Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 6 - §1

CHAPITRE VI


MAIN-D’ŒUVRE, DIRECTION ET ADMINISTRATION


§I. —- Personnel de la construction.

Les collèges ou corporations d’artisans. — La question du travail manuel dans l’antiquité, la question ouvrière, comme nous disons aujourd’hui, est une des plus intéressantes que l’historien et l’archéologue puissent se proposer d’étudier, mais elle est aussi une des plus complexes. Je ne veux donc ici que l’effleurer, n’ayant pour but que de donner une idée de ce qu’a pu être, dans les travaux publics des premiers siècles de l’empire, et par suite dans la construction des aqueducs de Lyon, la répartition entre le travail libre, le travail des esclaves, le travail de l’armée, et enfin celui des indigènes obtenu par réquisition.

Aux beaux temps des républiques anciennes, à Rome aussi bien qu’à Athènes et dans les diverses cités de la Grèce, à l’exception pourtant de Sparte, le travail libre fut respecté et même en honneur. Les premiers législateurs d’Athènes l’avaient encouragé, en le faisant valoir comme un moyen légitime d’arriver au pouvoir dans la cité. Thémistocle le considérait comme le premier principe de la puissance extérieure de sa patrie[1]. À Rome, la création de collèges d’artisans, au temps de Numa, était apparue comme le plus solide fondement d’une organisation pacifique, et ces collèges devinrent très vite nombreux et florissants. Un moment troublée par la réaction guerrière qui suivit cette période, l’institution fut remise en vigueur par la nécessité où se trouvèrent les citoyens romains, environnés d’ennemis, de s’adonner de concert au perfectionnement de leurs armes et de leur équipement, militaire, et aussi de se suffire à eux-mêmes pour tous les besoins de la vie. Cependant, une fois victorieux et maîtres de l’Italie, enrichis, pourvus d’esclaves, les Romains, tout comme les Athéniens après la grande époque d’activité patriotique, abandonnèrent autant que possible aux esclaves la peine du travail manuel. Mais tous n’étant pas assez riches pour en avoir, le fossé fut de ce fait creusé plus profond entre les classes sociales. Tandis que, placés entre les patriciens et la plèbe, les chevaliers s’enrichissaient par le trafic, le menu peuple, en face de la concurrence du travail servile, dut lutter âprement pour vivre, suscitant par son existence besogneuse, quelquefois sordide, l’orgueilleux dédain, non seulement des riches oisifs, mais des meilleurs hommes d’Etat. C’est Cicéron lui-même qui dans le De Officiis, assimile à un vil esclave le simple artisan: « Opifices omnes sordida arte versantur : nec enim quidquam ingenuum habere potest officina[2]. »

Cependant, faibles et misérables isolément, ces artisans, groupés en collèges, devenaient une force vivace, avec laquelle l’Etat devait compter. Entre les membres de chaque collège régnait, une union étroite, fondée sur la communauté des occupations, des habitudes et surtout du culte et des habitudes religieuses. Solidaires aussi entre elles par la similitude des intérêts, ces corporations exerçaient dans les comices une vigoureuse influence, adroitement entretenue ou prudemment ménagée par les tribuns, souvent redoutable aux patriciens. Leur importance politique avait été consacrée, vers le milieu du iiie siècle avant Jésus-Christ, par leur répartition en deux centuries, qui, selon Tite-Live, votaient dans les comices avec la première classe des citoyens romains : privilège évident, puisque les centuries de la première classe votaient les premières. Malgré les prohibitions dont elles furent souvent l’objet de la part des grands, les corporations. se maintinrent : d’abord parce qu’elles étaient indispensables au recrutement de l’armée, d’une armée industrieuse comme le voulait l’admirable génie romain. C’est dans leurs rangs que se recrutaient les ouvriers des légions (fabri aerarii, fabri tignarii), c’est-à-dire charpentiers, forgerons, armuriers, qui entretenaient le matériel de guerre, construisaient les machines ; maçons et terrassiers, qui bâtissaient : les ponts, creusaient les tranchées et les mines de sièges ; formant un corps à part, analogue au génie de nos armées modernes et sous les ordres comme sous la juridiction du praefectus fabrum[3]. Incorporés dans les manipules de la légion, ils constituaient par l’encadrement cette force particulière des troupes romaines, qui, ayant toujours le moyen d’atténuer par une industrie rapide et habile leurs avaries matérielles, n’étaient jamais entièrement désemparées[4].

On conçoit, que l’organisation hiérarchisée et disciplinée de ces corporations[5] formât des cadres tout prêts pour tous les travaux publics. De plus, les partis politiques, les factions diverses trouvaient dans leur appui une grande force, et cherchaient à les attirer de leur côté plutôt qu’à les combattre. Elles abusèrent d’ailleurs de cette puissance et furent souvent des foyers de sédition. Cicéron[6] osa prononcer leur suppression, Clodius les fit rétablir[7]. Dissoutes une seconde fois par Jules César, elles surent, au moyen d’exceptions habilement obtenues, se maintenir en partie[8], puis se reformer peu à peu comme auparavant; si bien qu’Auguste dut rééditer la même mesure, se bornant, à conserver celles dont rétablissement était reconnu de longue date comme légitime[9]. Claude dut encore revenir à la charge. Au fond, le pouvoir n’était hostile qu’à celles qui, sous couleur d’associations professionnelles, n’étaient que des sociétés secrètes et des foyers d’opposition. Les collèges sérieux, sincèrement appliqués à conserver et à perfectionner, leur industrie, durent toujours subsister par tolérance, malgré les mesures décrétées. Finalement, les empereurs, pour pouvoir en même temps profiter de leurs services et enrayer leurs empiétements, prirent le parti de les placer sous leur autorité immédiate, en se proclamant eux-mêmes, en tant que chefs de la religion, les souverains pontifes de tous les collèges, fondés en effet sous un patronage religieux[10].

Mais les difficultés ne furent complètement aplanies que par Hadrien[11] qui, par un trait de maître, d’institutions libres qu’ils étaient, les transforma en corps officiels de l’Etat. Tous ceux qui pouvaient rendre des services directs dans les travaux publics furent divisés en cohortes organisées sur le modèle de celles de l’armée. « Ad specimen legionum militarium fabros, perpendiculatores (géomètres et arpenteurs), architectos, genusque cunctum exstruendorum moenium seu decorandorum, in cohortes centuriaverat[12]. » Désormais ces corporations furent à la disposition des magistrats pour les travaux en régie, qui devinrent ainsi bien plus fréquents qu’auparavant. Ce ne fut pas un service gratuit mais il fallut accepter chaque fois la rétribution qu’il plaisait à l’Etat d’accorder, et de plus, se transporter aux lieux où il plaisait également à l’État, c’est-à-dire au prince, de faire exécuter un travail. En retour de cette liberté aliénée, des immunités furent accordées à ces collèges, non seulement à Rome, mais aussi dans les provinces : entre autres l’exemption du service militaire et de toutes les impositions extraordinaires[13] ; ensuite vinrent des concessions de terre (fundi dotales)[14]. D’abord restreints à quelques corporations, ces privilèges s’étendirent finalement à l’ensemble[15].

Entrepreneurs et ingénieurs. — Sous la République, le système de l’adjudication était de règle pour les travaux publics. Le censeur, avec l’autorisation du Sénat, les affermait à des entrepreneurs (mancipes, redemptores operum), qui appartenaient souvent à la classe des chevaliers et qui étaient, soit isolés, soit organisés en compagnie. Ces entrepreneurs avaient à leur service des familles d’esclaves, mais ils faisaient appel aussi au concours des ouvriers libres fournis par les corporations ; celles-ci, du reste, eurent, de bonne heure comme adjoints plus ou moins affiliés à leur organisation, des esclaves travaillant en qualité de manœuvres, et qu’elles engageaient avec leur personnel libre dans le contrat, de travail passé avec les entrepreneurs. Ceux-ci traitaient également avec des architectes ou ingénieurs, appartenant, ou non à des corporations et qui étaient chargés de la direction technique du travail. L’entrepreneur, s’il était lui-même architecte, ce qui devait être assez fréquent, prenait cette direction[16].

Les ingénieurs n’étaient pas dans leur ensemble distingués des architectes[17] ; les fonctions étaient communes en général et l’appellation unique : architecti. Il y avait cependant parmi eux des personnalités fort différentes : des esclaves, des affranchis et des hommes libres, de condition parfois même assez relevée. Ce titre ne désignait pas toujours non plus un emploi supérieur, mais les emplois supérieurs n’en comportaient pas d’autres. À certaines spécialités s’appliquaient des appellations distinctes : mechanici, machinatores, gromatici, mensores, libratores, etc. Parmi les ingénieurs, les uns étaient entièrement indépendants, d’autres groupés en collège ; d’autres, les esclaves, soumis à un maître, à une cité ou à l’État, ou plus tard, au prince. Beaucoup étaient incorporés dans les légions[18]. À mesure que progressa la centralisation impériale, il semble qu’on ait employé de moins en moins pour les travaux publics les architectes indépendants, aussi bien dans les provinces qu’à Rome, le système des travaux en régie ayant alors généralement prévalu.

Dans le système de l’adjudication, un cahier des charges, fort détaillé, était imposé à l’entrepreneur, qui, d’autre part, devait faire les avances de fonds (altro tributa)[19]. Comme le travail devait être à la livraison contrôlé par le censeur ou tel autre magistral commis à cet effet, l’entrepreneur était obligé de fournir un garant (praes), qui s’engageait à payer les travaux nouveaux si les premiers étaient manques. L’État se donnait, une double garantie en grevant aussi d’une sorte d’hypothèque les biens mêmes de l’entrepreneur (Praedia mancipis subsignabanlur apud censorem)[20].

Magistrats chargés des travaux publics. — Le censeur, chargé en même temps des finances et des travaux publics, s’occupait de tous ces règlements : souvent des fonds spéciaux lui étaient remis en vue d’un travail d’utilité publique déterminé[21]. Il exerçait d’ailleurs un contrôle continu sur les opérations de l’entrepreneur, et si l’ouvrage était important, prenait un grand intérêt à sa réussite, à laquelle il considérait comme engagée sa propre réputation. C’est ainsi que pour se réserver la gloire d’avoir achevé les premiers grands aqueducs de Rome, Appia et Anio vetus, qui avaient été entrepris sous eux, les censeurs Appius Claudius, d’une part, Curius Dentatus, de l’autre, firent en sorte que le Sénat prolongeât la durée de leurs magistratures[22]. Quant à la Marcia, elle fut, par exception, comme on sait, conduite dans la ville par l’initiative d’un préteur[23], Marcius Rex, qui dut aussi, en vue du même but, solliciter une prolongation de pouvoirs tout à fait anormale.

Il y eut une période de transition, au dernier siècle de la République, où. parmi les autres services de travaux publics, l’administration des eaux, tout en demeurant en principe du domaine des censeurs, fut transmise parfois aux édiles, plus rarement et pour une part, aux questeurs[24].

Dans les provinces, c’étaient les magistrats des villes, les duumvirs, qui sous le contrôle des décurions, affermaient les travaux publics. Un des documents les plus importants qui nous restent, sur ces adjudications, et par conséquent sur celles des censeurs qui servaient évidemment de modèles, est la «  lex puteolana parieti faciundo »[25], contrat rédigé par les magistrats de Puleoli (Pouzzoles), et qui dicte minutieusement à l’entrepreneur toutes les conditions d’établissement d’une simple muraille. Cela prouve une fois de plus combien, dans la forte organisation romaine, l’action de l’autorité s’exerçait puissamment sur tout ce qui était d’intérêt public.

Sous l’empire, la censure, après avoir été dépouillée, dès le début du règne d’Auguste, de la plupart de ses attributions[26], pour être réduite à un rôle à peu près purement honorifique, disparut bientôt complètement. Ses fonctions furent réparties entre un certain nombre de magistrats spéciaux, nommés par le prince, et portant le titre de curatores. Il y eut les curateurs « des lieux et travaux publics » (locorum publicorum judicandorum, aedium sacrarum operumque publicorum), — « du Tibre et des égouts » (alvei Tiberis et riparum et cloacarum urbis), — « des eaux » (aquarum), — « des routes» (viarum) ; enfin le curateur « des grains », qui eut le titre de praefectus annonae.

Le plus élevé en dignité fut le curator aquarum ; ensuite venaient les cinq curatores alvei Tiberis ; puis les curateurs des travaux publics, au nombre de deux, qui pouvaient être d’anciens préteurs, mais qui en pratique furent presque toujours choisis parmi les anciens consuls, comme ceux des deux ordres précédents : c’est la marque de la haute considération qui s’attachait à ces charges. Pour celle-ci, les empereurs, tout en laissant aux titulaires l’honneur de la fonction, et une haute autorité s’exerçant surtout dans les questions de contentieux[27], en rattachèrent peu à peu à leur propre personne les services divers, par la création d’un personnel spécial, statio operum publicorum ou statio urbana, composé surtout d’affranchis impériaux. À sa tête fut commis un procurator operum publicorum, appartenant, à l’ordre équestre. Grâce à ce personnel, beaucoup de travaux purent être exécutés en régie, et payés directement par le fisc. Au procurator et à ses employés (dispensatores, tabularii, rationales exactores, etc.), il appartint de s’entendre avec les ingénieurs, de mettre en chantier la proportion voulue d’ouvriers libres, d’esclaves publics, de prisonniers ou de condamnés[28], dérégler les achats de matériaux, les transports et les salaires ; en somme, de régler toutes les dépenses et d’assumer en grand la charge qui revenait autrefois pour chaque travail à un entrepreneur spécial.

La curatelle des eaux. — La curatelle des eaux garda toujours au contraire, un pouvoir effectif entier. Cela tient peut-être à son origine. Agrippa, étant édile, avait amené à Rome l’eau Julia (719/34). Frappé sans doute de la compétence exceptionnelle dont ce magistral avait fait preuve dans la haute surveillance de ce travail, Auguste lui décerna la fonction de curateur des eaux, à perpétuité. Agrippa lit de ce service sa chose personnelle et garda à sa disposition, uniquement pour l’entretien et la surveillance des aqueducs, une famille de 240 esclaves, sa propriété personnelle, qu’il légua plus tard à Auguste par testament[29]. Celui-ci fit don à l’État de cette famille qui devint familia publica. En même temps, il donnait un successeur à Agrippa comme curateur des eaux : ce fut Messala Corvinus. La charge était définitivement, constituée, avec des statuts officiels. Choisis parmi les principes civitatis, c’est-à-dire parmi les personnages de rang sénatorial, et consulaires, les curateurs furent en général nommés à vie, tout en ayant la faculté de se démettre, si une autre situation leur convenait mieux[30].

La familia publica fut naturellement attachée à la curatelle. Plus tard, l’empereur Claude forma, spécialement pour ce même, service, une nouvelle famille d’esclaves encore plus nombreuse, comprenant 440 hommes : on l’appela familia Caesaris. Il fallait pourvoir en effet à l’activité considérable qu’exigeait la construction des deux nouveaux aqueducs Claudia et Anio novus[31]. Le travail en fut donc exécuté directement par le corps officiel des eaux, la statio aquarum, qui comprenait — comme nous le verrons en étudiant le fonctionnement normal du service, hors des périodes de grandes constructions, — une foule d’employés de tout genre et de tout ordre, depuis l’architecte jusqu’au simple famulus. Mais il est bien évident que ce n’est pas ce personnel normal, même grossi de la nouvelle familia, qui pouvait suffire au grand travail entrepris. On fit donc certainement appel au concours des corps de métiers, à la collaboration d’ingénieurs autres que les architectes ordinaires du service, même à l’intervention d’entrepreneurs pour certains ouvrages ou pour certaines fractions du parcours. Indépendamment du témoignage de Frontin en ce qui concerne le concours des talents étrangers[32], on comprend qu’il eût été peu rationnel de garder en permanence un contingent qui, en temps ordinaire, n’aurait pas eu d’emploi.

Les membres des familiae (familia publica ou familia Caesaris)[33], étaient en principe de condition servile. Mais ceux qui s’acquittaient d’une fonction un peu plus relevée que d’autres arrivaient facilement à être affranchis. « On retenait à l’esclavage, dit Wallon[34], le degré le plus bas ; on avait affranchi le degré supérieur : les vicarii restaient esclaves, les esclaves ordinaires étaient généralement libérés. On retrouve ce mélange des deux conditions dans tous les travaux d’utilité publique : dans l’administration des eaux, dans les plomberies de l’Etat, dans les fabriques de monnaie, etc. L’élément libre y domine. »

La garnison de Rome et les travaux publics. — On ne peut savoir en aucune façon, par le texte de Frontin, si l’armée fut employée à la construction des aqueducs de Rome. À son époque, la garnison de la capitale était composée de trois des neuf cohortes prétoriennes, des trois cohortes urbaines, des sept cohortes des vigiles (chaque cohorte comprenant un millier d’hommes), et de quelques corps étrangers dont la composition varia suivant les époques. Sur ce nombre, les cohortes des vigiles, spécialement consacrées à la garde nocturne, à la protection contre les incendies, étaient réparties dans les quatorze régions de Rome, de manière à ce que chacune d’elles fît toujours le service dans deux régions[35]. On ne pouvait guère les en distraire. Mais quant aux cohortes prétoriennes et aux cohortes urbaines, bien que les premières eussent un service de garde et de parade qui devait exiger du soldat la présence instantanée sous les armes au premier appel, bien que les secondes fussent réservées à la police de la ville, il est hors de doute qu’on leur faisait exécuter certains travaux. Parmi les ingénieurs militaires signalés sur les inscriptions, plusieurs appartenaient à ces corps spéciaux, plus particulièrement aux cohortes prétoriennes[36]. Or, celles-ci étant installées la plupart du temps dans leurs camps permanents, n’ayant pas à effectuer, comme les légions, de très longues campagnes, à subir de laborieux hivernages, à fortifier les frontières, avaient assurément moins qu’elles besoin d’ingénieurs pour les travaux habituels des armées : abris, tranchées, sapes, ponts, etc. En doit-on conclure que ces architectes des cohortes fussent mis parfois à la disposition des curatores pour les travaux publics ? Je croirais plutôt que le service particulier de l’empereur suffisait à les occuper. Dans chacun de ses déplacements, celui-ci emmenait un dé lâchement de prétoriens : il leur fallait préparer l’installation, souvent compliquée et fastueuse, du souverain et de sa suite, organiser ses fêtes et ses parades : les architectes de la cohorte et les hommes de métier y étaient fort nécessaires. Même à Rome, pour certains travaux rapides du palais, c’étaient eux bien souvent qui devaient être appelés. Enfin, la garde prétorienne suivait le prince dans ses campagnes, où elle avait non seulement à combattre, mais à travailler sous ses yeux[37]. La participation des cohortes urbaines à certains travaux publics est plus probable. Toutefois, l’on n’oserait dire qu’elles aient été employées à des entreprises de longue haleine et hors de Rome, telles que la construction des aqueducs. Il semble bien aussi que si l’élément militaire avait contribué à cette construction, Frontin y aurait fait au moins une allusion.

Travaux des légions dans les provinces. — Quoi qu’il en soit, un des grands principes du commandement militaire romain était que le soldat ne devait en aucun cas, soit en campagne, soit en garnison, rester oisif[38]. Dans les provinces, surtout dans celles où de nombreux corps de troupes se trouvaient massés, ce principe était énergiquement appliqué. L’esprit turbulent de ces grandes agglomérations eût fermenté en tout temps et dangereusement sans ces occupations matérielles qui offraient un aliment à une activité avide de s’entretenir. Indépendamment de l’ambition d’apparaître comme un bienfaiteur des nations, comme un génie civilisateur, Octave, en faisant, au sortir des guerres civiles, creuser par ses légions des ports et des canaux, percer des montagnes, assécher des marais, élever des édifices, avait un but plus immédiat : conjurer la transformation de ces troupes en bandes, de ces guerriers en pillards, de la discipline en anarchie, et finalement en subordination à un autre maître. Cette politique fut suivie par ses successeurs. Le travail des légions resta le puissant dérivatif contre le relâchement de l’obéissance et la mutinerie. Quand Vitellius, après la victoire de Bédriac, lit élever par les soldats de la xiiie légion des amphithéâtres dans les villes de Bologne et de Crémone, il songeait sans doute à les allécher par l’espérance des prochains spectacles de gladiateurs qui convenaient à leurs goûts violents[39] ; mais il faisait mieux : il les occupait. S’il eût pu occuper de même les cohortes prétoriennes et les autres corps de troupes, son rival Vespasien n’eût peut-être pas régné.

« Nous retrouvons les soldats romains, dit M. Choisy[40], construisant des amphithéâtres en Afrique[41], des murailles de défense en Bretagne[42], en Égypte des tombeaux, des ponts ; des temples, des portiques, des basiliques[43]  ; en Italie, on les voit travailler aux grandes routes ; presque partout la mention de leurs travaux est accompagnée de cette curieuse observation : que les monuments furent entrepris pour occuper leurs loisirs[44]. »

C’est au séjour prolongé des légions dans les Gaules que cette province dut le magnifique réseau de grandes routes étendu jusqu’aux extrémités de son territoire, les fortifications de ses villes, les châteaux forts gardant les passages, les ponts comme ceux de Mayence, de Trêves et de Cologne aux frontières, d’Arles, de Saintes, et tant d’autres, à l’intérieur du pays. Que dire de ces gigantesques murailles de défense que les généraux ou les empereurs leur firent dresser le long des secteurs dangereux des provinces extrêmes ? César avait une première fois contenu les Helvètes par un mur de dix-neuf milles de long et de seize pieds de haut qui allait du lac Léman au Jura[45]. Drusus use du même procédé contre les Germains, Trajan contre les Daces, et Hadrien contre les Pietés, en Bretagne[46]. Ce murus Picticus s’étendit sur quatre-vingts milles de longueur, de l’embouchure de la Tyne au golfe de Solway, et ne fut achevé que par Septime-Sévère. Monuments de robuste patience, et d’utilité stratégique pourtant éphémère : un jour vint où ces travaux n’arrêtèrent plus les barbares. Tant il est vrai que tours et remparts n’ont de force que lorsque subsiste derrière eux l’union des courages dans le respect d’une autorité ferme et sûre d’elle-même !

Personnel militaire fourni aux villes pour les travaux publics. — Quelle que fût l’activité laborieuse des légions, on s’exposerait à de graves erreurs, en leur attribuant sans discernement les travaux publics dans les provinces. Les gouverneurs des provinces sénatoriales n’avaient souvent à leur disposition que quelques détachements, et dans les provinces impériales, toujours garnies de troupes, celles-ci, campées la plupart du temps non loin des frontières, ne disséminaient pas trop leurs contingents. Mais immobiliser pour un travail important des cohortes entières était autre chose que de mettre à la disposition d’une ville quelques corps spéciaux, un architecte, des hommes de métier, appartenant, soit à la légion, soit à des corps auxiliaires : une semblable délégation a dû, au contraire, être fort souvent en usage. Une disposition de loi autorisait les gouverneurs à mettre, s’il en était besoin, les troupes au service du curator operum pour la construction des temples et autres édifices publics : « Ministeria quoque militaria, si opus fuerit, ad curatores adjuvandos dare[47]. »

Ces curateurs étaient nommés par les magistrats des villes, les dédirions. Mais les empereurs, et l’on en a plusieurs exemples[48], pouvaient les nommer directement ou par l’entremise des gouverneurs des provinces, et ils relevaient alors du pouvoir central. Leur charge était de diriger ou de contrôler, dans les colonies ou municipes, l’exécution des travaux publics. Cette charge était temporaire, et plus ou moins élevée en dignité suivant l’importance de la ville, et des ouvrages à construire. Le fait relaté dans un des chapitres précédents[49] au sujet de la construction de l’aqueduc de Bougie (Saldae), ne fait pas mention d’un fonctionnaire de ce genre, mais montre que le gouverneur d’une province pouvait, sur la demande d’un magistrat dépendant de son ressort, mettre à sa disposition un ingénieur militaire pour l’étude d’un projet, et envoyer ensuite sous les ordres de celui-ci des ouvriers d’armée[50], à l’effet d’exécuter au moins une partie du travail, le reste pouvant être fait par des ouvriers locaux, groupés ou non en corporation. Dans ce dernier cas, il est naturel que la main-d’œuvre fût plus facile à trouver. Mais des documents, tels que la correspondance de Pline le Jeune avec Trajan, nous montrent assez que les villes, dans lesquelles des collèges d’artisans ne s’étaient pas formés ou avaient été dissous, recrutaient aisément néanmoins le personnel ouvrier nécessaire à leurs travaux. Il s’agit entre autres ouvrages de la construction d’un canal devant faire communiquer un lac avec la mer. «Il faut pour ce travail beaucoup de bras, écrit Pline; mais nous n’en manquons pas : la campagne est bien habitée, la ville très populeuse, et l’on peut compter que tout le monde s’empressera de travailler à un ouvrage utile à tout le monde. »[51]

Réquisition des habitants. — On pouvait d’ailleurs toujours avoir recours à la réquisition, droit qui, en pays conquis, avait existé de tout temps. En principe, les citoyens romains en étaient exempts ; mais le principe cédait fréquemment devant la nécessité ou le bon plaisir de l’empereur, et souvent, la corvée (sordidum munus) était imposée, pour un travail public urgent, à toute la population d’un canton, sans distinction d’hommes libres ou d’esclaves[52]. Dans les provinces, l’élément indigène était évidemment mis à contribution de cette manière-là, toutes les fois qu’on le jugeait opportun. Enfin, l’on avait toujours le concours obligatoire des esclaves publics, que beaucoup de villes possédaient, et au-dessous encore, pour les besognes les plus pénibles, les prisonniers et les condamnés de droit commun[53].

Part du pouvoir central aux travaux des villes. — La correspondance de Trajan et de Pline le Jeune, plusieurs fois citée déjà, met en lumière d’une façon bien intéressante la grande part que pouvait prendre le pouvoir central aux moindres travaux qui s’exécutaient dans les provinces. Le gouverneur informe le souverain d’une quantité de détails techniques et financiers. En personne, il va reconnaître des sources, des bassins, combine les grandes lignes des travaux qu’il juge utiles, avant l’arrivée de l’ingénieur constructeur ou hydraulicien, civil ou militaire que l’empereur lui a promis de lui procurer[54]. Les magistrats municipaux semblent n’avoir joué dans tout cela qu’un rôle très effacé, ou tout au moins secondaire. Le cas, il est vrai, est un peu spécial, car Pline arrivait en Bithynie avec une mission de confiance de l’empereur, pour réparer une série de désordres financiers qui avaient affecté une bonne partie des cités de cette province[55]. Aussi poussa-t-il très loin la surveillance et le contrôle des frais dans lesquels les diverses municipalités voulaient s’engager pour leurs travaux publics. Il consulte exprès l’empereur avant de donner aux Prusiens l’autorisation de réparer leurs thermes, en lui exposant le menu détail des sommes qu’ils peuvent consacrer à cette entreprise. L’ingérence probable du légat des Trois-Gaules dans toutes les affaires de la colonie lyonnaise n’a donc rien qui puisse surprendre. Cette ingérence était toujours d’autant plus accusée qu’il s’agissait de travaux plus considérables, pour lesquels une subvention était accordée par le fisc. Dans ce cas, la construction était dirigée par les agents impériaux[56]. Ce fut, à n’en pas douter, le cas des aqueducs de Lyon.

Éléments divers du personnel employé à la construction des aqueducs de Lyon. — D’après toutes ces données, s’ajoutant à ce qui a été déjà dit au début de ce livre sur le développement et le gouvernement de la cité lyonnaise, nous pouvons concevoir en effet avec de suffisant es probabilités l’organisation du travail à la construction de ses divers aqueducs.

L’élément militaire a dû toujours y collaborer. Lyon, indépendamment des grands corps de troupe qui y ont momentanément séjourné, avait une cohorte en garnison permanente[57], capable de fournir, quand il le fallait, une part de son effectif pour les travaux publics. En admettant même que son service l’ait retenue constamment tout entière dans les murs de la ville, ce qui n’est guère probable, nous avons vu que des détachements pouvaient être envoyés des légions de la province à toute réquisition du gouverneur. Il a été expliqué comment, pendant l’époque des grands mouvements et des grands travaux de troupes en Gaule sous la direction d’Agrippa, l’aqueduc du Mont-d’Or avait dû, comme les routes partant de Lyon, être l’œuvre presque exclusive des soldats, encadrant des manœuvres fournis par la population indigène[58]. L’architecte légionnaire préposé à cette entreprise a bien pu devoir une partie de son adresse technique à la présence et à l’inspiration du maître ingénieur qu’était le curateur des eaux de Rome, le constructeur des aqueducs Julia et Virgo[59]. Le personnel militaire se trouva réduit de beaucoup sans doute pour la construction du deuxième aqueduc, car les armées étaient déjà cantonnées sur la frontière germanique. Mais dans l’intervalle, des collèges d’artisans s’étaient créés dans la ville de Lyon, et l’on put faire appel à leur concours. Il en fut de même pour le troisième, l’aqueduc de La Brévenne, avec cette différence que les collèges étaient à ce moment plus nombreux encore, plus exercés et plus puissants. Quelle part ont eue les magistrats de la ville au choix du directeur des travaux, à la conduite générale de l’entreprise ? Ils ont été consultés certainement en ce qui concernait les besoins d’une eau nouvelle pour la ville, ont présenté des idées et des vœux, surtout si les finances municipales assumaient une part des frais. Mais il n’y aurait pas à s’étonner que leur concours se fût borné là, et que, décision prise d’un nouveau travail, l’administration impériale eût été dès lors seule maîtresse. C’est pour l’aqueduc du Gier surtout, construit sous Hadrien, comme tout porte à le croire, que les choses ont dû se passer ainsi. Les ingénieurs destinés à diriger le travail appartiennent à la phalange amenée par l’empereur. À leur tête est un curator operis, sous l’impulsion et sous le contrôle de qui le terrain est exploré, le nivellement établi, le parcours défini, les projets étudiés, les plans dressés. Peut-être, avec ce haut personnel est-il venu un groupe d’artisans d’élite, choisis dans ces collèges romains que l’empereur a enrégimentés. Quand tout a été mis au point par ces techniciens, geometrici, libratores, aquileges, etc., militaires et civils, les travaux sont mis en chantiers. Il est probable que le parcours est divisé en fractions occupé ici par le contingent militaire, là par le personnel des corporations, ailleurs par des entrepreneurs spéciaux avec leurs équipes ; esclaves publics et indigènes étant répartis en tous lieux suivant les besoins. Telle est, je crois, l’idée qu’on peut se faire de la mise en train et de la conduite de ces ouvrages.

Importance numérique du personnel. Salaires. — La plus grande différence avec l’organisation des entreprises similaires modernes résidait surtout dans le nombre des chantiers simultanés et dans la multiplicité des travailleurs. Cela seul pouvait compenser la lenteur des procédés et l’imperfection des engins, et permettait d’achever ces grandes œuvres avec autant de promptitude qu’à présent. M. Lanciani cite un exemple de la foule énorme d’ouvriers qu’on y appliquait, d’après un auteur byzantin, Paul le Diacre. Il s’agit de la restauration faite par l’empereur Constantin Copronyme, vers l’an 745, de l’aqueduc de Valentinien II. 6.900 ouvriers y furent employés, ainsi répartis : maçons, 1.000 ; cimentiers, 200 ; broyeurs de tuileaux, 500 ; manœuvres, 5.000 et chaufourniers, 200. Tout en admettant un chiffre moindre pour les ouvriers des aqueducs de Lyon, on voit quelle place pouvait y tenir le personnel quelconque, sans instruction professionnelle : plus des deux tiers. Dans ces conditions, les artisans lyonnais, avec quelques centaines d’hommes de troupe exercés aux métiers, ont pu suffire pour les trois plus récents aqueducs, le reste étant composé d’indigènes, d’esclaves et de prisonniers.

Ces derniers seuls ne recevaient pas de salaire. Les différents emplois étaient naturellement payés proportionnellement au degré d’adresse ou d’instruction qu’ils nécessitaient. D’après une inscription de Stratonicée qui a conservé un édit de Dioclétien sur ces matières, la rétribution, en prenant pour unité le salaire du manœuvre, aurait été de 2 pour le maçon et employés du même genre, tels que paveur, cimentier, chaufournier, etc., en somme, pour la plupart des artisans. Mais nous pouvons être certains que tous ceux dont le rôle technique était un peu plus développé recevaient des allocations plus fortes. Je ne parle pas des ingénieurs qui, d’après Vitruve[60], savaient ordinairement assez bien faire évaluer leurs services ; il est vrai que de son côté le fisc avait toute raison et toute facilité de ne pas dépasser de justes limites. Pour nous en tenir au personnel ouvrier, comme une contestation s’est élevée au sujet de la sigle qui dans l’inscription de Stratonicée représente l’unité de valeur, il est difficile de donner l’exact équivalent de celle-ci en monnaie. On pense généralement que le rapport aux salaires courants de nos jours était de 1/3.

  1. « En même temps qu’il augmentait le nombre de ses vaisseaux, il persuada au peuple d’affranchir de tout impôt les locataires des maisons et les artisans, pour attirer de tous côtés des habitants dans Athènes, et y réunir le plus grand nombre possible de professions et de métiers, deux moyens qu’il jugeait avec raison les plus propres à favoriser l’accroissement des forces motrices de l’Etat, » Diodore de Sicile, xi, 43.
  2. De Officiis, {{|sc|i}}, 42.
  3. Cet officier, en principe, était une sorte d’ingénieur en chef, directeur des ateliers, arsenaux et chantiers. Sous l’empire, le titre demeura sans les attributions ; ce fut un officier hors cadres, le plus souvent officier d’ordonnance d’un gouverneur de province. On croit même qu’il n’eut plus de fonctions proprement militaires, et qu’il aurait été comme une sorte d’intendant général des travaux publics, son autorité s’exerçant ainsi aussi bien sur les ouvriers civils que sur les ouvriers d’armée occupés aux ouvrages de la province (Cf. Borghesi, Œuvr. ; Mommsen, Hermès, I ; Maué, der Praefectus fabrum ; Cagnat, L’armée romaine d’Afrique, p. 187).
  4. « Habet praeterca legio fabros tignarios, structores, carpentarios, ferrarios, pictores, reliquosque artifices ad hibernorum aedificia fabricanda, ad machinas, turres ligneas ceteraque, quibus vel expugnantur adversariorum civitates, vel defenduntur propriae, praeparatos, qui arma, vehicula ceteraque genera tormentorum vel nova facerent, vel quassata repararent. Habebant etiam fabricas sentarias loricariasque arcuarias, in quibus sagittae, missibilia, cassides, omniaque armorum genera formabantur. Hace enim erat cura praecipua, ut quidquid exercitiis necessarium videbatur nunquam deesset in castris, usque eo, ut etiam cunicularios haberent, qui ad morem Bessorum, ducto sub terris cuniculo murisque intra fundamento perfossis improvisi emergerent ad urbes hostium capiendas. Horum judex proprius erat praefectus fabrum. » (Végèce, ii, 11).
  5. « De même que le municipe, la corporation se divisait en centuries et décuries, à la tête desquelles étaient des chefs ordinairement électifs, désignés sous les noms de maîtres, de quinquennaux, etc. ; leurs membres se plaçaient alternativement sous la protection de patrons, s’adjoignaient des associés honoraires ; enfin ils se réunissaient à jour fixe, dans des lieux d’assemblée que les inscriptions désignent sous le nom de scholae ; et là, ils célébraient des fêtes auxquelles la religion demeurait rarement étrangère. Ils avaient leurs prêtres, leurs temples, toute une série d’institutions religieuses qui se perpétuèrent même après le triomphe du culte chrétien. » A. Choisy, L’art de bâtir chez les Romains, p. 198.
  6. Pro domo, 28.
  7. Cicéron, In Pisonem, 4.
  8. Suétone, César, 42.
  9. Suétone, Octave, 32.
  10. L’initiative fut prise par Néron. (Cf. Orelli, Inscript. latinœ, no 764).
  11. Trajan s’en méfiait encore et ne se montra pas partisan sans réserves de l’extension des collèges dans les provinces. Il conseilla à Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, de ne pas les laisser se reformer à Nicomédie, où ils avaient naguère causé des troubles. (Correspondance de Pline le Jeune, liv. x, 43.)
  12. Aurelius Victor, Epitome (Aelius Hadrianus).
  13. « Quibusdam collegiis vel corporibus quibus jus coeundi permissum est, immunitas tribuatur : scilicet in collegiis vel corporibus in quibus artificii sui causa unusquisque adsumitur ; ut fabrorum corpus est, et si qua camdem rationem originis habent, id est idcirco instituta sunt, ut necessariam operam publicis utilitatibus exhiberent. » Digeste, liv. vi, l. 5, § 12.
  14. Code Theod., lib. xiv, tit. iii, I. 7, 13, 19. — Tit. iv, I. 8.
  15. Novell. Theod., lib. i, tit. xxvi. — Code Theod., lib. xiv, tit. ii, l. 2.
  16. Un certain Lucius Cocceius Auctus (de Pouzzoles) est appelé dans une inscription architectus, dans une autre redemptor. (Corp. inscr. lat. x, 1614 et 3707.)
  17. On peut, pour quelques détails de plus sur les ingénieurs romains, sur le degré de savoir et de capacité qu’ils pouvaient acquérir, etc., se reporter à notre étude corrélative de celle-ci : Essai sur la science et l’art de l’ingénieur aux premiers siècles de l’empire romain.
  18. Un bon nombre des inscriptions qui font mention d’architecti désignent des ingénieurs militaires.
  19. Tite-Live, xxxix et xliii, 16.
  20. Cicéron : In Verrem de praetura urbana, 49, 60. — Pro Flacco, 32. — Code Justinien, v, 37, 38.
  21. L’Anio vetus, par exemple, fut payé par les fonds provenant des dépouilles enlevées dans la guerre de Pyrrhus : ex manibiis de Pyrrho captis. (Frontin, 6.)
  22. De Aquis, 5, 6. Curius n’en profita guère : il mourut cinq jours après la prorogation de ses pouvoirs.
  23. Il est probable qu’il en fut chargé par suite de ce que ses fonctions l’avaient appelé à connaître fréquemment les questions d’eaux, les contestations sur leur usage devant être très nombreuses à une époque où il n’y avait pas encore là-dessus de jurisprudence établie. Peut-être le préteur avait-il eu aussi à statuer sur des dommages subis par les deux aqueducs existant alors et à en ordonner la réparation : il était ainsi devenu compétent.
  24. De Aquis, 95, 96. Les questeurs n’étaient chargés que de la réception des ouvrages (operum probandorum cura), et seulement à défaut des censeurs ou des édiles.
  25. Ce document fut publié au xvie siècle par Georges Fabricius (1549). Plusieurs fois réimprimé depuis lors, on le trouve dans le recueil d’Egger : Latini sermonis reliquiae, p. 248. Il est daté de l’an de Rome 648 (105 av. J.-C.). Un bon commentaire de ce texte se trouve dans l’ouvrage intitulé : « Dell’ordine dorico, di San Luigi da don Pietro Marquez, con appendice sopra un’antica tavola di Pozzuolo (Rome 1803. in-8o, p. 147 et suiv.)
  26. Suétone, Octave, 37.
  27. V. Mommsen, Staatsrecht, t. II, p. 1006. — Hirschfeld : Untersuchungen auf dem Gebiete der römischen Verwaltungsgeschichte, 156-159.
  28. « Telle était la simplicité des procédés de construction, qu’ils pouvaient être appliqués par les prisonniers mêmes que les Romains tenaient à leur discrétion, et par des condamnés tirés des derniers rangs du peuple. La condamnation aux travaux publics comptait au nombre des peines légales ; elle est citée dans les sentences de Paul et nous la lisons à chaque page de la législation théodosienne. Elle consistait surtout à extraire les matériaux pour les ouvrages publics… Sous Néron, tous les prisonniers de l’empire avaient concouru au creusement du canal de l’Averne, ainsi qu’aux travaux de ce colossal ensemble de palais auquel on a donné le nom de Maison d’Or. » (Choisy, ouvr. cité, p. 205). Cf. Paul Sent., lib. v. tit. de Poenis, — Code théod. lib. xiv, tit. x. C. 4. — Dig. lib. xlviii, tit. xiv, I. 34, etc. (Suétone, Néron, 31).
  29. La curatelle d’Agrippa n’était pas encore une charge absolument officielle. Frontin dit qu’il fut « velut perpetuus curator ». (De Aquis, 98.) En réalité, ce fut lui qui l’organisa, avec tous ses rouages prêts pour son successeur. Les aqueducs qu’il construisit furent vraiment son œuvre, peut-être technique, à coup sûr financière en grande partie. Frontin (ibid.) n’emploie pas sans raison les termes « operum suorum et munerum ».
  30. C’est à la suite de sa curatelle que Didius Gallus (an 49) fut envoyé comme gouverneur impérial en Mysie, Fonteius Agrippa (an 68) comme proconsul en Asie (Tac. Ann. xiv, 18). Frontin (de 97 à 106) fut le 17e curateur des eaux après Agrippa. Vers la fin du iie siècle, il y eut fusion de la curatelle des eaux avec celle des blés. On appela les titulaires « curatores aquarum et Miniciae », du nom de l’endroit où se donnaient les tessères fromentaires. Plus tard encore, à l’époque de Dioclétien et de Constantin, le nom de consularis fut substitué à celui de curator. En même temps, l’ordre de la hiérarchie des magistratures se modifiait, et d’une façon qui reste encore fort obscure.
  31. Frontin, 116.
  32. « Curator debet… nec suae tantum stationis architectis uti, sed pluriutn advocare non minus fidem quam subtilitatem, ut nestimet quae repraesentanda, quae differenda sint et rursus quae per redemptores effici debeant, quae per domesticos artifices. » (De Aquis, 119.)
  33. M. Lanciani (ouvr. cité, p. 137) pense que la familia caesarea resta spécialement attachée au service des aqueducs construits sous l’empire, tandis que la familia publica fut chargée de l’entretien et de la surveillance des plus anciens. Cette distinction, qui n’a pas grande importance, ne semble pas être très fondée.
  34. Histoire de l’esclavage, liv. III, chap. iv, p. 136.
  35. Paul, Digeste, i, 15, 3
  36. Corp. inscript. lat. x, 1757 ; xi, 20, 630. — Dans la première, un certain Cissonius Apulis, vétéran de la seconde cohorte prétorienne, est intitulé architectus Augustorum, ce qui semble indiquer le service exclusif de l’empereur
  37. Suétone, Néron, 19. C’est aux prétoriens que Néron commanda d’entreprendre le travail du percement de l’isthme d’Achaïe, qu’à l’instar de Caligula il avait pris un beau jour l’idée d’effectuer.
  38. Neque enim longitudo aetatis, aut annorum munerus artem bellicum tradit ; sed post quanta volneris stipendia, iuexcrcitatus miles semper est tiro (Végèce, Epit. iii, 23).
  39. Tacite, Histoires, ii, 67.
  40. Ouvr. cité, p. 206.
  41. Orelli, 6597.
  42. Orelli, 3566.
  43. Fl. Vopiscus, ix. — Cf. (Cagnat, L’armée romaine, p. 432), la longue liste des ouvrages de cette sorte entrepris par les légionnaires pour le camp et la ville de Lambèse. C’est à la légion iiie Augusta, que Timgad doit son existence.
  44. Frontin (Stratagèmes, liv. IV, i, 15) raconte que Scipion Nasica, n’ayant pas besoin de vaisseaux, occupa cependant ses soldats à en construire pendant un quartier d’hiver, craignant que l’inaction n’engendrât la licence, et ne les portât à quelque injure à l’égard des alliés. — De même, nous voyons Corbulon, sous le règne de Claude, arrêté par ordre de l’empereur dans ses conquêtes, faire creuser aux troupes un canal de 23 milles entre la Meuse et le Rhin, et Curtius Rufus, son successeur, leur faire ouvrir une mine d’argent, d’ailleurs sans profit matériel et à leur grand mécontentement.
  45. César, De bello gallico, i, 8.
  46. Cf. Dürr, Die Reisen des Kaisers Hadrian, p. 36.
  47. Digeste, lib. i, tit. xvi, 1. 7, §1.
  48. Orelli, 3263, 3264. — Il s’agit dans ces deux inscriptions de curatores nommés par Hadrien pour les thermes de Venusia et de Bénévent.
  49. V . ci-dessus, p. 292 et suiv. — C.I.L., viii, 2728.
  50. Sur les ouvriers d’armée, et leur dépendance du « praefectus castrorum » V. Cagnat, L’armée romaine d’Afrique, p. 182 à 187.
  51. Lettres, x, 50.
  52. V. Lactance, De mortib. persec.
  53. V. ci-dessus, p. 364, note 2.
  54. Pline le Jeune, Lettres, x, 50 et 69.
  55. Lettres, x, 28, 29, 34, etc.
  56. Ainsi fut fait à Bénévent, sous Hadrien (C.I.L., ix, 1419) et à Nola, sous Vespasien (C.I.L., x, 1266).
  57. V. ci-dessus, p. 15. — On cite la cohorte xiii et la cohorte xvii, signalées par de nombreuses inscriptions. Cf. de Boissieu, ouvr. cité, p. 353 à 361.
  58. V . ci-dessus, p. l5.
  59. Ce serait aller évidemment trop loin dans la conjecture que d’attribuer à Agrippa l’idée d’appliquer à ce premier aqueduc le système du siphon qui devait donner tant d’originalité et de valeur technique à ces ouvrages de Lyon. Mais l’hypothèse serait séduisante.
  60. Liv. I, Introduction.