Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BERRY (Marie-Caroline-Ferdinande-Louise DE BOURBON, duchesse DE)

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 2p. 611).

BERRY (Marie-Caroline-Ferdinande-Louise de Bourbon, duchesse de), fille du roi Ferdinand Ier, née à Naples en 1798, morte en avril 1870. En 1816, elle fut mariée au duc de Berry, neveu de Louis XVIII et 2e fils du comte d’Artois (depuis Charles X). Plutôt gracieuse que belle, passionnée pour les plaisirs et les arts, d’une grande vivacité d’esprit et d’une bienveillance affable, qui faisaient oublier ses négligences d’éducation et ses pétulances enfantines, elle charma la cour de France et s’attacha le cœur un peu volage de son époux. À vingt-deux ans, le poignard de Louvel la rendit veuve. On dit que, dans sa douleur romanesque, elle coupa sa chevelure, d’un blond mythologique, que les poëtes ont célébrée et que le duc aimait avec passion. Elle portait depuis deux mois dans son sein un dernier et tardif rejeton de l’antique race de Hugues Capet. Cet enfant posthume reçut, à sa naissance, le surnom d’Enfant du miracle, et le corps diplomatique lui donna celui d’Enfant de l’Europe. Dès lors commença l’existence politique de la duchesse de Berry. Cependant, elle n’essaya point de prendre un rôle dans les affaires de l’État, cherchant seulement à se rendre populaire par des voyages dans les provinces, par l’éclat de ses fêtes et par ses libéralités. Quand la révolution de Juillet eut brisé l’avenir de son fils et la fortune des Bourbons, elle suivit Charles X dans l’exil ; mais la résignation ne pouvait convenir à cette âme ardente et aventureuse, qui se laissa entraîner bientôt vers les résolutions désespérées, par les obsessions de ses partisans, par son ambition maternelle, par ses illusions de femme et de princesse, et peut-être aussi par les effervescences de l’orgueil blessé et par le regret amer d’une puissance évanouie. Abusée par son ignorance du temps et des hommes, séduite par la légende poétisée de ces Vendéens qui avaient tenu tête à la grande République, par la croyance à une France royaliste qui n’existait plus, elle résolut de tenter une restauration par les armes, parcourut d’abord une partie de l’Europe sous un incognito mal déguisé, fréta, en 1832, le navire le Carlo-Alberto, et débarqua sur la côte de Marseille dans la nuit du 29 avril. Ses débuts dans la guerre civile furent rudes et tristes. Elle attendit le jour au bord de la mer, mal protégée contre les brises nocturnes par un manteau d’homme. Un grand mouvement royaliste devait, lui avait-on dit, signaler son arrivée dans le Midi ; mais tout se réduisit à une tentative insignifiante de quelques fidèles à Marseille. Alors, elle se dirigea vers la Vendée, sans prendre pour ainsi dire la peine de se cacher. Tout le monde savait qu’elle était en France ; mais les populations restaient calmes et indifférentes. Les sommités du parti légitimiste, prévoyant un dénoûment funeste et ridicule tout à la fois, s’épuisèrent en efforts infructueux pour faire changer de résolution à la princesse, qui se montra inébranlable dans sa folie romanesque, digne des héroïnes de la Fronde. Fascinée par son idée fixe, elle avançait toujours vers l’Ouest, à la poursuite de l’insaisissable mirage d’une armée de Vendéens ou de chouans, ne se doutant point qu’elle allait elle-même révéler, par un insuccès éclatant et prévu, la faiblesse réelle de son parti et détruire dans les esprits la fiction, habilement entretenue jusque-là, d’une Vendée et d’une Bretagne royalistes toujours prêtes à s’armer contre la France de la Révolution. Les chefs, MM. de Charette, d’Autichamp, de Bourmont, etc., n’étaient pas partisans d’une prise d’armes immédiate ; mais l’expérience et les prévisions de ces militaires durent céder à l’enthousiasme impérieux de la princesse, qui, d’ailleurs, ne ménagea point sa personne au milieu des hasards de cette malheureuse équipée. Malgré une proclamation pompeuse, qui débutait par une réminiscence historique (Ouvrez à la fortune de la France ! ), les paysans ne s’armèrent point pour le petit-fils de Henri IV ; une poignée de braves livra le combat du Chêne, et le parti royaliste fut abattu d’un seul coup, au moment même où la royauté de Juillet triomphait à Paris d’un mouvement autrement formidable, celui des républicains de Saint-Merri. Madame erra d’asile en asile, promenant partout ses espérances et son opiniâtre énergie, mais dut, enfin, se réfugier à Nantes, dans la mystérieuse retraite que ses amis lui avaient préparée. Elle y demeura cinq mois, employés par elle à la plus active correspondance. La police désespérait presque de la découvrir, lorsque le secret de son asile fut vendu à M. Thiers (500,000 fr., d’autres disent 100,000) par un juif converti, Simon Deutz, mêlé aux complots légitimistes, et qui avait la confiance de la princesse. Le misérable partit pour Nantes, à la fois surveillé et assisté par la police, et obtint deux entrevues de sa confiante victime. Comme il sortait de la dernière, l’autorité, avertie par lui, investit la maison ; mais après les perquisitions les plus minutieuses, on ne trouva personne. Madame et ses confidents avaient eu le temps de se blottir dans un réduit obscur pratiqué derrière la plaque mobile d’une cheminée, et dont Deutz ignorait l’existence. Ils y restèrent seize heures, mais se livrèrent eux-mêmes, à demi étouffés par du feu que les gendarmes, qui occupaient la maison, avaient allumé par désœuvrement (6 novembre). Jusque-là toutes ces aventures avaient une couleur d’héroïsme qui en couvrait le côté extravagant. Les malheurs de la duchesse de Berry ne commencèrent réellement qu’avec sa captivité au château de Blaye, où elle fut gardée d’abord par le colonel de la Chousserie, puis par le général Bugeaud. La malheureuse princesse était destinée, comme dénoûment à son aventureuse odyssée, à boire jusqu’au fond le calice de honte et d’amertume ; et le gouvernement de Louis-Philippe tira d’elle une vengeance dont l’immoralité a été justement flétrie. Au mois de janvier, on apprit que la captive était atteinte de malaises significatifs, qui firent soupçonner une grossesse. Des médecins furent envoyés, et bientôt il ne resta plus aucun doute. Elle-même, pressée par sa situation, se résigna à déclarer qu’elle s’était mariée secrètement en Italie au comte Lucchesi-Palli. Peu touché d’une position aussi pénible, le gouvernement, au lieu de garder le silence et de renvoyer à Palerme cette ennemie vaincue et désormais impuissante, donna à sa déclaration la publicité du Moniteur, employa tous les moyens pour arriver à une constatation publique de la grossesse, si bien que l’accouchement eut lieu en présence de témoins et qu’un procès-verbal en fut dressé. Louis-Philippe n’avait plus dès lors aucun parti politique à tirer de son infortunée parente, qu’il renvoya humiliée et brisée à Palerme. Depuis, elle a vécu dans la retraite, privée, par son second mariage, de sa qualité de régente et de toute importance politique dans son parti. On lui enleva même alors la direction de l’éducation du jeune Henri. Son époux est mort en 1864.