Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Relique s. f.

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 912-913).

RELIQUE s. f, (re-li-ke — du lat. reliquix, restes, formé de relinquere, laisser). Partie du corps d’un saint personnage, objet ayant été à son usage ou ayant servi à son supplice, que l’on conserve religieusement : Louis Xt se faisait couvrir d’une quantité prodigieuse de reliques lorsqu’il se mettait au lit. (Ann. litt.) La duchesse d’Albe faisait prendre à son fils, malade à Paris, en potions et en lavements, des reliques pulvérisées. (Sallentin.) Les mois de Marie ont remplacé de nos jours la grande dévotion des reliques et des pèlerinages. (Michau.)

Un baudet chargé de retiques S’imagina qu’on l’adorait.

1.À FOHTAIHE.

Garder une chose comme une relique, La garder soigneusement : Elle garde cette lettre COMME UNE RELIQUE. (ACad.)

Je n’ai pas grande foi à ses reliques, Je ne prendrai pas de ses reliques, Se dit de quelqu’un en qui l’on n’a pas de Confiance.

Je n’en veux pas faire des retiques, Je n’en ferai pas des reliques, Je suis décidé à m’en servir, à en user.

— Poétiq. Restes mortels : Ce tombeau renferme les froides reliques de vos aïeux, (Acad.)

Ils s’arrêtent non loin de ces tombeaux antiques Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.

Racine.

— Restes, derniers débris : Cassius et Brutus achevèrent de perdre les reliques de ta romaine liberté de laquelle ils étaient protecteurs, par la précipitation et témérité de quoi ils se tuèrent. (Montaigne.) Les despotes redoutent comme un enseignement dangereux les reliques visibles de la gloire et de ta liberté. (M">c L. Colet.)

— Encycl. Hist. relig. Le culte et le trafic des retiques ont constitué, avec le commerce des indulgences, les plus scandaleux abus du catholicisme. La vénération pour les tombeaux des martyrs était toute naturelle aux croyants, et l’on n’alla pas plus loin pendant les premiers siècles : l’Église aurait bien fait de s’en tenir là ; mais, toutes les superstitions lui semblant excellentes dès qu’elles accroissaient son influence et son crédit, elle ne se fit aucun scrupule d’encourager celle-ci, quoiqu’elle fût issue directement du paganisme. Dès 388, Théodose était obligé de mettre un frein à la cupidité des prêtres, qui vendaient comme des amulettes et talismans des débris quelconques de squelettes, sous le nom de reliques des martyrs. Le 3« concile de Cartilage (397) organisa néanmoins le culte des reliques, et celui de Constantinople (692), allant beaucoup plus loin, ordonna de détruire tous les autels qui ne renfermeraient pas de précieuses reliques. Dès lors commencèrent ces histoires grossières et ces spéculations honteuses que l’on ne saurait trop flétrir. Les martyrs apparurent en songe à de pieux personnages et leur révélèrent 1 endroit précis où ils étaient enterrés. On n’eut garde de négliger ces avis prolitableset les saints martyrs furent déterrés en grande pompe, pour être ensuite détaillés au plus juste p’rix. Saint Étienne fut le premier qui réclama cet honneur et les autres bienheureux s’empressèrent d’imiter cet exemple, qui n’a pas été abandonné depuis. Lorsque l’on manquait de martyrs, on en inventait, de sorte que le même saint fut découvert en cinq, dix et vingt endroits différents. Les miracles se multiplièrent en proportion. Le vol des cadavres inhumés près des églises, et dont on faisait des dépouilles de martyrs, devint si fréquent que le clergé essaya d’enrayer le mouvement en effrayant les voleurs. Il nous suffira de citer les lignes suivantes da saint Grégoire : • Les corps des suints brillent de tant de miracles, dit-il, qu’on n’ose même approcher de leurs tombeaux pour y prier sans être saisi de frayeur. Mon prédécesseur, ayant voulu ôter de l’argent qui était sur le tombeau de saint Pierre pour le mettre à la distance de quatre pieds, il lui apparut des signes épouvantables. Au moment où l’on faisait des réparations au monument de saint Paul, celui qui avait la garde du lieu ayant eu la hardiesse de lever des os qui ne touchaient pus au tombeau de l’apôtre, pour les transporter ailleurs, il lui apparut aussi des signes terribles et il mourut sur-le-champ. Même chose arriva au tombeau de saint Laurent ; on découvrit imprudemment le cercueil où était le corps du martyr^et, quoique ceux qui y travaillaient fussent des moines et des officiers du temple, ils moururent tous dans l’espace de dix jours, parce qu’ils avaient vu le corps du saint. Lorsque les Romains donnent des reliques, ils ne touchent jamais aux corps sacrés, mais ils se contentent de mettre dans une boite quelques linges et de les en approcher. Ces linges ont la même vertu que les reliques et font autant de miracles. Certains Grecs se permirent de douter du fait ; le pape Léon se fit apporter des ciseaux et, ayant coupé en leur présence un des linges qu’on avait approchés des corps saints, il en

RELÎ

sortit du sang. À Rome et dans tout l’Occident, c’est un sacrilège de toucher aux corps des saints et, si quelqu’un a cette audace, il peut être sûr que son crime ne sera pas impuni. C’est ce qui me persuade que l’on ne dit pas la vérité quand on raconte que les Grecs ont coutume de transporter les retiques. Je sais parfaitement que quelques-uns d’entre eux, ayant osé déterrer, la nuit, des corps près de l’église de Saint-Paul, dans le dessein de les transporter dans leur pays, ils furent aussitôt découverts, et c’est ce qui me persuade que les reliques qui se transportent de la sorte sont fausses. Des Orientaux, prétendant que les corps de saint Pierre et de saint Paul leur appartenaient, vinrent à Rome pour les emporter dans leur patrie ; mais, arrivés aux catacombes où ces corps reposaient, lorsqu’ils voulurent les prendre, des éclairs soudains, des tonnerres effroyables dispersèrent leur multitude épouvantée et les forcèrent de renoncer à leur entreprise. ».

Les faits affirmés dans cette lettre, adressée à une princesse qui demandait la tête de saint Paul, sont absurdes, car le commerce des reliques florissait alors à Rome et dans tout l’Occident aussi bien qu’en Orient ; saint Grégoire, qui avait l’air de témoigner une telle terreur à la seule idée d’approcher le corps d’un martyr, en expédia lui-même un grand nombre.

En France, durant tout le moyen âge, les reliques furent en grande vénération ; les serments les plus solennels se faisaient sur les restes d’un saint martyr, comme autrefois on jurait par le Styx. Les rois de France des deux premières races conservaient précieusement des reliques dans leurs palais ; enfin, on peut encore citer les restes de la bienheureuse sainte Geneviève, renfermés dans une châsse, d’où ils étaient retirés pour être promenés dans les rues de la ville lorsqu’il s’agissait d’éloigner quelque calamité, de faire tomber ou de faire cesser la pluie. Les reliques ne se composent pas seulement des restes des corps des martyrs, mais de toute sorte d’objets considérés comme leur ayant appartenu. L’église. Saint-Laurent, à Gènes, possédait encore, il y a peu d’années, le Sacro-Catlino, c’est-à-dire le fameux plat d’émeraude sur lequel Jésus-Christ fit la Cène et qui avait été donné à Salomon par la reine de Saba. Il était conservé à Jérusalem et fut pris par les Génois, qui abandonnèrent aux Pisans, leurs alliés, tout le butin pris dans Césarée (110 !) pour conserver la précieuse relique. Rapporté à Gènes, le Sacro-Caitino fut en grande vénération ; douze chevaliers furent créés qui, chacun à son tour, gardaient la clef du tabernacle. Une fois par an, il était exposé à la vénération des fidèles ; mais les douze chevaliers étaient rangés autour du plat sacré. En 1476, une loi défendit, sous peine de mort, de toucher le Sacro-Cattino. Transporté à Paris en 1809, le plat fut restitué en 1S15. Le voyage fut fatal à la sainte relique, qui fut brisée. On se convainquit alors que cette précieuse émeraude était un simple morceau de verre et le respect qui l’entourait a disparu.

Nous citerons encore, dans ce genre, une relique longtemps conservée à’ 1abbaye de Port-Royal-des-Champs ; c’était la coupe en albâtre où Jésus-Christ avait bu aux noces de Cana. À Saint-Pierre de Rome, on conserve encore la chaire en bois (chaise, cathedra) de saint Pierre et la colonne du temple de Jérusalem sur laquelle Jésus appuya sa main en chassant les vendeurs à. coup3 de fouet ; à Saint-Praxède (Rome), la colonne •du palais de Ponce-Pilate à laquelle fut attaché Jésus pour subir la flagellation ; à Saint-Pierreès-Liens, la chaîne qui garrotta saint Pierre dans les cachots de Jérusalem, La couroune d’épines de Jésus-Christ, les clous, le bois de la croix, le suaire, etc., divisés en parcelles, constituent à eux seuls un ensemble formidable de reliques. La couronne de fer des rois d’Italie, déposée à la cathédrale de Milan, est ainsi nommée, quoiqu’elle soit, comme toutes les couronnes royales et impériales, faite d’or et de pierreries, parce qu’elle est fermée d’un clou de fer rivé au cimier et qui passe pour être un des clous de la croix. On sait que saint Louis fit bâtir la Sainte-Chapelle pour y placer la couronne d’épines et un morceau du bois de la vraie croix, reliques que le sultan lui avait vendues fort cher. À propos de la croix sur laquelle Jésus a été crucifié, on a calculé qu’en réunissant toutes les parcelles qui existent de par le monde et qui passent pour authentiques, il y aurait de quoi construire un navire à trois mâts ; mais à cela il n’y a rien à dire : un jésuite a soutenu très-sérieusement que les saintes reliques se multipliaient indéfiniment par la grâce de Dieu.

Le commerce desrehques devenant de jour en jour plus important, on établit à Rome une congrégation des reliques, qui fonctionnait encore au siècle dernier de la manière suivante, d’après le président Debrosses ;

t Là congrégation des reliques est composée de six cardinaux et de quatre prélats, parmi lesquels sont le cardinal vicaire et le préfet de la sacristie de Rome. Ils ont l’inspection des reliques des anciens martyrs qu’on trouve dans les catacombes. Quand tous ces cardinaux et prélats sont réunis, ils examinent les procès - verbaux dressés par ceux d’entre eux qui sont descendus sur le3

îtELl

lieux pour examiner les marques qui font distinguer les ossements ou les tombeaux des martyrs d’avec ceux des païens. Ces marques sont communément des fioles qui contiennent quelque reste de sang ou bien des palmes gravées sur la pierre, ou les instruments du martyre, comme un cimeterre, une lance, une épée, un couteau ou enfin quelque inscription. Lorsque ces marques paraissent anciennes et dignes de foi, les prélats de la congrégation opinent et, s’il n’y a point d’opposant, le préfet de l’assemblée déclare les reliques dont il s’agit dignes de la vénération des fidèles. On les baptise ensuite, parce qu’on ne sait pas leur nom ; on leur donne un parrain et une marraine et on leur donne le nom qu’elles doivent porter. Après cela, la congrégation remet ces reliques entre les mains du vicaire et du sacristain du pape, qui les distribuent aux fidèles qui les demandent, avec les attestations de la vérité desdites reliques, en faisant signer toutefois un reçu en forme par’ceux qui sont favorisés, argent comptant, de quelques parcelles de ce trésor inépuisable. ■

Voici une liste à, peu près complète des principales reliques conservées dans les divers sanctuaires du catholicisme, reliques auxquelles les fidèles ajoutent la plus grande foi et qui, pour la plupart, sont appuyées par des parchemins authentiques :

Barbe : on a de celle de Jésus - Christ.Bras : ils sont innombrables ; on en a de la Vierge, de la Madeleine, de saint Marc ; mais, ce qu’il y a-de plus miraculeux, c’est leur multiplication. On a huit bras de saint Biaise, neuf de saint Vincent, autant de sainte Thècle, douze de saint Philippe, dix-sept de saint André et dix-huit de saint Jacques, répartis dans des églises différentes, il est vrai, mais d’une authenticité reconnue et qui ont fait brûler les incrédules qui la contestaient.

Cheveux et ongles de sainte Catherine, de Jésus-Christ, de la Vierge, de la Madeleine et d’une foule d’autres. — Côte de sainte Marguerite.— Coeur de sainte Thérèse, de saint Ignace, de sainte Catherine de Sienne. — Croupion de saint Ignace de Loyala, relique odoriférante, comme le dit si bien le marquis d’Argens. — Dents : elles abondent, ce qui n’a rien d’étonnant au pays du charlatanisme ; la plus curieuse est celle qui tomba de la mâchoire d’âne avec la. quelle Samson tua plus de mille Philistins, et qui est conservée précieusement chez les carmes de Nazareth.— Doigts : on en compte un grand nombre ; saint Jean-Baptiste en possède soixante à lui tout seul, dont onze index. — Fesses de Jésus-Christ, empreintes sur une pierre delà cathédrale de Reims, alors qu’il en bâtissait le portail. — Genoux de sainte Justine. — Graisse de saint Laurent.

Han de saint Joseph lorsqu’il fendait son bois, conservé en bouteille près de la ville de Blois. — Lait de la Vierge, da sainte Barbe, de sainte Catherine, conservé dans un état admirable de fraîcheur bien avant l’invention anglo-américaine. — Larme que Jésus-Christ versa sur Lazare et qui rapportait chaque année quatre mille francs aux religieux de Vendôme. — Mâchoires : il y en a un déluge ; saint Jeun-Baptiste en a vingt à lui tout seul. — Mains : innombrables’ également ; saint Barthélemi en possède neuf, ce qui ne lui fait pas moins de quarante - cinq doigts. — Mamelles de sainte Agathe ; on en conserve six différentes.— Membre sexuel de saint Barthélemi, conservé ù Trêves en Allemagne ; il attirait un grand pèlerinage de femmes stériles, ainsi que saint Guignolet. — Nombril de Jésus-Christ, à Saint - Jean -de- Latran, à Rome. — Ongle de Nabuchodonosor, dans le cabinet du roi de Danemark. — Parties sexuelles de sainte Gudule, conservées à Augsbourg. — Peau de saint Barthélemi.Pieds : les empreintes laissées sont innombrables ; on en a de Jésus-Christ, de la

Vierge, d’Adam et de l’ange qui le chassa du paradis terrestre. — Plume que l’ange Gabriel laissa tomber lorsqu’il vint annoncer à la Vierge qu’elle serait mère ; cette plume est conservée soigneusement, ainsi que la fenêtre par laquelle l’ange entra, et qu’on peut voir à Noire-Dame-de-Lorette. — Prépuces de Jésus-Christ : il n’y en a que sept, dont un à Saint-Jean-de-Latran, à Rome ; tous les instruments de la circoncision sont heureusement conservés ; le couteau est à Compiègne et la pierre sur laquelle on fit l’opération dans l’église de Saint-Jacques-in-Borgo, à Rome. En 1864, l’ëvêque de Poitiers, qui se vante de posséder le vrai prépuce, écrivit un mandement qui fit beaucoup de bruit. — Sang de Jésus-Christ, de saint Étienne, de saint Janvier. — Souffle de Jésus-Christ gardé dans une boîte. — Sueur de saint Michel battant le dragon, conservée dans une fiole à Jérusalem. — Têtes : comme les bras et les jambes, elles sont innombrables ; sainte Julienne, pour sa part, a trente ou quarante têtes ; on ne dira plus que les femmes en manquent. La plus curieuse relique en ce genre, ce sont les onze mille tètes des onze mille vierges, qui chacune ont fait onze mille miracles. Cette dernière relique clôt dignement une énuinération un peu fantaisiste, que nous ne donuoas du reste que sous toutes réserves.

Béranger a composé sur les reliques une chanson qui, sous la Restauration, venait tout à fait à point. C’est la confession d’un

heli

affreux gredin dont le squelette, débité par petits morceaux, est vendu par les prêtres comme débris d’un saint en renom. Voici l’un des couplets :

De mon temps je fus bateleur.

Hlbaud, filou, témoin à gage ;

Puis, d’un grand m’étant fait voleur, J’eus d’un baron mœurs et langage. De leurs chasses, dans mes larcins, J’ai dépouillé les basiliques ; Au feu j’ai jeté de bons saints ; Du ciel admirez tes desseins :

Dévots, baisez donc mes reliques. Baisez, baisez donc mes religues.

On trouvera de curieux détails sur les reliques iansYApolooiepour Hérodote, ia Henri Estienne ; le Traité des reliques, de Calvin, et le Dictionnaire des reliques, de Collin de Plancy.

Terminons par deux anecdotes. La première, parfaitement authentique (puisqu elle a eu un retentissement jusque dans l’Académie des sciences), prouve que, même au point de vue des reliques, les savants peuvent donner de bons avis. Le fait est récent ; il date du commencement de l’année 1866.

L’évêque de Nancy, M. de Lavigerie, était fort embarrassé ; il possédait dans la même châsse deux têtes de saints, saint Mansuy et saint Gérard. Laquelle était à Mansuy, laquelle à Gérard ? Pas la moindre étiquette. Tirer au sort ?... Il n’y fallait pas songer. Recourir aux illuminés ? Le prélat avait pour cela trop de bon sens ou peut-être pas assez de foi, ce qui est à peu près synonyme. Espérer un miracle et attendre que ces crânes de dix siècles s’écriassent : ■ Je suis Gérard ou Mansuy ? • La solution du problème menaçait de s’éterniser. M. de Lavigerte fit mieux : il appela un savant ethnologue, M. Godron, et celui-ci, sans hésiter un seul instant et sans savoir quelles têtes on lui soumettait, rendit cet arrêt : • Ce crâne est celui d’un Gaulois ; cet autre, celui d’un homme du Nord. » Or, saint Gérard, en effet, était un vaillant capitaine, né aux environs de Namur, et qui se fit abbé ; saint Mansuy était d’origine écossaise. Il n’y avait plus ni doute ni confusion possible ; une étiquette même devenait superflue. Voilà un miracle de la science.

Une autre anecdote est plus récente encore. En mai 1871, vers la fin de la Commune, des exécutions sommaires d’otages eurent lieu rue de Haxo. Après l’entrée des troupes versaillaises, un curé d’une paroisse du XIX" arrondissement, en allant sur le lieu du supplice gratter la terre dans l’espoir de trouver quelque objet ayant appartenu aux victimes, découvrit un pied nu. Persuadé que ce pied ne pouvait être.que celui d’un des ministres du Seigneur qui avaient succombé en cet endroit, il l’emporta chez lui, le Java religieusement et le mit dans de l’esprit-de- vin, afin d’en faire une relique dont il doterait son église. Grâce aux femmes du quartier, la nouvelle s’en répandit aussitôt et arriva jusqu’aux oreilles du commissaire de police. Ce fonctionnaire se fit apporter le bocal dans lequel nageait le saint pied, puis il manda un chirurgien. Le curé, qui n’avait pas voulu se séparer de sa précieuse relique, interrogea lui-même l’homme de la science. Celui-ci n’eut pas de peine à démontrer, grâce aux durillons qui ornaient les doigts, à la dureté des ongles et à l’épaisseur du cuir da la plante, que ce pied n’avait jamais appartenu à un jeune abbé et que, selon toutes probabilités, c’était le pied d’un vieux gendarme. Le curé se rendit à une démonstration aussi évidente. Le pied fut enterré en lieu saint, avec les victimes. Et voilà comment les fidèles croyants ont failli être exposés à adorer un pied de gendarme comme une sainte relique.

Reliques (traits des), par Jean Calvin. Outre ses homélies, ses sermons et ses œuvres dogmatiques, où la satire "se trouve à l’état latent, Calvin a composé un certain nombre de pamphlets proprement dits. Parmi les écrits de ce genre, le plus considérable et le plus fameux est le Traité des reliques : En portant la guerre de ce côté, Calvin savait qu’il attaquait un point vulnérable, dénoncé depuis longtemps par les railleries des libertins. Dès le xuie siècle, on avait vu dans le Jeu de la feuillie le moine qui met les reliques en gage au cabaret. Plus tard, c’est la Farce du pardonneur, qui montre un charlatan de foire étalant aux yeux de la foule ébahie ■ la crête du coq qui chanta chez Pilato et une latte de la grande arche de Noé. • Dans la chaire chrétienne même, Menot et Maillard déclamaient contre les porteurs de rogatons, qui soutirent l’argent des veuves. Eu dépit de.ces critiques et de ces abus, le culte des reliques, sans être consacré comme un dogme, n’eu restait pas moins un des vifs aliments de la foi populaire et, pour l’Église, une source abondante de revenus. C’est à ce double titre que Calvin entreprend de le ruiner. Ici, ce ne sont pas seulement des allusions malignes, des facéties narquoises comme celles de Rabelais sur la châsse de saint Rigommé ou de saint Maclou, mais un réquisitoire en règle, un inventaire exact des saintes dépouilles répandues par toute l’Eurone. Calvin, qui a tant de peine à se contenir en face des vivants, se modère plus aisément avec les morts. Son persiflage hautain, trau-9 tranchant, garde une sorte de gravité sentencieuse, qui rappelle un peu le ton de la polémique janséniste. « Au lieu de méditer la vie des saints et des apôtres, le monde a mis toute son étude à contempler et à tenir comme un trésor leurs os, chemises, ceintures, bonnets et semblables fatras, tant y a que le peuple qui se dit chrétien en est venu jusque-là qu’il a pleinement idolâtré en cet endroit, autant que firent jamais les païens. » En dressant le catalogue de ces saints dépôts, Calvin dénonce les prétentions rivales et s’amuse à mettre aux prises un corps avec deux ou trois têtes et cinq ou six bras. Ses impitoyables calculs donnent à une opération mathématique tout le piquant d’un bon mot et ruinent par l’ironie des chiffres le crédit des pèlerinages les plus respectés. « Tant y a qu’il y a un corps de sain ta Suzanne à Rome, en l’église dédiée de son nom, et un autre à Toulouse. Sainte Hélène n’a pas été si heureuse, car, outre son corps qui est à Venise, elle n’a guère de superabondant qu’une tête laquelle est à Saint-Gerion de Cologne. Sainte Ursule l’a surmontée en cette partie ; son corps premièrement est à Saint-Jean-d’Angely ; elle a ensuite une tête à Cologne, une portion aux Jacobins du Mans, une autre aux Jacobins de Tours, l’antre à Bergerac. De ses compagnes, qu’on appelle les onze mille vierges, ou en a bien pu avoir partout. » Cetto énumération, qui finirait par devenir monotone, est de temps à autre égayée par quelque anecdote plaisante, comme celle des bonnes gens qui offrent une chandelle au diable en même temps qu’à saint Michel, et qui ornent de fleurs, de chapeaux et d’affiquets les bourreaux de saint Étienne aussi bien que le saint lui-même. « Tout y est si brouillé, si confus, qu’on ne saurait adorer les os d’un martyr qu’on ne soit en danger d’adorer les os de quelque brigand ou larron, ou bien d’un âne ou d’un chat ou d’un cheval. » Les partisans des reliques répondaient bien que l’intention est tout dans cette affaire ; mais à quoi bon, dès lors, ces amas d’os à demi pourris que l’Église vend au poids de l’or et que les dévots crédules renferment dans des châsses magnifiques ?

RELIRE v. a. ou tr, (re-li-re — du préf. re, et de tire. Se conjugue comme lire). Lire de nouveau : Je n’ai jamais le courage de relire mes lettres, je ne me reprends que pour faire plus mal. (Mme de Sév.) Je relis l’Iliade ; ce tintamarre des dieux, des hommes, des chevaux, des chariots m’étourdit. (Mme Du Deffant.) Il n’y a de bon que ce qu’on peut relire sans dégoût. (Volt.) Malheur à tout livre qu’on n’est pas tenté de relire ! (D’Alemb.)

On relit un billet, monsieur, quand on l’envoie.

A. de Musset
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|| Lire de nouveau les livres de : Relire les auteurs latins. Lire et relire Voltaire.

— Fig. Repasser dans son esprit. : On ne comprend le livre de la vie que lorsqu’on a déjà tourné beaucoup de feuillets, et alors on n’a plus le temps de relire. (H. Lemonnier.) Une âme tranquille peut seule se plaire à relire sa vie. (Segur.)

Se relire v. pr. Etre relu : Il y a peu de romans qui puissent se relire. (Ch. Nodier.)

— Relire ce qu’on a écrit : Quel écrivain ose se relire sans trembler ? (Ch. Nod.)

RELIURE s. f. (re-li-u-re — rad. relier). Art du relieur La reliure est un des arts les plus importants pour conserver intacts les ouvrages précieux et originaux que les savants ont publiés et publient chaque jour sur les science, sur les arts, sur l’industrie et sur toutes les branches des connaissances humaines. (Lenormant.)

— Ouvrage du relieur ; couverture forte et rigide qu’on met à un livre, pour le préserver : Certains amateurs n’estiment dans les livres que la reliure.

Demi-reliure, Reliure dans laquelle le dos et les plats ne sont pas de la même matière.

Encycl. On sait que chez les anciens les livres se composèrent d’abord de feuilles collées les unes à la suite des autres, et que l’ensemble qui en résultait se roulait autour d’une petite verge, adaptée à l’extrémité de la dernière feuille. Ces livres roulés, ou volumina (volumes), étaient serrés dans un étui en peau ou en parchemin, quelquefois en simple papyrus, et n’étaient pas reliés. Les livres carrés, ou codices, ne furent en usage que bien postérieurement. A l’époque de Cicéron, la forme carrée existait pour les livres de compte et d’administration ; elle n’était pas employée pour les ouvrages littéraires, pour les ouvrages placés dans les bibliothèques. Au temps de Martial, c’était encore une noweauté. Les livres carrés se reliaient. On en réunissait les feuilles en les collant ou les cousant, soit avant qu’elles fussent écrites, soit après. Photius attribue l’invention de l’assemblage des feuillets à un Athénien, nommé Phillatius, auquel ses compatriotes auraient élevé par reconnaissance une statue. Chez les Romains, l’assemblage était fait souveut par des ouvriers dont c’était la profession spéciale et qu’on nommait glutinatores. Quelquefois l’opération étuit faite par les copistes eux-mêmes. Ou enveloppait ensuite les livres dans un morceau d’étoffe ou dans une sorte de couverture en bois. On les fermait soit au moyen d’une courroie, dans le sens de


la largeur ou de la longueur, soit au moyen de fermoirs. Si nous en croyons saint Jérôme, il y eut, dès le ive siècle, des livres reliés avec un grand luxe et revêtus de pierres précieuses.

MM. H. Géraud, dans son Essai sur les livres, d’Israéli, dans ses Curiosities of literature, et Ludovic Lalanne, dans ses Curiosités littéraires, ont donné sur l’histoire de la reliure des détails que nous reproduisons en partie.

Au milieu du ve siècle, nous voyons, entre les mains des dignitaires de l’empire, des livres reliés, couverts en cuir vert, rouge, bleu ou jaune et décorés sur un des plats du portrait de l’empereur. Bélisaire trouva, parmi les dépouilles de Gélimer, un recueil des Evangiles, orné d’or et de pierres précieuses. Le manuscrit des Pandectes, appartenant à la bibliothèque Laurentienne de Florence et que l’on fait remonter au vie siècle, est relié avec des tablettes de bois couvertes de velours rouge et garnies d’ornements d’argent dans le milieu et aux angles. Un évangéliaire grec du ixe siècle, appartenant à la bibliothèque de Sienne, a une magnifique reliure ornée de nielles. La reliure, dit M. Lalanne, étant un des moyens les plus propres à conserver les livres, il est probable qu’au moyen âge, où ils avaient une si grande valeur, tous les livres étaient reliés. Charlemagne accorda à l’abbé de Saint-Berlin un diplôme par lequel il l’autorisait à se procurer par la chasse les peaux nécessaires pour relier les livres de son abbaye. Au milieu du ixe siècle, Geoffroi Martel, comte d’Anjou, ordonna que la dîme des peaux de biches prises dans l’île d’Oléron serait consacré à relier les livres de l’abbaye qu’il avait fondée à Saintes ; et Guibert de Nogent raconte qu’après une visite faite aux chartreux de Grenoble par le comte de Nevers, ce seigneur leur envoya des cuirs de bœuf et des parchemins dont ils avaient grand besoin. On voit à la bibliothèque Laurentienne, à Florence, la copie que Pétrarque avait faite lui-même des Epitres de Cicéron. La couverture en bois de ce livre, garnie de fermoirs et de coins en cuivre, avait en tombant tellement blessé Pétrarque à la jambe gauche, qu’il fut menacé d’une amputation. Timperley rapporte que le manuscrit du Nouveau Testament sur lequel tous les rois d’Angleterre, depuis Henri Ier jusqu’à Edouard VI, prêtèrent serment en prenant possession du trône, se trouve dans une bibliothèque particulière à Norfolk. Il renferme les quatre Evangiles, écrits sur vélin les lettres, belles et bien formées, se rapprochent des capitales romaines. Il semble avoir été écrit et préparé pour le couronnement de Henri Ier. La reliure originale, dans un parfait état de conservation, consiste en deux tablettes de chêne de près d’un pouce d’épaisseur, assujetties avec des bandes de cuir les coins sont revêtus de métal, et un crucifix est placé sur l’un des côtés. » L’inventaire des livres de la bibliothèque du Louvre, fait par Gilles Malet à la fin ou xive siècle, offre des particularités intéressantes sur l’état de la reliure à cette époque. En voici quelques passages :

« Une carte de mer en tableaux, faite par mamière de une table painte et ystoriée, figurée et escrite, et fermant de quatre fermoers (fermoirs).

« Messire Guillaume de Maureville, qui parle d’une partie des merveilles du monde et des pays, couvert de veluyau ynde (velours bleu).

« Marcus Paulus, couvert de drap d’or, bien escript et enluminé.

« Josephus, en deux grands volumes, couverts de cuir blanc, à queue et à bouillon.

« Josephus escript en françois, en lettre de note, couvert de veluyau azuré, à deux fermoers de cuivre dorez, à tissus de soye.

« Un livre couvert de cuir rouge à empraintes, qui a quatre fermoers d’argent des armes de la reyne, qui est de Genesis et du roi Ninus et autres choses.

« Titus Livius en un grand volume, couvert de soye, à deux grands fermoers d’argent esmaillez de France.

« Valerius Maximus, couvert de soye vermille, à queue, très-bien escript et ystorié. Julien Frontin, en un cahier de papier, couvert de parchemin.

« Godeffroy de Billon, de la conqueste d’outre-mer, à deux colombes (colonnes), couvert de cuir blanc, à queue.

« Les Croniques de France, en deux volumes, couvertes de soye ynde à queue, et sont en deux estuys de cuir escorchiez aux armets de France.

« Unes croniques de France en françois, couverte de veluyau, à fleurs de lys, et bouillons d’argent, bien escriptes.

« La guerre du roi Philippe et des Flamens, en ryme, escript de forme, couvert de cuir à empraintes, à deux fermoers de cuivre.

« Le Livre du sacre des Roys, en latin et en françois, tous les misteres, vestures et officiers figurez et historiez, couvert de drap d’or terré, à fermoers d’argent. (Le roy l’a prins pour son sacre.)

« Un livre fermant à clef, couvert d’un cuir vermeil, d’un avis comme le pape ne l’Eglise ne pueent ne doivent avoir aucune cognoissance en ce qui touche le temporel du roy, du royaume de France, de la couronne, ne des appartenances.

« Un livre, nommé Royal, en latin, à une


chemise blanche à queue, à deux fermoers d’argent, que list et donna ai roy le patriarche d’Alexandrie, et est du roy Pietre (Pierre) et du roy Henri.

On voit par ce catalogue et par ceux des, riches biblithèques des ducs d’Orléans et de Bourgogne que les livres de luxe étaient recouverts d’étoffes ou de cuir. Les étoffes employées le plus ordinairement étaient le velours, la soie, le satin, le damas, de différentes couleurs, le plus souvent vermeilles, ornées fréquemment de fieurs brodées en or et quelquefois d’un grand nombre de perles. Le cuir blanc ou vermeil était d’un usage fréquent, avec des clous ou des plaques d’or, d’argent, de vermeil ou de cuivre doré sur les couvertures. Des fermoirs ou des agrafes, adaptés aux livres ainsi reliés, portaient les armes du propriétaire.

Parmi les reliures dont l’histoire de la bibliographie a conservé le souvenir, il ne faut pas oublier celles qui appartenaient à la magnifique bibliothèque de Jean Grolier, l’un des quatre trésoriers généraux sous François Ier. Vigneul-Marville écrivait à ce sujet au xviie siècle « J’en ai eu pour ma part quelques volumes à qui rien ne manque. Ils sont tous dorés avec une délicatesse inconnue aux doreurs d’aujourd’hui ; les compartiments sont peints de diverses couleurs, parfaitement bien dessinés, et tous de différentes figures ; dans les cartouches se voit d’un côté, en lettres d’or, le titre du livre, et au-dessous ces mots qui marquent le caractère si honnête de M. Grolier : J. Grolierii et amicorum ; et de l’autre côté cette devise, témoignage sincère de sa piété : Portio mea, Domine, sit in terra viventium. Le titre des livres se trouve aussi sur le dos entre deux nerfs, comme cela se fait aujourd’hui. D’où l’on peut conjecturer que l’on commençait dès lors à ne plus coucher les livres sur le plat dans les bibliothèques, selon l’ancienne coutume qui se garde encore aujourd’hui en Allemagne et en Espagne, d’où vient que les titres des livres reliés en vélin ou en parchemin qui nous viennent de ces pays-là sont écrits en gros caractères tout le long du dos des volume. Les livres à la reliure de Grolier n’ont rien perdu de leur prix. Les meilleures bibliothèques publiques se font un honneur d’en posséder. L’empressement des bibliophiles à les rechercher va toujours en croissant, comme l’attestent les prix élevés qu’ont atteint, de notre temps, quelques-uns de ces volumes dans les enchères publiques. En 1854, le Recueil des lettres de Pline (Alde, 1508, in-8o) a été adjugé à 1,106 francs ; le De sole de Marsile Ficin (1490, in-fol.), à 1,500 francs ; le Virgile d’Alde (1527, in-8o), a 1,600 francs ; les Adages d’Erasme (Alde, 1520, in-fol.), à 1,720 francs. En 1556, le Catulle d’Aldo (1515) est monté à 2,500 francs. La Bibliothèque nationale de Paris possède de beaux Grolier. Ceux qu’avaient réunis Renouard et Coste ont été dispersés ; mais il en existe encore deux remarquables collections celle d’un Lyonnais, M. Yemeniz, et celle d’un. Anglais, lord Spenser.

L’Angleterre possède aussi de riches reliures de la seconde moitié du xvie siècle, exécutées en partie d’après les ordres de la reine Elisabeth. On voit au Bristish Museum une Bible française imprimée à Lyon en 1566 et qui porte sur la couverture le portrait en miniature de cette princesse. Le Golden Manual of prayers, que la même reine portait suspendu à sa ceinture par une chaîne d’or, fut relié en or massif. Sur l’un des côtés est représenté le jugement de Salomon ; sur l’autre le serpent d’airain entouré des Israélites. Un autre livre, possédé par la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, offre un précieux souvenir d’Elisabeth. C’est une traduction en anglais des épîtres de saint Paul. La couverture, en soie noire, fut brodée par la reine, à l’époque où elle était en prison à Woodstock, sous le règne de sa sœur Marie. Elle est remplie de devises. L’une des plus remarquables, placée au centre, à l’entour d’une étoile, porte ces mots : Vincit omnia pertinax virtus.

Les édits publiés contre le luxe en France vers la fin du xvie siècle n’y suspendirent que momentanément la richesse des reliures. Une ordonnance royale, signée par Henri III le 16 septembre 1677, excepta des édits la dorure des livres, en ne permettant toutefois que la dorure de la tranche, des filets d’or et une marque au milieu du plat. Cette ordonnance ne tarda pas à tomber comme les édits précédents ; mais on revint bien rarement aux reliures fastueuses qui donnaient à l’extérieur des livres l’aspect lourd et surchargé d’une chasse ou d’un reliquaire. Le goût n’y perdit pas. « À cette époque, dit Géraud, on avait déjà perfectionné au plus haut degré les reliures en cuir à filets et ornements d’or et de couleur ; la Bibliothèque du roi possède en ce genre des reliures de l’époque qui servent encore aujourd’hui de modèles. Vers le même temps, la sculpture et la ciselure avaient fait de rapides progrès. Les artistes s’exercèrent sur les reliures et revêtirent les missels et autres livres d’église de tablettes en bois, en ivoire, en argent, ciselées avec art et parfois incrustées de pierres précieuses. »

La reliure a fait peu de progrès dans les siècles suivants, sous le rapport de la beauté artistique ; mais sous le rapport de la main-d’œuvre elle a été heureusement modifiée par diverses inventions.


Nous allons maintenant entrer dans des,détails très-minutieux sur les procédés du métier, sans cependant avoir la prétention de faire un manuel professionnel sur l’art de la reliure.

Le premier soin de l’ouvrier relieur doit être de s’assurer si l’impression du volume est assez ancienne pour qu’il puisse le battra sans risquer de faire décharger, l’encre et de maculer les pages. Les cahiers mis en ordre, l’ouvrier en prend un certain nombre pour les battre. Cette opération doit se faire sur une pierre spéciale qui a reçu par suite de sa destinàtion le nom de pierre à battre ; elle est en pierre de liais ou en marbre. La pierre de liais est préférable parce qu’elle est plus lisse ; cependant, en mettant une chemise en papier fort à chaque buttée, l’inconvénient du marbre disparaît. La buttée se fait au marteau et à la main. Le marteau de relieur est une masse de fer dont la base carrée, nommée platine, a environ 0m, 10 de côté ; les arêtes sont arrondies dans tous les sens afin de ne jamais risquer de couper les feuilles en frappant d’aplomb. Cette disposition de la platine est nommée panse la pause donne plus de force au coup dans le milieu de la battée et ne permet pas l’écrasement des bords. Le marteau ordinaire pèse 5 kilogr. Pour battre, il faut beaucoup de force et d’adresse de la part de l’ouvrier ; tenant d’une main les cahiers, il lui faut constamment avec l’autre main soulever le marteau et le laisser retomber bien parallèlement à la surface de la pierre en ayant soin que chaque coup de marteau donné couvre les deux tiers du coup précédent. La battée se commence par le milieu et l’ouvrier tire à lui jusqu’à l’extrémité de la feuille ; il retourne alors le haut en bas, recommence le travail par le milieu et répète cette opération autant de fois qu’il est nécessaire pour faire passer chaque cahier de la battée sous l’effort du marteau. Si le marteau ne tombe pas bien d’aplomb, il produit dans le cahier des pinçures très-difficiles à faire disparaître. Après le battage, les battées mises en ordre sont soumises à une forte pression pendant plusieurs heures, sous une presse qui n’offre aucune disposition particulière et qui le plus souvent est mise en mouvement par un moulinet. En Angleterre d’abord, puis depuis peu d’années à Paris, le battage, qui exige beaucoup de soins de la part du batteur, est remplacé par un laminage entre deux cylindres polis. Ces machines réalisent une grande économie sur la main-d’œuvre, mais les ouvriers prétendent que le travail est moins bien fait. C’est après le battage que les gravures et les plans, s’il s’en trouve dans l’ouvrage, sont mis à la place qu’ils doivent occuper ; les mettre en volume avant le battage serait les exposer à être détériorés. Les volumes sont alors grecgués. Grecquer un livre, c’est faire sur le dos des cahiers des entailles destinées à loger la ficelles qui doit soutenir les coutures et qu’on désire ne pas laisser paraître au dos. Le grecquage se fait en plaçant entre deux ais le volume et donnant un trait de scie peu profond sur le dos à chacune des places où seront les nerfs. On ne doit grecquer que très-peu, ce système ôtant à la reliure une partie de sa solidité en rendant les feuilles plus faciles à déchirer. Les livres grecqués sont portés au cousoir. Le cousoir se compose d’une table dans laquelle on a pratiqué une fente transversale de 0 m, 01 ou 0 m, 02 de largeur, sur une longueur facultative. Aux deux extrémités de cette ouverture se dressent deux montants soutenant une barre qui les relie entre eux ; cette barre est mobile et cette partie du cousoir représente assez exactement un métier à tapisserie. Des ficelles pendent de la barre et passent au travers de la table par la fente indiquée plus haut. Les choses étant en cet état, la couseuse tend les cordes à l’aide de chevilles qu’elle place sous la table elle remonte ou descend la barre de soutien et s’assure de la rigidité de ses cordelettes. Les ficelles ont été placées à des distances calculées à l’avance pour coïncider avec les traits de scie du grecquage. On introduit les cordes dans les entailles et l’ouvrière coud alors les cahiers entre eux, en ayant bien soin d’entourer les ficelles d’un nombre de points de couture suffisant pour les fixer solidement aux cahiers. Les livres cousus, les ficelles sont coupées, en laissant de grands bouts des deux côtés ; ce sont ces bouts de cordes qui serviront à réunir les cahiers aux cartons. L’opération du cousage est la même pour les livres non grecqués et dans lesquels les ficelles cousues feront l’office de nerfs ; on remplace parfois les ficelles par des rubans de fil ou de soie pour les livres sans nerfs et non grecqués. À ce point du travail, on colle les gardes de couleur ; les gardes sont les feuilles de papier qui précèdent le titre à l’ouverture du volume et qui suivent la table à la fin. L’ouvrier coupe les couvertures de carton, les bat, les rogne du côté du dos, ou mors, et colle dessus une bande de papier plus ou moins large qui enveloppe l’épaisseur du carton à la partie rognée ; cette opération s’appelle raffiner le carton. Les couvertures ainsi préparées, on les place sur le volume ; en face de chaque ficelle, on perce trois trous obliques, le premier et le dernier du dedans au dehors, celui du milieu du dehors au dedans ; les cordes sont passées par ces trous et ramenées le plus fortement possible à l’intérieur du volume. Ce lacé fixe les couvertures