Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Juif de Carrion (Rabbi don Santo, connu sous le nom de)


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Juif de Carrion (Rabbi don Santo, connu sous le nom de), un des plus remarquables poëtes espagnols du xive siècle. On ne connaît la date précise, ni de sa naissance, ni de sa mort ; on sait seulement qu’il vivait au temps du roi don Pèdre. Ce nom de Rabbi don Santo n’est, du reste, qu’une corruption de son nom véritable, Rab sem Tom, que les Espagnols ont adopté en y ajoutant le don (Rab don sem Tom). Dès le xve siècle, le marquis de Santillane le nommait parmi les premiers poëtes espagnols antérieurs à son temps. Dans la Lettre qu’il écrivit au roi de Portugal sur les Origines de la poésie, il dit, parlant du siècle antérieur : « En ce temps vivait un Juif appelé Rabbi Santo ; il écrivit de très-bonnes choses, entre autres des Proverbes moraux renfermant, en vérité, des maximes recommandables. Il passe, aux yeux des nobles personnes, pour un grand troubadour, et il a pris soin de dire lui même :

Non vale el azor menos
Por nascer en vil nio,
Nín los exemplos menos
Por los decir Judio. »

(Le faucon n’a pas une moindre valeur pour naître dans un vil nid ; les exemples ne valent pas moins pour être dits par un Juif). Santillane était au-dessus des préjugés de son temps. Le Juif de Carrion n’abjura sa foi que fort tard ; on en trouve la preuve dans ses œuvres mêmes, et, cependant, elles semblent si profondément pénétrées du sentiment chrétien, que Sanehez et, d’après lui, Moratin, dans leurs savantes études sur la vieille poésie espagnole, ont cru devoir partir de là pour douter qu’il pût être l’auteur de quelques-unes. Ils ont cru à des interpolations, plusieurs œuvres du même temps se trouvant réunies dans le même manuscrit. Le plus récent historien des Juifs d’Espagne, don José Amador de los Rios, a fait justice de ces hypothèses singulières et rendu au Juif de Carrion ce qui lui appartenait légitimement. Las trois œuvres qui l’ont fait parvenir à la postérité sont les Conseils et enseignements, ces proverbes moraux dont parle Santillane, la Doctrine chrétienne et la Danse générale des morts. Ces deux derniers ouvrages ont été seuls écrits après sa conversion. Le Grand Dictionnaire a donné un article bibliographique sur la Danse générale, la plus importante, la plus originale de ces compositions, quoique probablement Rabbi Santo l’ait imitée du vieux troubadour limousin Carbonel ; il y a ajouté des traits piquants sur la corruption particulière à la société espagnole. Les Conseils et enseignements, dédiés au roi don Pèdre, sont un recueil de proverbes en petits vers ; on ne peut douter de leur authenticité, car, dès les premières strophes, le poëte s’exprime ainsi :

Senor rey, noble, alto,
Oid este sermon
Que vos dice don Santon
Judio de Carrion.

(Monseigneur le roi, noble, élevé, écoutez ce discours que vous fait don Santo, Juif de Carrion.) Il avait pris ce surnom de Juif de Carrion de la petite ville de Carrion de los Condes, en Vieille-Castille, où il était né sans doute. Ce recueil, plein d’idées chrétiennes, inspiré, ce semble, par la Bible, est plein de préceptes sur la vanité des choses humaines, le néant des plaisirs, des richesses, de l’ambition, de l’avarice. Il lui manque d’être coordonné et de faire un tout complet. La Doctrine chrétienne est plus originale comme forme ; ce poëme, écrit en strophes d’une vigueur singulière, dans cette langue à peine formée, est le résumé d’un catéchisme chrétien ; la première partie traite du Credo ; divers interlocuteurs, saint Pierre, saint Jean, saint Jacques, saint André, en récitent tour à tour une strophe ; puis viennent les Dix commandements, les Vertus théologales, les Péchés capitaux, les Œuvres de miséricorde, les Sacrements, les Cinq sens, et le poëte termine par des conseils sur les Travaux mondains. C’est un ensemble assez vaste. Comme les Conseils et enseignements, ce poëme est dédié au roi don Pèdre. Les érudits espagnols se sont fatigués à l’étudier et à le commenter, ainsi, du reste, que toutes les œuvres du Juif de Carrion, si précieuses au point de vue de la langue et de la versification espagnoles. On conjecture qu’il fut écrit vers 1360.


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