Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 118

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (Ip. 465-471).


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe. samedi au soir. Monsieur Lovelace a vu divers appartemens à Windsor ; mais il n’en a pas trouvé, dit-il, un seul qui me convienne, et qui réponde à ma description. Il a suivi mes instructions à la lettre. C’est un assez bon signe. Je suis d’autant plus contente de son exactitude, que c’était lui-même qui m’avait proposé cette ville, et qu’à son retour il paraît avoir changé d’idée. En chemin, m’a-t-il dit, il a fait réflexion que Windsor, quoique la proposition fut venue de lui, était un mauvais choix, parce que je cherche la retraite, et que ce lieu est extrêmement fréquenté. Je lui ai répondu que, si Madame Sorlings ne me regarde pas comme un embarras dans sa maison, j’y passerais volontiers quelque temps de plus ; à condition qu’il me quittât pour se rendre à Londres ou chez Milord M. Il commence à croire, m’a-t-il dit, qu’il ne me reste rien à craindre de la part de mon frère ; et, dans cette idée, si son absence peut servir à me rendre plus tranquille, il est disposé à m’obéir, du moins pour quelques jours. Il m’a renouvelé la proposition de reprendre Hannah. Je lui ai dit que c’était mon dessein, et que j’y employerais votre secours. En effet, je vous prie, ma chère, de faire chercher cette honnête fille. Votre fidèle Robert saura sans doute ce qu’elle est devenue. M Lovelace s’est aperçu de l’humeur sérieuse où il m’a trouvée, et la rougeur de mes yeux a trahi mes larmes. Je venais de répondre à votre dernière lettre. S’il ne s’était point approché de moi de la manière la plus respectueuse, et s’il n’eût point ajouté, au récit qu’il m’a fait, la disposition qu’il a marquée, dès le premier mot, à s’éloigner de moi, j’étais préparée à lui faire un très-mauvais accueil. Vos réflexions m’avoient touchée si vivement, que, lorsqu’il s’est présenté, je n’ai pu voir sans indignation le séducteur à qui je dois attribuer les maux que je souffre, et tous ceux que j’ai soufferts. Il m’a fait entendre qu’il avait reçu une lettre de Miladi Lawrance, et une autre, si j’ai bien compris, d’une des Miss Montaigu. Si ces deux dames y parlent de moi, il est étonnant qu’il ne m’en ait rien communiqué. Je crains, ma chère, que ses parens ne soient du nombre de ceux qui croient ma démarche téméraire et inexcusable. Mon honneur ne demande-t-il pas que je les informe de la vérité ? Peut-être me jugeront-ils indigne de leur alliance, si je leur laisse penser que ma fuite ait été volontaire. Ah, ma chère ! Que nos propres réflexions nous causent de peine à chaque occasion douteuse, lorsque la conscience nous reproche d’avoir manqué à notre devoir ! Dimanche matin. Quel surcroît d’inquiétude dois-je trouver dans mes réflexions, lorsque je considère la haine que M Lovelace porte à tous mes proches ? Il en traite quelques-uns d’ implacables  : mais j’appréhende qu’il ne soit aussi implacable lui-même que le plus emporté d’entr’eux. Je n’ai pu m’empêcher de lui exprimer avec beaucoup d’ardeur mes vœux pour une réconciliation ; et de presser son départ, comme une démarche nécessaire pour commencer le traité. Il s’est donné de grands airs à cette occasion, ne doutant pas, m’a-t-il dit, qu’il ne fût le premier de mes sacrifices. Ensuite il s’est expliqué sur mon frère en termes fort libres, sans faire plus de grâce à mon père même. Si peu de considération pour moi, ma chère ! Il est vrai, comme je le lui ai reproché, que telle a toujours été sa politesse, et qu’il n’a jamais cessé de traiter ma famille avec mépris. Je ne l’ignorais pas : que je suis coupable d’avoir entretenu la moindre correspondance avec lui ! Mais apprenez, monsieur, lui ai-je dit, que, si votre naturel violent et votre mépris pour moi vous font ménager si peu mon frère, je ne souffrirai pas que vous me parliez mal de mon père. C’est assez, sans doute, que ma désobéissance ait fait le malheur de sa vie, et qu’une fille qu’il aimait si tendrement ait été capable de l’abandonner. L’entendre injurier par l’auteur de ses peines, c’est ce que je ne supporterai jamais. Il s’est jeté sur sa propre justification ; mais dans des termes, comme je lui en ai fait encore un reproche, qu’une fille ne devait pas se permettre d’entendre, et qu’un homme qui prétendait à cette fille devait se permettre encore moins de prononcer. Enfin, me voyant tout-à-fait indignée, il m’a demandé pardon, quoiqu’avec assez peu d’humilité. Mais, pour changer de sujet, il m’a parlé ouvertement des deux lettres qu’il avait reçues, l’une de Miladi Lawrance, l’autre de Miss Montaigu ; et, sans attendre ma réponse, il m’en a lu quelques articles. Pourquoi cet étrange homme ne me les montra-t-il pas hier au soir ? Appréhendait-il de me causer trop de plaisir ? Miladi Lawrance s’exprime, par rapport à moi, de la manière la plus obligeante. " elle l’exhorte à tenir une conduite qui puisse m’engager à recevoir bientôt sa main. Elle me fait ses complimens, avec une vive impatience, dit-elle, d’embrasser, en qualité de nièce, une personne si vantée ; c’est sa flatteuse expression. Elle se croira honorée de l’occasion de m’obliger. Elle espère que la cérémonie ne sera pas différée trop long-temps, parce que cette heureuse conclusion sera, pour elle, pour Milord M et pour Miladi Sadlair, un témoignage sûr du mérite et des bonnes dispositions de leur neveu. Elle assure qu’elle a toujours pris un vif intérêt aux peines que j’ai essuyées à son occasion ; qu’il serait le plus ingrat de tous les hommes s’il ne s’efforçait pas de m’en dédommager ; qu’elle regarde comme un devoir, pour toute leur famille, de suppléer à la mienne ; et que, de sa part, elle ne me laissera rien à désirer. Le traitement que j’ai reçu de tous mes proches serait plus surprenant, lui fait-elle observer, sur-tout avec tous les avantages qu’il possède du côté de la nature et de la fortune, s’il ne fallait l’attribuer à ses propres négligences ; mais, à présent qu’il est le maître d’établir à jamais son caractère, elle se flatte qu’il convaincra les Harlove, qu’on avait jugé plus mal de lui qu’il ne le mérite ; ce qu’elle demande au ciel, pour son honneur, et pour celui de leur maison. Enfin, elle souhaite d’être informée de notre mariage immédiatement après la cérémonie, pour être des premières et des plus ardentes à m’en féliciter ". Elle ne m’invite pas directement à me rendre chez elle avant la célébration, quoique j’eusse pu m’y attendre, après ce qu’il m’avait dit. Il m’a fait lire ensuite une partie de la seconde lettre, où Miss Montaigu le félicite " d’avoir obtenu la confiance d’une si admirable personne ". Tels sont ses termes. Ma confiance, chère Miss Howe ! Personne au monde, comme vous le dites, n’en prendra une autre opinion, quand je publierais la vérité : vous voyez que Miss Montaigu, et toute sa famille sans doute, jugent du moins ma démarche fort extraordinaire. " elle souhaite aussi que la cérémonie soit bientôt célébrée ; et c’est le vœu, dit-elle, de Milord M, de ses tantes, de sa sœur, et de tous ceux qui veulent du bien à leur famille. Après cet heureux jour, elle se propose de se rendre auprès de moi, pour grossir mon cortége. Milord M s’y rendra lui-même, s’il est un peu soulagé de sa goutte. Ensuite il nous abandonnera un de ses trois châteaux, où nous serons libres de nous établir, si nous n’avons pas d’autres vues ". Miss Montaigu ne dit rien pour s’excuser de ne s’être pas trouvée sur ma route, ou à Saint-Albans, comme il me l’avait fait espérer. Cependant elle parle d’une indisposition qui l’a tenue quelque temps renfermée. Il m’avait dit aussi que Milord M était attaqué de la goutte ; ce qui se trouve confirmé par la lettre de sa cousine. Vous ne douterez pas, ma chère, que ces deux lettres ne m’aient causé beaucoup de satisfaction. Il en a lu les marques sur son visage, et j’ai remarqué, à mon tour, qu’il s’en applaudissoit. Cependant je ne cesse pas d’être surprise qu’il ne m’ait pas fait cette confidence dès hier au soir. Il m’a pressée de me rendre directement chez Miladi Lawrance, sur le seul témoignage des sentimens de cette dame, tel que je l’ai vu dans sa lettre. Mais, quand je n’aurais aucune espérance de réconciliation avec mes amis, ce que mon devoir m’oblige du moins de tenter, comment suivre ce conseil, lui ai-je dit, lorsque je n’ai reçu d’elle aucune invitation particulière ? Il se croit sûr que le silence de sa tante vient du doute que son invitation fût acceptée ; sans quoi, elle me le ferait avec le plus grand empressement du monde. Ce doute même, lui ai-je répondu, suffisait pour me faire rejeter son conseil. Sa tante, qui connaît si bien les loix de la véritable décence, m’apprenait, par ce doute, qu’il ne me convenait point encore d’accepter son invitation. D’ailleurs, monsieur, grâces à vos arrangemens, ai-je un habit avec lequel je puisse me présenter ? Oh ! M’a-t-il dit, j’étais assez bien pour paroître à la cour même, si l’on exceptait les pierreries : et j’y porterais la plus aimable figure (il devait dire la plus extraordinaire ). L’élégance de mon habillement l’étonnoit. Il ne comprenait pas par quel art je paroissais avec autant d’avantage que si j’avais changé d’habit tous les jours : et puis ses cousines Montaigu me fourniraient tout ce qui me manque ; il allait écrire à Miss Charlotte, si je lui en accordais la permission. Me prenez-vous, lui ai-je dit, pour le geai de la fable ? Voudriez-vous que j’empruntasse des habits, pour rendre visite à ceux qui me les auraient prêtés ? Assurément, M Lovelace, vous me croyez trop de bassesse ou trop de confiance. Aimois-je mieux me rendre à Londres, pour quelques jours seulement, et pour y acheter des habits ? Peut-être oui, si ce n’était pas à ses dépens. Je n’étais pas prête encore à porter sa livrée. Vous concevez, ma chère, que mon ressentiment contre les artifices qui m’ont forcée à la fuite, ne lui paraîtrait pas sérieux, si je ne lui marquais pas, dans l’occasion, un chagrin réel de l’état auquel il m’a réduite. Entre des coupables, il est difficile d’éviter les récriminations. Il souhaitait de pouvoir pénétrer mes désirs. Cette connaissance servirait à diriger toutes ses propositions. Il ferait ses délices d’exécuter mes volontés. Le plus ardent de mes désirs était de le voir éloigné. Fallait-il le répéter sans cesse ? Dans tout autre lieu que celui où j’étais, il jurait de m’obéir, si j’insistais sur ce point. Mais il lui semblait que le meilleur parti, à l’exception d’un seul, auquel il n’osait toucher qu’en passant, était de faire valoir mes droits, parce qu’étant libre alors de recevoir ou de refuser ses visites, et le réduisant au simple commerce de lettres, je ferais connaître à tout le monde que je n’avais pensé qu’à me rendre justice à moi-même. Vous répéterai-je continuellement, monsieur, que je ne veux point de procès avec mon père ? Croyez-vous que ma triste situation puisse changer quelque chose à mes principes, du moins lorsque j’aurai le pouvoir de les observer ? Comment pourrais-je m’établir dans ma terre sans employer les formalités de la justice et sans l’assistance de mes curateurs ? L’un des deux a pris parti contre moi. L’autre est absent. Quand je serais disposée à prendre quelques mesures, il faudrait plus de temps que les circonstances ne m’en accordent ; et ce qui m’est nécessaire à présent, c’est l’indépendance, c’est votre départ immédiat. Il m’a protesté, avec serment, que par diverses raisons qu’il m’avait représentées, il ne croyait pas qu’il y eût de sûreté pour moi à demeurer seule. Son espérance était de trouver quelque lieu que je pusse agréer. Mais il prenait la liberté de me dire qu’il se flattait de n’avoir pas mérité, par sa conduite, cette ardeur que j’avais de le voir éloigné ; d’autant plus qu’assurément j’apportais assez de soins à lui fermer ma porte, quoiqu’il pût me protester, avec la plus parfaite vérité, qu’il ne m’avait jamais quittée sans se sentir meilleur, et sans une ferme résolution de se confirmer dans ce sentiment par mon exemple. des soins à vous fermer ma porte ! ai-je répété. J’espère, monsieur, que vous ne vous croyez pas en droit de vous plaindre, si je prétends qu’on me laisse un peu de tranquillité dans ma retraite. J’espère que, toute novice que vous m’avez trouvée sur le point capital, vous ne me croyez pas assez foible pour aimer l’occasion d’entendre vos élégans discours, sur-tout lorsqu’il n’y a point de nouvel incident qui m’oblige de recevoir vos visites ; et que vous ne croyez pas non plus qu’il soit nécessaire de m’interrompre à tous momens, comme si j’avais besoin de vos protestations continuelles pour me fier à votre honneur. Il a paru un peu déconcerté. Vous n’ignorez pas, M Lovelace, ai-je continué, pourquoi je désire si ardemment votre absence. C’est pour faire connaître au public que je suis indépendante de vous, et dans l’espérance que cette opinion me fera trouver moins de difficulté à nouer un traité de réconciliation avec mes amis. J’ajouterai, pour satisfaire votre impatience, qu’ayant le bonheur d’être si bien dans l’esprit de vos proches, je consens volontiers à vous instruire, par mes lettres, de chaque pas que je ferai, et de toutes les ouvertures que je puis recevoir, sans aucune intention néanmoins de me lier, par cette complaisance, dans mes démarches et dans mes résolutions. Mes amis savent que le testament de mon grand-père m’autorise à disposer de ma terre et de ma part des effets, d’une manière qui peut leur être désagréable, quoique je n’en aie pas la disposition absolue. Cette considération pourra m’attirer quelques égards, lorsque leur première chaleur sera refroidie, et qu’ils ne douteront point de mon indépendance. Adorable raisonnement ! Il pouvait me protester que l’assurance que je lui avais déjà donnée comblait tous ses désirs. C’était plus qu’il ne pouvait demander. Quelle félicité d’avoir une femme dont la générosité et l’honneur faisaient le fondement de son repos ! Et si le ciel, à son entrée dans le monde, lui en eût fait trouver une de ce caractère, il aurait toujours eu de l’attachement pour la vertu. Mais il espérait que le passé même tournerait à son avantage, parce que, dans cette supposition, ses parens l’ayant toujours pressé de se marier, il aurait manqué le bonheur qu’il avait devant les yeux ; et, comme il n’avait pas été aussi méchant que ses ennemis se plaisaient à le publier, il se flattait que le mérite du repentir vaudrait celui de l’innocence. Je lui ai dit que je comptais donc sur son consentement pour ce qu’il paroissait approuver, et que je me croyais sûre de son départ. Ensuite je lui ai demandé, d’un air ouvert, ce qu’il pensait réellement de ma situation, et quel conseil il me donnerait dans le calme de son esprit. Il devait juger, lui ai-je dit, que je n’étais pas peu embarrassée ; Londres était un lieu tout-à-fait étranger pour moi. J’étais sans guide, sans protection. Lui-même, il devait me permettre de lui dire qu’il lui manquait bien des choses, sinon pour la connaissance, du moins pour la pratique de quantité de bienséances, qui me paroissaient indispensables dans le caractère d’un homme de naissance et d’éducation. Il se regarde, autant que j’ai pu l’entrevoir, comme un homme d’une politesse achevée ; et son amour-propre est blessé qu’on en juge autrement. J’en suis bien fâché, mademoiselle, m’a-t-il répondu d’un air froid. Un homme d’éducation, un homme poli, souffrez que je le dise, vous paraît plus rare qu’à toutes les femmes que j’ai connues jusqu’aujourd’hui. C’est votre malheur comme le mien, M Lovelace. Je suis persuadée qu’avec un peu de discernement il n’y a point de femme qui, vous connaissant, comme je fais à présent (j’avais dessein de mortifier un orgueil qui mérite de l’être), ne juge, comme moi, que votre politesse n’est ni régulière ni constante. Elle n’a point l’air d’une habitude. Elle s’exerce par accès et par saillies, qui n’ont pas leur source en vous-même. Vous avez besoin d’y être rappelé. Ciel ! Ciel ! Que je suis à plaindre ! Il ne s’est défendu qu’avec cet air ironique de pitié pour lui-même, au travers duquel j’ai vu facilement qu’il était à demi-fâché. J’ai continué : en vérité, monsieur, vous n’êtes point un homme aussi accompli qu’on devait l’attendre de vos talens, et des facilités que vous avez eues pour les cultiver. Vous n’êtes qu’un novice (c’est un terme qu’il avait employé dans une de nos conversations précédentes) sur mille choses louables qui ont dû faire l’objet de votre étude et de votre ambition. Je n’aurais pas si tôt cessé de lui parler avec cette franchise, parce qu’après m’en avoir donné l’occasion, il m’avait paru traiter assez légèrement un point que j’ai toujours trouvé très-grave ; mais il m’a interrompu : mademoiselle, épargnez-moi. Mon regret est extrême d’avoir vécu inutilement jusqu’aujourd’hui. Mais convenez que vous ne vous seriez pas écartée d’un sujet plus agréable et plus conforme à notre situation, si vous n’aviez pris un plaisir trop cruel à mortifier un homme qui a paru jusqu’ici devant vous avec trop de défiance de son propre mérite, pour avoir osé vous ouvrir librement son ame. Ayez la bonté de revenir au sujet que vous avez quitté ; et, dans un autre tems, j’embrasserai volontiers ma correction, de la seule bouche du monde de qui je puisse la recevoir avec joie. Vous parlez souvent de réformation, M Lovelace, et c’est une confession de vos erreurs ; mais je vois que vous recevez fort mal des reproches, auxquels vous craignez peut-être assez peu de donner occasion. Je suis bien éloignée de prendre plaisir à relever vos défauts. Dans la situation où je suis, il serait à souhaiter pour vous et pour moi que je n’eusse à faire que votre éloge. Mais puis-je fermer les yeux sur ce qui les blesse, lorsque je souhaite qu’on me croie sérieusement attachée à mes propres devoirs ? J’admire votre délicatesse, mademoiselle, a-t-il encore interrompu. Quoique j’en aie quelque chose à souffrir, je ne désirerais pas que vous en eussiez moins. Elle vient du sentiment de vos propres perfections, qui vous élèvent au-dessus de mon sexe, et même au-dessus du vôtre : elle vous est naturelle : elle ne doit pas vous paraître extraordinaire. Mais la terre n’offre rien qui en approche, m’a dit le flatteur. Dans quelle compagnie a-t-il vécu ? Ensuite reprenant notre premier sujet ; vous m’avez fait la grâce de me demander mon conseil : je ne désire que de vous rendre tranquille ; de vous voir fixée à votre gré ; votre fidèle Hannah près de vous ; votre réconciliation heureusement commencée. Mais je prends la liberté de vous proposer différentes ouvertures, dans l’espérance qu’il s’en trouvera une de votre goût. J’irai chez Madame Howe, ou chez tout autre qu’il vous plaira de nommer, et je m’efforcerai de les engager à vous recevoir chez eux. Auriez-vous plus de penchant à vous rendre à Florence auprès de M Morden, votre cousin et votre curateur ? Je vous offre des commodités pour ce voyage, soit par mer jusqu’à Livourne, soit par terre en traversant la France. Peut-être engagerai-je quelque dame de ma famille à vous accompagner. Miss Charlotte ou Miss Patty saisiront volontiers l’occasion de voir la France et l’Italie. Pour moi, je ne vous servirai que d’escorte, déguisé, si vous le souhaitez, couvert de votre livrée, afin que votre délicatesse ne soit pas blessée de me voir à votre suite. Je lui ai dit que ces projets demandaient un peu de réflexions, mais qu’ayant écrit à ma sœur et à ma tante Hervey, leur réponse, si j’en recevais quelqu’une, pourrait servir à me déterminer ; qu’en attendant, s’il voulait se retirer, j’examinerais particulièrement la proposition qui regardait M Morden ; et que, si je la goûtais assez pour la communiquer à Miss Howe, il serait informé de mes résolutions dans l’espace d’une heure. Il est sorti respectueusement. étant revenu une heure après, je lui ai dit qu’il me paroissait inutile de vous consulter ; que le retour de M Morden ne pouvait être éloigné ; que dans la supposition même de mon départ pour l’Italie, je ne souffrirais point qu’il m’accompagnât sous aucune forme ; qu’il y avait peu d’apparence que l’une ou l’autre de ses deux cousines fût disposée à m’honorer de sa compagnie ; et que d’ailleurs ce serait la même chose, aux yeux du monde, que s’il m’accompagnait lui-même. Cette réponse a produit une autre conversation, qui fera le sujet de ma première lettre.