Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Procope (Café)

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 209).
Procope (Café)

Procope (café), célèbre par les hôtes illustres qui le fréquentaient au xviiie siècle. Ce café est situé encore aujourd’hui à Paris, rue de l’Ancienne-Comédie, en face du bâtiment qui, ayant jadis servi de théâtre, a donné son nom à la rue. Le café Procope doit son nom à son fondateur, le Sicilien François Procope, qui, au xviiie siècle, ouvrit à la foire Saint-Germain un établissement auquel la vogue s’attacha bientôt : Procope y débitait du café, cette liqueur qui manquait à Virgile, que Mme de Sévigné reniait et qu’adorait Voltaire. Le café venait à peine d’être introduit en France. Encouragé par le succès, Procope ouvrit, en 1689, dans la rue des Fossés-Saint-Germain (depuis rue de l’Ancienne-Comédie), en face du théâtre, un café véritable qui devint bientôt le rendez-vous favori des écrivains, des artistes et des gens du monde. Les plus célèbres habitués du café Procope furent Voltaire, Piron, Jean-Baptiste Rousseau, Lamotte, Marmontel, Sainte-Foix, Duclos, Mercier, Palissot, Saurin, Dorat, le chevalier de Saint-Georges. « C’était au café Procope, dit un historien, que se montaient les cabales, que se fabriquaient les épigrammes, que se formulaient les jugements sur les pièces. Le café Procope était un véritable journal de Paris, journal du matin, journal du soir, toujours spirituel et charmant. » Le marquis de Bièvre, qui avait la spécialité des calembours, y lançait ces mots bêtes et drôles qui ont été si souvent réédités depuis. Ce fut là que J.-B. Rousseau se réfugia après le succès scandaleux des couplets qu’il avait fredonnés au café Laurent, de la rue Dauphine ; mais il s’y arrêta peu, car un arrêt du parlement vint bientôt le bannir du royaume. Ce fut là aussi que Piron venait glisser dans l’oreille de ses amis ses poésies plus que légères. Là, plus d’une fois, Voltaire épancha sa bile contre Fréron. « Monsieur, lui dit un jour Palissot, j’ai fait une comédie contre les philosophes ; j’attaque Diderot, Helvétius, Rousseau, d’Alembert. — Ce sont mes amis, répliqua Voltaire, et des honnêtes gens ; il faut, au contraire, les défendre, car il n’y a que des polissons qui leur jettent la pierre, entendez-vous ? des polissons ! Palissot fit la grimace, et Voltaire, avisant du coin de l’œil l’homme qui humait son moka au fond de la salle, reprit avec feu : « Ah ! vous mettez en scène les philosophes ! eh bien moi, j’y mettrai les gazetiers ; et savez-vous où la scène se passera ? Au café Procope… de Londres. » L’homme que Voltaire avait reconnu dans l’ombre de la salle, c’était Fréron, et la pièce qu’il fit plus tard, selon sa promesse, c’est l’ Écossaise, la plus sanglante satire qu’on ait jamais pu écrire contre un homme.

Le café Procope fut le quartier général des marquis révoltés contre le règlement qui leur supprimait le droit des banquettes sur la scène : « Tout Paris, dit Sainte-Foix, a vu avec la plus grande satisfaction, en 1759, le premier de nos théâtres, notre théâtre par excellence, tel qu’on le désirait depuis longtemps, c’est-à-dire délivré de cette portion brillante et légère du public qui en faisait l’ornement et l’embarras : de ces gens du bon ton, de ces jeunes officiers, de ces magistrats oisifs, de ces petits-maîtres charmants qui savent tout sans avoir rien appris, qui regardent tout sans rien voir et qui jugent de tout sans rien écouter. Ces marquis seront placés dans l’éloignement où il convient qu’ils soient de Nérestan, d’Achille et de Châtillon. »

La renommée du café Procope s’est presque éteinte aujourd’hui. C’est un café comme un autre. Sous le second Empire, vers 1860, « tandis que M. Coquille, le rédacteur du Monde, lisait ou réfléchissait au café Procope, sous le médaillon de Diderot, dit M. Ad. Perreau, il pouvait être troublé parfois, dans ses méditations, par la voix accentuée d’un jeune homme qui entrait, continuant fougueusement une conversation entamée à la table d’une pension voisine, parlant de tout, discutant tout, répliquant à tout avec une volubilité, un feu, une énergie vibrante qui entraînait, échauffait, remuait les plus indifférents autour de lui. On l’appelait Gambetta, sans soupçonner toute la portée que ce nom devait avoir dans un avenir prochain… La bohème littéraire, assez nombreuse alors, montait de temps à autre, les jours d’opulence ou de crédit audacieux, l’escalier de Procope et s’attablait dans la petite salle du premier étage. Vallès, les cheveux et la barbe incultes, la lèvre inférieure épaisse d’amertume, présidait ce cercle de réfractaires, comme il les a appelés avec sa voix d’orgue et sa mine de bouledogue hargneux. »

Le propriétaire actuel du café Procope y montre orgueilleusement encore la table de Voltaire. Mais nous vivons dans une époque incrédule, et on a vendu si souvent la canne de Voltaire, que nous n’osons trop affirmer l’authenticité du meuble en question.