Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/GIOTTO (Ambrogiotto ou Angiolotto DI BUONDONE, dit), célèbre peintre florentin

Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1265).

GIOTTO (Ambrogiotto ou Angiolotto di Buondone, dit), célèbre peintre florentin, né à Colle, près de Vespignano, en 1276, mort à Florence en 1336. Il était pâtre et gardait un troupeau de moutons lorsqu'un hasard heureux le fit rencontrer par Cimabué ; le peintre florentin fut étonné des singulières dispositions de cet enfant, qui traçait d'instinct des esquisses pleines de naturel, avec du charbon ou de la craie ; il s'intéressa au petit berger, l'emmena avec lui et lui apprit à peindre. L'élève ne tarda pas à surpasser le maître.

Giotto est un des plus vastes et des plus brillants génies qui aient illustré l'art de peindre. Non-seulement il transforma la méthode, les procédés, le style de ses devanciers, mais il créa un idéal nouveau ; il introduisit dans l'art le mouvement, l'expression, la passion, la vie ; à la roideur et à l'âpreté des formes byzantines, il substitua des grâces, des élégances inconnues ; il remplaça les vêtements aux plis réguliers, monotones, par des draperies disposées suivant le sexe, l'âge et l'attitude de ses personnages. En un mot, il consulta la nature, ce modèle incomparable que l'on avait perdu l'habitude de regarder.

Giotto fut l'ami de Dante : ces deux puissantes intelligences étaient faites pour se comprendre. Le poëte célébra, dans sa Divine comédie, le talent de l'artiste ; l'artiste fit un superbe portrait du poëte et s'inspira de ses conceptions pour quelques-unes des fresques dont il décora une chapelle de la Vierge, connue sous le nom de l'Arena, à Padoue.

Cette décoration, l’œuvre la plus considérable qui nous reste de Giotto, comprend une série de compositions dont les sujets sont tirés de l’Évangile. Dans le nombre, se trouve la Résurrection de Lazare ; c'est une des plus belles pages de ce magnifique poëme. Le Jugement dernier, qui est peint au-dessus de la porte d'entrée de la chapelle, n'est pas moins admirable ; le Christ y apparaît dans sa gloire ; les anges font sonner, aux quatre coins du ciel, leurs trompettes redoutables. Les morts étonnés sortent de leurs tombeaux. Lucifer, portant sur un corps colossal une triple tête, comme l'Hécate antique, attend, au milieu des flammes, les coupables voués aux supplices éternels. Et, pour faire contraste à ces horreurs, des enfants s'élancent joyeusement de leurs petits cercueils, pour aller jouer sur les gazons fleuris du céleste jardin ; d'autres tendent leurs mains à leurs mères à demi ressuscitées.

De pareilles œuvres étaient bien faites pour exciter l'enthousiasme. Les princes se montrèrent jaloux de posséder des peintures de l'illustre artiste. Les Polentani de Ravenne, les Malatesta de Rimini, les Este de Ferrare, les Castruccio de Lucques, les Visconti de Milan, les Scala de Vérone, voulurent tour à tour se l'attacher. Dans chacune de ces villes, Giotto laissa des chefs-d’œuvre ; il travailla également à Florence, où l'on admire encore ses superbes peintures de l'église Santa-Croce ; à Assise, où sont quelques-unes de ses meilleures fresques, et à Rome, où l'appela Boniface VIII. On a dit aussi qu'il se rendit à Avignon, à l'appel de Clément V ; mais s'il est vrai que l'invitation lui ait été adressée, il ne semble pas moins prouvé que le grand artiste ne fit pas le voyage de France. La mort du pape l'empêcha de l'entreprendre. Toutefois, on montre dans le palais des papes, à Avignon, des fresques remarquables, qui sont attribuées à Giotto.

Trop indépendant pour s'asservir à aucun maître, Giotto fut un véritable apôtre de l'art, empressé à porter partout la bonne nouvelle de la régénération dont il était lui-même le promoteur.

Le roi Robert d'Anjou le fit venir à Naples et le combla de distinctions, Il aimait les saillies de cet esprit âpre et frondeur, qui avait les coudées franches chez les protecteurs les plus orgueilleux. Le voyant peindre un jour, par une chaleur accablante, il lui dit : « Si j'étais à ta place, Giotto, je me donnerais un peu de relâche. — Et moi aussi, si j'étais roi, » repartit l'artiste.

Une autre fois : « Puisque rien n'est impossible à tes pinceaux, peins-moi donc mon royaume, » demandait le même prince, d'un ton malicieux. Quelques instants après, revenant dans l'atelier, il reçut des mains de l'artiste un tableau sur lequel était peint un âne couvert d'un bât fort usé, flairant, avec un air d'avidité niaise, un bât tout neuf placé à ses pieds. C'était une caricature spirituelle et énergique à l'adresse des Napolitains, toujours empressés de changer de roi, et qui, après comme avant, demeuraient bâtés.

L'histoire ne dit pas quelle réflexion cette peinture inspira au roi de Naples.

Voici le jugement porté sur Giotto par M. H. de La Borde : « Lorsque Giotto s'empara du champ de l'art, ce fut pour en reculer dès les premiers jours les limites et pour y implanter une doctrine toute nouvelle. Avec Giotto, tout s'agrandit, se développe, se régénère. La nature, dont on osait à peine simuler les aspects strictement immobiles, est étudiée et reproduite jusque dans les violences du mouvement et du geste. Pour la première fois, d'autres personnages que les hôtes du ciel interviennent dans la composition d'une scène religieuse et en généralisent la signification, soit par la vraisemblance extérieure des types, soit par l'élévation de la force des sentiments que résument ces figures sans nom historique, sans consécration de sainteté. Pour la première fois, l'image tout humaine des vertus ou des passions, des grandeurs de l'âme ou de ses faiblesses, se mêle à la représentation des choses surnaturelles ; pour la première fois, enfin, la recherche du beau pittoresque se combine avec l'emploi de l'élément dramatique. Sans renoncer, tant s'en faut, à idéaliser la vérité, le pinceau veut et sait désormais en analyser toutes les conditions et en aborder toutes les faces... Ce qui caractérise principalement l'admirable organisation de Giotto, c'est l'universalité de ses aptitudes ; c'est cette faculté, propre aussi au génie de Dante, de tout sentir, tout comprendre, tout exprimer, depuis la sombre image du désespoir jusqu'aux douleurs qui ont des larmes, depuis les emportements criminels jusqu'à la paix sereine de l'âme, jusqu'à ses plus chastes tendresses... Partout une incroyable souplesse d'imagination et de style, partout le don de s'assimiler les contraires, de scruter avec une égale certitude les passions qui tourmentent ou qui dégradent l’âme humaine et les sentiments qui en sont l'honneur ; partout, enfin, l'art de traduire en termes aussi simples que décisifs les vérités ou les beautés, quelles qu’elles soient, d'en résumer le sens, d'en imiter sincèrement les formes... On l'a dit avec raison : « Giotto régénéra l'art en y apportant un principe nouveau, la bonté, sans laquelle le génie même est impuissant à obtenir l'amour. »

Outre les innombrables fresques dont il enrichit les diverses villes d'Italie que nous avons nommées, Giotto peignit une foule de tableaux portatifs, disséminés aujourd'hui dans les musées et les galeries les plus célèbres de l'Europe. Il ne fut pas seulement le premier peintre de son temps, il rivalisa d'habileté et de science avec les meilleurs architectes, en donnant les plans du campanile qui se dresse, si élégant, si pur, si délicat, à côté de la cathédrale de Florence, et il sculpta de sa propre main deux des bas-reliefs qui ornent cet édifice.

Il s'occupait de ce dernier ouvrage lorsqu'il fut frappé par la mort, le 8 janvier 1336. Il n'était âgé que de cinquante ans.

Giotto fut le chef d'une école nombreuse, qui s'étendit dans toute l'Italie et où se distingua, entre autres, Taddeo Gaddi de Florence.