Henri Cornélis Agrippa/Lettre LXVII

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LXVII
Agrippa à Érasme.

Bonn, le 13 novembre 1532.

Dans la lettre que Polyphème m’a remise d’autre part avant la Foire, vous m’annoncez, cher Érasme, que vous succombez à la langueur du corps, à la fatigue des travaux de l’esprit, aux tracas que vous cause le bâtiment que vous élevez. C’est pour tous ces motifs, dites-vous, que je ne puis vous écrire plus longuement. Vous m’aviez promis toutefois de m’écrire plus joyeusement et plus longuement après la Foire. J’ai attendu patiemment votre lettre, ne voulant pas encore vous importuner ; ayant trouvé une occasion favorable de communiquer avec vous, j’ai résolu de rompre le silence, non pas pour vous demander de m’écrire, mais pour vous avertir que je n’ai reçu aucune lettre de vous, afin que si, par hasard, vous m’aviez écrit et que votre lettre se fût égarée ou eût été interceptée, vous ne m’accusiez point de lenteur, de paresse, de mauvaise volonté à vous répondre. Si donc vous devez m’écrire, vous adresserez la lettre à Cologne, à Tillman de Fosse. Celles que je vous écrirai, je les adresserai à Bâle, soit à Froeben, soit à la Cratandre. J’espère ainsi que ni l’un ni l’autre de nous ne sera leurré dans son attente.

Du reste j’ai voulu seulement vous faire savoir que la guerre continue entre moi et les Théosophistes de Louvain. Jusqu’ici assiégé dans mon propre camp, je me suis borné à répondre aux diverses attaques par des sorties de peu d’importance ; maintenant que le combat devient acharné, j’ai ouvert les portes et suis sorti armé de toutes pièces, me présentant carrément au combat. Les auxiliaires Parisiens et ceux de Cologne ne leur manquant point, je ne sais moi où je trouverai des alliés. Mais je sais que ma cause est telle que nulle contradiction ne peut l’anéantir, aucun mensonge l’atteindre ; ni le manque d’avocats ni la mauvaise foi des juges ne peuvent l’amoindrir en quoi que ce soit. Ainsi fortifié, je ne crains point, même seul, d’entrer en lice. Si j’en sors victorieux, la gloire ne sera pas moindre pour moi que pour vous ; je combats vaillamment non pas seulement avec mes armes propres, mais avec les vôtres, et je m’élance avec d’autant plus de hardiesse à la lutte pour la même raison. En moi vous verrez bientôt un soldat nouveau s’avancer pour combattre avec une franchise et un sang-froid imperturbables. Vous en rirez, je le sais ; d’autres l’admireront. Les sophistes en crèveront par le milieu ; pour moi, je vaincrai ou je m’en tirerai honorablement. Adieu, pensez à moi.