Livre VI
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 179-180).


V

ENCORE UN PRINTEMPS


Toutes les pensées, toutes les passions qui agitent le cœur mortel sont les esclaves de l’amour.
Coleridge.


Encore un printemps, — encore une goutte de rosée qui se bercera un moment dans mon calice amer, et qui s’en échappera comme une larme.

Ô ma jeunesse ! tes joies ont été glacées par les baisers du temps, mais tes douleurs ont survécu au temps qu’elles ont étouffé sur leur sein.

Et vous qui avez parfilé la soie de ma vie, ô femmes ! s’il y a eu dans mon roman d’amour quelqu’un de trompeur, ce n’est pas moi, quelqu’un de trompé, ce n’est pas vous !

Ô printemps ! petit oiseau de passage, notre hôte d’une saison qui chante mélancoliquement dans le cœur du poète et dans la ramée du chêne !

Encore un printemps, — encore un rayon du soleil de mai au front du jeune poète, parmi le monde, au front du vieux chêne, parmi les bois !


Paris, 11 Mai 1836.