Dezobry & Magdeleine (p. 127-132).

CHAPITRE XIV


Les négociations sont substituées a la guerre, la diplomatie à la force. — Le pouvoir royal reprend l’œuvre de l’abaissement de la féodalité, interrompue par la guerre de Cent ans. — La France devient une et compacte.

Louis XI, 1461-1483. — Commencements de Charles VIII, 1483-1494.

236. État de la France en 1161 ; maison dé Bourgogne. — Caractère du nouveau roi. — À l’avènement de Louis XI, la France était depuis neuf ans délivrée de la présence des étrangers. Mais le pouvoir royal avait besoin de se fortifier. La réaction qui avait eu lieu sous les fils de Phiiippe-le-Bel, les malheurs de la guerre de Cent ans et ceux de la guerre civile avaient arrêté les progrès de la royauté. Si les grands vassaux étaient moins nombreux, ils étaient plus redoutables. Les ducs de Bretagne, d’Anjou et de Bourgogne, qui étaient les principaux, avaient d’immenses domaines et des richesses considérables ; le dernier surtout possédait la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, le Hainaut, la Hollande, et, par le luxe de sa cour, par ses alliances étrangères, il avait acquis en Europe une renommée qui effaçait l’éclat du nom royal. Louis XI résolut d’abaisser cette puissante féodalité. C’était un prince superstitieux, fourbe et cruel, mais d’une prudence et d’une habileté consommées. Il ne se laissait pas seulement guider par ses intérêts particuliers ; il avait aussi en vue les intérêts de la France, et il avait compris que, tant que la royauté n’aurait pas abattu l’orgueil des grands vassaux, le royaume, affaibli par le morcellement féodal, ne pourrait lutter avec avantage contre les ennemis extérieurs, et serait mal administré au dedans.

237. ligue du bien public, 1464. — Les premiers actes du successeur de Charles VII ne laissèrent aucun doute sur ses intentions. L’acquisition de la Cerdagne et du Roussillon, qu’il se fit céder par le roi d’Aragon, le soin qu’il mit à s’entourer de petites gens et la suppression de certains privilèges que possédait la noblesse mécontentèrent ou inquiétèrent les grands seigneurs. Ils s’unirent contre lui sous prétexte d’assurer le bien public, et leur ligue fut pour cette raison appelée la ligue du bien public. Lesprincipaux membres étaient le duc de Bourgogne, son fils le comte de Charolais, et le duc de Berry, frère du roi. Louis XI se mit en campagne ; une bataille indécise eut lieu à Montlhéry. Elle fut suivie des traités de Conflans et de Saint-Maur, qui assuraient des conditions avantageuses aux princes confédérés. Mais le roi n’avait signé la paix que pour affaiblir ses ennemis en les divisant ; il se réservait de ne pas tenir sa parole à l’occasion.

238. entrevue de péronne. — Une seconde ligue s’étant formée deux ans après, Louis XI commença par reprendre à son frère la Normandie qu’il lui avait cédée. Il contraignit ensuite le duc de Bretagne à se séparer de la ligue. Enfin, il voulut traiter lui-même avec Charles-le-Téméraire, devenu duc de Bourgogne par la mort de son père Philippe-le-Bon. C’était une grave imprudence que d’aller ainsi se mettre à la merci de son rival, au moment où il venait d’exciter contre lui une révolte des Liégeois, ses sujets. Mais le trompeur est souvent dupe de ses propres artifices. Le roi était déjà dans Péronne, quand y arriva la nouvelle du soulèvement de Liège. Charles, furieux de cette perfidie, retint Louis XI prisonnier dans cette tour où avait autrefois langui Charles-le-Simple, et, par des terreurs habilement ménagées, il lui arracha un traité qui assurait les villes de la Somme, Amiens, Abbeville, Saint-Quentin, Péronne, etc., au duc de Bourgogne, et promettait la Champagne au duc de Berry. À ce prix seulement, Louis recouvra sa liberté. Mais à peine rentré dans Paris, il éluda une partie du traité de Péronne, en donnant à son frère la Guienne au lieu de la Champagne, qui le rapprochait trop de la Bourgogne.

239. jeanne hachette sauve beauvais. — invasion des anglais. — Le roi conjura de nouveaux orages par de nouvelles perfidies. Le duc de Guienne mourut de mort subite, et l’on soupçonna le roi de l’avoir fait empoisonner ; le duc de Bretagne fut détaché du parti du duc de Bourgogne, et Charles-le-Téméraire resté seul n’éprouva plus que des revers. Il assiégea inutilement Beauvais ; sa brillante armée ne put triompher du courage de Jeanne Hachette, qui, à la tête des femmes de la ville, sauva la place assiégée (1472). Charles-le-Téméraire s’allia alors avec le roi d’Angleterre Édouard IV, et une armée anglaise descendit en France. Louis XI acheta la retraite d’Édouard en s’engageant, par le traité de Picquigny près d’Amiens (1475), à lui payer un tribut annuel ; et pour se débarrasser du duc de Bourgogne, il excita contre lui le duc de Lorraine et les Suisses.

240. mort de charles-le-téméraire, 1477. — Charles-le-Téméraire rêvait alors le rétablissement à son profit de l’ancien royaume d’Ostrasie, sous le nom de royaume de Gaule-Belgique. Il s’était assuré du consentement de l’empereur d’Allemagne, et il se flattait de réunir en un seul corps ses États disséminés en faisant la conquête de la Lorraine ; il voulait aussi s’agrandir au sud-est jusqu’aux sommets des Alpes, et s’étendre même en Italie. Mais avant de mettre à exécution ces vastes projets, il résolut de châtier les Suisses qui avaient pendu le sire de Hagenbach, son lieutenant, pour se délivrer de sa tyrannie. Ces intrépides montagnards s’efforcèrent vainement de l’apaiser en lui exposant que leur pays était trop pauvre pour qu’il s’obstinât à le conquérir. Le duc fut inflexible. Réduits à défendre leur liberté, les Suisses gagnèrent les deux batailles de Granson et de Morat (1476). Ces sanglantes défaites furent la ruine du Téméraire ; il alla se faire tuer l’année suivante sous les murs de Nancy, en y assiégeant René II, duc de Lorraine.

241. guerre de la succession de bourgogne. — fin de la maison d’anjou. — Lorsque Louis XI, révolté contre son père, avait trouvé un asile à la cour de Bourgogne, Charles VII avait dit : « Mon cousin Philippe reçoit un loup qui mangera ses brebis. » Cette prédiction venait de s’accomplir à moitié. C’était le roi de France qui par ses intrigues avait causé la perte du Téméraire. Il lui restait à recueillir la succession du duc mort ; il y avisa immédiatement. Charles ne laissait qu’une fille, Marie de Bourgogne, qui épousa bientôt l’archiduc Maximilien d’Autriche, fils de l’empereur d’Allemagne Frédéric III. Louis XI fit envahir par ses armées la Bourgogne, la Franche-Comté, l’Artois et la Flandre. Les Flamands détestaient la domination française ; ils se mirent en état de défense. Il s’ensuivit une guérite peu importante, dans laquelle Maximitien vainquit les Français à la journée de Guinegate. La mort prématurée de Marie de Bourgogne, enlevée à l’âge de vingt-cinq ans, hâta la fin de cette guerre, qu’on peut considérer comme le prélude de la rivalité de la France et de la maison d’Autriche. Par le traité d’Arras (1482), Louis XI obtint la Bourgogne, les villes de la Somme et le comté de Boulogne ; il abandonna les Pays-Bas et la Flandre à Maximilien. L’Artois et la Franche-Comté devaient être réunis à la France comme dot de Marguerite d’Autriche, fille de Marie, qui fut fiancée au Dauphin. Vers cette époque mourut l’héritier du roi René de Provence, Charles d’Anjou, comte du Maine, qui légua au roi de France l’Anjou, le Maine, la Provence et ses droits sur le royaume de Naples. Charles VIII devait bientôt faire valoir ces droits et commencer les guerres d’Italie.

242. derniers moments de louis xi. — Les dernières années de Louis XI furent troublées par des remords incessants. Il tremblait à l’approche de la mort. Le sentiment de son impuissance contre ce dernier ennemi et la pensée de la vie à venir lui étaient insupportables. Il faut lire dans tes Mémoires de Commines quelle misérable existence il traînait au fond de son château de Plessis-lez-Tours, qu’il avait fait entourer de fossés et de grilles de fer. Quarante arbalétriers veillaient jour et nuit autour de cette sombre demeure, avec ordre de tirer sur tout homme qui approcherait la nuit des fossés. On voyait souvent, dit-on, pendus aux arbres voisins, des cadavres de malheureux qu’on sacrifiait aux soupçons ombrageux du roi. Environné de petites gens auxquels il se confiait, de son compère le bourreau Tristan l’Ermite, de son médecin Jacques Coitier, de son barbier Olivier le Daim ou le Diable, d’astrologues et de charlatans, Louis essayait de prolonger sa vie par de nombreuses offrandes aux saints et par des cérémonies superstitieuses. Il mourut en répétant à son fils cette maxime, qui avait été la règle constante de sa conduite, et dont il avait fait de si odieuses applications : Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner.

243. Administration de Louis XI. — Louis XI avait réuni au domaine royal des provinces plus nombreuses et plus belles qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait pu le faire, et il était enfin parvenu à établir l’unité territoriale en France. Il dota la France de nouvelles institutions ; il accorda des chartes et des privilèges aux villes qui l’avaient aidé dans sa lutte contre les seigneurs ; il protégea le commerce par de sages ordonnances, encouragea l’industrie, et notamment les manufactures d’étoffes de soie, d’or et d’argent ; il institua les postes (1464), créa les parlements de Grenoble, de Bordeaux et de Dijon, fonda l’université de Bourges et celle de Bordeaux, ainsi que les premières écoles de médecine, multiplia les école de droit, favorisa les savants, introduisit l’imprimerie en France (1469), essaya d’établir une infanterie nationale, organisa l’artillerie française, et substitua les armes à feu et l’usage du canon aux armes et aux machines anciennes. Mais tant de grandes choses accomplies ne peuvent pas faire oublier ses crimes et ses perfidies.

244. régence de mme de beaujeu. — guerre folle. — mariage de charles viii. — Charles VIII, fils et successeur de Louis XI, n’avait que treize ans à la mort de son père. Son éducation avait été tellement négligée, qu’il ne savait encore ni lire ni écrire. Anne de Beaujeu, sa sœur, âgée de vingt-trois ans, désignée pour régente par Louis XI et ensuite par l’assemblée des États-Généraux de Tours (1484), prit en main la tutelle et la régence. Elle devait être assistée d’un conseil qui serait présidé ou par le duc d’Orléans, premier prince du sang, ou par le duc de Bourbon, ou par le sire de Beaujeu, gendre du feu roi et frère du duc de Bourbon. Les seigneurs crurent que, sous le gouvernement d’une femme, ils pourraient facilement reprendre l’autorité que Louis XI leur avait enlevée ; ils se liguèrent donc contre la régente. À leur tête étaient les ducs d’Orléans et de Bourbon. La guerre qu’ils entreprirent a été appelée la guerre folle ; elle ne leur attira que des défaites. Mme  de Beaujeu soumit les provinces du sud, tandis que La Trémoille, son général, battait les rebelles à Saint-Aubin-du-Cormier, en Bretagne. Le duc de Bretagne, qui avait favorisé la révolte, fut obligé de signer à Sablé un traité désavantageux, et il en mourut de chagrin. Avant de résigner ses fonctions, la régente rendit un dernier service au roi son frère : elle lui assura la main de la jeune duchesse de Bretagne, à laquelle aspiraient de nombreux prétendants. Cet important mariage, qui préparait la réunion de la Bretagne à la couronne, s’accomplit en 1491.


Synchronisme. — Guerre des deux Roses en Angleterre, 1455-1485. — Avènement des Tudors. — Réunion de la Castille et de l’Aragon sous Isabelle et Ferdinand-le-Catholique, 1479. — Prise de Grenade et fin de la domination musulmane en Espagne, 1492. — Découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, 1492.