Livre III
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 109-110).
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VIII

MON BISAÏEUL


Tout dans cette chambre était encore dans le même état, si ce n’est que les tapisseries y étaient en lambeaux, et que les araignées y tissaient leurs toiles dans la poussière.
Walter Scott. — Woodstock.


Les vénérables personnages de la tapisserie gothique, remuée par le vent, se saluèrent l’un l’autre, et mon bisaïeul entra dans la chambre, — mon bisaïeul mort il y aura bientôt quatre-vingts ans !

Là, — c’est là, devant ce prie-Dieu qu’il s’agenouilla, mon bisaïeul le conseiller, baisant de sa barbe ce jaune missel étalé à l’endroit de ce ruban.

Il marmotta des oraisons tant que dura la nuit, sans décroiser un moment ses bras de son camail de soie violette, sans obliquer un regard vers moi, sa postérité, qui étais couché dans son lit, son poudreux lit à baldaquin !

Et je remarquai avec effroi que ses yeux étaient vides, bien qu’il parût lire, — que ses lèvres étaient immobiles, bien que je l’entendisse prier, — que ses doigts étaient décharnés, bien qu’ils scintillassent de pierreries !

Et je me demandais si je veillais ou si je dormais, — si c’étaient les pâleurs de la lune ou de Lucifer, — si c’était minuit ou le point du jour !