Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CANOVA (Antoine), statuaire italien

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 1p. 285).

CANOVA (Antoine), statuaire italien, né le 1er novembre 1757, au village de Possagno, dans la province de Trévise, mort à Venise en 1822. Fils d’un artisan, il fut tailleur de pierre dès son enfance. Son intelligence et surtout son assiduité au travail intéressèrent en sa faveur un sénateur vénitien, Jean Faheri, qui le plaça chez un certain Torreti, sculpteur de Bassano, qui transporta bientôt son atelier à Venise. Les leçons que Canova reçut de ce maître et de son continuateur Ferrari, tout aussi médiocre, ne lui apprirent guère que les procédés matériels de l’art. Quant à l’art proprement dit, il n’eut pour maître que lui-même et la nature. Les premiers morceaux où il fit pressentir à quelle hauteur il s’élèverait un jour furent les groupes d’Orphée et Eurydice, et de Dédale et Icare. Déjà célèbre à Venise, il partit, en 1779, pour Rome, où il étudia avec passion les chefs-d’œuvre antiques et où il exécuta un grand nombre d’ouvrages qui mirent le sceau à sa renommée : Thésée vainqueur du Minotaure ; le Mausolée de Clément XIV (Ganganelli) ; le groupe de l'Amour et Psyché ; Vénus et Adonis ; la Madeleine pénitente ; Psyché ; Hébé ; Hercule précipitant Lycos ; les Trois Grâces ; Mars et Vénus ; Terpsychore ; la Naïade s’éveillant au son de la lyre ; Pâris, etc. Déjà l’Europe était pleine du bruit de son nom, et ses voyages en Allemagne, en France et en Angleterre, furent de véritables triomphes. Les artistes l’accueillaient avec enthousiasme ; les princes l’accablaient de commandes et voulaient tous le fixer dans leurs États. Napoléon l’appela deux fois à Paris pour exécuter divers travaux ; mais le maître se montra mécontent de la statue colossale où l’artiste l’avait représenté entièrement nu, tenant à la main une petite statuette de la Victoire ; et, tout en rendant justice au mérite de l’œuvre, défendit qu’on l’exposât en public. Cette haute critique a été ratifiée par le sentiment général. Ces réminiscences singulières de l’antique étaient d’ailleurs familières à Canova. Il a représenté la princesse Pauline Borghèse en Vénus victorieuse ; l’impératrice Marie-Louise en déesse de la Concorde ; la princesse Elisa en Polymnie : Washington en consul romain, etc.

Canova fit un troisième voyage à Paris en 1815, voyage qui rappelle d’amers souvenirs. Il était muni des pouvoirs du pape pour réclamer les objets d’art enlevés par nos victoires à sa patrie. Cette mission pénible, dans laquelle il fut aidé par les forces militaires des ennemis, impressionna défavorablement le public, et il fut surnommé l’Emballeur du musée. Ce que l’histoire blâme ici, ce n’est pas la présence de Canova à cette juste restitution ; tous les coups de canon du monde ne sauraient faire que le lion de Saint-Marc n’appartienne pas à la cité de Venise, les vierges de Raphaël à Rome, et l’Assomption de Murillo à l’Espagne ; mais ce que l’on doit justement reprocher à Canova, c’est l’âpreté et la morgue qu’il mit à surveiller lui-même l’emballage.

Au reste, les faveurs de la cour romaine le dédommagèrent largement de la désapprobation française. Il fut nommé marquis d’Ischia, comblé de richesses et d’honneurs, et vit son nom inscrit sur le Livre d’or du Capitole. Vers la fin de sa carrière, il consacra une partie de sa fortune à l’érection d’un temple dans Possagno, sa patrie, dont il fut lui-même l’architecte et le sculpteur, mais que la mort l’empêcha d’achever.

Les qualités les plus saillantes de cet artiste furent la grâce, le fini de l’exécution et la pureté des contours. Ses théories artistiques, aussi bien que son style, subirent d’ailleurs plusieurs modifications dans le cours de sa carrière. À l’époque où il était dans tout l’éclat de sa gloire, il s’inspirait surtout des Grecs et professait que le beau dans les arts doit consister à reproduire la nature en l’idéalisant. Son œuvre est immense, et ne comprend pas moins de cent soixante-seize morceaux. Les plus remarquables, après ceux que nous avons cités, sont : Vénus sortant du bain ; Endymion endormi ; Ajax et Hector ; Persée ; la Paix ; Vénus et Mars ; la Religion victorieuse ; Adonis et Vénus ; les bas-reliefs de Socrate buvant la ciguë ; la Mort de Priam ; le Retour de Télémaque ; des mausolées ; des bustes, etc.

Peu d’artistes ont joui de leur vivant d’une réputation égale à celle de Canova ; mais cette gloire a été singulièrement effacée par le temps, et aujourd’hui il n’en reste que quelques vestiges. Ce qui demeure, c’est le souvenir de son faste et de sa ridicule fatuité. À l’époque de son apogée, il avait, à l’instar des souverains, son lecteur ordinaire ; pendant ses heures de travail, ce fonctionnaire, relégué dans un coin, déclamait histoire et poésie, et quand une image frappait l’artiste, il traduisait sur-le-champ son impression en bas-relief ou en ronde bosse. C’est en cela surtout que Canova se distinguait de Phidias et de Michel-Ange, qui trouvaient tout simplement en eux-mêmes l’inspiration. La gloire lui montait à la tête ; il s’enivrait de cet argenteuil comme d’un vin de Chypre ; c’est ainsi qu’il composa lui-même ses propres armoiries : Une lyre et un serpent, monogramme d’Orphée et d’Eurydice. Le temple qu’il essaya d’édifier dans son pays natal était, en quelque sorte, dédié à lui-même. La première pierre de ce monument fastueux fut posée le 11 juillet 1809, et il avait soin de célébrer pompeusement, chaque année, l’anniversaire de ce grand jour.