Grec ἀλϰυών, allemand Schwalbe

Texte établi par (Charles Bally ; Léopold Gautier), Payot/Droz (p. 410-411).


GREC AΛKYΩN - ALLEMAND SCHWALBE.
(Mémoires de la Société de Linguistique, I VI, p. 75. — 1889.)

Alcēdo, nom latin de l’alcyon, n’est vraisemblablement qu’une altération du mot grec, qu’on finit d’ailleurs par adopter purement et simplement (Varron, De l. l., VII, 88). L’oiseau alcyon ne devait sa célébrité qu’aux Grecs. Une latinisation plus exacte de son nom n’eût pas été peut-être sans quelque difficulté: ἀλκυών, ἀλκυόνες eût donné la flexion insolite alcìo alciĕnes[1], ou alcuo, alcuines (-ūnes). On procéda à l’égard du mot étranger comme dans le cas de Carthago, de coclites[2], de persōna = πρόσωπον[3].

Nous pouvons, ces prémisses accordées, opérer librement sur ἀλκυών[4], lui restituer un σϝ initial[5], l’identifier ainsi phonème pour phonème avec le nom germanique de l’hirondelle *swalwōn- (vieux haut-ail. swalawa). Car, en admettant pour accentuation primitive celle qui existe en grec, le k, d’après la loi de Verner, devait en germanique devenir , non χ. Le prototype *swalᵹwŏn-, à son tour, devait perdre son devant w. Entre ces deux mots, qui concordent même par le genre[6], la seule divergence porte sur l’υ hellénique rendu par w, mais le germanique, s’il a connu l’hiatus i + voyelle, semble n’avoir jamais toléré d’u dans la même position.

On objectera qu’il y a peu de traits communs entre l’hirondelle et l’alcyon des anciens, qui n’est autre que le martin-pêcheur. Il faut cependant qu’une telle ressemblance ait été parfois aperçue pour que notre martin-pêcheur, anciennement martinet-pêcheur, soit dénommé d’après l’hirondelle-martinet, à cause, dit-on, de l’analogie de leur vol (dont, pour ma part, j’avoue n’être nullement frappé), lorsque le martinet rase la surface de l’eau ou du sol[7]. Ajoutons qu’hirondelles et alcyons ont été parmi les espèces particulièrement respectées et chères à l’imagination populaire.



Notes
  1. Cette flexion existait tout au plus dans Nerio, -ĕnis (Anio, -enis). Voy. L. Havet dans ces Mémoires, V, 447.
  2. L. Havet, MSL., V, 283.
  3. L. Havet cité dans le Dict étym. latin de MM. Bréal et Bailly, p. 260.
  4. Il n’y a pas à s’embarrasser du vieux haut-allemand alacra qu’on a coutume, d’après M. Curtius, de legarder comme congénère. Ce mot obscur n’est connu que par quelques gloses; il traduit mergulus (Steinm.-Sievers, I, 340, 26; 348, 1); à peine pourrait-on dire si son c représente un g ou un k gotique, c’est-à-dire un κ (χ) ou un γ grec.
  5. Pour l’esprit doux succédant à σϝ, cf. ἄσμενον, ἦδος, ἦθος, ἴδιος, ἰδίω. D’ailleurs le dialecte attique dit ἀλκυών.
  6. Le genre féminin entraînait, en germanique, l’abandon de l’ancien o bref (ἀλκυόν-), sans exemple dans les féminins en -n.
  7. Si l’on ne connaissait l’opinion fabuleuse des anciens au sujet du nid de l’alcyon, il serait naturel de croire que cet oiseau fut d’abord associé dans leur pensée à l’hirondelle des rivages, dont les nids souterrains se signalent comme ceux de l’alcyon par de petits trous pratiqués le long des rives escarpées. Je constate après coup que certains naturalistes comme Temminck (Oiseaux d’Europe, I, 418) reconnaissent et relèvent expressément une analogie générale entre l’ordre des Alcyons et celui des Chélidons.