Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Réforme/Chapitre 19

Ernest Flammarion (Tome huitième — Réformep. 337-351).

CHAPITRE XIX

On tourne le roi contre la Réforme. (1530-1535.)

En l’année 1526, et bien avant le divorce, Henri VIII s’était fait lire une pièce qui courait dans Londres : la Supplique des mendiants.

« C’est la lamentable complainte qu’adressent à Votre Altesse vos suppliants, pauvres monstres qu’on ose à peine regarder, les lépreux, culs-de-jatte, boiteux et autres infirmes, dont le nombre croît toujours, et qui meurent de faim… Ce grand malheur est venu de ce que jadis, dans votre royaume, s’est glissée une race de faux mendiants, qui s’appellent évêques, abbés, prêtres, moines. Ils se sont approprié les plus riches seigneuries ; ils tirent la dîme de tout, même des gages des valets ; il n’est pauvre ménagère qui, pour être absoute à Pâques, ne donne dîme de ses œufs… Chassez ces mendiants robustes », etc.

Cette verte réclamation des aveugles et des boiteux était celle de tout le peuple, tout entier boiteux et aveugle. La question de la Réforme était de le redresser, de le mettre sur ses jambes et de lui rendre des yeux.

Déjà elle avait cet effet dans la Suisse, dans la Souabe, dans toute l’Allemagne du Nord. Elle appliqua les biens du clergé surtout à la création des écoles. Ses grands hommes, Luther et Zwingli, ne furent pas seulement des théologiens, mais les instituteurs du peuple.

Qui n’adorerait Luther en le voyant, au moment le plus périlleux de sa vie, le plus tiraillé, le plus occupé, parmi ses disputes, ses lettres, ses prédications, ses leçons de théologie, entre un monde qui s’écroule et un monde qui commence, enseigner le soir les petits enfants ? (13 mars 1519.)

Et Calvin, si dur et si sombre dans sa création de Genève, qu’a-t-il fait surtout ? Une école. Non seulement la haute école des héros et des martyrs, mais d’abord et principalement l’humble école qui commençait tout, l’école primaire, élémentaire. Sa sollicitude pour l’enfant, jusque dans les moindres choses, est admirable et commande le respect du monde.

L’école, c’est le premier mot de la Réforme, le plus grand. Elle écrit en tête de sa révolution ce devoir essentiel de l’autorité publique : Enseignement universel, écoles de garçons et de filles, écoles libres et gratuites, où tous s’assoiront, riches et pauvres.

Que veut dire pays protestants ? Les pays où l’on sait lire, où la religion tout entière repose sur la lecture.

C’est pour la première fois qu’on parle de l’enseignement des filles, qu’on s’occupe de former celles qui bientôt, comme femmes et mères, auront à former leurs fils.

La lecture, l’écriture, l’instruction religieuse, un peu d’histoire, beaucoup de chant.

C’est pour la première fois que l’enseignement universel de la musique est institué.

L’homme qui, plus qu’aucun autre, exécuta la pensée de Luther, fit les livres, fonda les écoles, dirigea ce mouvement, qui est une seconde Réforme, tout aussi grande que l’autre, c’est l’illustre Mélanchton, où Bossuet n’a voulu voir qu’un réformateur timide, un hérétique peureux, qui avance et qui recule. En réalité, il a eu le rôle le plus actif dans la création d’une nouvelle Allemagne, inspirée de lui, animée de lui, et qui doit se dire la fille de Mélanchton.

Quelques gaspillages que les princes aient faits des biens ecclésiastiques, la majeure partie revint à sa vraie destination, aux écoles, aux hospices, aux communes, à ses vrais propriétaires, le pauvre, le vieillard, l’enfant, la famille laborieuse.

Cette suprême question du temps se pose vers 1530, après le traité de Cambrai : que vont faire pour la Réforme les deux premiers souverains de l’Europe ?

Le rôle de l’empereur est tout tracé. Roi d’Espagne, il est catholique, point du tout impartial (quoi qu’en dise Robertson). Né Flamand, grand ami des moines, puissamment influencé par un confesseur dominicain, s’il tient peu de compte du pape, c’est qu’il se sent le vrai pape, le chef et défenseur de l’Église catholique. L’Espagne s’est toujours sentie plus catholique que Rome. Il agira contre Luther, mais, s’il peut, par un concile, pour réformer le pape même. Et c’est ce qui rapprochera celui-ci de François Ier. Le premier fruit que Charles-Quint tire de son traité de Cambrai, c’est de pouvoir menacer l’Allemagne, de tirer de la diète d’Augsbourg la condamnation des protestants. Ils se liguent à Smalkalde et s’adressent à François Ier (1532).

Donc, celui-ci, courtisé des protestants d’Allemagne et d’Angleterre, d’autre part du pape, est l’arbitre réel de la question religieuse.

Elle est tranchée pour Charles-Quint, qui, de toutes façons, sera le champion du catholicisme.

Notez que le roi de France est libre, parfaitement libre. Le côté du protestantisme qui repoussa la Renaissance, qui épouvanta la France par sa sombre austérité, Calvin et Genève ne sont pas encore. Jusque vers 1540, le protestantisme est flottant, indécis et divisé entre vingt écoles diverses. Il n’a pas fixé la formule, le code de la résistance religieuse. S’il effraye par l’anabaptisme, il rassure par les côtés humains, généreux de Zwingli, par l’aimable et pieuse figure du doux Mélanchton.

Le moment vraiment décisif pour François Ier fut le 21 octobre 1532. Sur l’appel des confédérés de Smalkalde contre l’oppression de l’empereur, les rois de France et d’Angleterre se réunirent à Boulogne.

Henri VIII était venu avec Anne Boleyn. Il avait pris son parti, aboli les tributs que son Église payait à Rome, et déclaré à son clergé qu’il devait choisir entre ses deux serments au pape et au roi. Ceci tendait tout au moins à faire un patriarcat, comme déjà on l’avait proposé dans la captivité du pape. Henri voulait de plus une ligue de la France et de l’Angleterre pour la protection de l’Allemagne. François Ier, retenu, contre son intérêt visible, par sa mère, par Montmorency, par Duprat, François Ier se tira des instances d’Henri VIII en faisant la galanterie de danser avec Anne Boleyn. Tout finit par une ligue soi-disant contre le Turc et par une petite somme qu’on envoya aux Allemands.

Les historiens systématiques n’ont pas manqué d’admirer toutes ces tergiversations. Ils y mettent la suite et l’ensemble qui n’y fut jamais, y voient déjà l’essai habile du système d’équilibre. Ce fut tout simplement l’effet des influences de cour qui se balançaient. Le vieux Duprat était légat et voulait devenir pape, Montmorency connétable ; ils tiraient à droite, du côté espagnol et papal. La duchesse d’Étampes, l’amiral Brion (Chabot), par moments la sœur du roi et les Du Bellay l’inclinaient à gauche, vers Henri VIII, les protestants, Soliman. Ce n’était pas un équilibre, c’étaient des chutes alternatives, lourdes, dangereuses, souvent des contradictions violentes, qui crevaient les yeux, irritaient l’opinion.

Par exemple, à trois mois de distance, il se lie intimement avec le pape pour regagner l’Italie, et il appelle Barberousse, l’effroi, l’horreur de l’Italie, de l’Europe, détruisant à l’instant même ce qu’il a essayé de faire.

L’équilibre européen qu’on voit ici bien à tort ne fit rien pour lui dans les deux crises suprêmes de 1536 et 1544. La France se sauva seule.

Revenons.

Il suffit, pour attraper un enfant, de lui montrer une pomme. À ce grand enfant, le pape montrait le duché de Milan.

Le duc de Milan, malade, sans postérité, négociait aussi secrètement avec lui contre son tyran, l’empereur, et pourtant priait l’empereur de lui faire épouser sa nièce.

Sur ces amorces, le roi envoie à Milan un Italien francisé, Maraviglia ou Merveille, un sot étourdi, glorieux, qui négocie à grand bruit, menace les impériaux. Ses gens, grands bretteurs, les défient. Riposte, les épées tirées, un Espagnol est tué. Que fait le duc de Milan ? Effrayé de voir tout connu, il perd la tête, fait prendre l’agent de François Ier, et, pour regagner l’empereur, le décapite la même nuit (7 juillet 1533). L’empereur immédiatement donne sa nièce à Sforza.

Le roi connut ce jour-là sa situation, son isolement, le mépris qu’on faisait de lui.

Ce coup de fouet le réveilla, mais pour le précipiter plus avant dans sa sottise. Il s’unit d’autant plus au pape, prend sa nièce pour un de ses fils. Le pape, libéralement, donne en dot Parme et Plaisance, terre papale, que nous n’eûmes point, Pise et Livourne, que son cousin Médicis n’avait nulle envie de livrer ; enfin des mots et du vent. L’affaire est caractérisée par l’aveu du roi : « Nous avons pris une fille toute nue. » La dot réelle était l’alliance du pape. Belle et solide alliance avec un vieux pontife malade qui va mourir demain !

Le roi fit brusquement la chose à Marseille ; le mariage bâclé, consommé, il revint avec cette nièce (Catherine de Médicis), plus une patente du pape pour brûler les luthériens. Les Anglais lui firent honte d’avoir humilié sa couronne, de s’être fait le lieutenant de la police papale et le sbire de l’évêque de Rome.

Ce voyage, cette intimité avec le pontife, avait produit son effet naturel à Paris. L’Université, que le Parlement même conseillait de réformer, loin de subir cette réforme, devint tout à coup agressive. Elle s’en prit violemment à la sœur du roi, qu’il avait laissée à Paris. On la frappa dans son aumônier, le doux et mystique Roussel, qui prêchait au Louvre. On la frappa en elle-même, en son livre, le Miroir de l’âme pécheresse, rêverie tendre et monotone, qui n’était pas plus protestante qu’une foule d’autres livres mystiques.

Les protestants, du reste, comme les catholiques, hardis de l’absence du roi, essayaient d’agir. Profitant de la réforme qu’on faisait dans l’Université, ils avaient réussi à faire porter au rectorat un des leurs, ami de Calvin. Il s’avoua protestant. Le Parlement le poursuivit. Il s’enfuit en Suisse, Calvin en Saintonge, où il se cacha, protégé par la reine de Navarre.

C’est sur elle que tout retomba. Les moines répandirent dans les chaires un mot, du reste vraisemblable : Que, le roi jurant au pape qu’il voudrait chasser tous les luthériens, Montmorency aurait dit : « Commencez donc par votre sœur. »

Après la chaire, le théâtre. Ils firent jouer sur les tréteaux par la bande des Cappets cette furie, cette Hérodiade. On proposait de la mettre dans un sac et de la jeter à la Seine.

Le roi, au retour, ne put se dispenser de commencer une enquête. Il emprisonna Béda. Les Du Bellay, qui parvinrent, par adresse et par argent, à faire agir les protestants d’Allemagne contre la maison d’Autriche, se trouvèrent forts auprès du roi. Jean Du Bellay obtint de lui qu’il appellerait Mélanchton à Paris pour conférer sur la réunion des deux Églises. S’il venait, il était possible que son insinuation, sa douceur, son charme, gagnassent un esprit aussi mobile que celui du roi.

Une histoire fort scandaleuse eût aidé à noyer les moines. Les cordeliers d’Orléans venaient d’être pris pour une farce sacrilège. La femme du prévôt de cette ville étant morte sans leur faire de legs, ils voulurent faire croire qu’elle était damnée. Comment en douter ? Aux heures de matines, son âme plaintive errait, gémissait dans les voûtes de l’église. Les cordeliers déclarèrent qu’ils n’y feraient plus l’office. À grand bruit, ils emportèrent le saint-sacrement, les reliques. Cela n’allait pas à moins qu’à faire déterrer la damnée et la jeter à la voirie. Malheureusement le prévôt obtint un ordre du roi pour fouiller l’église, malgré les privilèges ecclésiastiques. Il trouva, empoigna l’âme, qui était un jeune novice. Tous furent amenés à Paris, jugés, condamnés à l’amende honorable.

Le parti était bien malade. Un événement imprévu le sauva, comme en 1528.

En juin 1534, comme on parlait beaucoup des insurgés d’Allemagne, des anabaptistes de Munster et de leur polygamie, on prit à Paris, on brûla un moine marié, qu’on dit polygame, voulant le confondre avec les anabaptistes, le donner pour un précurseur de leurs jacqueries fanatiques.

Le 18 octobre de la même année, le roi, alors à Blois, se levant le matin et sortant de sa chambre, voit sur sa porte même un placard contre la messe, comme ceux que les protestants avaient déjà affichés. Il fut hors de lui, pâlit de tant d’audace, d’un si direct affront à la majesté royale.

Ces doctrines, qui venaient de faire une république à Munster, de chasser le prince-évêque, puis d’y faire le roi tailleur, le fameux Jean de Leyde, l’épouvantèrent. On lui montra le spectre de l’anabaptisme. On lui fit croire que ces prétendus anabaptistes de Paris voulaient faire un massacre général des catholiques, brûler le Louvre, etc. L’ambassadeur d’Espagne l’écrit comme chose sûre à Madrid.

Rien de plus saint, de plus pur, que les origines du protestantisme français. Rien de plus éloigné de la sanglante orgie de Munster.

Le premier martyr parisien fut un jeune ouvrier d’une vie tout édifiante. Il était paralytique, et on le prit dans son lit. Celui-là, à coup sûr, n’avait pas été à Blois.

Il avait été d’abord un garçon leste et ingambe, vif, farceur, véritable enfant de Paris. Frappé par un accident, il n’en était pas moins resté un grand rieur. Assis devant la porte de son père, qui était un cordonnier, il se moquait des passants. Un homme dont il riait approche et dit avec douceur : « Mon ami, si Dieu a courbé ton corps, c’est pour redresser ton âme. » Il lui donne un Évangile. Étonné, il prend, lit, relit, devient un autre homme. Son infirmité augmentant, il resta six ans dans son lit, gagnant sa vie à enseigner l’écriture ou à graver sur des armes de prix, ce qui le mettait à même de donner aux pauvres et de les gagner à l’Évangile.

Sur son martyre, nous ne suivrons pas les récits protestants de Bèze, Crespin, etc. Nous préférons le récit plus ancien d’un fort zélé catholique, le Bourgeois de Paris (publié en 1854). Il trouve ces horreurs admirables, en donne tout le détail, en accuse beaucoup plus que n’avaient dit les protestants.

Pendant six mois, de novembre en juin, continuèrent dans Paris les sacrifices humains.

« Audict an 1534, 10 novembre, furent condamnées sept personnes à faire amende honorable en un tombereau, tenant une torche ardente, et à être brûlées vives. Le premier desquels fut Barthélemy Mollon, fils d’un cordonnier, impotent, qui avoit lesdicts placards. Et pour ce, fut brûlé tout vif au cimetière Saint-Jean. — Le second fut Jean Du Bourg, riche drappier, demeurant rue Saint-Denis, à l’enseigne du Cheval noir. Il avoit lui-même affiché de ses écriteaux. Il fut mené faire amende honorable devant Notre-Dame, et de là aux Innocents, où il eut le poing coupé, puis aux Halles, où il fut brûlé tout vif, pour n’avoir pas voulu accuser ses compagnons. — Le troisième, un imprimeur de la rue Saint-Jacques, pour avoir imprimé les livres de Luther. Brûlé vif à la place Maubert. — Le 18 novembre, un maçon, brûlé vif rue Saint-Antoine. — Le 19, un libraire de la place Maubert, qui avoit vendu Luther, brûlé sur ladite place. — Un grainier aussi et un couturier demeurant près Sainte-Avoye. Mais pour ce qu’ils en accusèrent et promirent d’en accuser d’autres, la cour les garda.

« Le 4 décembre, un jeune serviteur brûlé vif au Temple. Le 5, un jeune enlumineur brûlé au pont Saint-Michel. Le 7, un jeune bonnetier fut, devant le Palais, battu nud au cul de la charrette, et fit amende honorable.

« Le 21 janvier, trois luthériens (dont le receveur de Nantes) brûlés rue Saint-Honoré, et un clerc du Châtelet ; un fruitier devant Notre-Dame. Le 22, la femme d’un cordonnier près Saint-Séverin, lequel étoit maître d’école et mangeoit de la chair le vendredi et le samedi.

« Le 16 février, un riche marchand, de cinquante à soixante ans, estimé homme de bien, brûlé au cimetière Saint-Jean.

« Le 19, un orfèvre et un peintre du pont Saint-Michel, battus de verges. — Le 26, un jeune mercier italien, et un jeune écolier de Grenoble, furent brûlés ; l’écolier, pour avoir affiché la nuit des écriteaux (par ordre d’un maître de l’Université, chez qui il demeurait.)

« Le 3 mars, un chantre de la chapelle du roi, qui avoit attaché au château d’Amboise où étoit le roi, quelques écriteaux, fut brûlé à Saint-Germain-l’Auxerrois.

« Le 5 mai, un procureur et un couturier furent traînés sur une claie au parvis Notre-Dame, et menés au Marché aux pourceaux, pendus à chaînes de fer, et ainsi brûlés… Et de même, un cordonnier au carrefour du Puys-Sainte-Geneviève, qui mourut misérablement sans soi repentir.

« Et furent leurs procès avec eux brûlés. »

Dans ce récit d’un Parisien contemporain, et qui put être témoin oculaire, on voit énoncée la cruelle aggravation de peines qui commence alors (en novembre). Les condamnés ne furent pas préalablement étranglés, mais effectivement brûlés vifs. Et, cette peine ne suffisant pas, on imagina en mai cet atroce suspensoir des chaînes de fer, qui soutenait le patient et prolongeait le supplice, empêchant le corps de s’affaisser et de disparaître dans le feu.

Les procès brûlés avec les hommes, par une précaution infernale, ont rendu très difficile d’écrire avec certitude les actes de ces martyrs.

Rien n’indique que le roi se soit imposé le supplice de voir ces horribles spectacles, plus choquants qu’on ne peut dire par les convulsions des patients et l’odeur des chairs brûlées. Il ne vint à Paris que le 21 janvier, sortit à huit heures du matin, alla du Louvre à Saint-Germain-l’Auxerrois, et de là, en grande pompe, à travers les rues tapissées, suivit la procession du clergé, qui porta le saint-sacrement de reposoir en reposoir. À chacun, il s’arrêta et fit ses dévotions. Puis il dîna à l’évêché. Il y vit l’amende honorable.

Si le roi eût assisté aux exécutions, le Bourgeois, excellent catholique, ne manquerait pas de le remarquer avec orgueil et de consigner le fait.

Huit jours auparavant (13 janvier 1535), la Sorbonne avait tiré du roi une incroyable ordonnance qui supprimait l’imprimerie. Elle n’a pas été conservée, mais le fait est prouvé par la suspension qu’accorda le roi (26 février).

Le clergé s’y prenait trop tard. L’art fatal avait tout enveloppé. Et la Presse était plus qu’un art : c’était un élément nécessaire, comme l’air et l’eau. L’air est bon, il est mauvais, sain ici, là insalubre. N’importe. C’est la condition suprême de l’existence. On ne supprimera pas la respiration, ni pas davantage la Presse.

D’après un calcul vraisemblable (voir Daunou et Petit-Radel, Taillandier, etc.), l’imprimerie a donné, avant 1500, quatre millions de volumes (presque tous in-folio). De 1500 à 1536, dix-sept millions. Après, on ne peut plus compter.

Dans les dix premières années de Luther, les publications décuplent en Allemagne. En 1533, il y a déjà dix-sept éditions de l’Évangile allemand à Wittemberg, treize à Augsbourg, treize à Strasbourg, douze à Bâle, etc. Le catéchisme de Luther est bientôt tiré à cent mille, etc., etc. (Schœffer, Influence de Luther sur l’éducation.) La Suisse et les Pays-Bas, la France, l’Angleterre, le Nord, font d’incroyables efforts pour rejoindre l’Allemagne.

La demande de la Sorbonne était tellement ridicule, que les parlementaires, jusque-là alliés des sorbonnistes, réclamèrent contre eux. Budé et Jean Du Bellay démontrèrent au roi que la chose était et inepte et impossible.

Le clergé tourna l’obstacle. Il obtint qu’il y aurait censure, des censeurs élus par le Parlement. Et peu après, en 1542, il tira la chose des mains du Parlement, et se fit censeur.

Cependant, de toutes parts, la voix publique s’élevait contre l’horrible inconséquence de poursuivre les protestants à Paris et de les aider en Allemagne, de traiter avec les Turcs et de brûler les chrétiens.

Les Allemands, il est vrai, avaient détruit l’anabaptisme (communiste et polygame) ; mais à Paris, avec quelque furie qu’eût été menée la chose, les pièces brûlées avec les hommes, les procès détruits, la lumière éteinte, il n’était que trop certain que pas un de ces infortunés n’était anabaptiste. Autre était l’école française, toute chrétienne, soumise aux puissances.

C’était justement le moment où les protestants d’Allemagne, avec l’argent de la France, avaient, par un coup rapide, enlevé le Wurtemberg à la maison d’Autriche et au catholicisme, forçant Ferdinand à accepter le fait accompli, à confirmer l’édit de tolérance.

Il en était résulté une vaste explosion protestante. Tout ce qui restait catholique par peur de l’Autriche parla haut et se déclara. La Poméranie, le Mecklembourg, le Brunswick, les provinces allemandes de Danemarck, une forte partie de la Saxe, tout le Palatinat du Rhin, se déclarèrent protestants. Le lointain Nord Scandinave commençait à s’ébranler et prendre le même esprit.

De sorte que François Ier put voir qu’en brûlant les protestants il défaisait ce qu’il venait de faire, irritait les Allemands au moment où il venait de les gagner par un signalé service, se brouillait avec un parti qui avait déjà la moitié de l’Europe.

Et pour qui cette sottise ? Pour Clément VII, qui mourait ? Pour gagner l’Église italienne ? Cette Église, comme l’Italie, l’exécrait et le maudissait pour avoir lâché, appelé l’épouvantable terreur des corsaires de Barberousse.

Il commença à voir clair, et se dépêcha en juillet (1535) de regagner les Allemands. Duprat venait de mourir. Les Du Bellay lui firent de nouveau inviter Mélanchton. Il donna une amnistie, « voulant que les suspects ne fussent plus inquiétés, et que, s’ils étaient prisonniers, on les délivrât ». Les fugitifs pouvaient revenir en abjurant dans les six mois et vivant en bons catholiques.

Une chose plus significative était déjà faite depuis février. Le roi avait enlevé Béda, lui avait fait faire amende honorable, et l’avait jeté au Mont Saint-Michel, où il resta jusqu’à sa mort.