Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Réforme/Chapitre 17

Ernest Flammarion (Tome huitième — Réformep. 303-316).

CHAPITRE XVII

La Réforme française. (1521-1526.)

L’histoire souillée, sanglante, du sérail turc et de notre diplomatie menteuse, a dû marcher à part, aussi bien que l’histoire atroce des armées mercenaires qui firent le châtiment de la Rome papale. Nous n’avons pas eu le courage de mêler ces sujets, comme on le fait souvent, aux saintes origines de notre rénovation religieuse. Nous avons respecté, isolé celle-ci, mis à part la vierge sacrée.

Chaque fois que, dans la suite de mes travaux, je reviens à cette grande histoire populaire des premiers réveils de la liberté, j’y retrouve une fraîcheur d’aurore et de printemps, une sève vivifiante et toutes les senteurs des herbes des Alpes. Sento l’aura mia antica !…

Ceci n’est point un vain rapprochement. Le paysage des Alpes, qui nous donne toujours un sentiment si vif des libertés de l’âme, avec le souvenir de leur grande révolution, en est la vraie figure, c’est elle-même sous forme visible. Ces monts en sont la colossale histoire.

J’en eus l’intuition lorsque, jeune, ignorant, je suivis pour la première fois ces routes sacrées, lorsque, après une longue nuit passée dans les basses vallées, trempé du morfondant brouillard, je vis, deux heures avant l’aurore, les Alpes déjà roses dans l’azur du matin.

Je ne connaissais guère l’histoire de ces contrées, ni celle de la liberté suisse, ni celle des saints et des martyrs qui traversèrent ces routes, ni le nid des Vaudois, l’incomparable fleur qui se cache aux sources du Pô.

Je n’en sentis pas moins dès lors ce que j’ai mieux connu depuis, et trouvé de plus en plus vrai : c’est l’autel commun de l’Europe.

Telle la nature, tel l’homme. Il n’y a point là de molle poésie. Nul mysticisme. L’austère vigueur et la sainteté de la raison.

Ces vierges de lumière, qui nous donnent le jour quand le ciel même est sombre encore dans son azur d’acier, elles ne réjouissent pas seulement les yeux fatigués d’insomnie, elles avivent le cœur, lui parlent d’espérance, de foi dans la justice, le retrempent de force virile et de ferme résolution.

Leurs glaciers bienfaisants, dans leur austérité terrible, qui donnent à l’Europe les eaux et la fécondité, lui versent en même temps la lumière, la force morale.

Ce n’est pas le ciel que regarde au réveil le pauvre laboureur de Savoie, ni le fiévreux marin de Gênes, ni l’ouvrier de Lyon dans ses rues noires. De toutes parts, ce sont les Alpes qu’ils regardent d’abord, ces monts consolateurs qui, bien avant le jour, les délivrent des mauvais songes, et disent au captif : « Tu vas voir encore le soleil. »

Le mot Vaudois, au Moyen-âge, veut dire libre chrétien, dégageant le christianisme de tout dogme mystique, de toute fausse poésie légendaire, de tout culte superstitieux.

Ce qui fut effort pour l’Europe, critique voulue et raisonnée, était là de soi-même, fruit naturel et primitif du sol. Il ne faut pas, comme font trop les historiens protestants, ôter à cette tribu unique des Vaudois son originalité et sa grâce d’enfance. Arrière la critique ! Arrière l’héroïsme ! Ne calvinisons pas cette histoire. Écartons et les dogmes qu’ils reçurent au seizième siècle, et leur trente-trois guerres protestantes. Cette épopée de l’Israël des Alpes se colore d’un esprit étranger aux premiers Vaudois.

La nature, dans ces monts sévères, est si grande, elle s’impose de si haut, qu’elle anéantit tout, sauf la raison, la vérité.

Tout temple est petit, ridicule, devant ce prodigieux temple fait de la main de Dieu. Toute poésie, tout roman, est là à rude épreuve. Le voyageur qui y passe en courant, sous son prisme d’artiste, y verra mille mensonges. Mais l’homme qui y reste en toute saison participe à l’austérité de la contrée, est raisonnable, vrai et grave.

Si le christianisme est tout entier dans un sentiment doux et pur, une fraternité sérieuse, une grande charité mutuelle, ce petit peuple fut vraiment une admirable idylle chrétienne. Mais nul n’eut moins de dogme. La légende chrétienne, acceptée d’eux docilement, ne semble pas avoir eu grande place en ces âmes, moins dominées par la tradition que par la nature, qui ne change pas.

Deux choses y furent, dans une lutte harmonique et douce, à peine perceptible : un christianisme peu théologique, ignorant, si l’on veut, innocent comme la nature ; et, dessous, un élément qui ose à peine se produire, le doux génie de la contrée, les fées (ou les fantines), qui flottent dans les fleurs innombrables ou dans la brume du matin. Anciens esprits païens qui ne sont pas bien sûrs d’être soufferts, elles peuvent s’évanouir toujours et dire : « Pardon ! mais nous n’existons pas. »

Ainsi, en grande modestie, ces fées légères sont le sourire de la sérieuse vallée ! Oh ! sérieuse ! Un Dieu si grand paraît là-haut au gigantesque autel des Alpes ! Nul temple ne tiendrait devant lui. Les seules églises qu’il souffre, ce sont d’humbles arbres fruitiers, des plantes salutaires et la petite architecture des fleurs. Les fées s’y cachent, et il ferme les yeux.

Aimable compassion de ce grand Dieu terrible pour la vie timide et tremblante ! Alliance touchante des religions de l’âme avec l’âme de la nature !

Le dogme qui seul au fond fait une religion du christianisme, le dogme du salut par l’unique foi au Christ qu’ils reçurent au seizième siècle, paraît très peu vaudois. Ces simples travailleurs mettaient, au contraire, le salut dans les œuvres et dans le travail.

Cet axiome est d’eux : « Travailler, c’est prier. »

Ils ont tenu leurs âmes dans cet état moyen, modeste, des charmantes montagnes intermédiaires qu’ils cultivent entre la grande plaine piémontaise, et les géants sublimes qui, vers l’ouest, les surveillent et les tiennent sous leur froid regard.

Il n’y a pas là à rêver. Dès que les neiges diminuent là-haut, il faut en profiter, labourer sous les vignes. L’hiver viendra de bonne heure. Et, si la plaine catholique peut d’une part troubler leurs travaux, leurs grands voisins neigeux ont leurs rigueurs aussi, et parfois, bien avant la saison, un souffle impitoyable. Le vrai symbole de la communauté, c’est cette plante des Alpes qu’ils ont si bien nommée la petite frileuse (freïdouline), qui semble regarder aux glaciers, compter peu sur l’été, se tenir réservée, timide et prête à se fermer toujours.

Vertu unique et singulière de l’innocence ! Au milieu de ces craintes, subsistait dans leur vie, comme dans leurs vieux chants, une sérénité singulière, et on la retrouve dans les vers de leurs derniers enfants. La petite église vaudoise y figure comme la colombe qui sait trouver son grain dans le rocher : « Heureuse, heureuse colombelle ! » etc.

Heureuse en effet, et pleine de sujets de contentement ! Que lui manque-t-il donc ? Dès 1200, persécutée, brûlée. En 1400, forcée dans ses montagnes, elle fuit dans les neiges en plein hiver, et quatre-vingts enfants y sont gelés dans leur berceau. En 1498, nouvelles victimes humaines ; je ne sais combien de familles (dont quatre cents enfants) étouffées dans une caverne. Le seizième siècle ne sera qu’une boucherie. Mais n’anticipons pas.

Dans tout cela, nulle résistance. Un respect infini pour leurs seigneurs, pour leur maître et bourreau, le duc de Savoie.

Cette terrible éducation par le martyre leur rendait naturelle une vie de pureté extraordinaire, dans une étonnante fraternité. L’égalité de misère, de péril, faisait l’égalité d’esprit. Dieu le même entre tous. Tous saints et tous apôtres de leur simple Credo. Ils s’enseignaient les uns les autres, les femmes même, les filles et les enfants.

Ils n’avaient point de prêtres. Ce ne fut qu’à la longue, lorsque la persécution fut plus cruelle, que quelques hommes se réservèrent et furent mis à part pour la mort. On les appelait barbes (c’est-à-dire oncles), d’un petit nom caressant de famille. Comme leur martyre était certain, ils n’y associaient personne et ne se mariaient pas.

Quelques-uns émigraient, et s’en allaient en Lombardie, en France et sur le Rhin, la balle sur l’épaule, mettant en dessus je ne sais quelle denrée de colportage, et dessous la denrée de Dieu.

Ils eurent influence aux douzième et treizième siècles directement par la prédication, depuis, fort indirecte, comme exemple, comme type du christianisme le plus pur et le moins loin de la raison.

L’effort perfide qu’on fit plus tard pour faire nommer Vaudois les sorciers ne donna le change à personne. Lorsqu’au quinzième siècle l’inquisiteur d’Arras dit : « Le tiers du monde est Vaudois », on comprit qu’il fallait entendre : raisonnable et libre chrétien.

Tout autres sont les sources du protestantisme suisse, réforme politique et morale, née d’une réaction contre l’orgie des guerres mercenaires, sortie des cœurs honnêtes et du cœur d’un héros, Zwingli.

Autres les sources de la réforme allemande, qui, dans le bon sens magnanime de Luther, n’en garda pas moins une forte pente au mysticisme.

Celle de la France, comme on a vu, eut sa principale source dans les grandes et cruelles circonstances de 1521, quand nos populations du Nord, délaissées sans défense par le roi, levèrent les mains, les yeux au ciel. Nos ouvriers en laine, tisseurs, cardeurs de Meaux, prêchèrent, lurent, chantèrent aux marchés pour leurs frères encore plus malheureux, les paysans fugitifs que les horribles ravages de l’armée impériale faisaient fuir jusqu’en Brie, comme un pauvre troupeau sans berger et sans chien.

Le roi lui-même avait besoin de Dieu dans cette grande détresse, et après ses humiliations de l’Hôtel-de-Ville. La sœur fit lire à son frère, à sa mère, l’Ancien et le Nouveau-Testament. Le lecteur était Michel d’Arande, aumônier de Marguerite, ami, élève de Briçonnet, le mystique évêque de Meaux.

La petite communauté, réfugiée à Meaux autour du vénérable Lefèvre et sous la protection de l’évêque Briçonnet, réunissait des personnes de croyances très diverses. Briçonnet, Lefèvre, et leurs disciples Roussel et Arande, aumôniers de Marguerite, étaient simplement des mystiques, âmes pieuses et tendres, qui ne voulaient de réforme que douce, par l’amour seul et par les lents moyens de l’éducation des enfants. D’autres étaient des humanistes, des critiques, des érudits, comme l’hébraïsant Vatable, première racine du Collège de France, et le Suisse Glareanus, historien rationaliste, qui, avant Vico et Niebuhr, a librement discuté les origines de Rome.

Il n’y avait, à proprement parler, qu’un protestant au milieu d’eux, un vaillant petit homme roux, d’une verve incomparable, Farel, l’apôtre de la Suisse française, précurseur de Calvin. Les ouvriers de la ville étaient tout autre chose encore, si nous en jugeons par le plus célèbre, le cardeur de laine Leclerc, homme de main et d’action, briseur d’images et d’idoles, un Polyeucte né pour courir au martyre, pour ravir la palme et la mort.

Marguerite, le roi et sa mère étaient favorables aux mystiques, indulgents pour les protestants, qui s’en distinguaient peu encore. La sotte violence des sorbonnistes révoltait le roi. Ils avaient condamné d’ensemble, avec Luther, le vieux Lefèvre, pour cette hérésie énorme d’avoir dit que, sous le nom de Madeleine, il y avait dans l’Évangile trois personnes différentes. Le roi fit plus d’une fois arracher les placards de la Sorbonne, et couvrit de sa protection un gentilhomme distingué, Berquin, qui traduisait et répandait des ouvrages de Luther. Le Parlement brûla ces livres, n’osant encore brûler l’auteur.

Un grand événement populaire changea l’aspect des choses.

Depuis 1519 jusqu’en 1522, les augustins des Pays-Bas soutenaient, surtout à Anvers, une lutte violente pour les antiques doctrines de leur ordre, renouvelées et glorifiées par Luther. Leurs supérieurs, traînés à Bruxelles, furent forcés de se rétracter, mais les moines persévérèrent. En octobre 1522, la gouvernante Marguerite d’Autriche (sur un ordre d’Espagne sans doute) prêta main-forte au clergé, ferma le couvent d’Anvers. Les moines furent jetés en prison et condamnés à mort. Quelques-uns ayant échappé, de pieuses et bonnes Flamandes, intrépides par charité, les disputèrent à leurs bourreaux, en sauvèrent un, Henri de Zutphen. Elles en cachèrent trois autres. En attendant, on sévit contre les pierres mêmes. Le couvent dut être détruit. On en vendit les vases, comme profanés et souillés. Le saint-sacrement en fut extrait solennellement, et reçu en grande pompe dans l’église de la Vierge par la gouvernante des Pays-Bas.

Peu de temps auparavant, le clergé anglais avait fait mourir, comme disciple de l’ancien Wicleff, un ouvrier, Thomas Man, qui, enfermé depuis 1511, s’était enfin échappé et enseignait dans les greniers de Londres ou dans les bois de Windsor. À Coventry, quatre cordonniers, un gantier, un bonnetier, et une veuve, madame Smith, furent brûlés vifs pour avoir enseigné à leurs enfants le Pater et le Credo en anglais.

Ces événements exécrables encouragèrent la Sorbonne. Elle alla jusqu’à défendre non seulement les traductions de l’Évangile, mais même des prières françaises à la Vierge, même l’Évangile latin de Robert Estienne.

Dans un travail excellent d’un protestant impartial, le professeur Schmidt, de Strasbourg, se trouve établie, jour par jour et dans un très grand détail, la preuve que, depuis 1521 à 1535, François Ier eut besoin du plus vigoureux emploi du pouvoir et de beaucoup de mesures arbitraires et violentes, pour défendre les protestants contre l’autorité légale, le clergé, le Parlement, et contre le peuple ; on appelait surtout ainsi la canaille des petits clercs, aboyant dans la rue Saint-Jacques aux ordres des gros bonnets qui leur donnaient les bénéfices. Ajoutez les marchands, clients du clergé, les vieilles femmes éperdues pour leurs Vierges et leurs reliques, etc., etc.

Ni François Ier, ni sa sœur, n’étaient protestants. Elle était tendre et mystique, lui artiste et fort idolâtre, surtout des images vivantes. Ils lisaient, il est vrai, la Bible. Mais jamais il n’y eut d’esprit moins biblique que François Ier.

La terrible affaire de Bruxelles les embarrassa (à la fin de 1522). Charles-Quint prenait l’initiative de prêter au clergé le secours du bras séculier. Qu’allait faire le roi ? Grave question pour l’alliance du pape et les affaires d’Italie, non moins grave à l’intérieur, où le besoin d’argent l’obligeait à solliciter sans cesse des décimes ecclésiastiques. La noblesse, à ce moment, se déclarait pour Bourbon, la robe le favorisait. Le roi allait-il rejeter aussi les prêtres vers lui et vers Charles-Quint ?

La cour dès lors se divise. Tandis que Marguerite à Paris, à Lyon, écoute les sermons des mystiques, tandis que le roi, devant lui, fait représenter des farces où se gourment le pape et Luther, la reine mère consulte la Sorbonne « sur le moyen d’extirper le luthéranisme ». À quoi les docteurs répondent assez durement : Que le roi n’exécute pas les arrêts du Parlement, qu’il faut punir les coupables, les faire rétracter, « de quelque rang qu’ils soient ». Allusion à la sœur du roi.

Mais le roi est pris à Pavie, sa sœur part. La digue est rompue. La Sorbonne et le Parlement sont émancipés. La reine mère, pour regagner le pape, lui demande le meilleur remède au luthéranisme. Il répond : « L’Inquisition. »

Pour n’avoir pas celle de Rome, on en fait une gallicane, mais non moins cruelle, composée de deux sorbonnistes et de deux parlementaires. Elle saisit Jacques Pavannes, qui d’abord s’était rétracté, et qui désavouait sa rétractation. Il est brûlé, et avec lui un ermite de la forêt de Livry. (Plus haut, page 195, j’ai mis ce fait deux ans trop tôt, sur la foi du Bourgeois de Paris, qui visiblement se trompe.)

De grandes et terribles scènes se passaient à Metz, à Nancy. La révolution voisine des paysans d’Allemagne, dont une bande passa en Lorraine, avait étroitement ligué les autorités laïques et ecclésiastiques. Jean Chastellain, cordelier, un ardent wallon de Tournai, fut brûlé le 12 janvier 1525. C’est le premier martyr du protestantisme français. Sa mort en suscita un autre, le cardeur Leclerc, réfugié en Lorraine. Déjà, à Meaux, il avait été cruellement flagellé, marqué. Sa mère, non moins intrépide, l’avait exhorté elle-même. Au moment où le fer rouge fut approché de son fils, elle s’était troublée d’abord ; puis, relevée, elle s’écria : « Vive Dieu ! et le signe de Dieu ! »

Leclerc emporta dans sa fuite le cri de sa mère, la soif du martyre. Il prit l’occasion la plus populaire. Il y avait une grande fête à Metz. Toute la ville, à certain jour, allait à une chapelle renommée de la Vierge. Leclerc, indigné des honneurs rendus à l’idole, rêva longtemps de l’abattre. Il était poursuivi des mots de l’Exode : « Tu briseras les faux dieux. » La veille même de la fête, il mit la Vierge en morceaux. Le lendemain, tout un peuple arrive, voit, s’émeut, entre en fureur. Leclerc pris ne désavoue rien.

Il épuisa tous les supplices, le fer et le feu ; on lui coupa d’abord le poing, on lui arracha le nez, on lui tenailla les deux bras, on lui brûla les mamelles. Pendant ce temps, il criait les violentes moqueries du psaume : « Leurs dieux sont dieux de fabrique ; ils ont des yeux pour ne pas voir, une bouche pour ne pas parler… Et ceux qui les font leur ressemblent, » etc., etc. Il épouvanta ses bourreaux, qui le brûlaient à petit feu. (Juillet 1525.)

Notre Parlement de Paris fut jaloux de Metz. Il précipita l’affaire de Berquin, malgré une lettre du roi. Il était brûlé, si le roi, enfin délivré, n’eût trouvé le temps à Bayonne, où il resta un moment, d’écrire un ordre absolu de surseoir.

Tout ce qu’une mère, une tendre sœur, peut faire pour les siens, Marguerite le fit pour les persécutés. Ceux d’entre eux qui avaient été obligés de fuir à Strasbourg y trouvèrent ses secours et ses recommandations ; du fond de l’Espagne, elle était présente et elle agissait.

Le retour du roi fut le triomphe commun des hommes du protestantisme et de ceux de la Renaissance. L’illustre médecin de la reine mère, Agrippa, qui l’avait quittée, osa revenir en France. Le bon vieux Lefèvre, qui était en fuite, fut rappelé avec honneur par le roi, qui lui confia le plus jeune et le plus chéri de ses fils, le Benjamin de Marguerite.

Les protestants venaient mettre aux pieds de François Ier l’éloquent et noble livre que lui dédiait Zwingli : Vraie et Fausse religion.

Là, puissante était la Réforme, ou nulle part, peu théologique, toute morale, une révolution à gagner toute la terre.

Ce Zwingli, paysan intrépide, aumônier d’armée, fort lettré du reste et bon musicien, avait fait les guerres d’Italie, et son admirable cœur s’était révolté à la vue de la démoralisation qu’elles entraînaient avec elles. Il avait pris en horreur l’infâme commerce du sang. Nommé curé d’Einsielden, le fameux pèlerinage du canton de Schwitz, il eut le succès admirable de faire renoncer ce canton à la vente de chair humaine. Tous les pèlerins qui venaient apporter là leur argent, il les renvoyait sans rien recevoir, moralisés, convertis à un culte raisonnable. Grand docteur, meilleur patriote, nature forte et simple, il a montré le type même, le vrai génie de la Suisse, dans sa fière indépendance de l’Italie, de l’Allemagne.

Très tolérant, il poussa à la guerre contre les catholiques, lorsqu’ils appelèrent l’étranger. Un matin, les montagnards ayant marché vers Zurich, il défendit la patrie sans espoir de la sauver. Blessé, il ne voulut pas de grâce. Son corps fut mis en morceaux. Son ami Myconius, pour sauver son cœur des outrages, le jeta au courant du Rhin. Le fleuve des anciens héros en reste plus héroïque.

Son langage à François Ier, digne de la Renaissance, établissait la question de l’Église dans sa grandeur. Il y réunit tous les saints, y met Socrate et Caton entre David et saint Paul : « Vos ancêtres y seront aussi », dit-il au roi (parlant de saint Louis sans doute). Enfin il n’y aura pas un homme de bien, un héros, une âme fidèle, qui y manque. Tous unis en Dieu. Quoi de plus beau, de plus grand ?

Bossuet cite ce passage pour en rire. Mais qui a un cœur le retiendra à jamais, et verra toujours le noble concile, la grande, universelle Église, telle que Zwingli la voyait, assise au Colisée des Alpes.