Grands névropathes (Cabanès)/Tome 3/14


SOCIÉTÉ
MÉDICO-HISTORIQUE

pour l’étude de l’Histoire, de la Littérature et de l’Art, dans leurs rapports avec la Médecine[1].

À maintes reprises nous avons fait allusion à un projet de création d’une société destinée à grouper, pour des recherches et des études communes, des médecins, des historiens, des littérateurs et des artistes. Le moment nous semble venu de faire connaître le but que nous poursuivons et la manière dont nous entendons le réaliser.

Et d’abord, pour dissiper toute équivoque, la Société que nous voulons constituer n’est calquée sur aucune des sociétés avec lesquelles on pourrait être tenté de la confondre : ce n’est pas d’histoire de la médecine que l’on s’y occupera, mais bien d’histoire générale, de littérature et d’art, dans leurs rapports avec la médecine, ce qui est différent.

Nous n’avons pas à révéler aux historiens quels auxiliaires ils trouveront dans les médecins, quand ils feront appel à leurs lumières spéciales, pour des cas bien déterminés. Il n’est plus à démontrer que certains problèmes historiques ne peuvent être élucidés qu’avec l’aide des sciences biologiques ; il nous suffira de rappeler les travaux de Littré, Chereau, Brachet, dans le passé ; des docteurs Galippe, Jacoby, Lacassagne et du signataire de ces lignes, dans le présent, pour être dispensé de pousser plus avant la démonstration.

Loin de nous la prétention de ramener l’histoire tout entière à une série de problèmes de psychologie morbide. Nous n’entendons pas davantage faire intervenir, comme mobiles des événements, les seuls facteurs physiologique et pathologique ; nous ne prétendons apporter qu’une contribution, la contribution scientifique, à l’étude de certaines questions où celle-ci nous paraît devoir être indispensable.

Mais si nous sommes susceptibles de rendre des services à l’histoire, nous en attendons d’elle, par juste réciprocité. Les historiens peuvent, en effet, nous fournir des matériaux d’étude, nous indiquer plus précisément les sujets où ils réclament notre intervention ; de la sorte, notre champ de recherches étant limité par ceux-là même qui sont habitués à l’exploiter, nous courrons moins risque de nous égarer dans des sentiers déjà battus.

Parlant de Michelet, les uns ont dit qu’il avait renouvelé l’histoire en appliquant à son étude les procédés de l’histoire naturelle ; d’autres ont soutenu qu’il en avait tiré des inductions hasardées. Nous démontrerons que la méthode scientifique, pour donner tous les résultats qu’on est en droit d’en attendre, doit être maniée par des initiés, et que, seuls, les professionnels peuvent guider les historiens et les éclairer, pour l’interprétation de certains faits qui, sans les lumières de la science, resteraient inexplicables.

Les littérateurs n’ont pas moins de profit à tirer de leur commerce avec les médecins[2]. Le succès retentissant obtenu, tout récemment, par M. Jules Lemaître, avec ses conférences sur Jean-Jacques Rousseau, dont, après le professeur Régis, il a tenté d’expliquer le caractère et l’œuvre par l’étude de ses tares morbides ; les travaux récents publiés sur Chamfort, Gérard de Nerval, Musset, Flaubert, Maupassant[3], travaux où l’influence de la maladie et du tempérament de l’écrivain est mise en un particulier relief, témoignent assez de l’intérêt que prennent de plus en plus les esprits éclairés à cette évolution nouvelle de la critique.

Là encore, il convient de ne rien exagérer, mais de ne pas davantage faire montre d’une fausse modestie. Nous ajouterons même que c’est dans le domaine de la littérature que notre action bienfaisante peut le plus utilement s’exercer : ne contribuerions-nous qu’à rectifier les bévues, à redresser les hérésies dont se rendent coupables des littérateurs mal informés, quand ils s’aventurent sur un terrain qui ne leur est pas familier, que nous leur rendrions un service dont ils ne sauraient manquer de nous savoir gré.

Est-il nécessaire de beaucoup insister sur les relations de la science avec l’art ? Sans doute, l’art vit de conventions et d’exagérations, et on accepte difficilement que la science prétende lui imposer ses lois ; cependant, qui nierait l’utilité de la science, quand on sait que les plus grands parmi les artistes, les Michel-Ange et les Vinci, — pour ne citer que deux des plus illustres — ont étudié à fond (au prix de quelles difficultés !) l’anatomie et la morphologie des modèles qu’ils se proposaient de tailler dans la pierre ou de reproduire sur la toile ?

Si quelqu’un a introduit non pas seulement la physiologie, mais la pathologie dans l’art, ne sont-ce pas les artistes eux-mêmes qui n’ont pas craint de nous rendre non plus des types se rapprochant de la perfection idéale, mais des infirmes et des difformes ? Là où le profane ne voit que le produit d’une imagination déréglée, quel autre que le médecin, doublé d’un critique d’art, pourra diagnostiquer la maladie ou la difformité qu’a voulu nous restituer l’artiste, et que certains nous ont rendue avec une saisissante vérité.

Comme l’ont écrit Charcot et Richer, « dans la représentation du corps humain, il est des lois que l’artiste ne saurait enfreindre, des limites que sa fantaisie ne saurait dépasser. L’anatomie est une science qui prête à l’artiste un concours nécessaire pour la création de ses plus belles conceptions. Mais dans ses déviations, la nature n’obéit-elle plus à ses lois ? » Pour différencier ce qui provient de l’inexpérience ou de l’impuissance d’un artiste, de ce qui est, au contraire, une copie fidèle de tares offertes par certains sujets, qui saurait être plus compétent que le médecin ?

Nous n’avons voulu, on le comprendra, qu’esquisser sommairement et dans ses grandes lignes, un programme que nous nous proposons de développer. Nous croyons en avoir dit assez pour justifier une création que nombre d’esprits cultivés réclamaient.

S’il faut une preuve de l’opportunité de cette création, elle est dans le concours chaleureux que nous avons trouvé auprès des diverses personnalités à qui nous avons soumis notre projet, et qui ont accepté, avec une bonne grâce et un empressement qui nous ont vivement touché, de nous seconder dans notre tâche.

Le Comité de direction et de patronage, dont on va voir la composition, en parcourant la liste ci-dessous, sera un véritable « Bureau de consultation », selon l’heureuse expression du professeur Landouzy. Auprès de chacun de ses membres, les travailleurs sont assurés de toujours rencontrer le plus bienveillant accueil.

Le Comité directeur de la Société médico-historique comprend : des médecins en majeure partie ; des historiens ; des professeurs d’histoire ; des littérateurs. Nous n’avons pas à insister sur la qualité de nos adhérents de la première heure ; leurs noms nous dispensent d’une longue présentation. Ce sont :


 MM.

Benoit, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lille.
Bourget (Paul), de l’Académie française.
Brissaud, professeur à la Faculté de Médecine de Paris.
Cain (G.), conservateur du Musée Carnavalet.
Claretie (J.), de l’Académie française.
Debove, doyen de la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Dumas (G.), docteur en médecine, docteur ès sciences, maître de conférences à la Sorbonne.
Dupré, professeur agrégé à la Faculté, médecin en chef du Dépôt.

 MM.

Fournier, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
France (A.), de l’Académie française.
Galippe (V.), de l’Académie de Médecine.
Gilbert, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Gilbert-Ballet, professeur agrégé à la Faculté de Médecine, médecin de l’Hôtel-Dieu.
Grasset, professeur de clinique médicale à la Faculté de Montpellier.
Huchard, médecin de l’hôpital Necker, membre de l’Académie de Médecine.
Izoulet, professeur au Collège de France.
Joffroy, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Lacassagne, professeur de médecine légale à l’Université de Lyon.
Lacour-Gayet, docteur ès lettres, professeur d’histoire au lycée Saint-Louis.
Lahor (Jean), Dr  Cazalis.
Landouzy, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Lannelongue, de l’Institut, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Lauvrière, docteur ès lettres, professeur au lycée Louis-le-Grand.
Lefranc (A.), professeur au Collège de France.
Lemaître (J.), de l’Académie française.
Lenotre (G.).
Milhaud, professeur agrégé d’histoire au lycée Montaigne.
Monod (H.), de l’Académie de Médecine.
Motet, de l’Académie de Médecine.
Nolhac (de), directeur d’études à l’École des Hautes Études, conservateur du Musée Historique de Versailles.

 MM.

Pinard, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Poncet, professeur de clinique chirurgicale à l’Université de Lyon, correspondant de l’Académie de Médecine.
Pouchet, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Pozzi, professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Régis, professeur de clinique mentale et de psychiatrie à l’Université de Bordeaux.
Reinach (S.), de l’Institut, président de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Richer (P.), de l’Institut (Académie des Beaux-Arts) et de l’Académie de Médecine.
Richet (Ch.), professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Robin (Albert), professeur à la Faculté, membre de l’Académie de Médecine.
Sardou (Victorien), de l’Académie française.

À la suite de cette liste venaient les conditions d’admission à la Société Médico-Historique.

Quelques semaines après s’ajoutaient à la liste trois nouveaux noms de membres du comité directeur :

 MM.

Le professeur Cornil, de l’Académie de Médecine.
Le Dr  Lancereaux, de l’Académie de Médecine.
Le professeur Raymond, de l’Académie de Médecine.

MM. les professeurs Lombroso (de Turin), Antonini, Niceforo, Portigliotti, Roncoroni, acceptaient le titre d’associés étrangers, ainsi que M. le Dr  Paul Jacoby, de Saint-Pétersbourg, l’auteur universellement apprécié des Études sur la sélection.

La première réunion du comité directeur se tenait le 2 mars 1908, à 10 h. 30 du matin, à la Faculté de Médecine de Paris.

L’assemblée ayant constitué son bureau, sous la présidence de M. Victorien Sardou, assisté de MM. Paul Bourget et Landouzy, la parole fut donnée au Dr  Cabanès pour l’exposé de son programme.

Dans une deuxième assemblée tenue à la Faculté le 30 mai à 11 heures, sous la présidence de M. Paul Bourget, furent rédigés les statuts, votés à l’unanimité.

Au cours de la troisième réunion, le 29 novembre 1908, le Bureau définitif était ainsi constitué :


Président d’honneur : M. Anatole France, de l’Académie française.
Président : M. Landouzy, doyen de la Faculté de Médecine.
Vice-Présidents : M. Paul Bourget.
Vice-Présidents : Pr  Gilbert-Ballet.
Secrétaire général : Dr  Cabanès.
Secrétaire des séances : Dr  Meige.
Trésorier : Dr  Laignel-Lavastine.
Bibliothécaire-archiviste : M. Félix Chambon.

Comité :
Commission d'admission :
MM. Blanchard. MM. Blanchard.
MM. Debove. MM. Galippe.
MM. Dupré. MM. Gilbert.
MM. Galippe. MM. Lacassagne.
MM. Gilbert.
Commission de publication :
MM. Lacassagne. MM. Claretie : Littérature.
MM. Henri Monod. MM. G. Cain : Histoire.
MM. Pozzi. MM. G. Pouchet : Sciences.
MM. Régis. MM. P. Richer : Art.

La Société Médico-Historique et Littéraire ainsi constituée, il fut arrêté, à l’unanimité des membres présents, que les séances auraient lieu le deuxième mardi de chaque mois, à 5 heures, dans un amphithéâtre de la Faculté, mis à la disposition de la Société par le Doyen. Un bulletin devant réunir annuellement les procès-verbaux des séances sous le titre de : Bulletin de la Société Médico-Historique.




  1. Article publié en juin 1907, dans la Chronique Médicale.
  2. Cf. Dr  Paul Voivenel, Littérature et Folie, et Le Génie littéraire (Alcan, édit.).
  3. Cf. Dr  Paul Voivenel, Sous le signe de la P. G. — La Folie de Guy de Maupassant (La Renaissance du Livre).