Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/TALLIEN (Jean-Lambert), conventionnel, célèbre thermidorien

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 4p. 1422).

TALLIEN (Jean-Lambert), conventionnel, célèbre thermidorien, né à Paris en 1769, mort en 1820. Il reçut une éducation assez soignée, aux frais du marquis de Bercy, chez qui son père était maître d’hôtel. D’abord clerc de notaire, employé dans les bureaux ministériels du commerce et des finances, il embrassa la cause de la Révolution avec toute la fougue de la jeunesse, s’attacha au constituant Broustaret en qualité de secrétaire, entra, comme prote, à l’imprimerie du Moniteur, fonda, au Palais-Royal, un club des deux sexes, sous le nom de Société fraternelle, et acquit une certaine notoriété en rédigeant l’Ami des citoyens (1791), journal-affiche où il prêcha de bonne heure les principes républicains. Après l’arrestation de Louis XVI à Varennes, il fut un de ceux qui demandèrent sa déchéance avec le plus de vigueur, et il figura dans la plupart des mouvements qui amenèrent la chute du trône. Membre et secrétaire-greffier de la Commune insurrectionnelle du 10 août 1792, il attacha son nom à toutes les mesures révolutionnaires prises par ce corps. On l’accuse même, mais sans preuve, d’être le principal ordonnateur des horribles massacres de septembre. Le département de Seine-et-Oise le nomma député à la Convention. Dès les premières séances, il eut à défendre la Commune de Paris contre les attaques passionnées de la Gironde. Au commencement du procès du roi, il demanda qu’il fût séparé de sa famille, et vota ensuite pour la mort sans appel ni sursis. Il prit la défense de Marat mis en accusation par les girondins, se montra l’implacable adversaire de ceux-ci au 31 mai 1793, remplit une mission dans la Vendée, repoussa, à son retour, les calomnies dirigées contre Rossignol, et fut chargé, au fort de la Terreur, d’aller organiser le gouvernement révolutionnaire à Bordeaux. Après avoir montré dans cette ville une rigueur inouïe, il changea tout à coup de conduite. Mme  de Fontenay, très-belle personne qu’il venait de tirer d’une prison où elle était détenue comme suspecte, avait opéré cette métamorphose. Pour obtenir sa main, il fit un retour tellement brusque vers la modération, que le comité de Salut public dut le rappeler. À peine était-il revenu à Paris qu’il se vit entouré des espions de Robespierre, et que Robespierre lui-même le fit exclure des Jacobins. C’était sa sentence de mort. Il fallait ou qu’il se résignât à mourir, ou qu’il devançât son redoutable adversaire. L’arrestation de sa maîtresse, prélude significatif, ne lui permit plus d’hésiter. Il s’entend avec d’autres députés aussi menacés que lui, et, le 9 thermidor, au moment où Saint-Just commence un discours où la plupart des membres des comités sont nominalement voués à la proscription, il l’arrête court, en faisant remarquer que cette harangue n’est que la suite de celle de Robespierre, qui, la veille, avait déjà soulevé un violent orage : « Je demande, dit-il, que le rideau soit entièrement déchiré. » Alors, les récriminations contre Robespierre partent de tous les côtés de la salle, mais, comme il s’aperçoit que l’on se perd dans des faits particuliers, il s’écrie : « Je demandais tout à l’heure qu’on déchirât le voile. Je viens d’apercevoir avec plaisir qu’il l’est entièrement… Tout annonce que l’ennemi de la représentation nationale va tomber sous ses coups… Je me suis imposé jusqu’ici le silence, parce que je savais d’un homme qui approchait le tyran de la France qu’il avait formé une liste de proscription. Je n’ai pas voulu récriminer ; mais j’ai vu se former l’armée du nouveau Cromwell, et je me suis armé d’un poignard pour lui percer le sein, si la Convention nationale n’avait pas le courage de le décréter d’accusation. » En même temps, il fit briller son poignard aux yeux de l’Assemblée, qui, électrisée par cette mise en scène, décrète l’arrestation de Robespierre et de ses amis, sans vouloir les entendre. Entré, trois jours après, au comité de Salut public, il se mit à la tête de la réaction, fit supprimer le tribunal révolutionnaire, fermer le club des Jacobins, mettre en jugement Fouquier-Tinville, Carrier et Lebon, rapporter la loi du maximum et abolir les comités révolutionnaires. Il contribua puissamment à la répression du mouvement populaire du 2 prairial an III ; mais, envoyé comme commissaire à l’armée de Hoche, il déploya une égala énergie contre les royalistes de Quiberon ; et défendit avec beaucoup de vigueur, au 13 vendémiaire, la Convention attaquée par les ennemis de la république. Avec la session conventionnelle finit son influence. Devenu membre du conseil des Cinq-Cents, il se trouva en butte aux partis extrêmes ; pendant que les royalistes lui reprochaient sa conduite révolutionnaire, l’accusaient hautement des massacres de Septembre, les républicains le repoussaient comme un renégat. À la fin de son mandat, il ne fut pas réélu ; sa femme elle-même l’abandonna. C’est au milieu de ce délaissement général que Bonaparte, en reconnaissance de la protection qu’il en avait reçue naguère, l’emmena avec lui en Égypte, en qualité de savant. Tallien rédigea la Décade égyptienne, devint successivement membre de l’Institut du Caire, administrateur de l’enregistrement et des domaines, s’embarqua pour la France sur l’ordre de Menou, fut fait prisonnier pendant la traversée et conduit à Londres, où les whigs lui firent une réception enthousiaste (1801). Tout ce qu’il put obtenir à son retour en France fut le poste de consul à Alicante. Atteint de la fièvre jaune dans cette ville, il y perdit un œil, et revint à Paris, où son traitement lui fut continué jusqu’à la fin de l’Empire. À l’époque de la Restauration, il dut vendre sa bibliothèque pour subsister. Ayant été compris dans la loi contre les régicides, en 1816, il pria Eugène Beauharnais de lui faire obtenir l’autorisation de résider en Bavière, sous le nom de Lambert, avocat ; mais il continua de résider secrètement à Paris.