Henri Cornélis Agrippa/Lettre XV

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XV
Jacques Lefebvre d’Étaples à Henri Cornélis Agrippa, salut.

Paris, 14 novembre 1519.

Je n’ai remis au Père Célestin[1], porteur de la présente, qu’une seule lettre à votre adresse, ô savant homme, ainsi que quelques petits opuscules. Il n’est pas douteux que vous ne les ayez déjà reçus. J’approuve les généreux sentiments que vous avez montrés dans la défense de sainte Anne, mère de la Vierge ; mais ce qui m’attriste, c’est de voir que vous vous êtes attiré la malveillance de beaucoup de gens. Reuchlin[2], excellent homme comme vous, et comme vous très instruit, a souffert aussi beaucoup. Tous ces ennemis rangés en bataille mettront-ils moins d’obstination à défendre leur Anne trois fois mariée, trois fois mère, s’il ne se produit pas de défection ? Ils craindront de dire que c’est une routine, un vieux moyen usé que d’avoir recours à la sanction de l’Église. Si vous publiez votre ouvrage, prenez bien toutes vos précautions, car, comme vous le dites, ils attaquent au moyen de tranchées, cherchant à lancer leurs traits étant eux-mêmes à l’abri ; ils font peu de cas de la conscience et sont réfractaires au vrai même reconnu. Faites aussi en sorte que tout soit pur et châtié, si vous devez le publier ; nos temps, en effet, sont féconds en critiques avisés, qui dédaignent toute sorte d’écrits s’ils ne sont embellis des charmes de l’éloquence. Je ne doute point que vous n’ayez, parmi vos adhérents, surtout les Allemands auxquels vous conférez le soin de juger vos écrits ; ils se sont montrés bienveillants, instruits, élégants dans leur style. Beaucoup déjà ont écrit contre ma discussion sur sainte Anne, tant Franciscains que Carmélites. Je ne sais pas encore s’ils ont publié leurs écrits. Il y a plus d’un an et demi qu’un Carmélite a écrit un mémoire posant trois conclusions, dans lequel il s’efforçait de détruire ma discussion mais les moyens qu’il emploie sont vraiment primitifs. Je vous envoie ces conclusions. Je vous aurais même envoyé l’ouvrage entier, si j’en avais eu le temps. Mais ces dernières semaines, j’ai erré à droite et à gauche, et, de l’année entière peut-être, je ne me fixerai pas à Paris. Sachez que je ne possède rien qui ne soit à vous, puisque vous avez mon âme. Adieu, homme que je dois entourer de ma plus vive amitié.

  1. Claude Dieudonné.
  2. Philologue, helléniste et hébraïsant (1455-1522). Il était Badois.