapprochés de la Pannonie, et en établissant que Rome s’aperçoit à deux cents milles de distance.
  33. Ceci n’est point une vaine figure de rhétorique ; c’est une allusion à un fait rapporté par Dion (l. LXXI, p. 1181), et qui probablement arriva plus d’une fois.
  34. Dion, l. LXXIII, p. 1233 ; Hérodien, l. II, p. 81. Une des plus fortes preuves de l’habileté des Romains dans l’art de la guerre, c’est d’avoir d’abord surmonté la vaine terreur qu’inspirent les éléphans, et d’avoir ensuite dédaigné le dangereux secours de ces animaux.
  35. Histoire Auguste, p. 62, 63.
  36. Victor et Eutrope, VIII, 17, parlent d’un combat qui fut livré près du pont Milvius, ponte Molle, et dont les meilleurs écrivains du temps ne font pas mention.
  37. Dion, l. LXXIII, p. 1240 ; Hérodien, l. II, p. 83. Hist. Aug., p. 63.
  38. De ces soixante-six jours, il faut d’abord en ôter seize. Pertinax fut massacré le 28 mars, et Sévère ne fut probablement élu que le 13 d’avril. (Voyez Hist. Aug., p. 65, et Tillemont, Histoire des Empereurs, tome III, p. 393, note 7.) Il fallut bien ensuite dix jours à ce prince pour mettre son armée en mouvement. Cette marche rapide fut donc faite en quarante jours ; et comme la distance de Rome aux environs de Vienne est de huit cents milles, les troupes de Sévère durent faire par jour plus de vingt milles sans s’arrêter.
  39. Dion, l. LXXIV, p. 1241 ; Hérodien, l. II, p. 84.
  40. Dion, qui assista à cette cérémonie, comme sénateur, en donne une description très-pompeuse, l. LXXIV, p. 1244
  41. Hérodien, l. III, p. 112.
  42. Quoique Lucain n’ait certainement pas intention de relever le caractère de César, cependant il n’est point de plus magnifique panégyrique que l’idée qu’il nous donne de ce héros dans le dixième livre de la Pharsale, où il le dépeint faisant sa cour à Cléopâtre soutenant un siége contre toutes les forces de l’Égypte, et conversant en même temps avec les sages de cette contrée.
  43. En comptant depuis son élection, 13 avril 193, jusqu’à la mort d’Albinus, 19 février 197. Voy. la Chronologie de Tillemont.
  44. Hérodien, l. II, p. 85.
  45. Sévère, étant dangereusement malade, fit courir le bruit qu’il se proposait de laisser la couronne à Niger et à Albinus. Comme il ne pouvait être sincère à l’égard de l’un et de l’autre, peut-être ne voulait-il que les tromper tous deux. Sévère porta cependant l’hypocrisie si loin, que, dans les Mémoires de sa vie, il assure avoir eu réellement l’intention de les désigner pour ses successeurs.
  46. Histoire Auguste, p. 65.
  47. Cette pratique, imaginée par Commode, fut très-utile à Sévère, qui trouva dans la capitale des enfans des principaux partisans de ses rivaux, et qui s’en servit plus d’une fois pour intimider ses ennemis ou pour les séduire.
  48. Hérodien, l. III, p. 96 ; Hist. Aug., p. 67, 68.
  49. Hist. Aug., p. 84. Spartien, dans sa narration, a inséré en entier cette lettre curieuse.
  50. Il y eut trois actions : l’une près de Cyzique, non loin de l’Hellespont ; la seconde près de Nicée, en Bithynie ; la troisième près d’Issus, en Cilicie, là même où Alexandre avait vaincu Darius. Dion, p. 1247-49 ; Hérod., l. III, c. 2-4. (Note de l’Éditeur.)
  51. Voyez le troisième livre d’Hérodien, et le soixante-quatorzième de Dion-Cassius.
  52. Dion, l. LXXV, p. 1260.
  53. D’après Hérodien, ce fut le lieutenant Lætus qui ramena les troupes au combat, et gagna la bataille, presque perdue par Sévère. Dion lui attribue aussi (p. 1261) une grande part à la victoire. Sévère le fit mettre à mort dans la suite, soit par crainte, soit par jalousie (Dion, p. 1264.) (Note de l’Éditeur.)
  54. Dion, l. LXXV, p. 1261 ; Hérodien, l. III, p. 110 ; Hist. Aug., p. 68. La bataille se donna dans la plaine de Trévoux, à trois ou quatre lieues de Lyon. Voyez Tillemont, t. III, p. 406, note 18.
  55. Montesquieu, Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, c. 12.
  56. La plupart de ces vaisseaux étaient, comme on peut bien le penser, de très-petits bâtiments : on voyait cependant dans leur nombre quelques galères de deux et de trois rangs de rames.
  57. Cet ingénieur se nommait Priscus. Le vainqueur lui sauva la vie en considération de ses talens, et il le prit à son service. Pour les détails particuliers de ce siége, voyez Dion (l. LXXV, p. 1251), et Hérodien (l. III, p. 95). Le chevalier de Folard, d’après son imagination, nous indique la théorie des moyens qui y furent employés, et qu’on peut chercher dans ses ouvrages. Voyez Polybe, t. I, p. 76.
  58. Perinthus, sur les bords de la Propontide, fut nommé dans la suite Heraclea, et ce nom se retrouve encore dans celui d’Erekli, située sur l’emplacement de cette ville, aujourd’hui détruite. (Voy. d’Anville, Géogr. anc., t. I, p. 291.) Byzance, devenue Constantinople, causa à son tour l’anéantissement d’Héraclée. (Note de l’Éditeur.)
  59. Malgré l’autorité de Spartien et de quelques Grecs modernes, Hérodien et Dion ne nous permettent pas de douter que Byzance, plusieurs années après la mort de Sévère, ne fût en ruines. (*)
    (*) Il n’existe point de contradiction entre le récit de Dion et celui de Spartien et de quelques Grecs modernes. Dion ne dit point que Sévère détruisit Byzance ; il dit seulement qu’il lui ôta ses franchises et ses priviléges, dépouilla ses habitans de leurs biens, rasa les fortifications, et soumit la ville à la juridiction de Périnthe. Ainsi, quand Spartien, Suidas, Cedrenus, disent que Sévère et son fils Antonin rendirent dans la suite à Byzance ses droits, ses franchises, y firent construire des temples, etc., cela se concilie sans peine avec le récit de Dion. Peut-être même ce dernier en parlait-il dans les fragmens de son histoire qui ont été perdus. Quant à Hérodien, ses expressions sont évidemment exagérées ; et il a commis tant d’inexactitudes dans l’histoire de Sévère, qu’on est en droit d’en supposer une dans ce passage. (Note de l’Éditeur.)
  60. Dion, l. LXXIV, p. 1250.
  61. Dion (l. LXXV, p. 1264) ne fait mention que de vingt-neuf sénateurs ; mais l’Histoire Auguste en nomme quarante-un, parmi lesquels il y en avait six appelés Pescennius. Hérodien (l. III, p. 115) parle en général des cruautés de Sévère.
  62. Aurelius-Victor.
  63. Dion, l. LXXVI, p. 1272 ; Hist. Auguste, p. 67. Sévère célébra des jeux séculaires avec la plus grande magnificence, et il laissa dans les greniers publics une provision de blé pour sept ans à raison de soixante mille moddi ou vingt mille boisseaux par jour. Je ne doute pas que les greniers de Sévère ne se soient trouvés remplis pour un temps assez considérable ; mais je suis persuadé que, d’un côté, la politique, et de l’autre l’admiration, ont beaucoup ajouté à la vérité.
  64. Voyez le Traité de Spanheim sur les anciennes médailles et les inscriptions ; consultez aussi nos savans voyageurs Spon et Wheeler, Shaw, Pococke, etc., qui, en Afrique, en Grèce et en Asie, ont trouvé plus de monumens de Sévère que d’aucun autre empereur romain.
  65. Il porta ses armes victorieuses jusqu’à Séleucie et Ctésiphon, les capitales de la monarchie des Parthes. J’aurai occasion de parler de cette guerre mémorable.
  66. Etiam in Britannia : telle était l’expression juste et frappante dont il se servait. Hist. Aug., p. 73.
  67. Hérodien, l. III, p. 115 ; Hist. Aug., p. 68.
  68. Sur l’insolence et sur les priviléges des soldats, on peut consulter la seizième satire que l’on a faussement attribuée à Juvénal : le style et la nature de cet ouvrage me font croire qu’il a été composé sous le règne de Sévère ou de Caracalla.
  69. Non pas des armées en général, mais des troupes de la Gaule. Cette lettre même et son contenu semblent prouver que Sévère avait à cœur de rétablir la discipline ; Hérodien est le seul historien qui l’accuse d’avoir été la première cause de son relâchement. (Note de l’Éditeur.)
  70. Hist. Aug., p. 73.
  71. Hérodien, l. III, p. 131.
  72. Dion, l. LXXIV, p. 1243.
  73. Le préfet du prétoire n’avait jamais été un simple capitaine des gardes : du moment de la création de cette place, sous Auguste, elle avait donné un grand pouvoir ; aussi cet empereur ordonna-t-il qu’il y aurait toujours deux préfets du prétoire, qui ne pourraient être tirés que de l’ordre équestre. Tibère s’écarta le premier de la première partie de cette ordonnance ; Alexandre-Sévère dérogea à la seconde en nommant préfets des sénateurs. Il paraît que ce fut sous Commode que les préfets du prétoire obtinrent le domaine de la juridiction civile ; il ne s’étendait que sur l’Italie, à l’exception même de Rome et de son territoire, que régissait le præfectus urbi. Quant à la direction des finances et du prélèvement des impôts, elle ne leur fut confiée qu’après les grands changemens que fit Constantin Ier dans l’organisation de l’empire ; du moins je ne connais aucun passage qui la leur attribue avant ce temps ; et Drakenborch, qui a traité cette question dans sa dissertation De officio præfectorum prætorio (c. VI), n’en cite aucun. (Note de l’Édit.)
  74. Un des actes les plus audacieux et les plus infâmes de son despotisme, fut la castration de cent Romains libres, dont quelques uns étaient mariés, et même pères de famille. Le ministre donna cet ordre affreux, afin que sa fille, le jour de son mariage avec le jeune empereur, pût avoir à sa suite des eunuques dignes d’une reine d’Orient. (Dion, l. LXXVI, p. 1271.)
  75. Plautien était compatriote, parent et ancien ami de Sévère : il s’était si bien emparé de la confiance de l’empereur, que celui-ci ignorait l’abus qu’il faisait de son pouvoir : à la fin cependant il en fut informé, et commença dès lors à y mettre des bornes. Le mariage de Plautilla avec Caracalla fut malheureux ; et ce prince, qui n’y avait consenti que par force, menaça le père et la fille de les faire périr dès qu’il régnerait. On craignit, après cela, que Plautien ne voulut se servir contre la famille impériale du pouvoir qui lui restait encore, et Sévère le fit massacrer en sa présence, sous le prétexte d’une conjuration que Dion croit supposée. (Note de l’Éditeur.)
  76. Dion, l. LXXVI, p. 1274 ; Hérodien, l. III, p. 122-129. Le grammairien d’Alexandrie paraît, comme c’est assez l’ordinaire, connaître beaucoup mieux que le sénateur romain cette intrigue secrète, et être plus assuré du crime de Plautien.
  77. Appien, in proem.
  78. Dion-Cassius semble n’avoir eu d’autre but, en écrivant, que de rassembler ces opinions dans un système historique. D’un autre côté, les Pandectes montrent avec quelle assiduité les jurisconsultes travaillaient pour la cause de la prérogative impériale.