Gilles de Rais dit Barbe-Bleue/pieces justificatives 3

III
Mai 1446.
LETTRES DE GRÂCE ACCORDÉES PAR CHARLES VII À ROGER DE BRICQUEVILLE, COMPLICE DE GILLES DE RAIS.
(Transcription orig. aux archives nationales, reg. JJ 177, fo 154, vo, et fo 155)[1].

Charles etc. Savoir faisons etc. Nous avoir receu humble supplicacion de Rogier de Briqueville, chevalier, puisné filz de feu Guillaume de Briqueville, en son vivant aussi chevalier et seigneur du chastel de Launé, en nostre pais de Normandie, contenant que, des ce qu’il estoit en l’aage de cinq ans ou environ, ses pere et mere et autres ses parens et amys delaisserent et habandonnerent du tout nostredit pais a l’occasion de la guerre et entreprises des Anglois, noz anciens ennemis et adversaires qui lors descendirent en nostredit pais, leurs terres, seigneuries, possessions et chevances qu’ilz avoient tres belles, grandes et notables autant que nobles du pais, de leur estat, povoient avoir, et dont leurs predecesseurs, ou temps passé, avoient acoustumé vivre soubz nous grandement et honnourablement : et se retrahirent, partie du temps ou pais d’Anjou et autre partie es pais de Bretaigne et de Poictou, pour illec vivre et nourrir ledit suppliant et autres leurs enfans, ainsi qu’ilz ont fait, en grant petitesse de biens, eu regard a leur estat et a ce qu’ilz avoient acoustumé avoir au temps passé et lorsqu’ilz joissoient de leursdictes terres, seigneuries et possessions. Et, depuis que ledit suppliant fut en aage de povoir chevauchier et servir, par aucuns de sesdiz parens et amys fut baillé a feu René, sire de Rays, derrain decedé[2], duquel il estoit prouchain parent, pour le servir ; lequel le nourrit par aucun temps et jusques a ce qu’il fut en aage de homme, et par long temps fut avecques lui en nostre service ou fait de la guerre a l’encontre de nosdiz ennemys, lequel nostre service il a depuis toujours frequanté, fait chascun jour, a son povoir, et espere faire de bien en mieulx ou temps a venir : pendant et durant lequel temps qu’il fut et se tint ou service dudit sire de Rays, qui l’avoit ainsi nourry, icellui sire de Rays, auquel, a l’occasion de sadite nourriture, lui convenoit estre subgiect et obeissant sans l’oser desdire ne contrarier de sa voulenté en nulle maniere, mesmement qu’il estoit lors jeune escuier de petit entendement, le contraigny et le charga a lui administrer et envoyer a ses places plusieurs enfans, lesquelz, et autres qu’il povoit avoir et recouvrer, il faisoit deffaire, occire et murdrir, cuidant parvenir a aucune mauvaistié et dampnables choses, par lui emprises, ainsi qu’il congneut et confessa comme l’en dit. Desquelles choses et omicides desdits enfans ne savoit riens ledit suppliant lors, mais bien en fist apres doubte, et par ce incontinant delaissa la compaignie et service d’icellui sire de Rayz, lequel, cinq ans[3] ou environ apres qu’il eut ainsi delaissié, fut lui et autres ses complices pris et pugniz par justice pour lesdiz cas. Et, ainsi que ledit suppliant a entendu, fut par eulx aucunement chargés et dit avoir esté participant d’iceulx malefices en administrant, comme dit est, partie desdiz enfans ainsi occiz et murdriz ou autrement. À l’occasion desquels cas et malefices, dont a ceste cause il pourroit estre ou avoir esté chargié, ledit suppliant doubte requerir de justice lui estre rigoureuse et que, a ceste cause, le temps a venir, on lui voulsist mectre ou donner aucun empeschement en corps ou en biens, si nostre grace ne lui estoit sur ce impartie, si comme il dit. En nous humblement requerant que, actendu l’ostel dont il est yssu, qui oncques n’eut vilain reprouche ; que lui et les siens, a l’occasion de noz guerres et service, ont relenquy et deguerpi leurs terres, biens et possessions et depuis vescu povrement ; les peines et neccessitez qu’ilz ont eues en nostredit service ; que ledit suppliant estoit serviteur et parent dudit sire de Rays qui l’avoit nourry longtemps, par quoy il estoit craintif de sa desobeissance ; la jeunesse en laquelle lors il estoit, et que ledit suppliant d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche ne fut jamais actaint ou convaincu d’aucun : plaise icelle nostre grace lui impartir. Pour quoy, nous, ce consideré, voulans misericorde preferer a rigueur de justice, audit Rogier de Briqueville, suppliant, avons quicté, remis, pardonné et aboly et, par ces presentes, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, quictons, remectons, pardonnons et abolissons, etc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Donné a Razilly[4], près Chinon, ou mois de may, l’an de grace mil CCCC XLVI, et de nostre regne le XXIIIIe.

Ainsi signé : Par le roy, vous, l’evesque de Magalonne, les sires de la Varenne et de Perrigny et autres plusieurs presens. De la Loere.

Visa. Contentor. S. Duban.


  1. Document indiqué par notre savant confrère et ami, M. Siméon Lure, professeur à l’École des Chartes, membre de l’institut. (R. M.)
  2. Il y a là une erreur matérielle. René de Rais vivait encore en 1446. Il s’agit évidemment de Gilles de Rais : la suite du texte le prouve surabondamment.
  3. Toutes ces affirmations sont inexactes. Roger de Briqueville ne quitta Gilles de Rais qu’au dernier moment et se sauva avec G. de Sillé. Mais on voit qu’en France, six ans plus tard, il vivait encore dans des transes continuelles.
  4. Razilly, commune de la Celle-Guénand (Indre-et-Loire).