Han d’Islande/Historique de Han d’Islande

Han d’Islande, Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; OllendorffRoman, tome I (p. 347-350).

NOTES DE L’ÉDITEUR[1].



I

HISTORIQUE DE HAN D’ISLANDE.


Han d’Islande est le premier roman de Victor Hugo, le premier du moins qu’il ait publié en librairie, car en réalité son premier essai fut Bug-Jargal, qui parut dans le Conservateur littéraire en 1820 et qui devait être entièrement transformé en 1826.

Victor Hugo avait dix-huit ans quand il écrivit Han d’Islande, et, à trente et un ans, il jugeait, dans la préface de sa troisième édition, son œuvre et le jeune homme qu’il était autrefois. Il accordait qu’en 1820, il avait de l’imagination, mais aucune expérience des hommes, des choses et des idées. Très sévère pour son roman, il fournissait lui-même des armes à la critique en le qualifiant ainsi : action saccadée, personnages tout d’une pièce, gaucheries sauvages, allure maladroite, candides accès de rêverie. En revanche, lui qui, dans sa première préface, avait reconnu « toute l’insignifiance et toute la frivolité du genre à propos duquel il avait si gravement noirci tant de papier », il n’était plus si méprisant pour le genre, mais il avait découvert ce qui manquait dans son premier essai ; il aurait fallu qu’il y eût beaucoup de choses senties, observées, devinées ; or il n’y avait pour lui qu’une seule chose sentie : l’amour d’un jeune homme, qu’une seule chose observée : l’amour de la jeune fille. Ce n’était pas suffisant, à son avis, pour faire un bon roman. Mais c’était plus qu’il n’en fallait pour justifier, à ses yeux, celui qu’il écrivait puisqu’il y contait, chapitre par chapitre, son propre roman d’amour avec Adèle Foucher. Et voilà pourquoi, étant très amoureux, il avait noirci tant de papier.

Mais qu’en a-t-il fait de ce papier noirci ? Nous l’ignorons. Nous n’avons pas retrouvé son manuscrit. Il n’est pas à la Bibliothèque nationale, et, lors de la mort de Paul Meurice, lorsque l’inventaire des papiers de Victor Hugo fut dressé en présence de M. Marcel, administrateur de la Bibliothèque nationale, il fut constaté que le manuscrit de Han d’Islande manquait.

On connaît la genèse de ce roman : l’amour de Victor Hugo pour Adèle Foucher. L’aveu de cet amour remontait au 26 avril 1819 et, un an plus tard, après une démarche des Foucher et une conversation avec Mme Hugo, les relations furent rompues. Les amoureux durent cesser de se voir chez leurs parents, mais ils remplacèrent les causeries par des lettres ; à des intervalles éloignés ils se rencontraient dans la rue ; le 28 avril 1821, Victor espérait même qu’Adèle lui réserverait un entretien tous les quinze jours. À ce moment, Mme Hugo tomba gravement malade ; tous les projets de rendez-vous s’évanouirent. Victor ne quittait plus le chevet de sa mère.

Or c’est dans le courant du mois de mai, qu’éloigné de celle qu’il aimait, il voulut sinon apaiser, du moins consoler son amour en le racontant.

Le besoin d’épancher certaines idées qui me pesaient, et que notre vers français ne reçoit pas, me fit entreprendre une espèce de roman en prose. J’avais une âme pleine d’amour, de douleur et de jeunesse ; je ne t’avais plus, je n’osais en confier les secrets à aucune créature vivante : Je choisis un confident muet : le papier. Je savais de plus que cet ouvrage pourrait me rapporter quelque chose. Mais cette considération n’était que secondaire quand j’entrepris mon livre.

Je cherchais à déposer quelque part les agitations tumultueuses de mon cœur neuf et brûlant, l’amertume de mes regrets, l’incertitude de mes espérances. Je voulais peindre une jeune fille qui réalisât l’idéal de toutes les imaginations fraîches et poétiques, une jeune fille telle que mon enfance l’avait rêvée, telle que mon adolescence l’avait rencontrée, pure, fière, angélique ; c’est toi, mon Adèle bien-aimée que je voulais peindre, afin de me consoler tristement en traçant l’image de celle que j’avais perdue et qui n’apparaissait plus à ma vie que dans un avenir bien lointain. Je voulais placer près de cette jeune fille un jeune homme, non tel que je suis, mais tel que je voudrais être. Ces deux créatures dominaient le développement d’un événement, moitié d’histoire, moitié d’invention, qui faisait lui-même ressortir une grande conclusion morale, base de la composition. Autour de ces deux acteurs principaux, je rangeais plusieurs autres personnages, destinés à varier les scènes et à faire mouvoir les rouages de la machine. Ces personnages étaient groupés dans les divers plans selon leur degré d’importance.

Ce roman était un long drame dont les scènes étaient des tableaux, dans lesquels les descriptions suppléaient aux décorations et aux costumes. Du reste, tous les personnages se peignaient par eux-mêmes. C’était une idée que les compositions de Walter Scott m’avaient inspirée, et que je voulais tenter, dans l’intérêt de notre littérature.

Je passai beaucoup de temps à amasser pour ce roman des matériaux historiques et géographiques, et plus de temps encore à en mûrir la conception, à en disposer les masses, à en combiner les détails. J’employai à cette composition tout mon peu de facultés ; en sorte que, lorsque j’écrivis la première ligne, je savais déjà la dernière.

Je le commençais à peine, quand un affreux malheur[2] vint disperser toutes mes idées et démonter tous mes projets. J’oubliai cet ouvrage jusqu’à Dreux, où j’eus l’occasion d’en parler à ton père, non comme d’une grande tentative littéraire, mais comme d’une bonne spéculation lucrative. C’était tout ce que ton père voulait.

De retour à Paris, je m’arrachai à ma longue apathie ; l’espoir d’être à toi m’était revenu ; je travaillai assidument à mon ouvrage jusqu’au mois d’octobre dernier, où j’achevai le quinzième chapitre[3].

Or, en juillet 1821, il était allé à pied à Dreux où habitait Adèle Foucher avec son père, et c’est dans une entrevue qu’il demanda la main d’Adèle, faisant valoir à M. Foucher toutes ses espérances d’avenir et lui parlant de son roman de Han d’Islande, dont il comptait tirer un sérieux profit.

En mai 1822, Victor bénéficiait de son titre de fiancé pour recevoir l’hospitalité des Foucher à Gentilly. Mais il devait interrompre à plusieurs reprises, sa villégiature par des voyages à Paris ; il écrivait à Adèle pendant les quelques heures où il ne la voyait pas, et il lui disait :

Il faudra cependant avoir la force de m’arracher à toi, mon Adèle, pour je ne sais quelle insipide correspondance et cet insipide roman[4].

Victor revenait donc à Paris pour ses affaires et retournait bien vite à Gentilly. En juillet, il était réinstallé à Paris. Le mariage eut lieu le 12 octobre 1822. Victor Hugo acheva son roman dans les premiers mois qui suivirent et vendit la première édition mille francs à M. Persan, un marquis ruiné, qui s’était improvisé libraire.

Le Réveil, dans son numéro du 23 janvier, publiait la note suivante :

M. le vicomte d’Arlincourt serait-il déjà usé comme M. de Pradt et M. de Bignon ; voilà cinq jours que son roman a paru, et personne n’en parle, personne ne le lit, personne ne l’achète ? On nous annonce aujourd’hui comme devant offrir au dédommagement de l’ennui que pourrait causer aux lecteurs (s’il en trouve) le roman d’Ipsiboë, un nouveau qui va paraître dans quelques jours chez les libraires du Palais-Royal et dont le sujet, tiré de l’histoire de la Norwège, offre un intérêt aussi dramatique que les principaux ouvrages de l’illustre romancier écossais. Cette composition singulière, signée Han d’Islande, est, dit-on, le premier ouvrage en prose d’un jeune homme connu déjà par de brillants succès poétiques. Nous verrons bien.

Han d’Islande parut en effet le 8 février 1823, sans nom d’auteur. Louis XVIII avait dit, en regardant l’édition originale des Odes de M. V. Hugo : C’est assez mal fagoté. On en aurait pu dire autant des quatre volumes qui composaient l’édition originale de Han d’Islande : couverture grisaille, papier gris grossier, et, pour le texte, il était plein de fautes.

Cela n’empêcha pas le roman de faire grand bruit, plus encore dans le public que dans la presse. C’était l’époque où, dans le monde des lettres, on se divisait en deux camps : les classiques et les romantiques.

L’anonymat ne fut pas de longue durée.

Le Constitutionnel publiait le 15 février la note suivante :

On vient de mettre en vente chez Persan, rue de l’Arbre-Sec, no 22, un roman intitulé : Han d’Islande, en quatre volumes in-12. Prix : 10 francs. On attribue ce roman à M. Victor Hugo, auteur d’un recueil d’odes.

Un article dans la Quotidienne du 12 mars, signé Charles Nodier, et dont on trouvera des extraits dans la Revue de la critique, eut un grand retentissement. Victor Hugo ne connaissait Charles Nodier que de nom ; il alla le remercier. Nodier n’était pas chez lui. Mais le lendemain il accourut. Victor Hugo venait d’emménager rue de Vaugirard, 90. La connaissance fut rapidement faite, car Charles Nodier fut invité avec sa femme et sa fille à pendre la crémaillère. Ce fut là l’origine de leur amitié.

Une nouvelle édition de Han d’Islande fut mise en vente en avril 1823 et toujours sans nom d’auteur. Victor Hugo expliquait qu’il n’avait pas modifié le roman, qu’il s’était borné à corriger des monstruosités typographiques, à rectifier plusieurs dates, à ajouter quelques notes historiques et des épigraphes nouvelles en tête des chapitres.

Han d’Islande eut, deux ans plus tard, les honneurs d’une traduction anglaise, anonyme il est vrai, mais restée célèbre par les gravures terrifiantes qui l’illustraient. Victor Hugo, dans une lettre datée de Reims, où il était invité au sacre de Charles X, en parle à sa femme :

Quand je reviendrai, je t’apporterai la fameuse traduction anglaise de Han d’Islande avec d’admirables gravures à l’eau-forte de Cruikshank. L’effet n’en est pas agréable, mais elles sont terribles.

En 1832, Victor Hugo signa un traité avec l’éditeur Renduel pour la réimpression des romans publiés par divers éditeurs : Bug-Jargal, Han d’Islande, le Dernier jour d’un Condamné, 1 franc par exemplaire et tirage à mille exemplaires.

En mai 1833, paraissait cette nouvelle édition avec une préface assez longue dans laquelle Victor Hugo jugeait en critique sa première tentative de 1823 ; il en avait sans doute l’opinion que lui exprimait Lamartine dans une lettre datée de Saint-Point, le 8 juin 1823 :

Nous relisons vos ravissantes poésies et votre terrible Han. Soit dit en passant, je le trouve aussi trop terrible. Adoucissez votre palette ; l’imagination comme la lyre doit caresser l’esprit ; vous frappez trop fort : je vous dis ce mot pour l’avenir, car vous en avez un et je n’en ai plus.


  1. Le manuscrit de Han d’Islande n’ayant pas été retrouvé, la première partie de ces notes (Description du Manuscrit) se trouve donc supprimée.
  2. La mort de sa mère, le 27 juin 1821.
  3. Lettres à la fiancée.
  4. Idem.