Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 358

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 532-533).


M Jules Harlove à Miss Clarisse.

mercredi 6 septembre.

Votre faute, ma très-chère nièce, nous avait jetés dans un mortel chagrin ; mais nous en ressentons encore plus, s’il est possible, d’apprendre que vous êtes si mal, et nous sommes extrêmement fâchés que les choses aient été poussées si loin. Nous connaissons vos talens, ma chère, et combien votre plume est touchante lorsque vous entreprenez d’attendrir. Nous avons cru que vous vous reposiez sur une qualité dont l’exercice vous a souvent réussi ; et nous imaginant peu que votre maladie fût si dangereuse et que vous eussiez mené une vie si pénitente et si régulière, nous sommes réellement très-consternés, votre frère et tous les autres, de vous avoir traitée avec tant de rigueur. Pardonnez la part qu’on m’y a fait prendre, ma très-chère Clary. Je suis votre second père, vous le savez ; et vous m’avez toujours aimé.

J’espère que vous serez bientôt en état de vous rendre ici ; et qu’après y avoir passé quelque tems, vous m’accorderez un mois entier, lorsque votre père et votre mère auront la bonté d’y consentir, pour réjouir mon cœur, et régler, comme autrefois, mes affaires domestiques. Mais si votre maladie ne vous permettait pas de venir aussi-tôt que nous le désirons, j’irois moi-même à Londres ; car je meurs d’envie de vous voir ; jamais je ne l’ai souhaité avec tant d’impatience, quoique vous ayez toujours fait les délices de mon cœur, comme vous ne sauriez l’avoir oublié. Mon frère Antonin vous embrasse de tout le sien, et se joint à moi, dans la tendre assurance que tout ira parfaitement, et mieux, s’il est possible, que jamais. Nous avons été si long-temps privés de vous, que nous sentons vivement le besoin de vous revoir, et la faim, la soif, si cette expression peut servir à me faire entendre, de vous serrer encore une fois sur notre cœur. Soyez sûre que vous n’en avez jamais été bannie si loin que notre chagrin nous l’a fait croire, et que vous vous l’êtes imaginé.

Votre frère et votre sœur parlent de vous aller voir à Londres, et je crois que c’est aussi le dessein de votre indulgente mère. Que le ciel vous rende à nous dans sa bonté !

Jules Harlove.