Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 352

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 526).


M Lovelace à M Belford.

malédiction sur tout ce qui t’empêche de m’écrire ! Sur le colonel, sur ta dernière lettre, sur le monde entier ! Toi ! Te prétendre aussi intéressé que moi au sort de ma Clarisse ! Et qui es-tu, pour m’oser tenir ce langage ? Il est fort heureux pour l’un ou l’autre, que tu n’aies eu cette audace que par écrit. Morte ou vive, Clarisse Harlove est à moi, à moi seul. Ne me coûte-t-elle pas assez ? N’est-il pas probable qu’elle me coûtera mon salut éternel, tandis qu’une éternité de bonheur sera son partage ? Une éternelle séparation ! ô comble d’horreur ! Dieu ! Dieu ! Comment puis-je soutenir cette idée ? Mais il lui reste encore un souffle de vie ; j’espère encore. Oh ! Belford, étends mes espérances, et tu seras mon bon génie, le seul que je croirai jamais, que j’invoquerai comme le dieu de ma vie et de mon salut ! Je te pardonnerai tout. Pour la dernière fois… mais non, ce ne sera pas, ce ne peut être la dernière. Déclare-moi, au moment que tu recevras ce billet, ce qu’il faut que je devienne ; car à présent je suis le plus misérable de tous les hommes.

à Knight’sbridge, à 5 heures.

Will me dit que tu m’envoies Mowbray et Tourville. Je n’ai pas besoin d’eux ; mon ame est lasse d’eux et du monde entier. C’est de moi que je veux… cependant, comme ils me font assurer qu’ils seront ici dans l’instant, je les attendrai, eux et ta première lettre… ah ! Belford, garde-toi bien de m’apprendre… mais hâte-toi, hâte-toi, quelque malheur que tu aies à m’annoncer.