Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire/6

Traduction par Commandant Moulin, attaché militaire à l’ambassade de France à Saint-Pétersbourg.
L. Baudoin (p. 85-93).
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VI.


Ce qui caractérise le tome VI de Guerre et Paix, c’est que la dernière partie en est consacrée à des raisonnements plus ou moins heureux sur une science encore naissante, la physiologie des organismes collectifs, autrement dit la sociologie. Nous n’avons ni la force ni le désir d’examiner en détail cette partie indigeste de l’œuvre, dans laquelle quelques idées justes se trouvent mélangées avec les paradoxes les plus étranges et des phrases sonores, mais creuses ; nous ne ferons que toucher de préférence à quelques passages qui ont du moins quelque rapport à la guerre et aux troupes.

Au commencement du tome VI, Tolstoï se livre de nouveau à une petite incursion dans le domaine proprement dit de la théorie de l’art de la guerre, dans le but sans doute de signaler certaines incohérences de cette théorie. Cette incursion n’est pas plus heureuse que les précédentes et sert seulement à prouver que l’auteur n’est qu’un dilettante en ces matières. Certaines des incohérences qu’il croit relever ont été déjà rejetées bien avant lui de la théorie de la guerre. Les autres n’existent que dans l’imagination de l’auteur, erreur qui est le résultat de son insuffisance dans la partie :

« Une des dérogations les plus frappantes et les plus avantageuses aux soi-disant règles de la guerre consiste dans l’action des hommes dispersés contre les hommes serrés en tas. »

D’abord les hommes dispersés n’attaquent pas les hommes serrés en tas, mais ceux qui, pour une raison quelconque, se sont détachés du tas. En second lieu, la théorie de la guerre, comme toutes les théories en général, ne donne pas des règles positives, mathématiques, mais seulement des équations qui admettent à la fois plusieurs solutions positives ou négatives. Et ces équations dans la théorie de la guerre, tout comme dans la théorie des nombres, sont égalées à zéro, les termes positifs ou les « oui » faisant exactement équilibre aux termes négatifs ou aux « non ». Demandez au premier venu, pourvu qu’il comprenne un peu la guerre, si la concentration est une chose avantageuse ? Il vous répondra : « C’est suivant où, quand et pourquoi. Êtes-vous préoccupé des subsistances ? Alors tenez votre armée plutôt divisée que concentrée. Vous attendez-vous à combattre ? Resserrez-la, quand même les approvisionnements devraient en souffrir. Espérez-vous surprendre l’ennemi ? Renoncez dans ce cas à attendre l’arrivée en ligne de tout votre monde pour ne pas laisser échapper une belle occasion, frappez avec ce que vous avez sous la main. Privez-vous également au besoin d’une partie de vos forces dans le combat sur votre front pour la faire agir sur le flanc ou sur les derrières de l’ennemi, parce que le résultat qu’elle y obtiendra aura infiniment plus de valeur ; mais cela suppose que vous vous croyez déjà sûr du succès. S’agit-il au contraire de briser la résistance d’un adversaire qui se tient sur ses gardes par une attaque de front décisive, alors ne négligez pas d’y amener jusqu’à votre dernier bataillon et concentrez vos forces tant que vous pourrez. Enfin, dans l’exécution du combat lui-même, l’ordre dispersé convient mieux pour le feu, la concentration pour l’attaque à l’arme blanche. Il ne s’agit donc pas de savoir, en général, si la concentration vaut mieux que la dispersion, mais quand il convient d’avoir recours à la première plutôt qu’à la seconde, et réciproquement. Voyez comment s’y prend Napoléon. S’agit-il de livrer bataille ? il attire à lui tout ce qu’il lui est humainement possible de grouper. Mais une fois que l’adversaire est ébranlé sans revirement possible, il disloque ses forces en un clin d’œil : qui pour la poursuite, qui pour appuyer les troupes chargées de cette poursuite, qui pour se reformer et se reposer de ses pertes, etc.

Il y a, c’est vrai, des théories échafaudées uniquement sur la concentration (Jomini) ou inversement sur la dispersion des forces (Bülow, système du cordon). Mais si ce sont les premières que visent les arguments de l’auteur, au moins aurait-il convenu de dire qu’il s’en prenait aux théories de MM. X. ou Y. et non à la théorie de l’art de la guerre dans son état actuel :

« On nommait cette guerre la guerre de partisans, et on supposait que le nom suffirait pour faire comprendre la chose ; tandis que ce genre de guerre n’admet aucune règle et se trouve même en contradiction flagrante avec une règle de tactique bien connue et considérée comme infaillible, à savoir que « celui qui attaque doit concentrer toutes ses troupes de façon à être à un moment donné du combat plus fort que son adversaire. »

« La guerre de partisans (toujours heureuse, d’après le témoignage de l’histoire) est en contradiction directe avec cette règle.

« Cette contradiction tient à ce que la science de la guerre identifie la force d’une troupe avec son effectif. Plus on a de troupes, dit-elle, plus on est fort. Les gros bataillons ont toujours raison. »

Il est clair déjà, par ce qui a été dit plus haut, que la guerre de partisans n’est pas en contradiction avec les fondements de l’art de la guerre, puisque celui-ci admet également la concentration et la dispersion des forces, suivant le but visé et les circonstances au milieu desquelles il faut l’atteindre. En second lieu, l’auteur sait parfaitement que le gros des forces de notre armée ne s’est pas émietté en détachements de partisans, mais est resté groupé. Donc il n’y a eu dispersion que pour une partie relativement très faible de nos forces. Et à juste raison, car autrement les. Français n’auraient pas hésité un instant à s’éparpiller aussi sur plusieurs routes, et la retraite leur eût coûté infiniment moins de monde. Ce ne sont pas les détachements de partisans qui les ont obligés à rester en une seule masse, mais tout bonnement le fait que nos forces principales étaient également restées groupées. C’est précisément cela, et uniquement cela, qui a rendu si venimeuses les piqûres d’épingles de nos détachements de partisans et les a transformées en blessures mortelles.

En troisième lieu, soit dit sans éveiller les susceptibilités de l’honorable auteur, le principe d’être plus fort que l’adversaire sur le point d’attaque, non seulement n’est pas contredit par les opérations des partisans, mais au contraire trouve en elles une éclatante confirmation. Un partisan ne songe même pas à attaquer des masses ennemies tant soit peu notables et prêtes à combattre. Il cherche à ne jamais attaquer que par surprise. En d’autres termes, sa première et dominante préoccupation est précisément d’être plus fort que l’adversaire sur le point où il attaque. Si cette condition lui échappe, il s’en va, il file au plus vite, il se sauve, pour dire les choses tout crûment, ce que ne fera jamais un détachement plus considérable. On peut dire, il est vrai, que le partisan ne se renforce pas au moment de l’attaque, mais qu’il saisit au vol une minute de faiblesse de son adversaire. Le résultat n’est-il pas le même, du moment où il y a rupture d’équilibre en sa faveur. Du reste, le partisan n’a garde de négliger de se renforcer partout où il le peut. Nous posons la question à l’honorable auteur lui-même. Quand Dénisoff attend sa jonction avec Dolokhoff pour fondre sur un détachement français, se conforme-t-il au principe de la concentration des forces sur le point d’attaque ou l’enfreint-il ?

Une méditation un peu plus sérieuse des faits qu’il décrit lui-même aurait rendu peut-être Tolstoï plus circonspect dans ses critiques de la théorie de l’art de la guerre. Il aurait compris ses préceptes dans un sens plus large, il en aurait envisagé les applications sous toutes leurs faces, il ne leur aurait pas attribué une unilatéralité qui n’existe que dans son imagination et n’aurait pas enfin célébré comme une découverte, comme une trouvaille personnelle, des vérités acquises bien avant lui.

C’est ainsi que l’auteur, se figurant que la théorie de la guerre ne sous-entend sous l’expression de « force » que l’effectif des troupes, s’escrime à démontrer la fausseté de cette conception et à établir que la force ne consiste ni dans le nombre, ni dans l’armement, ni dans le génie du commandant en chef, mais dans le moral des troupes, c’est à-dire dans le désir plus au moins sincère de se battre de chacune des individualités qui composent ces troupes. Cette idée est si peu une nouveauté que, dans sa forme même, il n’est pas difficile de reconnaître mot pour mot une phrase d’un célèbre théoricien (Jomini).

La théorie de la guerre est d’accord avec l’auteur, sans toutefois établir, comme il a tort de le faire, une opposition entre le nombre, les formations, l’armement et autres facteurs matériels, et le moral. Les talents du commandant en chef sont aussi une force d’ordre moral et dont l’influence s’exerce immédiatement sur le moral des troupes. C’est une erreur de les ranger sur la même ligne que l’armement et les formations géométriques. La théorie, aussi bien que Tolstoï, pose en principe que la condition primordiale du succès consiste dans le désir de se battre. Mais elle reconnaît, en se basant sur les faits, que ce désir ne peut être que le résultat de la confiance dans la victoire si l’on en vient aux mains ; confiance qui augmente ou diminue avec la valeur de l’armement et des formations des troupes au point de vue du combat, avec le nombre relatif de soldats à opposer à l’adversaire, avec la confiance même que le chef a réussi à inspirer à ses inférieurs, dans ses talents, etc. L’énumération complète serait longue.

La théorie de la guerre ne s’en tient pas seulement aux données qui sont inhérentes aux troupes. Elle fait entrer aussi en compte les circonstances purement extérieures qui ont parfois une puissante influence sur le moral des troupes : telles que la surprise, les éventualités les plus diverses, dont les moindres suffisent quelquefois à produire une panique, c’est-à-dire la destruction complète du moral des troupes.

La théorie de la guerre enfin reconnaît l’influence de la préparation du temps de paix sur ce même moral et s’occupe d’élaborer les meilleurs procédés d’éducation et d’instruction des troupes pour développer et tremper leur moral, en évitant soigneusement d’autre part tout ce qui pourrait tendre à l’ébranler.

Tolstoï soutient que la théorie de la guerre mesure la force d’après l’effectif des troupes et cite à l’appui cette phrase de Napoléon : « Les gros bataillons ont toujours raison ». Tandis que la théorie de la guerre se borne à dire que, toutes choses étant égales d’ailleurs, la probabilité du succès est en faveur du nombre. Tout le mal vient de ce que cette théorie ne possède pas comme les mathématiques un arsenal de notations et que ses formules s’expriment par des mots dont le sens est trop restreint et qui n’ont pas l’élasticité du langage algébrique où, sous la lettre a par exemple, on peut sous-entendre toutes les grandeurs possibles, positives ou négatives depuis zéro jusqu’à l’infini.

Il en résulte d’abord que chacun s’arroge le droit de juger les questions militaires. La lecture des livres militaires paraît claire et facile en comparaison de celle des traités de mathématiques ; tout y est à la portée du simple bon sens, que chacun se croit sûr de posséder. Ensuite les formules s’y expriment par des phrases si longues que le dilettante en général ne les lit pas avec attention jusqu’au bout et s’empresse de tirer ses conclusions.

Prenons par exemple la phrase : « les gros bataillons ont toujours raison ». Chacun peut l’interpréter à sa guise. Il peut en conclure qu’un bataillon de 2,000 hommes vaut mieux qu’un bataillon de 1,000 hommes ; qu’un bataillon de 5,000, 10,000 hommes est encore meilleur, etc « Joli génie ! que ce Napoléon », pensera notre dilettante. « mais c’est tout bonnement un niais » ; et ajoutera-t-il en lui-même, sans oser le dire tout haut, « je ne suis pas bête tout de même pour avoir découvert ça ». Si vous voulez tirer des déductions justes, gardez-vous bien de détacher de la chaîne du raisonnement une phrase toute seule, sans savoir comment elle se relie à ce qui précède et à ce qui suit. Faites entrer en compte, au nom des lois de la logique, que ceci a été dit par un homme qui, comme tous les écrivains de sa trempe, n’aimait pas à s’étendre et à développer sa pensée jusqu’à la rendre abordable à l’intelligence des profanes. À bon entendeur salut ! C’est le même Napoléon qui a dit « qu’à la guerre les trois quarts du succès dépendent des causes morales ». Si l’on aligne les deux phrases on comprend parfaitement dans quelles conditions les gros bataillons peuvent avoir raison. Mais, pour le but qu’il poursuit, Tolstoï n’a pas besoin de comprendre. Et il est clair qu’il ne comprend pas, ou qu’il n’a pas tout lu jusqu’au bout.

« Les gens qui ont le plus grand désir de se battre se placent toujours dans les positions les plus avantageuses pour se battre ».

Cet aphorisme est absolument faux, car se placer dans la position la plus avantageuse pour se battre, c’est de la technique. Cela rentre dans le domaine des dispositions et non dans celui de l’exécution ; autrement dit, cela dépend plutôt de l’intelligence que de l’énergie de la volonté. Certes ce n’est pas l’envie de se battre qui a fait défaut aux Romains à Trasimène, et pourtant ils ont été bien loin de se mettre dans la meilleure position pour combattre. Ce n’est pas non plus l’envie de se battre qui a manqué à nos troupes à Friedland, par exemple, et cependant leur position était aussi défectueuse que celle des Romains à Trasimène.

Après avoir reproché à la théorie de la guerre de sous-entendre sous l’idée de force le nombre et rien que le nombre, l’auteur va plus loin et indique la méthode la plus sûre, suivant lui, de découvrir les lois qui régissent le combat. La preuve de la justesse de sa méthode est encore à faire ; la seule chose incontestable c’est que cette méthode n’est pas maligne. Que le lecteur en juge. Une simple proportion, dit l’auteur, suffit pour déduire les lois auxquelles se conforment les phénomènes physiques les plus complexes, non seulement chez un homme, mais même dans toute une masse d’individus. En admettant par exemple que 10 unités de combat se battent contre 15 unités et fassent une perte égale à 4, mais tuent ou fassent prisonnière la totalité de ces 15 unités, l’auteur en déduit que 4 x = 15 y, soit 4 : 15 = y : x. Il en conclut imperturbablement que cet innocent exercice d’arithmétique détermine le rapport des deux inconnues et qu’il en découle une série de nombres qui contiennent les lois cherchées et où l’on peut les découvrir. On se demande pourquoi les 6 unités restantes ne jouent aucun rôle dans ce combat de fantaisie ?

Et voilà le langage d’un homme qui met le moral au-dessus de tout et qui pour cette seule raison aurait dû, ce semble, examiner un peu les propriétés de cette force étrange et insaisissable ! Même avec l’aide de l’analyse supérieure on n’est pas arrivé, jusqu’à présent, à réduire en formules bien des phénomènes produits par des forces inorganiques, et il s’imagine, lui, établir les lois du moral à l’aide des seules proportions. Singulière contradiction : voilà un homme qui, au nom du moral, a nié le rôle de tous les facteurs matériels et tout à coup le même homme se met à traiter le moral comme une chose matérielle et croit possible de l’évaluer en grammes, centigrammes, etc.

Inutile de soumettre à un examen critique, qu’elles ne méritent même pas, les fantaisies de Tolstoï sur le thème suivant : que la tactique commande de se masser pour l’attaque, de se disperser pour la retraite et que cette règle (?) prouve bien, quoique inconsciemment, que la force d’une troupe dépend de son moral ; si les Russes, au contraire, se sont dispersés pour poursuivre les Français c’est que leur moral était très remonté.

D’abord, quand on bat en retraite, le moral est presque toujours en défaillance ; donc ce n’est pas le moment de disperser ses forces, même d’après la théorie de l’auteur. En second lieu, la règle qu’il cite n’existe pas dans la tactique actuelle. Il y avait bien quelque chose d’approchant dans les billevesées de Bülow ; mais cela n’y provenait pas du rôle attribué au moral. C’était, au contraire, la conséquence de l’importance exagérée et exclusive attachée aux communications de l’armée. Ensuite le moral de notre armée en 1812 n’avait pas été moins bon pendant la retraite qu’il ne le fut plus tard pendant la poursuite et pourtant nos troupes ne se sont pas dispersées pour battre en retraite. Enfin, pendant la poursuite même, la masse principale de nos troupes ne s’est jamais divisée plus que ne l’exigeaient les conditions de la marche, et en tout cas, ses différentes fractions sont toujours restées à une distance l’une de l’autre qui leur permettait de se concentrer au besoin.

Plus loin Tolstoï empoigne de nouveau les historiens et, pour leur porter un coup décisif, s’imagine de leur attribuer une opinion qui n’a jamais été émise sérieusement par aucun d’eux. Il prétend que ceux-ci vont jusqu’à présenter la désertion finale de Napoléon comme une inspiration sublime et géniale. Je n’ai rien trouvé de semblable nulle part. Peut-être l’auteur sait-il chez qui se trouve ce passage ? Il eût été très aimable de citer tout simplement les noms des historiens dont il trouve les idées absurdes et dignes d’être tournées en ridicule.

Il termine la partie historico-militaire de son roman par l’examen critique de la deuxième partie de la campagne et entre autres de cette question : « Pouvait-on barrer la retraite aux Français ? » Là encore, comme on pouvait s’y attendre, il ne partage pas l’opinion généralement reçue. Le contraire m’aurait surpris. Il est d’avis que chercher à couper la retraite à l’armée française eût été aussi absurde que de vouloir chasser une méchante vache d’un potager où elle se serait introduite, en courant devant pour la frapper sur le front. Ceci serait en effet ridicule. Mais ce qui ne le serait pas ce serait de la tuer, fût-ce même de par devant, pour mettre fin à ses méfaits, à condition bien entendu que le méfait en valût la peine. Tolstoï trouve admirable que les Russes, c’est-à-dire la masse, la foule, par une conscience vague de cette absurdité, aient fait non pas ce qui était ordonné, mais ce que la nécessité réclamait. C’est simple et clair. Ainsi donc Tchitchagoff, lui aussi s’est conformé à l’instinct de la masse en se laissant surprendre à Borisoff et refouler sur la rive droite de la Bérézina. C’est en vain que les historiens prouvent positivement et documents en main que le plan de concentration des armées de Tchitchagoff, de Wittgenstein et de Koutouzoff, malgré l’immensité des distances, a été étonnamment près de se réaliser ; c’est en vain qu’ils signalent clairement les fautes de Tchitchagoff, le peu de désir de Wittgenstein d’arriver à temps sur le point de concentration indiqué. Pour Tolstoï, ces explications ont le défaut d’être trop simples et trop faciles à comprendre ; celui de reposer « sur la correspondance des souverains et des diplomates » et par conséquent de faire trop clairement dépendre les événements des chefs et du commandement. C’est ce qui l’empêche de les trouver admissibles, et le voilà qui invente un potager, une vache, etc. tout ce qu’on voudra, rien que pour revenir à ses moutons, c’est-à-dire à la spontanéité d’action de la masse, indépendamment et même à l’encontre de la volonté des personnalités dirigeantes.

L’auteur démontre, je veux dire croit démontrer, de plusieurs façons l’impossibilité et l’absurdité d’une tentative pour couper la retraite aux Français. Il est un point sur lequel son raisonnement a une apparence de fondement. C’est lorsqu’il allègue le terrible épuisement de l’armée de Koutouzoff. Mais, d’après le plan, ce n’est pas Koutouzoff qui devait couper la retraite ; c’est Tchitchagoff, qui se trouvait déjà sur la Bérézina ; c’est Wittgenstein qui n’en était plus qu’à 25 verstes le jour où les Français en organisèrent le passage. Chacun des deux n’avait pas moins de 30,000 hommes, tandis que Napoléon ne disposait pas de plus de 40,000 hommes dans le rang. Nous avions également la prépondérance sous le rapport du moral. La conclusion n’est donc pas difficile à tirer.