Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Réforme/Chapitre 10

Ernest Flammarion (Tome huitième — Réformep. 167-182).

CHAPITRE X

Le connétable de Bourbon. (1521-1524.)

On a vu dans quel état de dénuement la guerre avait surpris le prodigue et imprévoyant François Ier, sans argent et sans armée, pour tout trésor ayant la promesse d’un emprunt, une parole des banquiers florentins, qui promirent au roi et prêtèrent à l’empereur.

Aux conférences de Calais, Gattinara, jetant les masques, traita les gens du roi de France comme ceux d’un homme perdu.

Les Italiens en jugèrent ainsi, et Léon X, qui avait appelé les Français, traita avec les Espagnols. Le 1er juillet, en consistoire, il nomma général des armées de l’Église le jeune marquis de Mantoue, Frédéric II, qui, ayant épousé l’héritière de Montferrat, attendait de l’empereur cet important fief d’Empire. Les Gonzague, longtemps incertains, furent dès lors fixés sans retour.

Leur cousin, Bourbon (Montpensier-Gonzague), le connétable de Bourbon, parent aussi des Croy, entre en rapport avec ceux-ci en novembre ou décembre de la même année. Ayant emporté d’assaut la ville d’Hesdin, il y avait trouvé la comtesse de Rœulx, dame de Croy, sa cousine. Soit qu’elle ait ébranlé déjà sa fidélité, soit qu’il ait jugé de lui-même qu’il fallait ménager l’empereur, que les Croy gouvernaient, il ne retint point cette prisonnière importante, et lui fit la galanterie de la renvoyer sans rançon.

Ce mystérieux personnage qui avait tant de parents parmi les ennemis de la France fut jugé, comme on a vu, très dangereux par Henri VIII. Louis XII l’avait cru tel, et pourtant avait fait sa fortune. François Ier, qui y mit le comble, ne s’en défiait pas moins. Examinons ses origines.

Fils d’une Italienne, d’une Gonzague, il était de sa mère, tout Gonzague, fort peu Montpensier.

Les Montpensier sortaient du troisième fils d’un Bourbon ; les Bourbons, comme on sait, descendent d’un sixième fils de saint Louis. Cette branche, peu riche, était vouée à la guerre ; ils servaient de généraux. Le père du connétable mourut vice-roi de Naples.

Autre n’était la position des Gonzague, marquis de Mantoue. N’ayant qu’une place, mais forte, qui est la première de l’Italie, ils gagnaient en se louant comme généraux au pape, à Venise, au roi de France. Princes et condottieri (comme les ducs d’Urbin et de Ferrare), ils faisaient, ils vendaient les soldats, les formant, les disciplinant, puis les cédant pour quelque argent. Si petits, ils n’en avaient pas moins une ambition immense, des vues lointaines et ténébreuses. Ils avaient alliance avec le sultan, alliance en Allemagne, dans les pays riches en soldats, où l’homme est à bon marché. Ils avaient marié de leurs filles aux princes soldats de Wurtemberg et de Brandebourg, une en France à ces Montpensier. Plus tard, un Gonzague, devenu, par mariage, duc de Nevers, figura dans nos guerres civiles.

Leur prévision les servit bien. Les Montpensier, pour être cadets de cadets, n’en avaient pas moins de belles chances. Les races princières s’usant si vite, ils pouvaient se trouver bientôt derniers héritiers de Bourbon ; et (qui sait ?), comme Bourbons, peut-être arriver jusqu’au trône.

Tous ces cadets ne rêvaient d’autre chose. On le voit par leurs devises. Berri (frère de Charles V) : Le temps viendra. Bourgogne : J’ai hâte. Bourbon : Espérance. Bourbon-Albret : Ce qui doit être ne peut manquer.

Le prévoyant Louis XI, ayant fauché les autres, avait laissé, non sans regret, ces Bourbons debout. Il voyait que l’aîné mourait, et au cadet Pierre de Beaujeu, pour le ruiner plus sûrement, il avait donné sa fille. Pierre, vieux, faible, maladif, était médiocre en tout sens. Le bon roi calcula « qu’à nourrir les enfants qui en viendraient la dépense ne serait pas forte ». Il tira de Pierre l’engagement précis qu’à sa mort tout reviendrait au roi.

Il avait calculé sans sa fille, autre Louis XI, non moins absolue que son père, qui, pensant bien que son frère, le petit Charles VIII, lui échapperait bientôt, voulut se garder un royaume dans le royaume, en maintenant cette puissance de Bourbon que, par elle, Louis XI avait compté détruire. Elle fit signer à son frère des lettres qui annulaient son contrat de mariage.

De ce triste mariage il y avait pourtant une fille, faible et contrefaite. On ne la maria pas moins au second fils d’un Montpensier, Charles (Montpensier-Gonzague), orphelin de père et de mère, qu’Anne de Beaujeu adopta, éleva, et dont elle fit l’homme brillant, dangereux et fatal qui faillit perdre la France.

Rien ne fut plus irrégulier. La petite fille, bossue, qui n’avait pas quatorze ans, fit à son jeune mari la donation de cette succession immense, qui autrement revenait à la couronne. Cela eut lieu en février 1504, pendant la maladie de Louis XII, dans ce fatal entr’acte de son règne où la reine Anne de Bretagne conclut brusquement le traité de Blois, qui donnait sa fille et la France à Charles-Quint. Dans ce beau projet, cette folle, qui avait besoin d’appui, s’assura celui de l’autre Anne (Anne de Beaujeu) en permettant l’autre folie, celle de transmettre à ce Charles, moitié Italien, le dernier des grands fiefs de France.

Deux actes insensés et coupables, l’un en grand, l’autre en petit. Les résultats furent analogues. Charles-Quint se souvint toujours qu’il avait eu la France en dot. Et Charles de Bourbon devenu souverain dans sept provinces, fut, par cette fortune monstrueuse, par une éducation de frénétique orgueil, mené au rêve atroce de mettre la France en morceaux.

Le bonhomme Louis XII, revenu à lui, déchira le traité de Blois. Mais il n’osa déchirer le contrat de mariage des Bourbons ; il craignit la vieille fille de Louis XI. Il n’aimait pas beaucoup cet enfant taciturne, secouait la tête et disait : « Rien de pis que l’eau qui dort. » Il lui donna cependant, à la bataille d’Agnadel, l’honneur du plus beau coup d’épée, de charger en flanc l’armée italienne, ce qui décida la victoire.

Dans le danger de la France, en 1513, cet homme de vingt-quatre ans montra beaucoup de sang-froid, de capacité. Nommé lieutenant du roi en Bourgogne, à l’avant-garde de la France du côté des Suisses, au moment où ils s’éloignaient, il devait garnir les places et les réparer, enfin fermer si bien la porte qu’ils ne fussent pas tentés de revenir. Il le fit à merveille, contint les gens de guerre, pacifia les campagnes, établit un maximum modéré et raisonnable auquel le soldat devait acheter, au lieu de prendre pour rien. Cela lui gagna fort le peuple, et tellement le bon Louis XII, qu’il eut envie de le faire connétable, d’en faire l’ami et l’appui de son successeur François Ier.

Il n’était pas sans inquiétude. Sa femme Anne de Bretagne (qui vivait encore) gardait toujours son coupable roman du traité de Blois, de donner sa fille et le royaume au petit-fils de l’empereur. Si elle se fût entendue pour cela avec Anne de Beaujeu, comme en 1504, l’étranger très probablement eût régné en France. Louis XII fit venir celle-ci, la gagna contre sa femme, en lui promettant de rétablir pour son fils adoptif la charge de connétable.

Rien, sans cela, n’excuserait Louis XII d’une chose si imprudente. Le connétable, roi de l’armée, avait un pouvoir si absolu, que le roi même, en campagne, ne pouvait rien ordonner que par lui. Absurde pouvoir, et toujours fatal, qui irritait l’envie (d’où l’assassinat de Clisson), ou qui tentait la trahison (d’où la tragédie de Saint-Pol). Louis XI n’eut garde de refaire un connétable. La régente en fit un, honorifique, son beau-frère, vieux, malade et paralytique, toujours au lit. Mais, ici, en faire un jeune, et de telle puissance, donner cette royauté militaire à celui qui avait déjà contre le roi une souveraineté féodale, c’était l’acte le plus téméraire.

Était-il sûr que Louis XII l’eût voulu sérieusement, et l’avait-il écrit ? J’en doute. De toute façon, le nouveau roi n’en devait tenir compte. Mais l’Italien, plus fin, ami et camarade du même âge, l’avait habilement enlacé. Il avait pris pour le lier un moyen très direct ; il saisit le fils par la mère. Tendre et crédule, malgré son âge, la Savoyarde se crut déjà sa femme, et lui mit au doigt son anneau. Cet anneau entraînait l’épée de connétable. À lui maintenant, avec cette épée, de se faire son chemin. Il flatta le fils et la mère pour la devise : « À toujours mais ! » — en écrivant une tout autre sous son épée : « Penetrabit. » (Elle entrera.)

Les Suisses, comme on l’a vu, nous surprirent à Marignan ; on vainquit à la longue. La chose fit plus d’honneur à la bravoure du connétable qu’à sa prévoyance. Il brilla comme homme d’armes, eut un cheval tué, et fit plusieurs belles charges. François Ier lui donna le poste de haute confiance, la garde de sa conquête. L’année même, 1515, Bourbon fit chez lui, près de Moulins, la fondation d’un couvent en mémoire de la victoire « qui était restée au roi et à lui Bourbon, et qui avait ôté aux Suisses leur titre de châtieurs de rois. »

Cet acte, s’il fut connu, ne fit pas plaisir à François Ier, encore moins l’espèce de code militaire qu’il fit, en profitant des lumières de La Trémouille et de La Palice, chose utile, mais qui mettait les gens de guerre dans la main du connétable, de ses prévôts et maréchaux.

Autre grief : le train royal, l’armée de serviteurs dont le connétable était entouré. À la naissance de son enfant, dont le roi fut parrain, François Ier le vit servi à table par cinq cents gentilshommes en habit de velours. Et ce n’était pas un vain luxe, c’était une force. L’élève d’Anne de Beaujeu, de la fille de Louis XI, avait des vues sérieuses. Cette clientèle était grave et choisie, propre à le servir dans les grandes affaires, tel de la main, tel de la tête : les Arnauld, plus tard si célèbres, les L’Hospital, le gendre de Philippe de Comines, les Chiverny, et autres qui ont marqué bientôt. Il y avait aussi des hommes d’épée, bouillants et de main trop rapide, entre autres ce Pompéran, qui tua un homme du roi, et qui, sauvé par lui, eut le sinistre honneur de le désarmer à Pavie.

Il faut voir l’énormité du royaume que ce Bourbon avait en France. Il réunissait deux duchés, quatre comtés, deux vicomtes, un nombre infini de châtellenies et seigneuries.

Son bizarre Empire ne comprenait pas seulement le grand fief central et massif de Bourbonnais, Auvergne et Marche (plusieurs départements), mais des positions excentriques fort importantes, le Beaujolais, le Forez, les Dombes, trois anneaux pour enserrer Lyon, les rudes montagnes d’Ardèche, Gien pour dominer la Loire, puis, tout au nord, Clermont en Beauvaisis. On comprend à peine un damier de pièces si hétérogènes. Ce qui l’explique, c’est qu’une bonne partie venait des confiscations diverses de Louis XI, qu’il mit aux mains qu’il croyait sûres, celles de sa fille et de son gendre. Sinistres dépouilles des Armagnac et autres, prises aux traîtres, et qui firent des traîtres.

Tel était l’effet naturel des apanages féodaux, constitués par la royauté. Toujours à recommencer. Les plus sages précautions n’engendraient que la guerre civile.

Comme si ce monstre de puissance n’eût pas été assez à craindre, la furieuse folie d’une femme galante à la force féodale ajouta celle de l’argent. Elle le traita en mari, lui donnant, sur des finances entamées par une grande guerre européenne, trois ou quatre pensions princières : connétable, 24,000 livres ; chambrier, 14,000 ; 24,000 comme gouverneur de Languedoc ; 14,000 à prélever sur les tailles du Bourbonnais. Des facilités inouïes pour y ajouter ; en une fois, il se fit voter par la pauvre Auvergne une somme de 50,000 livres ! Il faut décupler tout cela, pour la différence de valeur monétaire ; puis apprécier qu’en ces temps, relativement si misérables, l’argent avait une puissance incalculable.

Plus sot que sa mère n’était folle, le roi le mit en Milanais, après Marignan, lui laissa la conquête, établit l’Italien en pleine Italie, près de Mantoue et des Gonzague. Toutes les bandes errantes de soldats à vendre eussent afflué près de lui, et d’Italie et d’Allemagne. Bientôt, dans ce connétable de France, on eût eu un roi des Lombards.

Ce qui devait le retenir, c’est que le roi n’avait pas d’enfant mâle. Il pouvait être héritier, être à la fois, par une situation bizarre, beau-père et fils adoptif du roi. En 1518 naquit un Dauphin, et alors, tournant le dos à la mère du roi, il voulut Renée de France, fille du roi Louis XII ; il eût pu un jour ou l’autre soutenir qu’elle représentait la branche aînée des Valois, écarter François Ier, qui, de la branche d’Angoulême, n’avait que le droit d’un cadet. Pour cela, que fallait-il ? Annuler la loi salique, en quoi il aurait été applaudi, aidé de son cousin Charles-Quint et de tous les princes qui avaient eu dans leur famille des filles de la maison de France.

Louise, désespérée, pour exercer sur l’infidèle une contrainte salutaire, avait imaginé d’abord de supprimer ses pensions. Le roi, en 1521, soit défiance, soit jalousie, lui ôta l’un des plus hauts privilèges du connétable, le droit de mener l’avant-garde, de conduire l’armée où et comme il voulait. François Ier y était en personne, et ne s’en remit qu’à un homme plus sûr, son beau-frère, le duc d’Alençon.

La trahison eut dès lors un prétexte. Madame de Rœulx, prise dans Hesdin, dut entamer la négociation. Elle était des Croy, et ceux-ci, en concurrence avec Marguerite d’Autriche, auprès de Charles-Quint, tellement primés par elle dans l’intrigue électorale, durent saisir avidement la première lueur d’une affaire qui devait les relever auprès du maître. Le premier prince du sang ! le seul resté des grands vassaux ! le connétable de France ! Trois hommes en un donnés à l’empereur !… Mais ce n’était rien encore. Par ces trois titres, Bourbon était moins que par la popularité qu’il avait dans les robes longues. Les Parlements de Paris, de Provence, comme on va voir, lui étaient favorables. Des magistrats respectés, un Budé, lui dédiaient leurs livres. Tranchons le mot, il avait pour lui le germe du parti qu’on eût appelé, à une époque, le parti de la liberté. Chance énorme ! Charles-Quint, au nom des libertés publiques, eût fait délibérer, voter, les meilleurs citoyens de France pour la ruine de la France et le triomphe de l’étranger !

On a voulu ne voir rien de plus que la vengeance d’une femme dans le grand procès commencé au nom de Louise, le 12 août 1522, comme héritière des biens de la maison de Bourbon. Sans dire qu’elle n’y fut pour rien, je suis porté à croire qu’il y eut aussi autre chose, qu’un homme, visiblement le centre des mécontents, un cousin de Charles-Quint, parent des Croy, des Gonzague, parut assez dangereux pour qu’on entreprît de le ruiner.

Quel était son droit ? un seul, la donation de sa femme, donation d’une enfant de moins de quatorze ans ; donation de biens, non tous patrimoniaux, mais, en bonne partie, biens de condamnés, dont Louis XI avait donné un usufruit.

Quel était le droit de la mère du roi ? Comme nièce du dernier duc de Bourbon, elle était l’incontestable héritière des biens spéciaux de cette maison, souvent transmis par les femmes au treizième siècle, et même récemment par Suzanne de Beaujeu. Seule rejeton des aînés, elle passait évidemment avant les Montpensier, descendus d’un cadet.

Il y avait un troisième héritier, il est vrai, bien autrement autorisé, qui eût dû réclamer, celle de qui tout fief a dérivé, la France.

Cette affaire fut un grand coup pour la vieille Anne de Beaujeu, coupable d’avoir rétabli, contre la volonté de son père, cette dangereuse puissance. Ce fut comme si l’ombre de Louis XI fût venue lui demander compte de ses dons si mal employés. Elle en creva de rage et de dépit. (14 novembre 1522.)

Sa mort précipitait les choses. Elle laissait des fiefs personnels qui, sans procès ni jugement, revenaient d’eux-mêmes à la couronne, C’étaient Gien, passage important de la Loire, et deux positions militaires des montagnes de l’Auvergne, Carlat, Murat, arrachées à grand’peine par Louis XI aux Armagnac, et données par lui, non pas aux Bourbons, mais à son alter ego, à sa fille Anne de France. À quel titre le connétable les eût-il gardés ? On ne le voit pas. Mais il lui coûtait de les rendre, incorporés qu’ils étaient depuis trente ans au royaume des Bourbons. Gien était son avant-garde sur la Loire. Les fiefs d’Auvergne étaient son fort. Ces pays sauvages encore au temps de Louis XIV (Voy. Mémoires de Fléchier), qu’étaient-ils au seizième siècle ? C’était à l’entrée de l’Auvergne, dans le fort château de Chantelle, qui lie l’Auvergne au Bourbonnais, que la maison de Bourbon avait son trésor, ses joyaux. De là, elle veillait les quatre routes (qui vont aussi en Languedoc). Elle avait de patrimoine ce qu’on appelait le delphinat d’Auvergne, et par mariage elle avait essayé d’avoir aussi le comté. Mais la dernière héritière fut donnée par Louis XII à son homme Jean Stuart, duc d’Albany, et la puissance royale établie en basse Auvergne. Bourbon défendait la haute, qui allait lui échapper.

Nul traité, nul mariage, ne pouvait prévenir ce coup. Le premier démembrement allait commencer, la première pierre tomber du grand édifice, grand en lui-même et plus grand comme dernière et suprême ruine du monde féodal. C’était comme une tour qui en restait au centre de la France. J’appelle ainsi la maison de Bourbon. Elle ne pouvait consentir à tomber qu’en se transformant, devenant le trône de France.

Bourbon franchit le pas que, depuis un an, sans nul doute, les Croy l’engageaient à faire ; il envoya à Madrid et demanda la sœur de l’empereur, l’invasion de la France par les impériaux et les Anglais.

Le 14 janvier 1523, Thomas Boleyn, envoyé d’Henri VIII à Madrid, écrit à Londres qu’on en confère. Les instructions que Wolsey envoie en réponse, reproduisant les motifs que mettait en avant Bourbon, disent « que ce vertueux prince, voyant la mauvaise conduite du roi et l’énormité des abus, veut réformer le royaume et soulager le pauvre peuple ». Henri VIII, comme Henri V et la pieuse maison de Lancastre, aurait volontiers travaillé avec Bourbon à cette réforme de la France.

Je ne doute aucunement que les gens graves et de mérite qui tenaient pour le connétable n’aient envisagé ainsi les choses. C’est la fausse situation où tant de fois s’est vue la France, toute personnifiée dans un roi. Les fautes, les crimes de ce roi, on ne pouvait rien y faire que par cette médecine atroce qui équivalait au suicide, l’appel au sauveur étranger. C’est-à-dire que, pour soigner et guérir la France, on n’avait remède que de l’anéantir.

C’était une indigne ironie de proposer pour médecins ceux qui étaient le mal même, les grands, qui, aux États de 1484, s’étaient hardiment présentés. Mais la France n’en voulut pas, aimant mieux encore un tyran, la fille de Louis XI.

L’ironie n’était guère moins grande de prendre pour médecins du royaume les parlementaires, hier procureurs, hommes de ruse et d’avarice, têtes dures et étroites, que la pratique, les sacs poudreux, les petits vols, n’avaient point du tout préparés à se faire les tuteurs des rois.

Les Chats fourrés de Rabelais, et les seigneurs Hume-veines (les buveurs du sang du peuple), qu’il a mis sur même ligne, dans sa verve révolutionnaire, c’était la base où s’appuyait la réforme de Bourbon. Pour amender le prodigue (prodigus et furiosus) qui dévastait nos finances, un bon conseil de famille allait s’assembler où ne siégeraient que des Français, le Français Charles-Quint (né Bourgogne et Bourbon), le Français Henri VIII (descendu d’une fille de Philippe-le-Bel), tous deux venant de saint Louis.

Les juges et les hommes d’épée, brouillés depuis deux cents ans, venaient d’être réconciliés par le roi même, par la cour et la haine qu’elle inspirait : la cour, institution nouvelle, jusque-là inconnue, la cour qui ne voyait qu’elle et méprisait le reste, la noblesse autant que le peuple ; une cour de dames surtout, toute place, toute pension donnée dans un cercle de favorites, toute la monarchie devenue le royaume de la grâce. Les parlementaires et les nobles jusque-là se disputaient les biens d’Église, qu’un semblant d’élection leur donnait ou à leurs valets. Le roi les mit d’accord par son traité avec le pape, donna les écailles aux plaideurs, garda l’huître. Dès lors, toute chose alla au hasard, parfois aux serviteurs utiles, souvent aux femmes aimables qui enlevaient par un sourire les grâces du Saint-Esprit ; un envoyé au Turc était payé d’un évêché ; une maîtresse, pour ses trois frères, en gagna trois, etc.

Là était la plaie profonde au cœur des parlementaires, des universitaires, des nobles.

Les premiers, sous prétexte d’une enquête nécessaire, s’étaient ordonné à eux-mêmes d’aller à Moulins chez le duc. On peut deviner assez comment ce prince magnifique les reçut et les caressa, leur soumettant sans doute ses idées sur le bien public et regrettant de ne pouvoir les voir exécutées par eux.

Au retour, en décembre 1522, au milieu d’un rude hiver, d’une grande misère publique, s’associant à la vive irritation de Paris, ils essayèrent par remontrances leur révolution timide, tâtèrent le roi, envoyèrent des plaintes au chancelier, qui, durement, sans hésiter, mit leurs députés en prison. Le peuple ne bougea pas.

Les parlementaires ainsi repoussés, c’était aux nobles à essayer. Ils le firent en mars. Bourbon était à Paris pour solliciter son procès. On mit en avant un homme pour tâter le roi encore. Jean de La Brosse, qui avait épousé l’héritière de Penthièvre, avait cédé ses droits à Louis XI, qui lui paya pension. Charles VIII, Louis XII, François Ier, tinrent la cession bonne, ne se souciant point de remettre en main féodale le nord de la Bretagne, une si belle descente aux Anglais. La Brosse suivait le roi comme son ombre, en réclamant toujours. Dans ce moment critique où l’on put croire qu’il faiblirait, La Brosse reproduit la demande. Le roi reproduit son refus. La Brosse alors, s’enhardissant, dit : « Monseigneur, il me faudra chercher parti hors du royaume. — Comme tu voudras, La Brosse. » Ce fut la réponse de François Ier.

Elle dut faire plaisir à Bourbon. Beaucoup de nobles se serraient autour de lui, un Saint-Vallier, un Escars, un La Vauguyon, un La Fayette entre autres. Le dernier officier distingué d’artillerie, le premier hautement apparenté, allié aux Brezé, qui, de père en fils, étaient sénéchaux de Normandie. La fille de Saint-Vallier, savante, accomplie (de grâce, sinon de cœur), la fameuse Diane de Poitiers, déjà fort en renom, avait épousé Louis de Brezé, petit-fils de Charles VII et d’Agnès Sorel. Saint-Vallier, capitaine de cent gentilshommes de la maison du roi, avait, par cette charge, des occasions faciles de tuer ou de livrer son maître.

Un autre partisan de Bourbon, c’était la reine elle-même, qui, ne voyant que la famille, l’aurait voulu pour sa sœur. « Un jour qu’elle dînait seule, Bourbon se trouvant là, elle lui dit de s’asseoir, de dîner avec elle. Le roi survient. Bourbon veut se lever. « Non, monseigneur, restez assis, lui dit le roi. Eh bien, il est donc vrai ? vous vous mariez ? — Non, Sire. — Je le sais, j’en suis sûr. Je sais vos trafics avec l’empereur… Qu’il vous souvienne bien de ce que je dis là… — Sire, vous me menacez ! Je n’ai pas mérité d’être traité ainsi. »

Le duc, après le dîner, partit, mais non pas seul ; toute la noblesse le suivit.