Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/catalan, ane s. et adj.

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 2p. 543-544).

CATALAN, ANE s. et adj. (ka-ta-lan, a-ne). Géogr. Habitant de la Catalogne ; qui appartient à la Catalogne ou à ses habitants:Les Catalans sont naturellement guerriers. La langue catalane a de grandes affinités avec l’ancien provençal. La belle Catalane n’avait plus ni son regard fier ni son charmant sourire. (Alex. Dum.) Vous croiseriez votre couteau catalan contre son poignard ! (Alex. Dum.)

— Métall. Méthode catalane, Procédé d’après lequel le minerai de fer est converti directement en fer, sans qu’il soit nécessaire de le faire passer par l’état de fonte; La méthode catalane est ainsi nommée parce qu’elle est employée, de temps immémorial, dans le département de l’Ariége, qui faisait partie autrefois de la Catalogne. On applique la méthode catalane au moyen d’un fourneau d’une forme particulière, et elle ne peut servir qu’au traitement des minerais três-riches et très-fusibles, là seulement où le bois est abondant, car c’est avec le charbon végétal qu’on opère. || Fourneau catalan ou à la catalane, Fourneau particulier dont on se sert dans la méthode catalane.

— Hist. Nom donné à des aventuriers espagnols passés en Sicile en 1282. || Nom qu’on donna aux personnes qui, après l’emprisonnement de Charles IV, duc de Lorraine, à Tolède, en 1654, étaient soupçonnées d’avoir fait secrètement le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice, et qui resta comme un terme de mépris à peu près synonyme de vagabond:Le terme de catalan, fort injurieux chez un peuple laborieux et ami du travail, était pour lui synonyme de celui de gueux, gueusant. (Cl. Descharrières.)

— s. m. Linguist. Idiome parlé en Catalogne.

— Mar. Bateau de pêche espagnol, qui ne sort pas de la Méditerranée.

— Encycl. Hist. Les catalans, ou la grande compagnie catalane, étaient des bandes d’aventuriers mercenaires que Pierre d’Aragon mena en Sicile contre Charles d’Anjou, en 1282, après le massacre des Vêpres Siciliennes. C’étaient pour la plupart des Aragonais, des Catalans et des Sarrasins, qui, sous le nom d’Almogavares, vivaient du brigandage et de la guerre dans les bois et les montagnes de la Catalogne et de l’Aragon. En 1302, ils passèrent de Sicile en Grèce, pour combattre les Turcs, au service de l’empereur grec Andronic, qui créa leur chef, Roger de Flor, grand-duc, césar, et lui fit épouser une de ses nièces. Les catalans remportèrent de brillants succès sur les Turcs dans l’Asie Mineure ; mais l’empereur ayant fait assassiner Roger de Flor, en 1305, ils déclarèrent audacieusement la guerre à l’empire, se retranchèrent dans Gallipoli, portèrent le ravage jusqu’aux portes de Constantinople et gagnèrent sur Michel la bataille d’Apros, Quand le pays fut épuisé, ils songèrent à rejoindre les Français établis en Morée, et, après diverses aventures, arrivèrent sur les bords du lac Copaïs, en 1309. Attaqués par le duc d’Athènes, Gautier de Brienne, ils l’écrasèrent dans une grande bataille, où il perdit la vie, s’emparèrent de son duché et le défendirent contre toutes les attaques de son fils. Cette milice souveraine, à laquelle s’étaient jointes quelques bandes d’aventuriers turcs, resta en possession du duché d’Athènes jusqu’à la fin du XIVe siècle. Ramon Muntaner et, après lui, Moncada ont écrit son histoire.

— Linguist. La langue catalane, dont l’étude présente des observations très-intéressantes à faire, aussi bien sous le rapport linguistique proprement dit qu’au point de vue de l’histoire littéraire, appartient à la grande famille des langues romanes ou issues du latin. Elle appartient plus particulièrement au groupe hispanique, qui comprend en outre le portugais et le castillan ou espagnol. La langue catalane mérite donc d’être étudiée au même titre que l’espagnol et le portugais, qui, de même que le catalan, étaient à l’origine la langue d’une province. L’espagnol, c’est l’idiome parlé dans la Castille, et le portugais, l’idiome parlé dans la Galice. Ce qui rend difficile la recherche de notions précises sur le catalan, c’est l’absence de traités spéciaux, et les renseignements que nous offrons ici à nos lecteurs ont dû être puisés à des sources très-diverses ; nous citerons parmi celles qui nous ont rendu le plus de services : les Recherches historiques sur la langue catalane, de M. Jaubert de Passa, ouvrage consciencieux, mais qui trahit une grande inexpérience philologique, et où l’auteur semble avoir un moment confondu l’histoire de la langue catalane avec celle de la langue castillane ; l’Essai sur l’histoire de la littérature castillane de M. Cambouliu, et enfin la Grammatica y apologia de la lengua cathalana, par D. Joseph Ballot y Torres, imprimée à Barcelone en 1814.

Comme ce n’est guère qu’au IIIe siècle que la langue catalane manifeste son existence par la production de monuments littéraires un peu importants, plusieurs philologues ont cru qu’elle ne datait que de cette époque, et que jusque-là le provençal avait été la langue de la Catalogne. Cette confusion était rendue facile par la parenté et la ressemblance très-grande de ces deux idiomes sortis d’un même tronc. Nous ne pouvons mieux faire que de mettre à ce propos sous les yeux de nos lecteurs quelques lignes de Raynouard, qui assignent, avec une grande précision, au catalan sa place caractéristique parmi les autres dialectes néo-latins et par rapport au roman. « Le catalan est, dit-il, de tous les idiomes qui appartiennent k la langue romane, celui qui s’en rapproche le plus, sans en excepter peut-être l’idiome des Vaudois. Il est assez remarquable que les Pyrénées et les Alpes offrent ainsi, parmi les peuples voisins qu’elles séparent de la France, le langage qui a le plus de rapport avec la langue romane. » Le catalan est depuis longtemps une langue fixée ; elle a des grammaires, des dictionnaires. Un très-grand nombre de livres catalans sont imprimés ; il en existe un nombre bien plus considérable de manuscrits. Le catalan est un idiome régulier, soumis à des formes constantes. Une des particularités relevées par Raynouard dans l’organisme général du catalan, c’est l’absence ou la présence alternative de l’s, dans certains cas. Raynouard joint à cette différence avec le roman celles-ci : l’article pluriel féminin las, les substantifs et les adjectifs en as changent as en es, quoique les singuliers gardent l’a primitif ; les substantifs et les adjectifs terminés en an, en, in, im, en roman, prennent la lettre finale euphonique y, et ann, affann, estran, sen, engin, llun, se changent en anny, affany, estrany, seny, enginy, lluny. Quelquefois cet y s’incorpore dans les mots mêmes comme menys. Le e se change quelquefois en i, propres, propris ; et cette modification s’applique même aux participes en ent, et on dit dormint, servint, fugint, dans les verbes en ir, et prenant^ dans les verbes en er ou en re. Il arrive que le s se change en x : Axi, puix, pour asi, puis. Le u final se joint à quelques inflexions des verbes.

Nous allons maintenant, après ces remarques générales, passer à un examen plus minutieux de la langue catalane, d’après la grammaire de D. Joseph Ballot y Torres. Le lexique catalan est, comme on le pense bien, foncièrement latin ; on y constate aussi, en nombre assez variable, l’existence de vocables étrangers, grecs, germaniques, arabes, etc. Parmi ceux de cette dernière catégorie, nous citerons pour le grec : bramar, de brameomai ; bolita, de bolos ; patge, de pais, etc. Parmi les mots germaniques, on cite : brassol, bandol, got, daga, escaramussa, etc. ; parmi les mots arabes : Xabega, matracas, tassa, Gayta, Arrabal, ropas, etc. Dans la dérivation des mots latins, le catalan emploie des procédés particuliers, caractérisés surtout, comme le constate M. Cambouliu, par la brièveté et la concision qu’il affecte dans le développement des racines. Tandis, observe M. Cambouliu, que la grande majorité des mots castillans, par exemple, se terminent par des syllabes pleines et sonores, qui rappellent les graves désinences de la déclinaison latine, le catalan supprime ces désinences et s’arrête court aussitôt que la partie essentielle du mot a été prononcée : ciutadano, ciutada ; hombre, hom ; mundo, mon ; mesquino, mesqui. Le provençal lui-même, qui supprime aussi volontiers les finales, conserve généralement la consonne : ainsi il dit : ciutadan, mesquin, etc. Cette tendance à l’abréviation se fait sentir ordinairement jusque dans l’intérieur des mots ; molinier, moliner ; figueira, figuera ; orguelh, orgull. Nous citerons encore : vi, de vinum ; remey, de remedium ; pa, de panis ; bo, de bonus, etc.

L’article est au singulier lo, la, pour le masculin et le féminin ; au pluriel, los, las, anciennement, on se servait de les au lieu de las. La déclinaison de l’article au moyen des prépositions s’effectue sans aucune contraction. Le féminin se forme dans les substantifs et les adjectifs au moyen de l’addition de a, quelquefois avec modification de la lettre finale du masculin. Les noms de nombre sont : hu, un, una, dos, tres, quatre, cineh, sis, set, vuyt, nou, deu. Les pronoms personnels sont : jo, mi, me ; tu, te ; ell, ella ; nos, nosaltres ; vos, vosaltres ; ells et ellas. Les verbes se distinguent en actifs, passifs, neutres, réguliers, irréguliers, personnels, impersonnels et défectifs. Les différentes classes de conjugaisons sont, comme dans toutes les langues romanes, caractérisées par les terminaisons de l’infinitif. Les prépositions, les conjonctions et les adverbes se sont formés par des procédés analogues à ceux que nous retrouvons dans toute la famille néo-latine.

Littérature catalane. M. Cambouliu, que nous prendrons pour guide principal dans ce rapide résumé de l’histoire de la littérature catalane, la partage en trois grandes périodes : la première commence au XIIIe siècle et atteint le milieu du XIVe ; la seconde s’étend du milieu du XIVe siècle jusqu’au milieu du XVe ; la troisième va de cette époque jusqu’à nos jours. C’est cette dernière période qui présente, dans ses premières années, le point culminant de la littérature catalane* Ces trois périodes sont naturellement déterminées par de grands événements qui jalonnent l’histoire politique de la Catalogne, et que nous aurons occasion de signaler chemin faisant, à mesure que nous les rencontrerons.

La première période commence avec Jacques Ier, qui fut le véritable fondateur de la nationalité catalane. C’est à lui que la langue catalane doit sa restauration ; il en fit la langue politique de son peuple, et l’employa lui-même avec succès dans ses compositions littéraires. Au lieu de se servir, comme ses prédécesseurs, de la langue provençale, qui était alors la langue littéraire de la Catalogne, il inaugura hardiment l’emploi de l’idiome catalan. Nous avons de ce royal auteur une Chronique contenant les principaux événements de son règne, et un recueil de sentences et d’apophthegmes. Le premier de ces ouvrages, imprimé à Barcelone en 1557, existe en manuscrit à la Bibliothèque de Paris ; le second, à celle de l’Escurial, sous le titre de : Lo libro de la saviera. Nous possédons de cette époque plusieurs autres chroniques extrêmement intéressantes dues à Pigpardines, à Ribera de Perpeja ; plus tard, nous trouvons celles de Domenech, de Francech, etc. La théologie et la philosophie nous offrent un assez grand nombre de monuments curieux : par exemple, la traduction des moralistes arabes, du De officiis de Cicéron, des Lettres de Sénèque, de la Politique d’Aristote, de la Cité de Dieu de saint Augustin. Nous rencontrons aussi des traités plus originaux : Suma de philosophia ; Instruiments dels princeps ; Escala de contemplacio. L’el Crestia, de Ximénès, est le plus célèbre de ces ouvrages ; c’est une véritable encyclopédie. Il faut encore citer les sentences recueillies par Anselme Turmeda. La poésie catalane commence aussi dès cette époque à donner des résultats sérieux, et à faire une concurrence heureuse à la poésie provençale, la seule en honneur jusque-là en Catalogne. Les trois hommes qui lui ont rendu le plus de services sont : Raymond Lulle, Febler et Raymond Muntaner. Le savant Lulle a, en effet, dans sa jeunesse, composé des poésies dans sa langue maternelle. Ce sont surtout des poésies mystiques, qui faisaient déjà présager la voie que suivrait le jeune auteur. Elles sont très-nombreuses. Febler est connu par son poème didactique : Linalges de la conquista de Valencia, dans lequel il donne l’histoire et la généalogie de tous les chevaliers qui accompagnèrent le roi Jacques dans cette expédition. Muntaner est connu par une allocution en vers adressée à Jacques II, roi d’Aragon, à propos de la conquête projetée de la Sardaigne. Enfin un manuscrit catalan, qui existe à Carpentras, contient plusieurs poésies dont la plupart des auteurs sont restés anonymes.

Avec la seconde époque, au milieu du XIVesiècle, commence pour la littérature catalane une période d’imitation réfléchie, prenant pour modèles la France, l’Italie et la Provence ; l’Italie surtout, grâce à Dante et à Boccace, imprime à la littérature catalane une impulsion toute particulière. La prose, cependant, résiste mieux à cette influence de l’étranger et conserve beaucoup mieux son caractère national. Les compositions philosophiques et théologiques abondent ; le banquet des douze ermites est une des productions les plus remarquables dans ce genre. L’histoire est cultivée avec succès, et, traitée d’une façon plus érudite, par suite de la connaissance des ouvrages de l’antiquité. Les Chroniques du chevalier Tomich, ainsi que celles de Turell, offrent un véritable intérêt, et M. Cambouliu ne craint pas de comparer ce dernier à Comines.

Avec la seconde moitié du XVe siècle commence, pour la littérature, une ère de perfection. La poésie nous offre des noms connus de tous : Ausias March, Gazull, Fenollar, Jaume Roig, Farrer. Mossen Ausias March composa, en l’honneur d’une dame de Valence, nommée dona Teresa Bon, un poëme : De Amor, en quatre-vingt-quatorze chants, et en stances de huit ou dix vers ; il donna ensuite des poésies morales : Obras morales, et enfin son poëme sur la mort. Toutes ces œuvres, réunies en un seul volume, ont été imprimées à Barcelone, en 1543. Mossen Jaume Roig, contemporain et rival du précédent, nous a laissé des trobas et différents autres poèmes malheureusement encore inédits. II est surtout connu par son Libre de consells, en quatre chants. À Jayme Gazull nous devons un poëme curieux, intitulé : Plaintes des laboureurs de la plaine de Valence ; à Fenollar, un recueil de chansons, Obres ô trobes, l’Histoire de la Passion, la Dispute des jeunes et des vieux, etc. ; à Farrer, le Réconfort ou Conort. Plus tard, l’influence castillane envahit la littérature catalane, qu’elle finira par absorber presque entièrement. Nous trouvons cependant encore quelques noms dignes d’être mentionnés : Séran, Pujol, Garcia, l’ami de Lope de Vega.

Si nous remontons jusqu’à Ausias March pour relever les productions en prose, nous trouvons le roman de chevalerie : Tirant-lo-blanch, de Joanet Martorell. Il ne faut pas passer non plus sous silence les noms de Solsona, de Peguera, de Carbonell, de Vila, de Tarafa, de Viladamor, d’André Bosch, de Jérôme Pujades, de Gaspard Escolano, de Joseph Blanch, de Taverner, de Culla, de Roig y Jalpi, de Coloma, de Llop, de Cendros, Baldo, de Farràs, de Mareillo.

On voit que la littérature catalane est loin d’être l’une des plus pauvres de l’Europe. Il est seulement regrettable qu’on n’ait pas encore réuni dans un seul corps et publié tous ces ouvrages de genres et d’époques si différents pour les rendre accessibles à tous. Tous ces monuments, comme le constate M. Cambouliu, sont dispersés aujourd’hui aux quatre coins de l’Europe ; un petit nombre seulement ont été imprimés. M. Cambouliu indique, parmi les endroits où se trouvent les principales collections de livres et de manuscrits catalans, les bibliothèques provinciales de Barcelone et de Valence ; la bibliothèque de l’évêché, à Palma ; la Bibliothèque impériale, à Paris ; les bibliothèques d’Oxford, de Copenhague, de Rome, de Carpentras, etc.