Henri Cornélis Agrippa/Lettre LXV

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LXV
Agrippa à un ami[1].

Bonn, 13 novembre 1532.

Personne, illustre Lucas, ne peut témoigner mieux que vous de la promptitude avec laquelle j’ai répondu relativement à mes articles que la cohorte impie des Théosophistes de Louvain taxent d’impiété et de scandale. C’est vous qui avez vu, lu, entendu alors la majeure partie de l’improvisation de mon apologie. Voilà déjà dix mois que j’ai communiqué au Parlement de Metz la dite Apologie, et j’aurais dû recevoir de lui acte du dépôt de ces articles. N’ayant rien reçu à ce sujet, j’ai résolu de ne pas abandonner moi-même mes propres intérêts. Aussi ai-je publié cette Apologie, et cela sous le haut patronage de mon Révérendissime Seigneur et Protecteur le Cardinal Légat Laurent Campegio, qui m’a conseillé de le faire en raison de la justice de ma cause. J’ai eu le courage de suivre ce conseil mais, comme dit le proverbe : en semant une vieille querelle on doit s’attendre à en récolter une nouvelle. Je suis la preuve vivante de la vérité de cet adage, et, plus, je me fais petit en face de ces Vandales, plus ils me méprisent. Pourquoi vous en dire davantage ?

Depuis votre départ, on ne m’a rien donné après toutes les promesses que j’avais reçues, et tous ces parchemins solennels de l’Empereur ne sont plus que des bagatelles sans importance, des grimaces de mimes, de véritables bulles de savon ! On peut dire d’eux ce qu’on dit de l’Écho : ce sont des sons qui n’ont aucun corps. Je l’avoue ingénument : j’attendais des Bourguignons plus de bonne foi et plus de probité qu’ils ne m’en ont montré en réalité, et je ne puis oublier ce dicton Français : Qui dit Bourguignon dit traître. Puisque je ne puis donc attendre d’eux la moindre parcelle de condescendance, de bonté, de justice, je suis absolument décidé à expectorer contre eux toute ma bile, raconter toute l’affaire, l’exposer au grand jour. Aussi ai-je soumis toute cette question litigieuse de mon Apologie à Eustache Chapuys, ambassadeur impérial auprès du Roi d’Angleterre[2]. On imprime aussi actuellement le tout ensemble à Bâle ; si l’impression en est déjà terminée, le même messager vous remettra quelques exemplaires pour vous et pour Don Bernard[3]. Si l’impression n’en est pas complètement finie, j’aurai soin qu’on vous les remette le plus tôt possible.

Mon ouvrage sur la Philosophie occulte est actuellement sous presse à Cologne : il va paraître environ vers la Noël[4]. Je vous en enverrai aussi quelques volumes. En attendant, veuillez ne pas m’oublier et surtout pensez aux affaires qui m’ont fait réclamer votre appui. Obtenez pour moi du Pontife un bref ou un diplôme, et tâchez de me conserver l’amitié et la protection du Cardinal Campegio. Veuillez, en résumé, me faire le plus de bien possible.

  1. Lucas Bonfius, secrétaire du Cardinal Campegio. Conf., page 111 précédente, lettre d’Agrippa à ce cardinal.
  2. Henri VIII.
  3. Don Bernard de Paltrineriis, l’économe du cardinal Campegio.
  4. Voir la lettre suivante, qui indique cette même date. — La Philosophie occulte ou la Magie, première traduction française complète, Paris, 1910-1911, 2 v. 8°, avec portrait d’Agrippa, 15 fr., a paru à la Bibliothèque Chacornac.