Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 4 - §2

§ II. — Matériaux de construction[1].

1. — MATÉRIAUX DE LIAISON

Le « ciment romain » et sa légende. — Si la maçonnerie romaine se caractérise par ses procédés généraux d’assemblage, de structure intérieure et d’appareillage, elle n’est pas moins originale et distincte de toutes les autres, aussi bien dans l’antiquité que dans les temps modernes, par la nature et la qualité des matériaux de liaison, mortiers et ciments. Je me suis expliqué déjà sur leur rôle, qui était bien plus rarement d’assurer les joints et d’empêcher les glissements que de former, par eux-mêmes ou par union intime avec de petits corps solides, un bloc résistant. Les Romains étaient arrivés, par ces agglomérations de chaux, sables, poussières volcaniques, cailloux et briques en proportions variées, à former des substances, appelées suivant les cas, mortarium, arenatum, intrita, signinum, et adaptées à toutes les exigences auxquelles satisfont nos chaux, mortiers ordinaires et hydrauliques, bétons, ciments naturels et artificiels. Ne descendant que très rarement jusqu’aux qualités médiocres que nous supportons trop souvent pour les matériaux de nos bâtisses vulgaires, ils obtenaient pour certains mélanges des propriétés de résistance telles, que les plus durs des ciments fabriqués aujourd’hui grâce au développement de la minéralogie et de la chimie, ne l’emportent pas de beaucoup en cohésion et en force sur certains ciments romains, inattaquables à l’effort des siècles.

Si bien qu’une croyance fort répandue, même parmi des gens instruits, consiste à s’imaginer que les Romains possédaient un secret de fabrication pour ces fameux ciments, un secret que l’on n’a pas retrouvé, même à l’aide des procédés techniques les plus savants. Ce secret résidait-il dans les proportions d’un mélange constitué de telle sorte qu’une infime variation dans le rapport des composants modifierait entièrement le composé ? S’agirait-il d’un mystérieux réactif, d’une substance qu’on ne sait plus utiliser, d’un certain degré de cuisson auquel on ne sait plus se tenir, d’une dissociation ou d’une combinaison empirique qu’on ne sait plus préparer ? Nos gens ne sauraient le dire. Mais ils défieraient sérieusement le plus grand chimiste de tous les Instituts d’Europe de refaire le « ciment romain ».

En réalité, l’analyse chimique, l’observation à l’œil nu ou au microscope ne révèlent dans les mortiers ou ciments romains aucune substance qui ne soit employée encore : pouzzolane, brique pilée, graviers, cailloux et fragments de briques, dits tuileaux, de diverses grosseurs, voilà tous les ingrédients qui y entraient, outre la chaux et le sable. Le mérite et l’art des ouvriers romains consistaient à bien choisir ces éléments, à les bien préparer séparément, à les combiner à propos suivant les cas, et à soigner parfaitement les mélanges. C’était un travail assurément délicat, que l’existence des produits calcaires industriels épargne dans une certaine mesure à nos ouvriers. Ces produits permettent d’arriver avec moins de frais et de peine à des mélanges aussi solides. Nous ne savons plus faire le ciment romain, parce que nous n’avons plus besoin de savoir le faire. Ce qui ne manque que trop souvent à nos maçons, c’est de savoir bien faire le leur.

Ajoutons, comme le fait remarquer Vicat, que par l’action prolongée de l’acide carbonique, et dans beaucoup de cas, par la lente adjonction de principes pouvant à la longue attaquer le sable et rendre la silice susceptible de se combiner avec la chaux, le temps a été sans doute pour ces matériaux un agent de consolidation puissant.

A. — Chaux[2].

Les anciens ne semblent pas avoir fait la distinction entre les chaux aériennes et les chaux hydrauliques : ils auraient donc négligé de calciner les calcaires argileux. En effet, on ne retrouve pas dans les constructions antiques l’équivalent de nos mortiers usuels de chaux hydraulique ; et de plus, aucune mention n’est faite dans les auteurs d’une chaux spéciale faisant prise sous l’eau sans le secours d’une autre matière telle que la pouzzolane ou le tuileau pulvérisé.

Vitruve[3] s’exprime ainsi au sujet des différentes espèces de chaux :

« De harenae copiis cum habeatur explicatum, de calce diligentia est adhibenda uti de albo saxo aut silice coquatur. Et quae erit ex spisso et duriore, erit utilis in structura ; quae autem ex fistuloso, in tectoriis. » « Après ces explications sur les différentes variétés de sable, il faut examiner avec soin la préparation de la chaux par cuisson de la pierre blanche ou de la caillasse. Celle qui provient d’une pierre compacte et dure sera bonne pour la maçonnerie ; celle qu’on fait avec de la pierre poreuse s’emploie pour les enduits. »

Voici, d’autre part, le texte de Pline à ce même sujet[4] :

« Calcem e vario lapide Cato Censorius improbat. Ex albo melior. Quae ex duro, structurae utilior ; quae ex fistuloso, lectoriis. Ad utrumque damnatur ex silice. Utilior eadem ex effosso lapide, quam ex ripis fluminum collecto. Utilior e molari, quia est quaedam pinguior natura ejus. »

« Caton le Censeur n’approuve pas la chaux faite de pierres de différentes couleurs. La pierre blanche donne une chaux meilleure. La chaux faite de pierres dures vaut mieux pour les bâtisses ; celle de pierres poreuses, pour les enduits. Pour les deux emplois, on déprécie la chaux faite avec de la caillasse. La pierre extraite des carrières fournit de meilleure chaux que celle qu’on prend sur les rives des fleuves : la chaux extraite de la meulière est meilleure aussi, car de cette pierre il existe une certaine qualité assez grasse[5]. »

A son tour, Palladius écrit[6] :

« Calcem quoque ex albo saxo duro, vel Tiburtino, aut columbino fluviali coquemus, aut rubro, aut spongia, aut marmore postremo. Quae erit ex spisso et duro saxo, structuris convenit ; ex fistuloso vero aut molliori lapide tectoriis adhibetur utilius. »

« Pour faire de la chaux on cuira de la pierre dure et blanche, de la pierre de Tibur, de la pierre colombine de rivière, de la pierre rouge, de la pierre poreuse, ou du marbre de qualité inférieure. La chaux provenant d’une roche dure et compacte est propre aux bâtisses ; celle qui provient des pierres molles ou poreuses convient mieux aux enduits. » Ces trois textes, les seuls, avec celui de Caton rappelé par Pline, qui puissent nous fournir quelques renseignements sur cette matière, présentent un certain nombre d’assertions et d’expressions communes : manifestement, les auteurs des deux derniers avaient le premier sous les yeux quand ils ont écrit. Toutefois ils ne parlent pas toujours exactement des mêmes choses et sur les points communs ne sont même pas entièrement d’accord.

Tous trois désignent en premier lieu les roches blanches, comme donnant la meilleure chaux. Il s’agit ici évidemment de la craie et des autres calcaires blancs qu’on trouve aux divers étages géologiques, et qui sont susceptibles, par leur pureté, de donner de bonnes chaux grasses. Il en est de même des pierres dures, formant des bancs épais, comme celles du terrain jurassique moyen, au-dessus de l’oolithe. Composés de carbonate de chaux à peu près pur, ces calcaires, très bons comme pierres de construction, peuvent certainement fournir des chaux grasses, de première qualité. Les pierres colorées semblent à Pline, comme à Caton, défectueuses pour la chaux ; la coloration étant la plupart du temps l’indice de la présence de sels minéraux, de substances argileuses ou marneuses, ils les écartaient sans doute comme moins pures.

Il est évident qu’on ne peut donner au mot silex, dans les textes de Vitruve et de Pline, son sens propre de silice, silex, en français : un silex ne contient pas de chaux. Placé à côté de saxo, il faut sans doute entendre par le mot silice, chez Vitruve, la caillasse, le calcaire à l’état noduleux et fragmentaire, comme celui qui se trouve par exemple à la base du lias, en bancs séparés par des lits de marnes à gryphées arquées, et qui s’exploite bien comme pierre à chaux ; ou comme ces calcaires concrétionnés, à texture fibreuse, qu’on observe dans les cavernes, dans diverses roches conglomérées des terrains neptuniens, dans les limons quaternaires, au pied de certains escarpements, et dans le lit de quelques rivières. Ce sont probablement ces derniers que Palladius désigne sous le nom de saxum columbinum fluviale. Pourquoi columbinum ? Peut-être à cause d’une certaine teinte grisâtre ? On ne peut savoir au juste. Ces calcaires fragmentaires, admis par Vitruve, étaient réprouvés par Pline, sur la foi de Caton : « ad utrumque damnatur ex silice. » Question d’appréciation. Peut-être Caton n’en connaissait-il que des variétés de qualité inférieure ; et Pline, comme presque toujours, est un simple écho.

Par les mots fistuloso et spongia, il ne faut pas entendre, comme on l’a fait souvent, la lave ou la pierre ponce, qui ne contiennent pas de chaux, mais les calcaires plus ou moins poreux pénétrés de fossiles, tels le calcaire pisolithique situé au-dessus de la craie blanche, au sommet du terrain crétacé supérieur, ou les calcaires coquilliers, entre autres le calcaire grossier de l’éocène moyen. Ce saxum fistulosum convient, disent Vitruve et Pline, plutôt aux enduits (tectoriis) qu’à la construction. Pourquoi cela ? D’abord de quels enduits s’agit-il ? Non pas sans doute des revêtements de bassins et d’aqueducs, ou autres garnissages analogues, mais simplement des crépis pour les murailles. Les calcaires poreux dont je viens de parler sont souvent imprégnés de matières étrangères, spécialement d’oxyde de fer, et ne donnent guère que des chaux maigres, n’ayant pas le liant et l’onctueux nécessaire pour faire de très bons mortiers, mais d’un excellent emploi à l’état naturel, en lait de chaux, pour enduire les surfaces.

La préférence de Pline pour la pierre de carrière, comparativement, à celle qu’on recueille au bord des rivières, est toute naturelle. Il entend probablement par cette dernière certains blocs calcaires plus ou moins gros provenant de la désagrégation des roches rongées par le courant dans les vallées escarpées, plutôt que des cailloux roulés, exclus déjà par la phrase précédente. Les pierres de carrière, n’ayant subi aucune altération par les éléments, sont évidemment plus pures. Mais on est quelque peu surpris de ce que Pline cite la pierre meulière comme un calcaire, étant donné que cette pierre est de nature siliceuse. Cela s’explique pourtant. Les formations lacustres qui ont donné naissance aux pierres meulières se composent de calcaires siliceux dans lesquels la silice est en général très prédominante : ce sont ces derniers qu’on emploie de préférence pour les meules de moulins et qu’on appelle par suite plus proprement meulières ; mais il en est d’autres un peu plus riches en chaux qu’on peut encore employer à cet usage, comme certains calcaires tufacés très durs, le travertin, par exemple, pierre de Tivoli (Tiburtinum saxum). La chaux obtenue par la calcination de ces pierres devait être une chaux maigre, mais qui contenait en elle-même par la silice mélangée un bon élément de mortier.

En résumé, d’après l’examen de ces textes, les Romains distinguaient et utilisaient en fait de chaux :

1o Les chaux grasses, provenant de calcaires de carrière, blancs et purs, soit disposés en couches épaisses, soit fragmentaires, bréchiformes, ou lamellaires. Ils s’en servaient presque exclusivement pour la construction. Les chaux de nos aqueducs sont toutes de cette nature.

2o Les chaux maigres ordinaires, provenant de calcaires poreux, coquilliers, fossilifères, ou ayant subi à l’air libre des altérations. On les préférait pour les crépis et enduits.

Fig. 105, — Four à chaux primitif, à feu continu.
Fig. 106. — Four à chaux sommaire, à feu intermittent.

3o Les chaux maigres siliceuses, provenant de certaines meulières ou de travertins; on les appréciait probablement à cause de leur silice, pour le mortier.

Quant aux procédés de calcination de la pierre calcaire, ils ne pouvaient être en principe différents de ceux que nous employons nous-mêmes. Bien que les auteurs anciens n’en parlent pas, les deux manières, à feu continu et à feu intermittent, devaient être usitées[7]. Il est possible qu’il y ait eu des fours permanents construits près des carrières. Mais le cas le plus fréquent devait être celui des fours établis sommairement non loin du chantier de construction, ce qui épargnait les précautions à prendre pour la conservation de la chaux vive à l’abri de l’humidité, son extinction
Fig. 107. — Four à chaux en meule.
se misant aussi a mesure des besoins. On peut se représenter ces fours de campagne d’après les deux types de la page précédente, ou la disposition en meule, figurée ci-contre (fig. 107). C’est probablement d’une calcination de ce dernier genre que provient la chaux de certains échantillons de béton que j’ai recueillis aux aqueducs de Lyon (aqueduc de Craponne, branche du Pirod). La pâte de chaux est presque pure, parsemée de petits brins de charbon de bois. Les proportions de combustible et de pierres ne pouvant se déterminer avec précision comme dans un four maçonné et de profil régulier, on avait dû mettre un excès de combustible (bois ou charbon de bois), pour éviter les incuits.

B. — Chaux-ciments, pouzzolanes et tuileaux[8].

L’examen des constructions anciennes et la lecture des textes latins techniques ne nous font rien reconnaître en fait de ciments naturels proprement dits[9], et c’est par le plus bizarre des contre-sens que les modernes ont appelé ciments romains, dans le langage courant, précisément une matière que les Romains n’ont jamais utilisée dans la construction. Cette bizarrerie s’explique par ce fait que lorsque l’usage des ciments de Vassy ou de Portland se répandit, on assimila naturellement et justement la dureté des mortiers qu’ils formaient à celle des mortiers romains de pouzzolane ou de tuileaux. Quant, au mot lui-même, ciment, qui provient de caementam[10], moellon, il s’explique aussi par ce fait que les constructions romaines consistent, en moellons noyés dans du mortier, lequel est souvent du mortier de tuileaux, du ciment. On a désigné à la longue le tout par une des parties, puis l’autre partie par le tout ainsi appelé, ce qui a donné le contre-sens.

La pouzzolane, au contraire, est d’usage romain. « Est etiam genus pulveris quod efficit naturaliter res adinira.ndas. Nasciliir in regionibus Baïanis et in agris miinicipiorum quae sunt circa Vesiwium montem. Quod commixlum cam calce et caemento non

modo ceteris aedificiis praestat firmilalem, sed etiam moles, cam strauntur in mari, sub aqua solidescunt[11]. »

« Il existe aussi une espèce de poudre à laquelle la nature a donné des propriétés admirables. Elle se trouve dans la région de Baies et dans les terres des municipes qui entourent le mont Vésuve. Mêlée avec la chaux et le moellon, non seulement elle donne de la solidité aux édifices ordinaires, mais encore les môles qu’elle sert à construire dans la mer acquièrent, sous l’eau, une grande consistance. »

L’auteur donne ensuite les raisons de ce phénomène d’après ses vagues théories physiques. C’est insignifiant. Du moins nous avons affaire chez Vitruve à un homme du métier qui sait que la pouzzolane doit être mélangée à de la chaux pour être utilisable. Il indique même les proportions du mélange : deux parties de pouzzolane contre une de chaux[12]. Pline[13], au contraire, semble ne pas se douter de l’addition de chaux nécessaire. Mais l’un est un ingénieur ; l’autre n’est qu’un savant.

La pouzzolane s’employait donc partout où il y avait à exécuter des maçonneries destinées à rester sous l’eau. On l’expédiait dans les divers pays ; elle suppléait à l’usage inconnu de la chaux hydraulique ordinaire. On pouvait cependant la remplacer, dans la plupart des cas, par le ciment de tuileaux. C’est ainsi qu’aux aqueducs de Rome, la pouzzolane a été très employée, mais le ciment de tuileaux encore bien davantage. À ceux de Lyon, toutes les parties de maçonnerie en contact avec l’eau, dans le lit des ruisseaux ou dans les terrains humides, tous les revêtements intérieurs des cuvettes, tous les massifs demandant l’étanchéité en même temps que la solidité renferment le tuileau en plus ou moins grande proportion. On peut dire qu’il y avait encore bien plus de maçonneries romaines comportant le tuileau que de constructions actuelles à la chaux hydraulique, dont cependant l’emploi s’est fort répandu. Cela se comprend assez, eu égard aux avantages économiques du tuileau sur la pouzzolane[14], et à l’abondance des constructions en briques, des tuiles et poteries de toute espèce à l’époque romaine ; la confection directe de la chaux hydraulique n’était pas nécessaire.

Vitruve ne dit qu’un mot du tuileau pulvérisé, sans faire aucune allusion, ni à ses propriétés hydrauliques, ni à son usage si répandu. Il le recommande simplement comme susceptible d’améliorer les mortiers, sans dire comment ni pourquoi; la proportion qu’il indique est de 1/3 sur le sable qu’on emploie pour le mortier[15].

C. — Mortiers[16].

Vitruve fournit sur les mortiers romains quelques données précises[17]. Nous savons par lui que le mortier ordinaire se faisait par un mélange de 3 de sable pour 1 de chaux, si l’on employait du sable fossile ; si c’était du sable de rivière ou de mer, 2 de sable et 1 de chaux. Cette différence de proportion d’après la nature du sable et non d’après celle de la chaux est à remarquer. Vitruve se place sans doute dans le cas de beaucoup le plus général, celui où la chaux employée était une chaux grasse très pure. Les sables fossiles, contenant souvent une certaine proportion d’argile et d’autres matières étrangères, divisent moins bien le mélange : il en faut donc un peu plus ; ils forment aussi des combinaisons avec la chaux, ce qui est autant de soustrait à leur action mécanique : autre raison de forcer la dose. Vitruve reconnaît bien l’infériorité de ce sable relativement au sable de rivière. « Il faut l’employer au plus tôt, dit-il, après son extraction de la carrière, sans quoi il se dissout et devient terreux[18]. » Conformément à une bonne pratique, qui n’a pas cessé d’être suivie, il déclare que le meilleur indice d’un bon sable est d’être craquant, et, projeté sur un vêtement blanc, de n’y laisser aucune trace, une fois secoué. Quant au sable marin, bien qu’il l’admette (non minus etiam de litore marino), il se rend bien compte de ses fâcheuses propriétés hygrométriques ;il constate que ce sable sèche difficilement, empêche à cause de cela d’élever rapidement les murs, et ne peut convenir à la construction des voûtes ; enfin, qu’il détermine sur les crépis la formation de salpêtre, (remittentes salsuginem).

Le sable employé aux aqueducs de Lyon pour la confection des mortiers était un sable très quartzeux, provenant, soit des fleuves et rivières de la région, soit des arènes granitiques assez répandues parmi les roches primitives qui constituent le terrain sur le parcours de la plupart de ces aqueducs[19].

L’homogénéité remarquable des mortiers romains révèle le soin extrême apporté à leur préparation. Jamais on n’y trouve aucun nodule de chaux isolé du sable, non plus qu’aucun carbonate incuit. Voilà où il faut chercher surtout la raison de la supériorité de ces mortiers, comparativement à nos mortiers communs, qui si souvent s’effritent et se cassent. Tous les architectes savent avec quelle difficulté on obtient des maçons qu’ils fassent des dosages exacts, qu’ils ménagent le volume d’eau versé sur la chaux, qu’ils y mêlent graduellement le sable et qu’ils emploient le temps nécessaire au corroyage. Le travail du maçon romain était donc très minutieusement surveillé et contrôlé.

Analyses et essais de mortiers et ciments provenant de Rome et de Lyon. — Voici quelques analyses de mortiers romains, de provenances diverses : A. Mortier de pouzzolane, gris sombre, provenant de la villa d’Hadrien.

B. Revêtement intérieur d’un mur à Herculanum, mortier-ciment de tuileau, très dur.

C. Mortier brun rougeâtre, provenant de tombeaux, près de Rome.

D. Mortier du pavage en mosaïque des thermes de Caracalla.

Pouzzolanes de la baie de Naples.
A B C D
Chaux . . . . . . . . . . . . 15,30 29,88 19,71 25,19
Magnésie . . . . . . . . . . 0,30 0,25 0,71 0,90
Potasse . . . . . . . . . . . 1,01 3,40 non dosée non dosée
Soude . . . . . . . . . . . . 2,12 3,49 —— ——
Acide carbonique . . . 11,80 23,80 13,61 17,97
Peroxyde de fer . . . . . 4,92 2,32 1,23 3,67
Alumine . . . . . . . . . . . 14,70 9,86 16,39 10,64
Silice . . . . . . . . . . . . . 41,10 33,36 36,26 30,24
Matières organiques . 2,28 1,50 —— 2,48
Eau . . . . . . . . . . . . . . 5,20 1,00 8,20 5,50

Quelques échantillons variés, parmi ceux que j’ai recueillis, soit aux aqueducs de Lyon, soit à ceux de Rome ou de Carthage, soumis à des essais à l’écrasement, ont donné comme résistance par centimètre carré[20].

1. Revêtement des parois aux citernes de la
Malga, à Carthage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42k.
2. Revêtement des parois de la cuvette de
l’Anio novus, près de Tivoli . . . . . . . . . . . . . . . . . . .47
3. Radier de l’aqueduc du Mont-d’Or (béton
de ciment de tuileau) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
4. Radier de l’aqueduc de La Brévenne (béton
de ciment de tuileau) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
5. Revêtement de cuvette de l’aqueduc du Gier
(ciment de tuileau) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
6. Mortier de blocage à l’intérieur d’une pile
(aqueduc du Gier) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

Ces chiffres sont évidemment très inférieurs à ceux que donneraient des échantillons pris dans les conditions voulues, c’est-à-dire arrachés à l’intérieur d’un massif intact jusque-là, et au moment où on le démolit. Pour la plupart, ceux-ci proviennent de surfaces déjà effritées ou de blocs détachés, exposés à l’air libre depuis un certain temps ; les morceaux se prêtent d’ailleurs plus ou moins bien aux essais suivant leur volume et leur forme, et ceux-ci étaient tous trop petits et trop irréguliers. Mais précisément ces conditions très défavorables de l’épreuve, tout en ne nous permettant pas d’affirmer la supériorité du travail à tel aqueduc sur le travail exécuté à tel autre, nous prouvent que non seulement les mortiers romains atteignaient à de très hautes résistances, puisque les chiffres de 110 et 120 sont déjà par eux-mêmes fort, élevés, mais encore qu’on ne descendait pas au-dessous de résistances bien plus que moyennes, car 33 et 36 kil. équivalent à celles de nos meilleurs mortiers ordinaires[21]. Somme toute, étant donné qu’en général, après un an, un mortier fait avec un tiers de bon Portland supporte environ 200 kil. par centimètre, carré, un bon mortier de chaux hydraulique, 100 à 150 kil. et un bon mortier ordinaire de 30 à 35 kil, les essais dont les résultats sont inscrits ci-dessus ne font que confirmer ce que l’on a toujours pensé de l’excellence des mortiers, ciments et bétons romains.

D. — Bétons.[22].

J’ai déjà fait observer (p. 238, note i) la différence essentielle des blocages romains avec les bétons ; elle consiste en ce que ces blocages ne sont pas d’avance préparés par mélange de mortier et de cailloux, puis versés dans la fouille ou entre les parements. Le blocage sans compression surtout en est tout à fait distinct, ce qui se reconnaît d’autant mieux que les fragments qu’on y observe auraient été le plus souvent beaucoup trop gros pour être brassés avec le mortier. Bien entendu, il ne faut pas non plus considérer comme bétons les mortiers dans la composition desquels entrent de petits graviers de la grosseur de 1/4 de centimètre à 1 centimètre cube, faisant, partie du sable lui-même ; tel est presque partout le mortier qui lie les petits moellons du blocage aux piles de l’aqueduc du Gier ; on resserrait plus ou moins ces moellons suivant que les graviers étaient plus ou moins menus, plus ou moins rares. Les revêtements de cuvettes et de radiers comportaient aussi presque toujours, comme j’ai eu l’occasion de le faire remarquer, de petits grains de tuileau de la grosseur d’un pois noyés dans la pâte, faite elle-même de ciment de tuileau. Il faut distinguer avec soin ces revêtements, des gaines et fonds de radiers qui, formés de la même; pâte de mortier-ciment, contenaient, agglomérés dans cette pâte, des fragments de briques ou tuiles de 2 à 5 centimètres cubes. Aussi ai-je toujours, dans la description, réservé le mot de ciment pour les revêtements, et de béton pour les gaines et fonds recouverts.

Vitruve[23] parle du béton en termes explicites, à propos de la construction des citernes. C’est l’opus signinam. « In signinis autem operibus haec sunt facienda. Uti harena primum purissima asperrimaque paretur, caementum de silice frangatur ne gravius quam librarium, calce quam vehementissima mortario mixta ita ut quinque partes arenae ad duas respondeant. Eorum fossa ad libramentum altitudinis quod est futurum calcetur vectibus ligneis ferratis. Parietibus calcatis in medio quod erit terrenum exinaniatur ad libramentum infimum parietum. Hoc exaequato solum calcetur ad crassitudinem quae constituta fuerit ». « Le bétonnage s’opère ainsi : On prépare du sable très pur et très graveleux ; on casse de la pierre dure en cailloux d’une livre (326 gr.) au plus ; on fait un mortier de chaux très fusante, contenant cinq parties de sable contre deux de chaux, auquel on ajoute les cailloux. Un fossé creusé à la profondeur que doit avoir la citerne est rempli de ce mélange qu’on bat avec des pilons en bois à semelles de fer. Les murs ainsi faits par pilonnage, on enlève le massif de terre qu’ils entourent jusqu’au niveau de leur base. Puis on égalise le fond et on y fait le pilonnage du mélange jusqu’à l’épaisseur voulue. »

Il n’y a rien à ajouter à cette description, qui montre que le bétonnage à sec ne s’opérait pas autrement qu’à notre époque[24]. On voudrait trouver une description du procédé par simple compression, et une indication des cas où il était préféré au bétonnage ; de même une mention de la fréquence des bétons constitués comme ceux qu’on trouve aux aqueducs, par ciment de tuileau et fragments de briques. Mais nous avons assez vu qu’on n’en est pas à regretter chez Vitruve seulement quelques lacunes.

Le bétonnage des radiers n’a donc besoin d’aucune description spéciale. Cependant, je dois rappeler ici un exemple particulier : c’est celui du bétonnage qui se voit à l’une des branches accessoires de l’aqueduc de Craponne[25], où radier, piédroits et voûte, tout est en béton de tuileaux ; les fragments sont très volumineux et la pâte est faite de chaux presque pure, légèrement colorée d’un peu de poudre de brique ou de poterie jaune pilée. On trouve un canal romain de construction toute semblable, paraît-il, au Mans : la seule différence est que le béton est fait de cailloux et de pierres cassées au lieu de fragments de briques.

Pour établir ces conduites, on devait faire le fond d’abord, puis, pour les parois et le dessus, disposer un gabarit, avec des planches écartées et soutenues par des tasseaux ; on appliquait le béton tout autour ; puis on faisait glisser les tasseaux, et on retirait le gabarit plus loin. C’est par un procédé analogue que se font nos conduites bétonnées actuelles.

Quant aux revêtements des parois, en mortier de ciment, on pouvait les opérer, soit en s’aidant de gabarits, soit comme les autres enduits, par simple pose à la truelle ; après les avoir soigneusement dressés et polis, et avoir fait les raccords par solins ou pans coupés avec le revêtement du radier, on passait par-dessus le tout la fine couche de chaux mêlée de tuileau en menue poudre, qui formait une surface absolument lisse.

II.— MATÉRIAUX DE STRUCTURE

« De ipso autem muro e qua materia struatur aut perficiatur, ideo non est praefiniendum quod in omnibus locis quas optamus copias, eas non possumus habere. Sed ubi sunt saxa quadrata, sive silex, seu caementum, aut coctus later sive crudus, his erit utendum[26]. »

« Quant aux matériaux qui doivent entrer dans la construction ou le parachèvement des murailles, on ne peut les spécifier strictement, parce qu’on ne peut avoir dans chaque localité toutes les ressources qu’on voudrait. Il faut donc utiliser ce qu’on trouve à sa portée, pierres de taille, cailloux, moellons, brique cuite ou crue. »

Ce principe de s’accommoder de ce que l’on a sous la main, énoncé ici par Vitruve à propos des remparts de villes, est applicable à toutes les constructions romaines, et s’accorde à merveille avec l’esprit d’économie et d’ingéniosité pratique qui a guidé et suivi les Romains partout. Il apparaît dans leurs aqueducs de Lyon, entre autres, avec une clarté manifeste.

A. — Briques.

Etablis dans une région où le sol est constitué par une roche dure, mais facile à débiter en moellons, les aqueducs de Lyon ne nécessitaient pas pour leur construction l’emploi de la brique, dont la résistance, quelle que soit la qualité, est toujours inférieure à celle de la pierre de qualité moyenne. Mais des bancs d’argile se rencontrent aussi en bien des endroits aux alentours de Lyon, et au pied du massif du mont Pilat, de sorte que la brique n’étant pas rare dans le pays pouvait facilement être mise en usage, soit pour certaines assises, comme nous avons vu, soit pour entrer à l’état de fragments ou de poussière dans la composition des mortiers et bétons.

Ce sont des briques cuites qui étaient, employées aux aqueducs de Lyon[27]. Vitruve ne s’occupe que de la brique crue : il donne des indications et des conseils, d’ailleurs fort justes, sur l’époque du moulage, la durée du séchage, et les inconvénients qui résultent de l’insouciance à ce sujet[28].

Il indique trois espèces de terre à brique : terra albida cretosa[29], terra rubrica, et masculus sabulo. Les deux premières sont l’argile plastique, quelquefois blanche, en effet, mais le plus souvent colorée en rouge, sans que sa pureté en soit sensiblement altérée. Quant au masculus sabulo (sablon mâle), on ne sait pas au juste à quoi correspond cette expression ; il s’agit probablement de ces argiles maigres, ou plutôt de ces sables fortement, imprégnés d’argile, qui à la cuisson se dessèchent bien, sans se tourmenter ni se gercer, mais qui fournissent des briques poreuses, absorbant l’eau, friables et peu consistantes. Peut-être cette matière, employée crue, était-elle meilleure. Vitruve n’en indique d’ailleurs l’emploi qu’exceptionnellement, puisqu’il dit : « Sive de rubrica. aut etiam masculo sabulone. »

Il est plus explicite en ce qui concerne les dimensions adoptées, soit par les usages traditionnels romains, soit par la pratique des Grecs. Mais il devait y avoir beaucoup plus de types que ceux qu’il énumère[30]. Il ne cite que le λύδιος, d’un pied de long sur 1/2 de large, qui était la brique usuelle romaine, paraît-il, puis la brique carrée dite τετράδωρον, de quatre palmes[31] ou un pied de côté, et le πεντάδωρον, de cinq palmes, soit 0m37. Or, on voit dans toutes les constructions romaines des briques de dimensions bien plus grandes. Les briques que nous trouvons aux piliers et aux voûtes de l’aqueduc du Gier, par exemple, ont environ 0m,60 de côté, un peu moins ou un peu plus, soit de vingt-deux pouces à deux pieds, avec deux pouces d’épaisseur, 0m,05[32]. Ailleurs, on en cite de 0m,75 de côté, épaisses de 0m,075. On ne peut dire qu’il y eût vraiment des types fixes. Cela dépendait des régions et de ce qu’exigeaient les différentes constructions. Quant aux fours à cuire les briques, ils ne devaient rien présenter qui les différenciât beaucoup des plus simples que nous employons. Aussi, quand on prétend en avoir reconnu des restes évidents non loin du parcours de l’aqueduc du Gier, à Terrenoire et à Chagnon, il faut se demander si ces restes, qui ont maintenant tout à fait disparu, étaient bien des ruinés romaines. Il n’y aurait rien là d’impossible, mais ce n’est pas certain.

Rien de certain non plus sur la provenance des briques de l’aqueduc : elles ne portent, toutes celles du moins que j’ai pu voir entières, aucune marque imprimée. L’habitude des fabricants était, pourtant, dans les provinces comme à Rome, d’inscrire leur nom sur les tuiles et briques, comme sur tous les autres ouvrages de poterie et de céramique. On a trouvé à Lyon ou aux environs ces marques de poinçons sur nombre d’échantillons que mentionne de Boissieu dans son ouvrage[33], mais aucun ne paraît provenir des aqueducs. Il n’est pas sans intérêt toutefois de remarquer que parmi ces cretarii ou negotiatores artis cretariae, qui avaient chacun leur estampille spéciale, il y en avait qui devaient exercer cette industrie ou ce commerce en grand, puisque certaines de ces briques trouvées à Lyon venaient de loin. C’est ainsi que se rencontre, plusieurs fois répété, le nom d’un certain Clarianus, dont l’atelier, d’après l’interprétation de Boissieu, devait être situé au voisinage d’Antibes[34]. On trouve ce nom « dans nos provinces, presque partout où l’on découvre des ouvrages anciens ayant exigé l’usage des briques. On le rencontre à Aix en Savoie, à Uriage en Dauphiné, à Lyon, à Vienne, à Vaison, à Die, à Carpentras, à Avignon, etc. » Une fourniture importante, pour une entreprise de travaux publics, devait être confiée de préférence à l’un de ces gros industriels. Néanmoins, si les travaux étaient exécutés dans une région pourvue de bancs d’argile, il est assez vraisemblable que les briques se soient confectionnées suivant les besoins de l’entreprise, par les propres ouvriers de celle-ci. On s’explique mieux ainsi l’absence de marques à celles de l’aqueduc du Gier. On n’appose guère sa marque de fabrique sur des objets qu’on se fournit à soi-même, surtout si elle doit être cachée[35]. D’autre part, il n’est pas impossible que dans un lot de fournitures publiques, quelques-unes des briques seulement fussent marquées.

Assurément la découverte d’une empreinte sur une de ces briques d’aqueducs offrirait un vif intérêt. Supposons, par exemple, qu’on y lise le nom d’une légion, le numéro d’un corps militaire quelconque, comme cela s’est lu fréquemment sur les briques d’autres ouvrages construits par l’armée romaine, on aurait la preuve absolue de la collaboration des troupes aux aqueducs de Lyon. Il manque jusqu’ici une preuve matérielle de ce genre.

B. — Pierres.

Il n’y a guère à revenir sur la description des pierres qui ont servi à la construction de nos quatre aqueducs. Gneiss, micaschistes ou granits, pris sur place, ont été la matière principale pour ceux du Gier, de La Brévenne et de Craponne, ainsi que les calcaires jurassiques pour l’aqueduc du Mont-d’Or. Le système d’appareil extérieur, de blocage intérieur, de confection des voûtes, a été commandé assurément par la nature de ces matériaux qu’on avait sous la main. L’appareil réticulé avait beau être à la mode au moment où s’est construit l’aqueduc du Gier, il est probable que si le sol qu’il sillonné eût offert de beaux blocs pour la taille, on n’eût pas hésité à le construire en grand appareil. De même, on eût façonné la couverture de l’aqueduc du Mont-d’Or en plein cintre avec voussoirs, si l’on n’eût rencontré sur toutes ces pentes des calcaires se détachant en larges assises qui pouvaient, sans taille, s’appliquer sur les montants des piédroits pour former couvercles. Leurs surfaces étaient d’autre part peu propres, à cause de la rugosité que leur donnent les fossiles, à faire de bons voussoirs ainsi à l’état brut, tandis que les micaschistes des terrains primitifs présentaient d’eux-mêmes les surfaces lisses qu’il fallait. La règle générale était si bien de profiter des matériaux existant sur place que l’on peut reconnaître le changement de terrain entre deux ponts de l’aqueduc du Gier, à voir les pierres différentes qui garnissent l’intérieur des piles, fragments fournis par les déblais des tranchées. Ainsi, près de Saint-Chamond, les blocages sont faits surtout d’un certain grès houiller grossier, caractéristique de l’étage; à partir de Chagnon, où l’on s’écarte de la cuvette houillère, ce grès disparaît complètement.

Vitruve (ii, 7), en passant en revue les différentes pierres à bâtir fournies par le sol de l’Italie, les apprécie très judicieusement suivant leur dureté[36], leur résistance à l’écrasement[37], leur aptitude à la taille[38], leur façon de se comporter au feu[39], à la mer[40],et surtout à l’air[41], au froid et à la neige[42].On n’a pas à se placer à d’autres points de vue. Bien qu’il reconnaisse que les qualités des unes et des autres ne soient pas toujours comparables[43], Vitruve semble donner la préférence à la pierre d’Albe, le péperin et ses variétés. C’est un tableau juste, mais restreint, tout à fait régional et, qui, à part la pierre de Tibur (le travertin, calcaire à grain fin), ne comprend guère que des pierres de nature plus ou moins volcanique, tufs, laves et basaltes. Comme il parle des matériaux très usuels, l’auteur ne mentionne dans sa liste ni le marbre ni le porphyre, qui sont matériaux de luxe. On voudrait y voir figurer des pierres de différents terrains et de divers pays.

En ce qui concerne les qualités de durée, rien n’était meilleur que les pierres employées aux parements des aqueducs de Lyon ; mais elles se prêtaient mal à une taille régulière en blocs massifs. L’adoption du système réticulé a été une solution fort élégante pour leur utilisation; l’aspect en est gai, ses rayures croisées se détachent bien sur l’horizon. Rien au contraire n’est plus triste et plus terne que les piliers construits en petit appareil rectangulaire avec les pierres de cette nature. L’architecte du dernier aqueduc était un homme de goût, un véritable artiste, et a proscrit cette disposition. Même quand il a voulu, en certains endroits de préférence, rehausser la beauté des lignes d’arcades, il a eu recours à d’autres pierres plus claires que celles du pays, en les alternant, avec celles-ci pour former le damier, ou en les employant seules, comme sur les plateaux de Soucieu et de Chaponost. Ce sont des calcaires qui ne se trouvent, pas dans les départements du Rhône et de la Loire, et qui, par leur grain fin, leur dureté et leur poids, semblent, appartenir à ces bancs qu’on exploite dans le département de l’Ain, non loin de Belley, et qu’on appelle pierres de choin. Au pont de Beaunant elles ont été employées non seulement pour les petits prismes clairs du parement, mais en gros blocs taillés, dans les fondations. Sur le plateau de Soucieu, c’est une pierre, du même grain qui constitue à elle seule le réticulé ; mais elle se distingue par une teinte légèrement rosée qui lui donne plutôt une certaine analogie avec la pierre de Tournus, au nord de Mâcon. Ainsi, pour la beauté du coup d’œil, on avait, aux ouvrages destinés à être particulièrement en vue, dérogé au principe de la sévère économie.

  1. Je n’ai pas voulu parler des matériaux de construction avant d’avoir examiné la forme architectonique et la structure interne des ouvrages apparents, car on ne s’intéresse guère aux matériaux sans avoir une idée d’ensemble sur leur rôle. D’autre part, dans les constructions en sous-sol, leur emploi est tellement subordonné à leur nature et à leur préparation, que la clarté de l’exposé en exige l’étude préalable. C’est pour cela qu’en dépit d’un illogisme apparent, j’ai intercalé cette étude entre les deux espèces d’ouvrages constituant les aqueducs.
  2. Toute chaux provient de la calcination des pierres calcaires, carbonates de chaux naturels. Tirée du four, elle est à l’état de pierre sèche, qu’on appelle chaux vive. Pour la rendre utilisable, il faut l’éteindre par l’eau. La chaux éteinte est un hydrate de chaux. Suivant la composition de la pierre calcaire, la chaux obtenue est aérienne ou hydraulique. La première, qui ne contient pas ou contient peu d’argile, immergée dans l’eau, y reste indéfiniment à l’état de pâte molle; elle durcit au contraire solidement à l’air, en formant un hydro-carbonate de chaux. La seconde, qui contient de l’argile, fait prise sous l’eau par l’action de l’argile sur la chaux pure qui lui est mélangée : il se forme un silicate double d’alumine et de chaux, dur et solide. Les chaux aériennes se subdivisent en chaux grasses et en chaux maigres. Les premières sont les chaux pures ; elles absorbent l’eau rapidement à l’extinction, en s’échauffant beaucoup et en augmentant beaucoup de volume ; les secondes sont mélangées de matières étrangères ; elles s’échauffent moins à l’extinction, augmentent peu de volume, et forment une pâte moins liante. Les chaux hydrauliques, qui sont des chaux maigres, contiennent de 10 à 35 parties d’argile pour 90 à 95 de chaux pure. Celles qui contiennent le plus d’argile font prise sous l’eau en 2 ou 3 jours; celles qui en ont le moins font prise en 10 ou 20 jours.
  3. ii, 5.
  4. Hist. nat. xxxvi, 53.
  5. La traduction de Littré ne me paraît pas bonne pour ce dernier membre de phrase : « La chaux de la pierre meulière est la meilleure, parce que cette pierre est naturellement plus grasse que les autres. » Or, il y a des meulières qui sont exclusivement siliceuses, et qui par conséquent ne contenant pas de chaux, ne sauraient être grasses ; donc « quaedam natura » signifie, ce me semble, une certaine qualité, une certaine espèce, qui, contenant une certaine quantité de chaux, est assez grasse, un peu plus grasse que les autres. Utilior ne peut être traduit par un superlatif, car il est bien évident que la chaux de meulière ne vaut pas les chaux de calcaires purs.
  6. De Re rustica, i, 10.
  7. La première (fig. 105) consiste à disposer dans un four très simple, en entonnoir, dont le fond est constitué par quelques barreaux de fer formant grille, des couches alternées de calcaire et de combustible. On fait tomber au moyen de ringards la couche inférieure à mesure que la cuisson s’achève. Dans la seconde (fig. 106), la grille est remplacée par une sorte de voûte formée pour chaque cuisson avec de grosses pierres entre lesquelles on ménage quelques vides pour donner passage à la flamme du foyer allumé au-dessous. Par-dessus la voûte, on entasse la pierre seule, en diminuant de bas en haut la grosseur des morceaux. Quand toute la charge est calcinée, on la retire en démolissant la voûte, et l’on recommence l’opération.
  8. i. Les ciments naturels, qu’on appelle improprement quelquefois ciments romains, ne sont pas autre chose que des chaux hydrauliques contenant au-dessus de 35 et jusqu’à 60 % d’argile. Ils ne fusent pas en présence de l’eau et doivent être réduits en poussière, puis gâchés pour pouvoir former la pâte. Ils sont à prise lente, lorsque, plongés sous l’eau, ils ne durcissent qu’au bout de quelques heures ; à prise rapide, lorsqu’il leur suffit de quelques secondes. Leur résistance est généralement plus grande quand la prise est moins rapide. Les ciments de Vassy, de Pouilly, sont à prise rapide ; ceux de Portland, de Boulogne, à prise lente. Les ciments artificiels sont obtenus en broyant de la craie avec une argile bien choisie et en soumettant le mélange à la cuisson. Mais on les obtient aussi (c’est le procédé Vient) en formant une pâte avec de l’argile et de la chaux grasse éteinte en poudre. Ce mélange, séché, est soumis, comme les autres ciments, au gâchage avec de l’eau au moment de l’emploi. Sa prise est lente et ne commence que plusieurs heures après le gâchage. La pouzzolane naturelle estime matière minérale pulvérulente provenant des roches d’origine volcanique. Son nom lui vient de ce qu’elle se trouve en quantité dans les environs de Naples et de Pouzzoles. Mais on en trouve aussi aux environs de Rome et, généralement, dans toutes les régions volcaniques, tantôt naturellement pulvérulente, tantôt en blocs faciles à réduire en poudre. Telle est la pouzzolane ou trass d’Andernach, aux bords du Rhin.
    Les pouzzolanes sont essentiellement, composées d’argile combinée avec un peu de chaux, de potasse, de soude, de magnésie et d’oxydes de fer. Elles contiennent de 70 à 90 parties d’argile, et le surplus en chaux, avec 1 ou 2 % des quelques éléments qui viennent d’être énumérés. Il est rare qu’elles puissent être employées seules, car elles forment difficilement pâte avec l’eau. On les utilise à l’état de mortier en les mélangeant avec une certaine proportion de chaux grasse.
    On fabrique des pouzzolanes artificielles avec des pierres calcaires qui renferment moins de 40 % de carbonate de chaux et dont la calcination fournit un produit composé de 70 à 90 parties d’argile avec 30 à 10 parties de chaux. Ce produit, mélangé avec de la chaux grasse, donne, comme la pouzzolane naturelle, un mortier hydraulique qui durcit rapidement sous l’eau. On peut aussi en fabriquer avec des scories de forge.
    Mais il est un ciment artificiel très anciennement connu, usité bien avant les ciments naturels et sans doute avant la pouzzolane ; c’est celui qu’on appelle le ciment ordinaire, ou ciment de tuileaux, et qui est plutôt une sorte de pouzzolane artificielle qu’un ciment proprement dit. On l’obtient en pulvérisant et en tamisant de l’argile cuite. c’est-à-dire des débris de tuiles, briques et poteries. Cette poudre, qui ne contient jamais plus de 10 % de chaux, ne peut, bien entendu, être employée seule ; mais si on la mélange avec de la chaux grasse, elle donne un mortier assez hydraulique et qui acquiert à la longue une grande dureté.
  9. D’où, vient qu’on n’ait pas utilisé des matières si avantageuses ? On pourrait dire que les opérations diverses qu’elles exigent, calcination très soignée, extinction en paniers pour la chaux hydraulique, gâchage pour les ciments, blutage, conservation envases clos, sont des opérations bien plus délicates que celles qui suffisent pour la chaux grasse. Mais, sans donner tant de raisons, ne sait-on pas comment naissent si souvent les industries ? Pourquoi aussi n’exploitait-on pas davantage la houille, que cependant l’on connaissait bien ? Il en est de même d’une quantité de découvertes : à l’usage elles paraissent si simples qu’on est étonné de n’y avoir pas songé plus tôt.
  10. Le radical de caementum est, probablement, caed (coudre, tailler, couper), caedmentum.
  11. Vitruve, ii, 6.
  12. « Uti in mortario duo ad unum respondeant. » (Vitruve, v, 12). C’est bien la proportion encore usitée maintenant pour les pouzzolanes d’Italie.
  13. « Quis satis miretur pessimam ejus partem, ideoque pulverem appellatum in pulcolanis collibus, opponi maris fluctibus ; mersumque protinus fleri lapidem unum inexpugnabilem undis et fortiorem quolidie, utique si Cumano misceatur caemento. » Le caementum Cumeanum, n’est pas du « ciment de Cumes », comme le porte la traduction de Littré ; ce sont sans doute de petits moellons qui, avec le mélange préalable dont Pline ne parle pas, donnaient un béton.
  14. On ne connaissait d’ailleurs que celle de Naples, ou tout au moins celle-là seule était exploitée. Vitruve semble même ne pas connaître celles de la région romaine, cependant d’une qualité supérieure à celle du Vésuve, et de nos jours employées de préférence. D’après ce qu’il dit (v, 12), les fondations à la mer avec cette pouzzolane ne se faisaient pas facilement par coulage de béton ; on préférait construire sur plate-forme provisoire un massif que l’on n’immergeait qu’au bout de deux mois, quand il était bien desséché. En fait, on reconnaît actuellement que les mortiers de pouzzolane du Vésuve résistent mal à l’eau de mer sans dessiccation préalable à l’air, au lieu que les mortiers de pouzzolane de Rome peuvent, non seulement faire prise, mais demeurer très solides avec l’immersion instantanée. (Cf. un article de Vicat dans les Annales des ponts et chaussées : Examen de quelques pouzzolanes, 1849). Voici la composition de plusieurs pouzzolanes d’Italie.
    Pouzzolanes de la baie de Naples.
    brune gris foncé gris clair
    Sable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,50 2,50 1,50
    Silice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44,00 44,50 42,00
    Alumine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,50 16,50 15,50
    Magnésie . . . . . . . . . . . . . . . . . . traces 3,00 4,40
    Peroxyde de fer . . . . . . . . . . . . 29,50 15,50 12,50
    Eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,50 3,00 3,33
    Principes volatils et solubles . 1,00 6,00 10,27
    100,00 100,00 100,00
    Pouzzolane de Saint-Paul, près de Rome.
    brune gris foncé gris clair
    Silice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45,00
    Alumine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14,80
    Chaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8,80
    Magnésie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,70
    Potasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1,40
    Soude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4,10
    Peroxyde de fer . . . . . . . . . . . . 12,00
    Eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9,20
    100,00
  15. « Etiam in fluviatica aut marina (harena) si quis testant tunsam et succretam ex tertia parte adjeccrit efficiet materiae temperaturam ad usum meliorem. » (ii, 5.) « Si au sable de rivière ou de mer on voulait encore ajouter 1/3 de tuileaux broyés et passés au crible, on obtiendrait une composition d’un usage encore meilleur. »
  16. Quand on mélange la chaux ou le ciment proprement dit avec du subie, ou bien la chaux avec la pouzzolane ou le tuileau, on a ce que l’on nomme un mortier. Le simple mélange chaux et sable est le mortier ordinaire. Les autres mélanges sont dits mortiers de ciment, ou, suivant la façon de parler usuelle, ciments.
    Le sable a pour principal rôle celui de diviser la chaux, ce qui facilite la prise, en permettant à l’acide carbonique de l’air de pénétrer plus facilement le mortier ; il réduit, le prix de la matière employée à volume égal ; de plus, il s’oppose aux retraits qui peuvent avoir lieu pendant le durcissement.
    Les sables quartzeux, de rivière ou de carrière, à grains fins et arrondis, sont ceux qui se mélangent le mieux avec la chaux. Parmi les sables de carrière, on distingue les sables fossiles, ou de sédiment, et les arènes ou sablons qui proviennent de la décomposition spontanée des roches. Le sable marin est rejeté à cause de la présence du sel qui lui laisse la propriété d’absorber l’humidité.
    La proportion du mélange est d’une partie de chaux pour 2 1/2 de sable, pour la chaux grasse, en pâte. Pour les chaux hydrauliques (éteinte en pâte ou éteinte en poudre et ramenée à l’état de pâte par addition de 3 à 4 % d’eau), de 1 de chaux pour 2 de sable. En principe, on ne doit pas ajouter d’eau dans le mélange : c’est la manipulation qui doit donner le degré de plasticité nécessaire.
    On ajoute quelquefois un peu de sable aux mortiers de pouzzolane, ou de tuileaux, et à l’inverse un peu de pouzzolane ou de tuileaux aux mortiers de sable. Les ciments proprement dits s’emploient parfois seuls, en particulier pour les scellements et les enduits d’ornementation, mais le plus souvent, et en particulier pour les revêtements de citernes, bassins, réservoirs, radiers d’aqueducs, on les emploie à l’état de mortier en les mélangeant avec la moitié de leur volume de sable ou volume égal. L’eau nécessaire au gâchage de ce mortier doit être au plus égale à la moitié du volume du ciment. Enfin, on appelle mortier bâtard celui qu’on obtient en renforçant par du ciment le mortier de chaux et de sable.
  17. ii, 5.
  18. Il distingue ces sables fossiles d’après leur couleur: noirs, blancs, rouges; quant à celui qu’il appelle carboncle (carbunculus), ce devait être un sable de couleur brune. En suivant les divers étages géologiques on peut trouver ces couleurs, qui dépendent à lieu près uniquement des oxydes métalliques. On serait bien mieux renseigné par une distinction entre sables provenant de roches éruptives et de formations sédimentaires. Mais c’est là une distinction qu’on n’était pas en état de faire au temps de Vitruve.
  19. Ces arènes donnent un très bon mortier. C’est avec du sable de cette nature qu’ont été faits les mortiers pour la construction de l’aqueduc du Furens et du barrage du Gouffre-d’Enfer à Saint-Etienne.
  20. Ces essais ont été faits à l’Ecole des Mines de Paris, sous la direction de M. Etienne, ingénieur des mines, professeur à l’Ecole.
  21. Je crois qu’on ne se tromperait guère en triplant ces deux derniers chiffres, car non seulement j’ai prélevé les échantillons dans les conditions que j’ai dites, mais pour le béton surtout, il aurait fallu de grosses masses pour pouvoir faire des essais concluants. Au surplus, voici les résultats d’un certain nombre d’essais à l’écrasement opérés, sur des mortiers récents :

                         Kilog. par centim. carré
    Mortier ordinaire en chaux et sable de rivière, après 6 mois de fabrication . . 35k
    Mortier ordinaire de chaux grasse et sable, après 14 mois de fabrication . . . .14k
    Mortier de chaux hydraulique ordinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74k
    Mortier de chaux éminemment hydraulique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .144k
    Mortier de chaux grasse avec ciment de tuileaux piles . . . . . . . . . . . . . . . . . .48k
    Mortier à pouzzolane de Naples ou de Rome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .37k
    Mortier en ciment de Vassy, avec moitié de sable, après 15 jours de
    fabrication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155k
    Mortier de ciment de Portland de Boulogne, avec les 2/3 de sable, datant
    de 4 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92k
    Mortier de ciment de Portland de Clairefontaine, avec les 2/3 de sable,
    datant de 8 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98k
    Mortier de ciment de Portland de Clairefontaine, avec moitié de sable,
    datant de 18 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242k
    Béton en bon mortier hydraulique, au bout de 18 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . .40k

    Comme on voit, là aussi les essais donnent des écarts considérables avec des matériaux sensiblement pareils ; ce qui prouve qu’il y a toujours une certaine part de hasard dans ces épreuves et qu’il faut s’en tenir à des moyennes.

  22. Le béton des constructions modernes est un mélange de mortier hydraulique avec des cailloux, du gravier ou des pierres cassées dont la grosseur varie de 0m,03 à 0m,04 et va même jusqu’à 0m,05 ou 0m,06. La maçonnerie incompressible ainsi formée est plus économique et offre plus de résistance que le mortier seul. Les proportions du mélange influent grandement sur la prise, l’incompressibilité, le degré de dureté, et l’imperméabilité du béton.
    Le béton est gras, lorsque le volume du mortier est égal à celui des vides, ou est en excès. Il est maigre, lorsque le volume du mortier est inférieur à celui des vides. On cherche en général à se tenir dans la moyenne. Il se compose alors de 3 à 4 parties de pierres avec 2 parties de mortier.
    Le béton se fabrique sur une aire en planches et à l’abri, sous un hangar. Le mortier y est étendu ; par-dessus on répand la pierre cassée et on effectue le mélange à plusieurs reprises avec des rabots, pelles, grilles en fer et pilons. On compte en général une journée d’ouvrier pour 1m,30 de béton non tassé.
    Suivant le degré d’hydraulicité du mortier composant, les bétons sont à prise plus ou moins rapide ; quand le mortier est un mortier de ciment, il faut hâter la confection et l’utilisation du produit.
    Quand le béton doit être employé à sec, on l’amène à pied d’œuvre dans des brouettes ou des conduits en planches. On l’étend dans la fouille par couches successives de 0m,15 à 0m,20 d’épaisseur. Chaque couche est battue avec de lourds pilons, pour répartir bien uniformément le mortier dans la masse. Quand le béton est destiné à établir des fondations sous l’eau, on le fait couler au fond, soit par des trémies, sortes de cheminées mobiles, soit par des caisses que l’on renverse ou dont on ouvre le fond au moyen de cordes et de leviers.
  23. viii, 6, 211.
  24. Vitruve parle ailleurs (v. 12) du bétonnage sous l’eau, à propos de la construction des ports.
  25. V. ci-dessus, p. 72.
  26. Vitruve, i, 5.
  27. D’après Varron, l’usage de la brique cuite était spécialement répandu en Gaule « E lateribus coctilibus, ut in agio gallieo. » (De Re rustica, i, 14.)
  28. ii,3.
  29. Il est à peine utile de faire observer que le mot creta n’est pas seulement pris par Vitruve et les autres auteurs techniques dans le sens de craie, mais désigne aussi toute espèce de terre grasse, blanche ou non, peu favorable à la culture, bonne pour le lutage et pour la poterie (Varron, De Re rustica, i, 7 ; — Caton, 34 et 39 ; — Pline, xiv, 25, xxxi, 28; — Virg. Géorg, i, 179 ; — et surtout Columelle iii, 11) : « Cretosa humus utilis habetur viti : nam per se ipsa creta, qua utuntur figuli, quamque nonnulli argillam vocant, inimicissima est. »
  30. C’est là un indice, parmi tant d’autres, de la manière dont le livre de Vitruve a été composé. Il abonde en classifications purement théoriques, et par suite restreintes, défaut si habituel des traites didactiques, des cours.
  31. La palme (mineure) était de 0m,0739.
  32. Les indications en pouces sont données par Delorme ; il s’agit du pouce français. Vitruve ne donne aucune indication d’épaisseur.
  33. Inscriptions antiques de Lyon, p. 434, suiv.
  34. Les marques de ce potier figurent sous les numéros 35, 36 et 37 de la liste. Je les ai reproduites ci-dessous, fig. 108.
    Fig. 108. — Marques de potier.

    35. Clariana
    36. Clarianumada
    37. Clarianus

    Par confrontation avec une autre brique de Clarianus, exhumée à Vienne, et portant au-dessous du nom les lettres

    A DECI ALP

    M. de Boissieu propose d’interpréter les trois dernières lettres A D A de Clarianumada par Ad Deciates Alpinos. Or, Antibes était dans la région des Déciates, et Pline classe ce peuple parmi les populi Alpini (Hist. nat., iii, 7). — Quant à l’M dans Clarianumada, ce serait la première lettre de Magnarins, surnom de Clarianus.

    Quoi qu’il en soit, ce potier n’écoulait pas ses produits simplement sur place, puisqu’on trouve ses briques dans toute la région entre le Rhône et les Alpes.

  35. Entrepreneurs ou architectes n’inscrivaient leurs noms qu’exceptionnellement sûr les monuments qu’ils avaient construits. On en aurait un exemple à Lyon. Artaud (Lyon souterrain, p. 74), a lu le nom d’un certain Quintus Valerius (Q.-Val.) gravé sur plusieurs pierres de taille soutenant la muraille de Saint-Just. Ce devait être le constructeur.
  36. Il les divise à cet égard en trois classes : molles, temperatae, durae.
  37. Sustinent laborem (Les pierres de Rubra, de Fidène, et d’Albe). Sufferunt ab oneribus injurias. (Les pierres de Tibur.)
  38. In opere faciliter tractantur. (Id.)
  39. Ab igni non possunt esse tuta, simulque sunt ab eo lacta dissiliunt et dissipantur. (Id.)
  40. Secundum ora maritima ab salsugine exesa diffluunt. (Les pierres tendres.)
  41. Cum sint vetasta, sic apparent recentia. (Pierres du lac de Vulsinies.)
  42. Gelicidiis et pruinis friantur et dissolvantur. (Les pierres tendres.)
  43. Inveniuntur disparibus et dissimilibus virtulibus.