Galois - Manuscrits, édition Tannery, 1908/Introduction

Texte établi par Jules Tannery, Gauthier-Villars (p. 1-12).

INTRODUCTION.




Les manuscrits de Galois ont été remis à Joseph Liouville par Auguste Chevalier : Liouville a légué sa bibliothèque et ses papiers à l’un de ses gendres, M. de Blignières[1]. Mme de Blignières s’occupe pieusement de classer les innombrables papiers de son mari et de son illustre père. Elle a recherché et su retrouver (non sans peine) les manuscrits de Galois : ceux-ci, ainsi que d’autres papiers importants, seront donnés à l’Académie des Sciences : Mme de Blignières a bien voulu, en attendant, m’autoriser à examiner les manuscrits de Galois et à en publier des extraits : je lui exprime ici ma profonde reconnaissance.

Je dois aussi des remercîments à M. Paul Dupuy, dont tous les géomètres connaissent la belle Notice sur la vie d’Évariste Galois, publiée dans les Annales scientifiques de l’École Normale[2]. M. Dupuy a bien voulu procéder à un premier classement des manuscrits qui m’avaient été remis et en séparer ceux qui appartiennent incontestablement à Galois, dont il connaît bien l’écriture.

Les lignes qui suivront, les quelques fragments ou notes que je pourrai publier n’ajouteront rien à la gloire de Galois : elles ne sont qu’un hommage rendu à cette gloire dont l’éclat n’a fait que grandir depuis la publication de Liouville.

Cette publication a été faite de la façon la plus judicieuse ; mais, soixante ans plus tard, on est tenu à moins de réserve. Les mathématiciens s’intéresseront toujours à Galois, à l’homme et à ses écrits : il est de ceux dont on voudrait tout savoir.

Je m’occuperai tout d’abord des œuvres posthumes et des papiers qui s’y rapportent. Pour la plupart de ces papiers, on possède la copie de Chevalier ; d’ailleurs l’écriture de Galois est, d’ordinaire, parfaitement lisible et même assez élégante ; mais elle est parfois abrégée, hâtive ; les ratures et les surcharges abondent ; j’aurai à signaler quelques mots et quelques phrases illisibles.

L’importance de l’œuvre de Galois sera mon excuse pour la minutie de certains détails, où j’ai cru devoir entrer, et qui va jusqu’au relevé de fautes d’impression, dont le lecteur attentif ne peut manquer de s’apercevoir. Je ne me dissimule pas ce que cette minutie, en elle-même, a de puéril.

Les œuvres posthumes occupent les pages 408–444 du Tome XI (1846) du Journal de Mathématiques pures et appliquées et les pages 25–61 des Œuvres mathématiques d’Évariste Galois publiées sous les auspices de la Société mathématique de France[3]. C’est, sauf avis contraire, à ce dernier Ouvrage que se rapportent tous les renvois.


Lettre à Auguste Chevalier

(pages : 25–32).

Dimensions du papier : 31×20. La lettre, datée deux fois, au commencement et à la fin (29 mai 1832), contient sept pages : le bas de la septième, au-dessous de la signature, a été coupé sur une longueur d’environ 8cm.

Le verso de la dernière page contient le brouillon de deux lettres, d’ailleurs biffées, dont l’une porte une date, biffée aussi ; on lit 14 mai 83 ; il est vraisemblable que Galois a écrit sa lettre à Chevalier sur la première feuille venue, une feuille sur laquelle il avait griffonné une quinzaine de jours auparavant.

Ces brouillons sont disposés d’une façon assez singulière : ils comportent des phrases entières, puis des lignes, blanches au milieu avec un mot au commencement et un mot à la fin : ces mots sont souvent illisibles, tant parce qu’il est impossible de leur attribuer un sens que par suite des ratures : celles-ci vont de haut en bas ; il en est ainsi dans plusieurs des manuscrits de Galois ; ici, elles semblent faites avec une barbe de plume, ou un bout de bois, qu’il aurait trempé dans l’encre ; le premier brouillon de lettre est à gauche, le second à droite et se continue dans une autre direction ; Galois a fait tourner son papier d’un angle droit. Voici ce que j’ai pu lire :


brisons là sur cette affaire je vous prie
Je n’ai pas assez d’esprit pour suivre
une conversation de ce genre
mais je tâcherai d’en avoir assez pour
converser avec vous comme je le faisais
avant que rien soit arrivé. Voilà
Mr le xxxxxxxxxxxx (illis.)
en a xxxxxxxxxxxxx qui
doit vous xxxxxxxxx qu’à
moi et ne plus penser à des choses
qui ne (illis.) exister et qui
n’existeront jamais


14 mai 83


J’ai suivi votre conseil et j’ai réfléchi
à xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx qui s’est
passé xxxxxxxxxxxxxxxxx sous quelque
dénomination que ce puisse[4] être (illis.) par s’établir
entre nous. Au reste Mr xxxxxxxx soyez (?)
persuadé qu’il n’en aurait sans doute


jamais été davantage ; vous supposez
mal et vos regrets sont mal fondés.
La vraie amitié n’existe guère
qu’entre des personnes de même sexe
Surtout xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx des
amis. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Sans doute
le vide qu xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx l’absence
de tout sentiment de ce genre….
(illis.) confiance… mais elle a été
très (illis.)[5]….. x vous m’avez
vu triste xxxxxxxxxx z demandé
le motif ; je vous ai répondu que
j’avais des peines ; qu’on m’avait fait
éprouver. J’ai pensé que vous prendriez
celà comme toute personne devant
laquelle on laisse tomber une parole
pour (illis.)xxxxxxxx on n’est
pas
le calme de mes idées me laisse
la liberté de juger avec beaucoup
de réflexion les personnes que je vois
habituellement ; c’est ce qui fait que
j’ai rarement le regret de m’être
trompé ou laissé influencer à leur égard.
Je ne suis pas de votre avis pour
les (illis.) xxxxxxxxxxxx plus que
les (?) xxxxxxxxxxxxxxx exiger
ni se xxxxxxxxxxxxxxxx vous remercie
sincèrement de tous ceux ou vous
voudrez bien descendre en ma
faveur.

J’ai collationné le manuscrit avec le texte imprimé : il n’est guère utile de parler de quelques changements de notation, sans aucune importance, qui remontent à Liouville, de dire que Galois a écrit bulletin ferussac et non Bulletin de Férussac, ou encore de signaler, page 29 des Œuvres, ligne 24, la substitution du mot « équation » au mot « réduction » que le sens indique suffisamment et qu’on lit dans le manuscrit et dans le texte de Liouville. Le point le plus intéressant est que le théorème de Legendre (page 30, ligne 31),

,

est écrit par Galois non sous la forme qui précède, mais comme il suit :


Mémoire sur les conditions de résolubilité par radicaux

(pages 33–50)[6].

Dans les quelques lignes d’introduction au Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux que Galois avait biffées (d’ailleurs très légèrement) et que Chevalier a conservées avec raison, Galois dit que le Mémoire est extrait d’un Ouvrage qu’il a présenté à l’Académie il y a un an. Le manuscrit de Galois n’est pas un extrait, c’est le texte même qui a été remis à l’Académie. Qu’il en soit ainsi, c’est ce que Chevalier avait signalé dans une note (page 33 des Œuvres, note 2) ainsi conçue :

J’ai jugé convenable de placer en tête de ce Mémoire la préface qu’on va lire, bien que je l’aie trouvée biffée dans le manuscrit. Ce manuscrit est précisément celui que l’auteur présenta à l’Académie.

La dernière phrase de cette note, qui figure dans la copie de Chevalier et sur l’épreuve dont j’ai parlée, a disparu du texte définitif. Liouville a-t-il voulu effacer la légère contradiction entre le texte et la note, a-t-il cru devoir se conformer au désir de Galois, qui semble avoir souhaité qu’on ignorât que ce Mémoire était celui-là même qu’il avait présenté à l’Académie ; a-t-il jugé lui-même que, pour des raisons de convenance envers l’Académie, cette ignorance était préférable ? C’est là, en vérité, des questions dont la réponse importe bien peu, non plus que la petite inexactitude du mot extrait. Il importe beaucoup plus que le texte du Mémoire de Galois ne se soit pas égaré, comme le précédent, et qu’il ait pu être remis à l’auteur, qui y a fait plusieurs remaniements : ceux-ci, le plus souvent, peuvent se distinguer par l’écriture. La conjecture de Chevalier, à savoir que « Galois a relu son Mémoire pour le corriger avant d’aller sur le terrain » (note de la page 40), est tout à fait vraisemblable.

La première page de la couverture, qui subsiste, est fort sale, tachée d’encre, couverte de gribouillages, de bouts de calcul, à l’encre ou au crayon, au recto et au verso, dans tous les sens ; quelques-unes des formules laissent supposer que Galois, en les traçant, pensait à quelque point de la théorie des fonctions elliptiques ; d’autres se rapportent à une suite récurrente.

En haut et à droite du recto on lit (écriture de Liouville) « Rapport du 4 juillet 1831 » ; puis, en titre, d’une écriture qu’il serait probablement possible d’identifier :

MM. Lacroix

MM. Poisson

commissaires

xxxxxxxxxxle 17 jer 1831


le tout suivi d’un paraphe ; en face du nom de Poisson, il y a le mot vu, d’une grosse écriture, celle de Poisson sans doute.

Au verso, entre des taches et des calculs, Galois a écrit

Oh ! chérubins.

On peut bien supposer que cette apostrophe s’adresse à MM. Lacroix et Poisson.

Le manuscrit contient onze pages (38 × 25) ; la marge occupe la moitié de chaque page ; elle contient plusieurs notes et additions, dont les unes remontent peut-être à la première rédaction, dont les autres ont été sans doute ajoutées par Galois, lorsqu’il a revu son travail pour la dernière fois telle est assurément celle qu’a signalée Chevalier, le tragique « je n’ai pas le tems ».

En marge de la seconde page, on trouve ces quatre noms :

V. Delaunay
N. Lebon
F. Gervais
A. Chevalier


et une liste de onze noms, soigneusement biffés.

Je dois, en passant, signaler, page 34 des Œuvres, l’omission de deux lignes, qui figurent dans le manuscrit et dans le texte de Liouville ; elles devraient terminer l’avant-dernier alinéa :
…, en général par quantité rationnelle une quantité qui s’exprime en fonction rationnelle des coefficients de la proposée.

Dans la marge de la troisième page du manuscrit, en face du lemme III (page 36), se trouve la note au crayon que voici :

La démonstration de ce lemme n’est pas suffisante ; mais il est vrai, d’après le no 100 du Mémoire de Lagrange, Berlin, 1775.

Au-dessous, Galois a écrit :

Nous avons transcrit textuellement la démonstration que nous avons donnée de ce lemme dans un Mémoire présenté en 1830. Nous y joignons comme document historique la note suivante qu’a cru devoir y apposer M. Poisson.

On jugera.

Puis, plus bas :

Note de l’auteur.

Galois voulait évidemment que la note de Poisson[7] et son propre commentaire fussent publiés. Au surplus, les notes de Poisson et de Galois figurent dans la copie de Chevalier et dans l’épreuve. Liouville les a supprimées finalement, pour des raisons évidentes.

La note de la page 37 des Œuvres est en face du lemme IV et semble d’une encre différente de celle du texte ; mais il ne me paraît nullement certain que ce soit une addition de la dernière heure : je crois que Galois a dû, à cette dernière heure, remanier et développer hâtivement la démonstration de ce lemme IV ; elle ne comportait probablement, dans le texte primitif, que quatre ou cinq lignes ; elle est maintenant écrite, partie dans la marge, partie dans le blanc qui restait au bas de la page, d’une écriture serrée, nerveuse : au reste, un mot injurieux, biffé, et qui est de la même encre que le « chérubins » de la couverture ne laisse guère de doute sur l’impatience que ce passage a fait éprouver l’auteur.

La note de la page 38 des Œuvres est en marge, en face de la proposition I. À la suite de cette note, avec l’indication « à reporter dans les définitions », se trouve ce qui est imprimé pages 35 et 36, à partir de la ligne 22 (Les substitutions sont…) jusqu’à la ligne 3 (la substitution ST) ; ce passage est en face du texte imprimé du milieu de la page 38 au milieu de la page 39.

En marge de la page suivante (cinquième) du manuscrit, le scholie II[8] (page 40) est immédiatement précédé de ces indications, qui sont biffées :

Ce qui caractérise un groupe. On peut partir d’une des permutations quelconques du groupe.

Vraisemblablement, c’est après avoir écrit et biffé ces lignes que Galois s’est décidé à écrire le passage « à reporter dans les définitions ». Un peu plus bas est la note «… je n’ai pas le temps », puis cinq lignes biffées, mais qui sont d’une écriture calme et remontent peut-être à la première rédaction, les voici :

Car si l’on élimine entre et étant du degré premier , il ne peut arriver que de deux choses l’une : ou le résultat de l’élimination sera de même degré en que ou il sera d’un degré p fois plus grand.

Ce passage biffé doit évidemment être rapproché des indications données dans le premier alinéa de la note de la page 40. Ces indications sont de Liouville ; la note de Chevalier était ainsi conçue :

Vis-à-vis la démonstration de ce théorème, dans le manuscrit j’ai trouvé ceci

« Il y a quelque chose… »

C’est ainsi qu’elle figure dans l’épreuve. Les six premières lignes de la note de la page 40 sont donc de Liouville.

Au reste, Liouville a été visiblement préoccupé de cet endroit (proposition II) du texte de Galois : il a jugé un moment convenable de reprendre l’hypothèse primitive de Galois (p premier) et d’éclaircir complètement la démonstration dans ce cas, par une note que je crois devoir transcrire, non pas qu’elle puisse apprendre quelque chose au lecteur, mais parce qu’elle me semble une trace touchante des soins et des scrupules que Liouville apportait dans sa publication ; le renvoi correspondrait à la ligne 20 de la page 40 des Œuvres :


Ceci mérite d’être expliqué avec quelque détail.

Désignons par l’équation dont l’auteur parle, et soient les facteurs irréductibles dans lesquels devient décomposable par l’adjonction de , en sorte que

.

Comme est racine d’une équation irréductible, on pourra dans le second membre remplacer par . Ainsi est le produit des i quantités suivantes

,


dont chacune, symétrique en et par suite exprimable en fonction rationnelle de indépendamment de toute adjonction, doit diviser et se réduire en conséquence à une simple puissance du polynôme qui cesse de se résoudre en facteurs lorsqu’on n’adjoint pas les auxiliaires , etc. J’ajoute que le degré de la puissance est le même pour toutes. En effet, les équations qui dérivent de et dont les racines sont fonctions rationnelles les unes des autres ne peuvent manquer d’être du même degré. En faisant donc

,


on en conclura . Mais est premier et  ; donc on a , d’où , et enfin

.


Ce qu’il fallait démontrer.

(J. Liouville.)

Assurément, en rédigeant cette note, Liouville se conformait au précepte d’être « transcendantalement clair » qu’il a rappelé dans l’avertissement aux Œuvres mathématiques de Galois. Il s’est aperçu ensuite en réfléchissant davantage, que la proposition II n’impliquait pas que le nombre fût premier et il a soigneusement noté les différences essentielles entre les deux rédactions successives de l’auteur. Qu’il ait reculé devant les explications nécessaires pour donner à la pensée de Galois toute la clarté qu’il faudrait, cela, aujourd’hui, n’a aucun inconvénient.

Page 41 des Œuvres, les lettres , remplacent les lettres , dont s’est servi Galois ; pareil changement a été fait dans la lettre à Chevalier ; ces petites modifications, destinées à éviter des confusions possibles, sont de Liouville : les lettres , figurent encore dans l’épreuve.

Les lignes 7, 8, 9 de la même page sont une addition marginale, mais qui ne semble pas de la dernière heure. Cette addition est suivie de la nouvelle rédaction de la proposition III, datée de 1832, sur laquelle l’attention est appelée dans la note qui est au bas de la page qui nous occupe. Ici encore, Liouville est intervenu ; la note de Chevalier était ainsi conçue.

Dans le manuscrit de Galois l’énoncé du théorème qu’on vient de lire se trouve en marge et vis-à-vis de la démonstration qu’il en avait écrite d’abord. Celle-ci est effacée avec soin ; l’énoncé précédent porte la date 1832 et montre par la manière dont il est écrit que l’auteur était extrêmement pressé : ce qui confirme l’assertion que j’ai avancée dans la note précédente.

C’est donc Liouville qui a déchiffré et intercalé le texte primitif de la proposition III.

La phrase (il suffit… substitutions), placée entre parenthèses au bas de la page 43 des Œuvres et en haut de la page 44, est une note marginale.

Page 46, ligne 24, Galois a simplement écrit « Journal de l’École, XVII ».

Il y a dans les manuscrits de Galois une feuille (double) qui est une sorte de brouillon de la proposition V ; ce brouillon a passé en grande partie dans la rédaction du Mémoire[9].

Avant de parler du manuscrit contenant le fragment imprimé dans les dernières pages des Œuvres, je dois dire un mot d’une feuille détachée[10] en partie déchirée, qui, par le format du papier, la couleur de l’encre et la forme de l’écriture, paraît avoir appartenu au cahier dont ce manuscrit faisait partie. Elle contient une rédaction antérieure de la proposition I et de sa démonstration, rédaction qui semble avoir été écrite au moment même où Galois venait de trouver cette démonstration : l’énoncé de la proposition fondamentale est, presque textuellement, le même que dans le Mémoire sur les conditions de résolubilité, puis viennent seize lignes barrées que je reproduis :

Considérons d’abord un cas particulier. Supposons que l’équation donnée n’ait aucun diviseur rationnel et que toutes ses racines se déduisent rationnellement de l’une quelconque d’entre elles. La proposition sera facile à démontrer.

En effet, dans notre hypothèse, toute fonction des racines s’exprimera en fonction d’une seule racine et sera de la forme , étant une racine. Soient


les m racines. Écrivons les m permutations

Le reste de la démonstration suivait, contenu dans une douzaine de lignes qui sont devenues les lignes 13-26 de la page 39 des Œuvres : on distingue assez bien les x surchargés des de la rédaction définitive ; ces douze lignes sont d’ailleurs réunies en marge par un trait, avec l’indication : à reporter plus loin. Galois a changé d’idée ; il trouve maintenant inutile de s’arrêter au cas particulier ; mais il semble que ce cas particulier lui ait été d’abord nécessaire, car les douze lignes que je viens de dire sont suivies de celles-ci :

Le théorème est donc démontré dans l’hypothèse particulière que nous avons établie.

Revenons au cas général.

Ces trois lignes sont biffées avec un soin particulier, Galois est en possession de la démonstration générale, sous la forme simple et définitive ; il est joyeux ; il couvre de hachures les seize lignes puis les trois lignes dont il n’a plus besoin. Vient ensuite la vraie démonstration, les deux dernières lignes de la page 38 des Œuvres et le commencement de la page 39, jusqu’à : « je dis que ce groupe de permutations jouit de la propriété énoncée ». Puis l’indication, en marge, à demi déchirée : mettre ici la partie sautée, et les lignes 24, 25 de la page 39 des Œuvres.

Ne semble-t-il pas qu’on assiste à un moment essentiel dans le développement de la pensée de Galois ? L’émotion s’accroît encore à la lecture des lignes du bas de la feuille, couvertes de ratures et de surcharges, et où le nom propre a disparu dans un trou, produit d’une tache et de l’usure :

Je dois observer que j’avais d’abord démontré le théorème autrement, sans penser à me servir de cette propriété très simple des équations, propriété que je regardais comme une conséquence du théorème. C’est la lecture d’un Mémoire xxxxxxxxx qui m’a suggéré

La fin de la ligne est indéchiffrable : après suggéré, il y a des mots, l’un au-dessus de l’autre, qui sont biffés, peut-être cette surmonté de la pensée, puis, dans la partie la plus usée du papier, assertion ou analyse, ou autre chose, et enfin, plus bas, je crois lire que je dois. Quant au nom propre, les quelques traits qui subsistent, à côté du trou, ne confirment pas la supposition qui vient de suite à l’esprit (page 37, ligne 11), que ce nom est celui d’Abel.

Sur la marge de cette curieuse feuille, se trouvent encore quelques formules, à demi effacées, qui correspondent visiblement aux lemmes II et III.


  1. Célestin de Blignières (1823-1905), ancien Élève de l’École Polytechnique, a été l’un des disciples directs d’Auguste Comte, l’un des plus distingués sans doute et vraiment capable, par l’étendue de son esprit et de son savoir, de comprendre pleinement la doctrine du maître. Mais l’indépendance de son caractère et l’originalité de son esprit l’ont empêché de s’enrôler dans l’un ou l’autre des partis du Positivisme. Il plaisantait parfois de son isolement et se qualifiait de bligniériste : on lui doit une intéressante Exposition de la Philosophie et de la Religion positives (Paris, Chamerot, 1857).

    Pendant neuf ans (1874–1883), un commerce de pensée, très actif, s’établit entre Liouville et M. de Blignières. De ce commerce, dont l’un et l’autre ont beaucoup joui, M. de Blignières a gardé jusqu’à sa mort un souvenir singulièrement vif et présent.

  2. Tome XIII (1896) de la 3e série. Cette Notice a été reproduite, avec le portrait de Galois, dans les Cahiers de la quinzaine [2e cahier de la 5e série (1903)].
  3. Paris, Gauthier-Villars, 1897.
  4. La lecture des quatre premiers mots de cette ligne est douteuse.
  5. Il y a une tache d’encre sur le mot ; on distingue nettement les deux dernières lettres ée.
  6. J’ai eu à ma disposition le manuscrit de Galois, la copie de Chevalier et une épreuve, corrigée de la main de Liouville, mais où ne figurent pas toutes les modifications apportées aux notes : j’aurai l’occasion de parler plusieurs fois de cette épreuve.
  7. Grâce à l’obligeance de Mme  de Blignières, j’ai pu comparer l’écriture de cette note avec celle de Poisson, dans une lettre à Liouville ; aucun doute ne peut subsister.
  8. Les numéros I, II des scholies (p. 39 et 40) ne sont pas dans le manuscrit.
  9. Je ne pense pas qu’il y ait intérêt à publier ce brouillon.
  10. C’est M. P. Dupuy qui a appelé mon attention sur cette feuille. Quelques autres débris apportent un peu de lueur sur la suite des idées de Galois : ils seront publiés dans un second article.