Grammaire de l ornement/Chap XVI

Day & Son, Limited-Cagnon (p. 99--).

Chapitre XVI. — Planches 66, 67, 67*, 68, 69, 69*, 70, 71, 72, 73.
ORNEMENTS MOYEN-ÂGE.
Feuilles et Fleurs Conventionnelles, prises de manuscrits de différentes périodes.

Collection de Bordures, prises de manuscrits enluminés, à partir du 9ème jusqu’au 14ème siècle.

Diaprés de Murs, pris de miniatures de manuscrits enluminés, à partir du 12ème jusqu’au 16ème siècle.

Vitraux Peints de différentes Périodes et de différents Styles.
1, 5, 
6, 8. Église d’Attenberg, près de Cologne.
3. 
Église de Southwell, Comté de Nottingham.
2, 4. 
Chapitre de la cathédrale d’York.
7. 
Transept du nord de la cathédrale d’York.
9, 11. 
Cathédrale de Soissons.
10. 
St. Thomas, Strasbourg.
13. 
Cathédrale de Troyes.
14. 
Cathédrale de Cantorbery.

Vitraux Peints de différentes Périodes et de différents Styles.
12, 17. 
St. Cunibert, Cologne.
15. 
Cathédrale de Cantorbery.
16, 26. 
Abbaye de St. Denis.
18-24, 
26, 27, 29. Cathédrale de Bourges.
28. 
Cathédrale d’Angers.

Carreaux Encaustiques. 13ème et 14ème siècle.

Manuscrits Enluminés, No. 1.

Les Nos. 1-12 sont du 12ème siècle ; le No. 13 est du 13ème siècle. Les Nos. 12 et 13 sont pris des Illuminated Books of the Middle Ages. — Humphreys.

Les autres ornements de cette planche sont pris du musée Britannique.

Manuscrits Enluminés, No. 2.

13, 14. — 13ème siècle. 1, 3-6, 8-11. —  14ème siècle. 2, 7, 12, 16. — 15ème siècle.

1, 2, 3, 7, 8, et 16, pris des Illuminated Books of the Middle Ages ; 15, pris d’un manuscrit dans la possession de l’auteur.

Les autres ornements sont pris du musée Britannique.

Manuscrits Enluminés, No. 3.

Manuscrits du 15ème siècle. 11-15, pris des Illuminated Boots of the Middle Ages.

Les autres ornements sont pris du musée Britannique.
ORNEMENTS MOYEN-AGE.

On peut facilement tracer la transition de l’arc en plein cintre, qui caractérise le style roman, au style gothique du treizième siècle, dans les bâtiments où ces deux styles sont mêlés ; mais il n’en est pas de même de la transition de l’ornement roman à celui qui était en vogue au treizième siècle. Toute trace de la feuille d’acanthe a disparu, et l’on trouve, en général, un style d’ornement purement conventionnel, dans les bâtiments de cette époque. L’ornementation qui se rapproche le plus du style roman, se trouve dans les manuscrits enluminés du douzième siècle, laquelle paraît avoir emprunté aux manuscrits grecs, quelques-uns de ses traits caractéristiques. Les ornements s’y composent d’une


Style ogival du 15ème siècle. Wells. Collins

Église de Warmington, Comté de Northampton.W. Twopeny.

Église de Warmington, Comté de Northampton. W. Twopeny.

Style gothique décoré. Wells. Collins.

tige continue qui se termine par une fleur, et du côté extérieur de la quelle s’élancent des feuilles. La disposition générale et l’arrangement des lignes sur un espace quelconque y est exactement semblable à l’arrangement des ornements sculptés du style ogival du treizième siècle.

Comme principe et comme exécution, les ornements du style ogival du 13ème siècle sont les plus parfaits de tous ceux de la période gothique. On y trouve autant d’élégance et de raffinement dans les modulations de la forme qu’on en trouve dans les ornements grecs. Ils sont toujours en parfaite harmonie avec les parties de la structure qu’ils sont appelés à décorer et s’en élancent toujours naturellement. En un mot, ils remplissent toutes les conditions que nous désirons trouver dans un style parfait de l’art, mais ils ne possédèrent cette perfection qu’autant qu’ils restèrent conventionnels. À mesure qu’ils devinrent moins idéalisés et qu’ils trahirent la tendance d’imiter plus fidèlement la nature, ils perdirent leurs beautés particulières, et cessèrent d’être une ornementation pour les différentes parties architecturales des édifices qu’ils devaient décorer ; ils n’en firent plus partie, pour ainsi dire, et ne devinrent que des ornements appliqués sur une surface architecturale.

Dans les chapiteaux des colonnes du style ogival du 13ème siècle, les ornements s’élancent directement


Pris de l’Église de Stone, comté de Kent. Publié par la Société Topographique.

du fût, et se divisent au-dessus du gorgerin en une série de tiges, dont chacune se termine par une fleur ; ce qui est analogue au mode de décoration des chapiteaux des colonnes égyptiennes. Dans le style décoré, au contraire, où l’architecte a tenté une imitation plus fidèle de la nature, il ne lui a plus été possible de traiter la feuille comme faisant partie du fût ; et par conséquent il a été obligé de terminer le fût par une campane, autour de laquelle s’enroulaient les feuilles. Plus l’artiste s’est avancé dans cette voie d’imiter de près la nature, plus l’arrangement de sa composition a perdu de son caractère artistique.

La même chose arrive à l’égard des bosses qui couvraient l’intersection des côtes. Dans les bosses sur les voutes du style ogival du 13ème siécle, les tiges des fleurs formant les bosses étaient une continuation des moulures des côtes, tandis que dans les périodes subséquentes les intersections des côtes furent cachées par les bosses elles-mêmes, qui devinrent des ornements appliqués sur la colonne, comme l’était la feuille d’acanthe sur la campane du chapiteau corinthien.

Dans les tympans des arcs, tant qu’on s’en tint au traitement conventionnel de l’ornement, une tige mère vigoureuse serpentait sur le tympan, de la quelle s’élançaient des feuilles et des fleurs ; mais lorsqu’on en vint à tenter d’imiter la nature, la tige cessa de constituer la forme de l’ornement, et perdit toute sa grace par la tentative de l’artiste de vouloir reproduire avec de la pierre la douceur de l’objet naturel. La tige mère comme caractère principal de l’ornementation, disparait par degré, et nous voyons souvent les tympans couverts de trois immenses feuilles s’élançant d’une tige torse placée au centre.

Nous ne pouvons, à l’aide du petit nombre de ruines qui existent encore des décorations de l’intérieur des bâtiments, former une idée exacte de ce genre d’ornement du treizième siècle. Les ornements des manuscrits enluminés ne sauraient nous servir de guides, car après le douzième siècle le style y est rarement architectonique ; de plus il y avait un si grand nombre d’écoles différentes d’enluminations, qui empruntaient tellement l’une de l’autre, qu’on trouve souvent dans la même enlumination un mélange de différents styles. Il n’est pas probable que, pendant que les ornements sculptés étaient généralement traités d’une manière conventionnelle, les décorations du même bâtiment ne le fussent point.


Pris de la Cathédrale de Wells. Collins.

Nous donnons sur la planche LXVII., un choix des bordures qui se trouvent sur les manuscrits enluminés exécutés à partir du neuvième siècle jusqu’au quatorzième ; et sur la planche LXVIII., des diaprés de murs pris principalement des fonds des enluminations exécutées à partir du douzième siècle jusqu’au seizième. Il n’y a qu’un bien petit nombre d’ornements de l’une ou de l’autre classe qui soient dignes d’être associés au pur ornement conventionnel du style ogival du treizième siècle.

C’est pendant le treizième siècle que l’architecture atteignit le point culminant de la perfection. Les mosquées du Caire, l’Alhambra, les cathédrales de Salisbury, de Lincoln, et de Westminster, possèdent tous la même qualité : le secret de combiner l’effet général le plus large avec la décoration la plus élaborée. Tous ces édifices possèdent entre eux une certaine ressemblance : quoique leurs formes diffèrent beaucoup les unes les autres, elles ont pour bases les mêmes principes. Ils trahissent les mêmes soins à l’égard des masses principales de la composition, la même appréciation des ondulations de la forme, le même respect rigide pour les principes naturels de l’ornementation, la même élégance, et le même raffinement dans toutes les décorations.

Ce serait vainement, il faut le dire, qu’on tenterait de reproduire de nos jours un bâtiment du treizième siècle. Des murs blanchis, des vitraux peints et des carreaux encaustiques, ne peuvent seuls soutenir l’effet qu’on arrivait à produire, lorsque chaque moulure avait la couleur qui convenait le mieux au développement de sa forme, et que du plancher jusqu’au toit, il n’y avait pas un pouce d’espace qui n’eût son ornement convenable — effet qui devait être d’une magnificence au-delà de toute imagination. En un mot l’architecture avait atteint une telle perfection, qu’elle s’épuisa par les efforts qu’elle avait faits d’y parvenir, — la lumière finit par s’éteindre : non seulement l’architecture, mais tous les arts décoratifs qui en dépendent commencèrent immédiatement à entrer dans une période de décadence, — décadence qui ne s’arrête jamais avant l’extinction complète du style.

On verra dans les exemples des carreaux encaustiques reproduits sur la planche LXX. que ceux qui appartiennent à l’époque la plus ancienne, tels que les numéros 17 et 27, produisent l’effet le plus large et qu’ils sont le mieux adaptés au but qu’ils devaient remplir. Quoique dans ce genre d’ornements la décadence n’allât pas assez loin, pour qu’on y tentât des imitations de relief, cependant nous pouvons voir dans le No. 16 quelque chose approchant la représentation des formes naturelles des feuilles, ainsi qu’un déclin très prononcé dans les patrons, tels que ceux du No. 23, où se trouvaient représentés des réseaux de fenêtre et les parties architecturales de bâtiments.

La planche LXVI. contient une grande variété de feuilles et de fleurs traitées d’une manière conventionnelle, prises de manuscrits enluminés. Quoiqu’un grand nombre parmi elles soient fortement enluminées dans l’original, nous les avons reproduites en deux couleurs seulement, pour montrer combien il est possible de représenter en diagramme le caractère général des feuilles. En adaptant ces feuilles ou ces fleurs à une tige en forme de volute, on produirait autant de styles différents, en apparence, qu’il y a d’ornements sur la planche, styles dont le nombre pourrait être encore augmenté par la combinaison de différentes variétés de feuilles ou de fleurs ; et si, à cela on ajoutait le traitement conventionnel d’une feuille ou d’une fleur quelconque, en suivant le même principe, il n’y aurait point de limites à la puissance inventive de l’artiste.

Nous avons taché de rassembler sur les planches LXXI., LXXII., LXXIII., les types des divers styles d’enlumination ornementale à partir du douzième siècle jusqu’à la fin du quinzième, et ils trahissent, dès les premiers, une décadence visible. Les ornements de la lettre N, planche LXXI., ne sont surpassés par aucun des exemples des styles subséquents que nous avons reproduits ; ils remplissent le but véritable de l’enlumination, et représentent, sous tous les rapports, le style pur de l’écriture ornée. La lettre elle-même forme l’ornement principal, de laquelle s’élance une tige mère qui, s’élevant hardiment de la base, s’élargit en une grande volute, exactement au point le plus convenable pour amener un contraste gracieux avec la ligne angulaire de la lettre ; contraste, qui est admirablement soutenu par la volute verte qui embrasse la partie supérieure de la lettre N et l’empêche de tomber ; cette dernière volute est si admirablement proportionnée qu’elle peut soutenir la volute rouge qui s’en élance. Les couleurs, aussi, sont balancées et contrastées de la manière la plus admirable ; et nous pouvons tirer une leçon utile de la manière dont la rotondité des tiges est exprimée, sans qu’il y ait une tentative réelle à produire un relief. Il existe un nombre immense de manuscrits enluminés dans ce style, que nous considérons comme le plus beau parmi les différents styles d’enlumination. Ce style possède certainement, dans son ensemble, le caractère oriental, et il a été probablement un développement de l’enlumination des Byzantins. Son adoption universelle exerça une grande influence, ce nous semble, sur l’ornementation du style ogival du treizième siècle, qui suit exactement les mêmes lois dans la distribution générale de la forme.

Ce style, par suite d’une répétition constante, perdit graduellement les beautés particulières et la convenance qu’il avait tirées de l’inspiration première ; les enroulements devinrent trop petits et trop élaborés, comme nous le voyons dans le No. 13 de la même planche et emmenèrent l’extinction de ce style. Nous n’y trouvons plus la même balance de la forme, nous n’avons que les quatre séries d’enroulements se répétant de la manière la plus monotone.

À partir de cette époque les lettres initiales cessent de former l’ornement principal de la page, mais le texte se trouve entouré de bordures qui courent autour de la page, comme au No. 1, planche LXXII., ou flanqué d’un côté d’ornements en queue comme aux numéros 9, 10, 11, 42. La bordure acquiert graduellement une importance de plus en plus grande ; au lieu de la forme vignette qu’elle avait généralement d’abord, elle arrive graduellement, au genre du No. 15, pour finir avec celui des numéros 7 et 2, où les contours extérieurs sont entourés d’une ligne rouge tandis que le fond est couvert de tiges et de fleurs intermédiaires, de manière à produire une tinte uniforme. Le No. 8 est le spécimen d’un style qui était très en vogue dans le quatorzième siècle ; il est d’un caractère très architectonique et se trouve généralement sur de petits missels et autour de très belles miniatures.

On pourra facilement tracer à l’aide des numéros 9, 10, 11, la marche graduelle qui eut lieu à partir de l’ornement conventionnel à teintes plates des numéros 13 et 14, jusqu’à la tentative de reproduire le relief des formes naturelles qu’on trouve sur les numéros 15, 7, 2. On remarque aussi un abandonnement graduel de la continuité des tiges mères, et quoiqu’on puisse encore tracer dans les numéros 15, 7, 2, chaque fleur ou chaque groupe de fleurs jusqu’à sa racine, l’arrangement général est rompu et fragmentaire.

Jusqu’à cette époque les ornements des enluminations sont encore du ressort du scribe ; ils sont d’abord dessinés avec les contours en noir, puis coloriés, mais nous verrons, planche LXXIII., que le peintre commença à usurper la place du scribe ; et plus nous avancerons, plus nous verrons qu’on semble s’éloigner davantage du but légitime de l’enlumination. Le No. 5 nous présente le premier pas dans cette direction ; nous y voyons un arrangement géométrique produit à l’aide d’ornements conventionnels entourant des panneaux dorés, sur les quels sont peints des groupes de fleurs traités d’une manière légèrement conventionnelle. Dans les numéros 6, 7, 8, 9, 10, 15, nous voyons des ornements conventionnels entremêlés de fleurs naturelles arrangées d’une manière fragmentaire. L’abandonnement de toute continuité dans la composition nous amène au No. 11 où nous voyons une fleur naturelle et un ornement conventionnel sur la même tige, puis aux numéros 12 et 13, où le peintre, maître de la position, donne l’essor à son imagination, et représente des fleurs et des insectes dont l’ombre se réfléchit sur la page. L’art de l’enlumination une fois arrivé à ce point ne put aller plus loin dans la voie de la décadence, — il n’y avait plus rien d’idéal, — et il s’éteignit dans le désir de représenter un insecte avec une fidélité telle, qu’on pût le prendre pour un insecte véritable s’abattant sur la page.

Les numéros 1, 2, sont des spécimens d’un style particulier, qu’on trouve dans les manuscrits italiens ; c’est une rénovation qui eut lieu au quinzième siècle du système d’ornement si en vogue dans le douzième siècle. Elle donna naissance au style du No. 3, où le patron formé d’entrelacs, était fortement colorié sur un fond d’or. Ce style s’éteignit de la même manière que le précèdent ; les entrelacs qui d’abord formaient des dessins purement géométriques, devinrent des imitations de branches naturelles, et nécessairement, ce point une fois atteint, le style ne put aller plus loin.

Il paraît y avoir une plus grande affinité entre les ornements des vitraux peints et ceux des manuscrits enluminés, qu’entre les premiers et les ornements sculptés des monuments de la même période ; et de même que les ornements des manuscrits enluminés, ceux des vitraux peints paraissent toujours devancer les ornements de structure. Par exemple : les vitraux peints du douzième siècle possèdent la même largeur d’effet, et sont construits de la même manière que les ornements sculptés du treizième, tandis que les vitraux peints du treizième, décèlent déja, selon nous, un état de décadence. Il s’est opéré le même changement que nous avons déja indiqué, en comparant le No. 13 au No. 12 de la planche LXXI.

La répétition constante des mêmes formes conduit graduellement à une surabondance d’ornementation dans les détails, d’où il résulte que l’effet général en souffre considérablement ; et les ornements sont hors de proportion avec les masses générales. Or, comme c’est une des beautés les plus caractéristiques du style ogival du treizième siècle, que l’ornement y est en un parfait accord, quant à la grandeur relative et à l’effet, avec les membres du bâtiment qu’il décore, cela paraît un fait curieux, si toutefois c’est un fait. Tous les ornements de la planche LXIX. et de la planche LXIX*., à partir du No. 12 jusqu’au No. 28 sont du douzième siècle ; les numéros 3 et 7 sont du treizième, et les numéros 1, 2, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, sont du quatorzième. L’effet général de ces planches prouve ce que nous avons avancé ; on peut s’en convaincre en y jetant un simple coup-d’œil.

Nous trouvons toujours dans les vitraux peints du douzième siècle la mise en pratique de tous les principes qui appartiennent, comme nous l’avons montré, à un vrai style d’art. Nous n’avons besoin que de signaler au lecteur la manière tout ingénieuse dont les lignes perpendiculaires, les obliques et les courbes sont balancées et contrastées entre elles, dans tous les diaprés.

Les numéros 2 et 4 nous donnent un exemple d’un principe très généralement suivi, dont le caractère est tout-à-fait oriental : — le fond des vitraux est couvert d’un dessin continu qui forme une couleur, laquelle s’entrelace avec un autre dessin général qui couvre toute la surface.

Les numéros 1, 5, 6, 8, quatorzième siècle, nous offrent un exemple du commencement du style tendant à l’imitation directe de la nature, lequel finit par négliger tous les principes qu’on doit suivre dans la peinture sur verre. Les ornements et les figures, à travers lesquels la lumière devait passer, sont ombrés par l’artiste, dans sa tentative d’en faire des représentations copiées fidèlement d’après nature.