Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CINQ-MARS (Henri COIFFIER DE RUZÉ, marquis DE)

Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 2p. 315-316).

CINQ-MARS (Henri Coiffier de Ruzé, marquis de), favori de Louis XIII, deuxième fils du maréchal d’Effiat, né en 1620. À l'âge de dix-huit ans, il fut placé auprès du roi par Richelieu, autant pour amuser ses loisirs que pour le surveiller. Bientôt sa société devint indispensable à ce prince mélancolique et maladif, et lui-même, qui n'avait d'abord ressenti que les ennuis de son rôle, songea à en recueillir les avantages, à s’emparer de l'esprit du roi et à se rendre indépendant du cardinal, auquel il était asservi. Il fut nommé successivement capitaine aux gardes, maître de la garde-robe et grand écuyer de France (d'où vint qu’on ne le désignait plus à la cour que sous le nom de M. le Grand). Assuré de son ascendant, il sollicita le titre de duc et pair, une place au conseil et l'autorisation d'épouser Marie de Gonzague, princesse de Mantoue, dont il était aimé. Mais Richelieu, qui voulait un instrument et non point un rival, fit échouer tous ses projets et lui reprocha durement sa présomption et son ingratitude. S'il faut même en croire les mémoires du marquis de Montglat, il le gourmanda comme un valet, le traitant de petit insolent. Blessé dans ses ambitieuses prétentions, dans sa dignité, dans son orgueil, Cinq-Mars ne s'occupa plus que des moyens de se venger. Ce malheureux enfant entreprit follement de renverser le terrible cardinal. Il s'attacha à irriter de plus en plus le roi contre lui, et forma enfin une conjuration dont les principaux chefs étaient avec lui Gaston d'Orléans, frère du roi, et le duc de Bouillon. De coupables négociations furent ouvertes pour obtenir l'appui de l'Espagne et un traité fut signé avec cette puissance par l'entremise de Fontrailles. Richelieu était instruit de tout et il n’attendait pour agir que d’avoir une copie du traité, ce qu’il obtint par le nonce de Madrid. Il mit alors cette copie sous les yeux du roi, qui, lui-même, fit arrêter Cinq-Mars à Narbonne, où il 1'avait appelé, en même temps que son ami de Thou, qui connaissait le complot sans y prendre part et qui fut jugé coupable parce qu’il ne l'avait point révélé. Richelieu, qui était à Tarascon, remonte le Rhône en traînant ses deux victimes dans une barque remorquée par la sienne, et les livre à Lyon à une commission de juges à sa dévotion, parmi lesquels figuraient le fameux Laubardemont et le conseiller Pierre Séguier. Le lâche Gaston, qui s’était hâté de brûler l'original du traité, avoua tout pour obtenir son pardon du roi, chargea ses amis et certifia véritable la copie de Richelieu. Cinq-Mars et de Thou furent condamnés à mort et décapités à Lyon le 12 septembre 1642. Cinq-Mars avait vingt-deux ans. M. Alfred de Vigny a composé un roman plein d'intérêt sur ce tragique épisode : Cinq-Mars ou une Conjuration sous Louis XIII.

Cinq-Mars ou une Conjuration sous Louis XIII , roman d’Alfred de Vigny (Paris, 1827). Dans ce récit, dont la conspiration et la mort de Cinq-Mars ont fourni le cadre, l'auteur a voulu peindre avant tout la grande figure de Richelieu. Le portrait qu’il a fait de ce ministre, qui avait des sicaires pour les victimes obscures et des juges vendus pour la noblesse, est vrai selon 1’art et l’histoire. C'est bien là l’homme vu de près et pris sur le fait ; mais c’est surtout Richelieu dans ses jours de haine et de colère, Richelieu organisant le meurtre ou l'espionnage avec le père Joseph et avec Laubardemont. Toutefois, en mettant surtout en saillie le mauvais génie de Richelieu, il ne lui ôte rien de sa grandeur réelle. Le même homme qui vient d'ordonner tout à l'heure un assassinat dans l'ombre paraît en public et se montre à l’Europe avec une véritable grandeur et un éclat majestueux. On le voit, maître du secret de toutes les cours, à l’armée, sous la cotte d'armes, gagnant et préparant des victoires, et envoyant Louis XIII se battre dans la mêlée comme un obscur capitaine, pour le dédommager de sa nullité dans les conseils. Voilà tout Richelieu : c’est un portrait achevé, où la donnée historique n’est nullement altérée par la fiction du poëte. Le caractère de Louis XIII est également bien rendu ; c’est bien là cette figure étrange et morne, un fils de Henri IV qui envoie à la mort ses amis les plus dévoués, et qui, maître de la France, est l’esclave de Richelieu. Alfred de Vigny a admirablement rendu cette opposition du maître qui commande et du maître qui obéit. Il y a dans ce livre des scènes d'une haute valeur historique. Citons, entre autres, celle où Richelieu, sur le refus du roi de signer un arrêt de mort, se retire, abandonnant Louis XIII à lui-même. Il est là, ce malheureux prince, seul dans son cabinet, au milieu de dépêches dont il ne connaît pas le secret, de notes mystérieuses qu’i1 faut interpréter. Que faire ? Le roi se dépite, tente de se révolter, puis se hâte de mander Richelieu. Qu'importe que quelques têtes encore roulent sous la hache ? le repos royal ne vaut-il pas quelques gouttes de sang ? La figure de Cinq-Mars est nettement dessinée. Peut-être pourrait-on reprocher à A. de Vigny un peu d'indécision dans le portrait de de Thou ; mais, malgré cette légère critique, Cinq-Mars est un des meilleurs romans historiques qu’ait produits notre littérature.

Cinq-Mars et de Thou conduits à Lyon pour être décapités, célèbre tableau de Paul Delaroche. V. Richelieu.