Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BARRAS (Paul-Jean-François-Nicolas, comte DE), conventionnel, président du Directoire

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 254-255).

BARRAS (Paul-Jean-François-Nicolas, comte de), conventionnel, président du Directoire, né à Fox-Amphoux (Var) en 1755, mort à Chaillot en 1819. Sa famille était une des plus anciennes du Midi. On disait proverbialement : noble comme les Barras, aussi anciens que les rochers de la Provence. Il servit dans l’infanterie de marine, fit la campagne de l’Inde sur l’escadre de Suffren et se distingua au combat de la Progua et en diverses autres rencontres. Quelques différends avec le ministère le déterminèrent à donner sa démission. De retour en France avec le grade de capitaine, il dissipa, dit-on, son patrimoine dans les plaisirs, adopta avec modération les principes de la Révolution, s’unit aux patriotes de son pays lors des élections pour les états généraux, puis vint à Paris, où il assista à la prise de la Bastille et aux affaires des 5 et 6 octobre. Il ne montrait pas, d’ailleurs, une grande ardeur révolutionnaire. On le voit même figurer parmi les témoins à charge dans la procédure instruite par le Châtelet contre les auteurs des journées des 5 et 6 octobre. Bientôt cependant il s’affilia aux jacobins, remplit quelques fonctions publiques, et fut élu par son département député à la Convention nationale. Il y vota lu mort du roi, sans appel ni sursis, reçut, en octobre 1793, avec plusieurs de ses collègues, la mission de réduire Toulon, eut une grande influence sur la conduite des opérations militaires qui ont amené la reprise de cette ville, et distingua le capitaine d’artillerie Bonaparte, qu’il chargea des principales attaques. Il eut part d’ailleurs aux terribles répressions qui suivirent la victoire. Cependant il acquit une grande popularité dans ces contrées, puisque, seul avec Fréron, il fut nominativement excepté des plaintes portées par quatre cents sociétés populaires du Midi contre les représentants qui y avaient été en mission. Ce fait, il faut en convenir, serait de nature à faire soupçonner un peu d’exagération dans les accusations portées contre lui. Barras ne fit plus parler de lui jusqu’au 9 thermidor. Il reçut, dans cette journée, le commandement en chef des troupes dirigées par la Convention contre la Commune : la vigueur qu’il déploya, le rapide succès qu’il obtint, furent l’origine de sa puissance. Successivement secrétaire et président de la Convention, membre du comité de sûreté générale, il ne prit qu’une faible part à la réaction ; on le vit même défendre la mémoire de Marat, demander des mesures sévères contre les émigrés, et provoquer la célébration de l’anniversaire de la mort de Louis XVI. Il commanda encore les troupes de la Convention, dans les journées de germinal et de prairial, contre le parti populaire, et, le 13 vendémiaire, contre les royalistes. Dans la matinée de ce dernier jour, il se fit seconder par Bonaparte, alors en disgrâce, et dont il favorisa ainsi une seconde fois la fortune. Il le fit nommer, le lendemain, général en chef de l’armée de l’intérieur, À l’organisation du Directoire exécutif, Barras en devint membre. C’est encore par son influence que le jeune général fut placé à la tête de l’armée d’Italie (Carnot, il est vrai, a revendiqué pour lui-même le mérite de ce choix). Barras était, parmi les cinq directeurs, celui qui conservait le plus fidèlement les traditions révolutionnaires du régime conventionnel, ce qui lui donnait une grande popularité ; aussi put-il facilement accomplir le coup d’État du 18 fructidor, à la suite duquel il se trouva investi, pour ainsi dire, de la suprême dictature, sous le nom de président du Directoire. En même temps, par une singularité qui n’est pas le seul contraste qu’on rencontre dans la vie du fameux directeur, il était, dans le gouvernement, le protecteur secret des anciens nobles, le patron des gens d’affaires et des fournisseurs, qui l’enrichissaient de cadeaux et de pots-de-vin. Ses goûts fastueux, sa vie de plaisir et ses vices de grand seigneur le rendaient d’ailleurs le point de mire de toutes les tentatives de séduction. Bientôt un nouveau parti modéré se forma parmi les directeurs, et de même que Barras avait renversé Carnot et Barthélémy, de même il se débarrassa de Treilhard, Merlin de Douai et La Réveillère-Lepeaux par le coup d’État du 30 prairial an VII. Mais, cette fois, on lui associa Sieyès, qui devait l’absorber lui-même. On raconte qu’à cette époque Louis XVIII fit tâter Barras pour le rétablissement du trône légitime, et que celui-ci parut s’y prêter, mais qu’il fut surpris par les événements du 18 brumaire. Cette intrigue est restée un des faits les plus obscurs de l’histoire. Ce qu’il y a de positif, c’est que Barras fut opposé au coup d’État de Bonaparte, et qu’il attendit le lendemain, alors que tout était consommé, pour donner sa démission. Il se retira dans sa propriété de Gros-Bois, refusant des ambassades qu’on lui proposait. Contraint de s’exiler, il partit pour Bruxelles. Il soupçonnait Sieyès de n’être point étranger à l’ostracisme qui l’atteignait. Dans une lettre de l’an XI, où il demande à rentrer, on lit ces mots : « Le gouvernement doit connaître ma conduite, et doit aussi être conséquemment éclairé sur les calomnies de ce vilain prêtre. » En 1805, il obtint d’habiter Marseille. Il y resta jusqu’en 1813, époque où des soupçons de manœuvres royalistes le firent expulser. Il était à Rome, sous la surveillance d’un commissaire de police, lorsque les événements de 1814 arrivèrent. Revenu à Paris, et consulté par MM. de Blacas et Dandré sur la marche du gouvernement royal, il leur répondit avec franchise : « Vous perdez le roi ; vous ramènerez nos calamités et Bonaparte, » ce qui eut lieu. À la seconde restauration, il fut excepté de la loi qui bannissait les régicides (exception assez caractéristique), et il continua à vivre absolument étranger à la politique. Barras était d’une haute stature et doué d’une physionomie très-agréable. Il avait une certaine habitude des affaires, mais peu d’instruction. Il est resté le type de cette société du Directoire, composée des débris de l’ancienne société, et qui ramenait, avec les habitudes élégantes et fastueuses de la monarchie, les mœurs de la régence et les scandales financiers qui renouaient les traditions des anciens contrôleurs généraux. Homme sans caractère et sans principes, mais non sans énergie, plongé dans la vie épicurienne des grands seigneurs d’autrefois, enrichi par ses complaisances vénales envers les fournisseurs, il offre d’ailleurs une des physionomies les plus curieuses de cette époque de décadence, où la République déviait rapidement vers les formes de la monarchie, dont le nom était encore l’objet de l’exécration générale. Aristocrate, et cependant ennemi de l’aristocratie ; ambitieux fatigué du pouvoir, dont il escomptait avidement les profits ; très-attaché, sinon aux principes de la République, au moins à ses formes officielles, et se prêtant à des négociations secrètes avec Louis XVIII, peut-être pour attirer ce prince dans un piège, peut-être aussi pour profiter de l’événement quel qu’il fût ; déclamant contre l’ancien régime et en restaurant les scandales et les abus, jusqu’à attirer au palais du Luxembourg et à faire fouetter par ses laquais un journaliste qui l’avait blessé, et se tirant ensuite de cette affaire par une grosse somme d’argent, etc. Méprisable sous tant de rapports, l’ex-directeur montra quelque dignité sous le règne de Napoléon, qui lui devait en partie sa fortune et qui le paya de persécutions. C’est avec raison qu’il put se vanter de n’avoir point porté la livrée du tyran. Enfin, comme dernier contraste, après avoir embrassé le parti de la République par intérêt, il mourut républicain à la fin de la restauration, quand la République était depuis longtemps oubliée. Et cependant, alors, il n’avait pas cessé de conserver quelques relations avec les royalistes. Il a laissé des mémoires qui, restés jusqu’à présent en dépôt dans la famille de Saint-Albin, vont être prochainement publiés.