Hamlet/Traduction Hugo, 1865/Le Second Hamlet/Scène XX
Scène XX
— Assez sur ce point, mon cher ! maintenant, venons à l’autre. — Vous rappelez-vous toutes les circonstances ?
Je me les rappelle, monseigneur.
— Mon cher, il y avait dans mon cœur une sorte de combat — qui m’empêchait de dormir : je me sentais plus mal à l’aise — que des mutins mis aux fers. Je payai d’audace, — et bénie soit l’audace en ce cas !… Sachons — que notre imprudence nous sert quelquefois bien, — quand nos calculs les plus profonds avortent. Et cela doit nous apprendre — qu’il est une divinité qui donne la forme à nos destinées, — de quelque façon que nous les ébauchions.
Voilà qui est bien certain.
— Évadé de ma cabine, — ma robe de voyage en écharpe autour de moi, je marchai à tâtons — dans les ténèbres pour les trouver ; j’y réussis. — J’empoignai le paquet, et puis je me retirai — de nouveau dans ma chambre. Je m’enhardis, — mes frayeurs oubliant les scrupules, jusqu’à décacheter — leurs messages officiels. Et qu’y découvris-je, Horatio ? — une scélératesse royale : un ordre formel — (lardé d’une foule de raisons diverses, — le Danemark à sauver, et l’Angleterre aussi… — ah ! et le danger de laisser vivre un tel loup-garou, un tel croque-mitaine !) — un ordre qu’au reçu de la dépêche, sans délai, — non, sans même prendre le temps d’aiguiser la hache, — on me tranchât la tête.
Est-il possible !
— Voici le message ; tu le liras plus à loisir. — Mais veux-tu savoir maintenant ce que je fis ?
— Parlez, je vous supplie.
— Ainsi empêtré dans leur guet-apens, — (je n’aurais pas eu le temps de tracer un plan à mon inspiration, — qu’elle avait déjà commencé l’œuvre), je m’assis ; — j’imaginai un autre message ; je l’écrivis de mon mieux. — Je croyais jadis, comme nos hommes d’État, — que c’est un avilissement de bien écrire, et je me suis donné beaucoup de peine — pour oublier ce talent-là. Mais alors, mon cher, — il me rendit le service tutélaire. Veux-tu savoir — la teneur de ce que j’écrivis ?
Oui, mon bon seigneur.
Comment avez-vous scellé cette dépêche ?
— Eh bien, ici encore s’est montrée la Providence céleste. — J’avais dans ma bourse le cachet de mon père, qui reproduisait le sceau de Danemark. — Je pliai cette lettre dans la même forme que l’autre, — j’y mis l’adresse, — je la cachetai, je la mis soigneusement en place, — et l’on ne s’aperçut pas de l’enfant substitué. Le lendemain, — eut lieu notre combat sur mer ; et ce qui s’ensuivit, — tu le sais déjà.
— Ainsi, Guildenstern et Rosencrantz vont tout droit à la chose.
— Ma foi, l’ami ! ce sont eux qui ont recherché cette commission ; — ils ne gênent pas ma conscience ; leur ruine — vient de leur propre excès de zèle. — Il est dangereux pour des créatures inférieures de se trouver, — au milieu d’une passe, entre les épées terribles et flamboyantes — de deux puissants adversaires.
Ah ! quel roi !
— Ne crois-tu pas que quelque chose m’est imposé maintenant ? — Celui qui a tué mon père et fait de ma mère une putain, — qui s’est fourré entre la volonté du peuple et mes espérances, — qui a jeté son hameçon à ma propre vie, — et avec une telle perfidie ! ne dois-je pas, en toute conscience, — le châtier avec ce bras. Et n’est-ce pas une action damnable — de laisser ce chancre de l’humanité — continuer ses ravages ?
— Cela ne tardera pas. L’intérim est à moi ; — la vie d’un homme, ce n’est que le temps de dire un. — Pourtant je suis bien fâché, mon cher Horatio, — de m’être oublié vis-à-vis de Laertes. — Car dans ma propre cause, je vois — l’image de la sienne. Je tiens à son amitié : — mais, vraiment, la jactance de sa douleur avait exalté — ma rage jusqu’au vertige.
Silence ! Qui vient là ? —
Votre seigneurie est la bienvenue à son retour en Danemark.
Je vous remercie humblement, monsieur.
À Horatio.
Connais-tu ce moucheron ?
Non, mon bon seigneur.
Tu n’en es que mieux en état de grâce ; car c’est un vice de le connaître. Il a beaucoup de terres, et de fertiles. Qu’un animal soit le seigneur d’autres animaux, lui, il aura toujours sa mangeoire à la table du roi. C’est un perroquet ; mais, comme je te le dis, vaste propriétaire de boue.
Doux seigneur, si votre seigneurie en a le loisir, j’ai une communication à lui faire de la part de sa majesté.
Je la recevrai, monsieur, avec tout empressement d’esprit. Faites de votre chapeau son véritable usage ; il est pour la tête.
Je remercie votre seigneurie, il fait très-chaud.
Non, croyez-moi, il fait très-froid, le vent est au nord.
En effet, monseigneur, Il fait passablement froid.
Mais pourtant, il me semble qu’il fait une chaleur étouffante, pour mon tempérament…
Excessive, monseigneur ! une chaleur étouffante, à un point… que je ne saurais dire… monseigneur, sa majesté m’a chargé de vous signifier qu’elle a tenu sur vous un grand pari… Voici, monsieur, ce dont il s’agit.
De grâce, souvenez-vous…
Non, sur ma foi ; je suis plus à l’aise, sur ma foi ! monsieur, nous avons un nouveau venu à la cour, Laertes : croyez-moi, c’est un gentilhomme accompli, doué des perfections les plus variées, de très-douces manières et de grande mine. En vérité, pour parler de lui avec tact, il est le calendrier, la carte de la gentry ; vous trouverez en lui le meilleur monde qu’un gentilhomme puisse connaître.
Monsieur, son signalement ne perd rien dans votre bouche, et pourtant, je le sais, s’il fallait faire son inventaire détaillé, la mémoire y embrouillerait son arithmétique : elle ne pourrait jamais qu’évaluer en gros une cargaison emportée sur un si fin voilier. Quant à moi, pour rester dans la vérité de l’enthousiasme, je le tiens pour une âme de grand article : il y a en lui un tel mélange de raretés et de curiosités, que, à parler vrai de lui, il n’a de semblable que son miroir, et tout autre portrait ne serait qu’une ombre, rien de plus.
Votre seigneurie parle de lui en juge infaillible.
À quoi bon tout ceci, monsieur ? Pourquoi affublons-nous ce gentilhomme de nos phrases grossières ?
Monsieur.
On peut donc parler à n’importe qui sa langue ? Vraiment, vous auriez ce talent-là, seigneur ?
Que fait à la question le nom de ce gentilhomme ?
De Laertes ?
Sa bourse est déjà vide : toutes ses paroles d’or sont dépensées.
De lui, monsieur.
Je pense que vous n’êtes pas sans savoir…
Tant mieux si vous avez de moi cette opinion ; mais quand vous l’auriez, cela ne prouverait rien en ma faveur… Eh bien, monsieur ?
Vous n’êtes pas sans savoir de quelle supériorité Laertes est à son arme ?
Je n’ose faire cet aveu, de peur de me comparer à lui : pour bien connaître un homme, il faut d’abord se connaître soi-même.
Je ne parle, monsieur, que de sa supériorité à cette arme-là ; d’après la réputation qu’on lui a faite, il a un talent sans égal.
Quelle est son arme ?
L’épée et la dague.
Ce sont deux de ses armes ; eh bien après ?
Le roi, monsieur, a parié six chevaux barbes, contre lesquels, m’a-t-on dit, Laertes risque six rapières et six poignards de France avec leurs montures, ceinturon, bandoulière, et ainsi de suite. Trois des trains sont vraiment d’une invention rare, parfaitement adaptés aux poignées, d’un travail très-délicat et très-somptueux.
Qu’appelez-vous les trains ?
Vous ne le lâcherez pas, je sais bien, avant que ses explications ne vous aient édifié.
Les trains, monsieur, ce sont les étuis à suspendre les épées.
L’expression serait plus juste si nous portions une pièce de canon au côté : en attendant, contentons-nous de les appeler des pendants de ceinturon. Mais poursuivez. Six chevaux barbes contre six épées de France, leurs accessoires, avec trois ceinturons très-élégants : voilà l’enjeu danois contre l’enjeu français. Et sur quoi ce pari ?
Le roi a parié, monsieur, que, sur douze bottes échangées entre vous et Laertes, celui-ci n’en porterait pas trois de plus que vous ; Laertes a parié vous toucher neuf fois sur douze. Et la question serait soumise à une épreuve immédiate, si votre seigneurie daignait répondre.
Comment ? Si je réponds non ?
Je veux dire, monseigneur, si vous daigniez opposer votre personne à cette épreuve.
Monsieur, je vais me promener ici dans cette salle : si cela convient à sa majesté, voici pour moi l’heure du délassement. Qu’on apporte les fleurets, si ce gentilhomme y consent ; et pour peu que le roi persiste dans sa gageure, je le ferai gagner, si je peux ; sinon, j’en serai quitte pour la honte et les bottes de trop.
Rapporterai-je ainsi votre réponse ?
Dans ce sens-là, monsieur ; ajoutez-y toutes les fleurs à votre goût.
Je recommande mon dévouement à votre seigneurie.
On dirait un vanneau qui fuit ayant sur la tête la coque de son œuf.
Il faisait des compliments à la mamelle de sa nourrice avant de la téter. Comme beaucoup d’autres de la même volée dont je vois raffoler le monde superficiel, il se borne à prendre le ton du jour et les usages extérieurs de la société : creuses billevesées qui les élèvent dans l’opinion des sots et des sages ; soufflez seulement sur elles pour en faire l’épreuve, elles crèvent !
Monseigneur, le roi vous a fait complimenter par le jeune Osric qui lui a rapporté que vous l’attendiez dans cette salle. Il m’envoie savoir si c’est votre bon plaisir de commencer la partie avec Laertes, ou de l’ajourner.
Je suis constant dans mes résolutions, elles suivent le bon plaisir du roi. Si Laertes est prêt, je le suis ; sur-le-champ, ou n’importe quand, pourvu que je sois aussi dispos qu’à présent.
Le roi, la reine et toute la cour vont descendre.
Ils seront les bienvenus.
La reine vous demande de faire un accueil cordial à Laertes, avant de vous mettre à la partie.
Elle me donne un bon conseil.
Vous perdrez ce pari, monseigneur.
Je ne crois pas : depuis qu’il est parti pour la France, je me suis continuellement exercé : avec l’avantage qui m’est fait, je gagnerai. Mais tu ne saurais croire quel mal j’éprouve ici, du côté du cœur. N’importe !
Pourtant, monseigneur…
C’est une niaiserie : une sorte d’appréhension qui suffirait peut-être à troubler une femme.
Si vous avez dans l’esprit quelque répugnance, obéissez-y. Je vais les prévenir de ne pas se rendre ici, en leur disant que vous êtes mal disposé.
Pas du tout. Nous bravons le présage : il y a une providence spéciale pour la chute d’un moineau. Si mon heure est venue, elle n’est pas à venir ; si elle n’est pas à venir, elle est venue : que ce soit à présent ou pour plus tard, soyons prêts, voilà tout. Puisque l’homme n’est pas maître de ce qu’il quitte, qu’importe qu’il le quitte de bonne heure ? Laissons faire.
— Venez, Hamlet, venez, et prenez cette main que je vous présente.
Le roi met la main de Laertes dans celle d’Hamlet.
Pardonnez-moi, monsieur, je vous ai offensé, — mais pardonnez-moi en gentilhomme. — Ceux qui sont ici présents savent et vous devez avoir appris — de quel cruel égarement j’ai été affligé. — Si j’ai fait quelque chose — qui ait pu irriter votre caractère, votre honneur, — votre susceptibilité, je le proclame ici acte de folie. — Est-ce Hamlet qui a offensé Laertes ? Ce n’a jamais été Hamlet. — Si Hamlet est enlevé à lui-même, — et si, n’étant plus lui-même, il offense Laertes, — alors, ce n’est pas Hamlet qui agit : Hamlet renie l’acte. — Qui agit donc ? sa folie. S’il en est ainsi, — Hamlet est du parti des offensés, — le pauvre Hamlet a sa folie pour ennemi. — Monsieur, après ce désaveu — de toute intention mauvaise fait devant cet auditoire, — puissé-je n’être condamné dans votre généreuse pensée — que comme si, lançant une flèche par-dessus la maison, — j’avais blessé mon frère !
Mon cœur est satisfait, — et ce sont ses inspirations qui, dans ce cas, me poussaient le plus — à la vengeance : mais sur le terrain de l’honneur, — je reste à l’écart et je ne veux pas de réconciliation, — jusqu’à ce que des arbitres plus âgés, d’une loyauté connue, — m’aient imposé, d’après les précédents, une sentence de paix — qui sauvegarde mon nom. Jusque-là — j’accepte comme bonne amitié l’amitié que vous m’offrez, — et je ne ferai rien pour la blesser.
J’embrasse franchement cette assurance : — et je m’engage loyalement dans cette joute fraternelle. — Donnez-nous les fleurets, allons !
Voyons ! qu’on m’en donne un !
— Je vais être votre plastron, Laertes : auprès de mon inexpérience, comme un astre dans la nuit la plus noire, votre talent — va ressortir avec éclat.
Vous vous moquez de moi, monseigneur.
Non, je le jure.
— Donnez-leur les fleurets, jeune Osric. Cousin Hamlet, — vous connaissez la gageure ?
Parfaitement, monseigneur. — Votre grâce a mis un enjeu excessif du côté le plus faible.
Je n’en suis pas inquiet : je vous ai vus tous deux… — D’ailleurs, puisque Hamlet est avantagé, la chance est pour nous.
Celui-ci est trop lourd, voyons-en un autre.
Celui-ci me va. Ces fleurets ont tous la même longueur ?
Oui, mon bon seigneur.
— Posez-moi les flacons de vin sur cette table : — si Hamlet porte la première ou la seconde botte, — ou s’il riposte à la troisième, — que les batteries fassent feu de toutes leurs pièces : — le roi boira à la santé d’Hamlet, — et jettera dans la coupe une perle — plus précieuse que celles que les quatre rois nos prédécesseurs — ont portées sur la couronne de Danemark. Donnez-moi les coupes. — Que les timbales disent aux trompettes, — les trompettes aux canons du dehors, — les canons aux cieux, les cieux à la terre, — que le roi boit à Hamlet ! Allons, commencez ; — et vous juges, ayez l’œil attentif !
— En garde, monsieur !
En garde, monseigneur !
Une.
Non.
Jugement !
Touché ! très-positivement touché !
Soit : recommençons.
— Attendez qu’on me donne à boire : Hamlet, cette perle est à toi ; — je bois à ta santé. Donnez-lui la coupe.
— Je veux auparavant terminer cet assaut ; mettez-la de côté un moment. — Allons !
Encore une ! qu’en dites-vous ?
— Touché, touché, je l’avoue.
— Notre fils gagnera.
— Bonne madame !
Gertrude, ne buvez pas !
— Je boirai, monseigneur ; excusez-moi, je vous prie.
— C’est la coupe empoisonnée ; il est trop tard.
— Je n’ose pas boire encore, madame ; tout à l’heure.
— Viens, laisse-moi essuyer ton visage.
— Monseigneur, je vais le toucher cette fois.
Je ne le crois pas.
— Et pourtant c’est presque contre ma conscience.
— Allons, la troisième, Laertes ; Vous ne faites que vous amuser, — je vous en prie, tirez de votre plus belle force ; — j’ai peur que vous ne me traitiez en enfant.
— Vous dites cela ? En garde !
Rien des deux parts.
— À vous maintenant.
— Non, recommençons.
Secourez la reine, là ! ho !
— Ils saignent tous les deux. Comment cela se fait-il, monseigneur ?
— Comment êtes-vous, Laertes ?
— Ah ! comme une buse prise à son propre piège, Osric ! — Je suis tué justement par mon guet-apens.
— Comment est la reine ?
Elle s’est évanouie à la vue de leur sang.
— Non ! non ! le breuvage ! le breuvage ! Ô mon Hamlet chéri ! le breuvage ! — le breuvage ! Je suis empoisonnée.
— Ô infamie !… Holà ! qu’on ferme la porte : — il y a une trahison : qu’on la découvre !
La pointe — empoisonnée aussi ! Alors, venin, à ton œuvre !
Trahison ! trahison !
— Oh ! défendez-moi encore, mes amis ; je ne suis que blessé.
— Tiens, toi, incestueux, meurtrier, damné Danois ! — Bois le reste de cette potion !… Ta perle y est-elle ? — Suis ma mère.
Il a ce qu’il mérite : c’est un poison préparé par lui-même. — Échange ton pardon avec le mien, noble Hamlet. — Que ma mort et celle de mon père ne retombent pas sur toi, — ni la tienne sur moi !
— Que le ciel t’en absolve ! Je vais te suivre. — Je meurs, Horatio. Misérable reine, adieu ! — Vous qui pâlissez et tremblez devant cette catastrophe, — muets auditeurs de ce drame, — si j’en avais le temps, si la mort, ce recors farouche, — ne m’arrêtait si strictement, — oh ! je pourrais vous dire… — Mais résignons-nous : Horatio, je meurs, — tu vis, toi ! justifie-moi, explique ma cause — à ceux qui l’ignorent.
Ne l’espérez pas. — Je suis plus un Romain qu’un Danois. — Il reste encore ici de la liqueur.
Si tu es un homme, — donne-moi cette coupe ; lâche-la ; par le ciel, je l’aurai ! — Dieu ! quel nom blessé, Horatio, — si les choses restent ainsi inconnues, vivra après moi ! — Si jamais tu m’as porté dans ton cœur, — absente-toi quelque temps encore de la félicité céleste, — et exhale ton souffle pénible dans ce monde rigoureux, — pour raconter mon histoire.
Quel est ce bruit martial ?
— C’est le jeune Fortinbras qui arrive vainqueur de Pologne, — et qui salue les ambassadeurs d’Angleterre — de cette salve guerrière.
Oh ! je meurs, Horatio ; — le poison puissant triomphe de mon souffle : — je ne pourrai vivre assez pour savoir les nouvelles d’Angleterre ; — mais je prédis que l’élection s’abattra — sur Fortinbras ; il a ma voix mourante ; — raconte-lui, avec plus ou moins de détails, — ce qui a provoqué… Le reste… c’est… silence.
— Voici un noble cœur qui se brise. Bonne nuit, doux prince ; — que des essaims d’anges te bercent de leurs chants ! — Pourquoi ce bruit de tambours ici ?
— Où est ce spectacle ?
Qu’est-ce que vous voulez voir ? — Si c’est un malheur ou un prodige, ne cherchez pas plus loin.
— Cette curée crie : Carnage !… Ô fière mort ! — quel festin prépares-tu dans ton antre éternel, — que tu as, d’un seul coup, — abattu dans le sang tant de princes ?
Ce spectacle est effrayant ; — et nos dépêches arrivent trop tard d’Angleterre. — Il a l’oreille insensible celui qui devait nous écouter, — à qui nous devions dire que ses ordres sont remplis, — que Rosencrantz et Guildenstern sont morts. — D’où recevrons-nous nos remercîments ?
Pas de sa bouche, — lors même qu’il aurait le vivant pouvoir de vous remercier ; — il n’a jamais commandé leur mort. — Mais puisque vous êtes venus si brusquement au milieu de cette crise sanglante, — vous, de la guerre de Pologne, et vous d’Angleterre, — donnez ordre que ces corps — soient placés sur une haute estrade à la vue de tous, — et laissez-moi dire au monde qui l’ignore encore, — comment ceci est arrivé. Alors vous entendrez parler — d’actes charnels, sanglants, contre nature ; — d’accidents expiatoires, de meurtres fortuits ; — de morts causées par la perfidie ou par une force majeure, — et, pour dénoûment, de complots retombés par méprise — sur la tête des auteurs : voilà tout ce que je puis — vous raconter sans mentir.
Hâtons-nous de l’entendre, — et convoquons les plus nobles à l’auditoire ; — pour moi, c’est avec douleur que j’accepte ma fortune, — j’ai sur ce royaume des droits non oubliés, — que mon intérêt m’invite maintenant à revendiquer.
— J’ai mission de parler sur ce point, au nom — de quelqu’un dont la voix en entraînera bien d’autres. — Mais agissons immédiatement, tandis — que les esprits sont encore étonnés, de peur qu’un complot — ou une méprise ne cause de nouveaux malheurs.
Que quatre capitaines — portent Hamlet, comme un combattant, sur l’estrade ; — car, probablement, s’il eût été mis à l’épreuve, — c’eût été un grand roi ; et que, sur son passage, — la musique militaire et les salves guerrières — retentissent hautement en son honneur. — Enlevez les corps : un tel spectacle — ne sied qu’au champ de bataille ; ici, il fait mal. — Allez ! dites aux soldats de faire feu.