Génie du christianisme/Partie 4/Livre 4/Chapitre VI

Garnier Frères (p. 457-459).

Chapitre VI - Missions de la Guyane

Si ces missions étonnent par leurs grandeurs, il en est d’autres qui pour être ignorées n’en sont pas moins touchantes. C’est souvent dans la cabane obscure et sur la tombe du pauvre que le Roi des rois aime à déployer les richesses de sa grâce et de ses miracles. En remontant vers le nord, depuis le Paraguay jusqu’au fond du Canada, on rencontrait une foule de petites missions où le néophyte ne s’était pas civilisé pour s’attacher à l’apôtre, mais où l’apôtre s’était fait sauvage pour suivre le néophyte. Les religieux français étaient à la tête de ces églises errantes, dont les périls et la mobilité semblaient être faits pour notre courage et notre génie.

Le père Creuilli, jésuite, fonda les missions de Cayenne. Ce qu’il fit pour le soulagement des nègres et des sauvages paraît au-dessus de l’humanité. Les pères Lombard et Ramette, marchant sur les traces de ce saint homme, s’enfoncèrent dans les marais de la Guyane. Ils se rendirent aimables aux Indiens Galibis à force de se dévouer à leurs douleurs, et parvinrent à obtenir d’eux quelques enfants qu’ils élevèrent dans la religion chrétienne. De retour dans leurs forêts, ces jeunes enfants civilisés prêchèrent l’Evangile à leurs vieux parents sauvages, qui se laissèrent aisément toucher par l’éloquence de ces nouveaux missionnaires. Les catéchumènes se rassemblèrent dans un lieu appelé Kourou, où le père Lombard avait bâti une case avec deux nègres. La bourgade augmentant tous les jours, on résolut d’avoir une église. Mais comment payer l’architecte, charpentier de Cayenne, qui demandait quinze cents francs pour les frais de l’entreprise ? Les missionnaires et ses néophytes, riches en vertus, étaient d’ailleurs les plus pauvres des hommes. La foi et la charité sont ingénieuses : les Galibis s’engagèrent à creuser sept pirogues que le charpentier accepta sur le pied de deux cents livres chacune. Pour compléter le reste de la somme, les femmes filèrent autant de coton qu’il en fallait pour faire huit hamacs. Vingt autres sauvages se firent esclaves volontaires d’un colon pendant que ses deux nègres, qu’il consentait à prêter, furent occupés à scier les planches du toit de l’édifice. Ainsi tout fut arrangé, et Dieu eut un temple au désert.

Celui qui de toute éternité a préparé les voies des choses vient de découvrir sur ces bords un de ces desseins qui échappent dans leur principe à la sagacité des hommes, et dont on ne pénètre la profondeur qu’à l’instant même où ils s’accomplissent. Quand le père Lombard jetait, il y a plus d’un siècle, les fondements de sa mission chez les Galibis, il ne savait pas qu’il ne faisait que disposer des sauvages à recevoir des martyrs de la foi, et qu’il préparait les déserts d’une nouvelle Thébaïde à la religion persécutée. Quel sujet de réflexion ! Billaud de Varennes et Pichegru, le tyran et la victime, dans la même case à Synnamary, l’extrémité de la misère n’ayant pas même uni les cœurs ; des haines immortelles vivant parmi les compagnons des mêmes fers, et les cris de quelques infortunés prêts à se déchirer se mêlant aux rugissements des tigres dans les forêts du Nouveau Monde !

Voyez au milieu de ce trouble des passions le calme et la sérénité évangéliques des confesseurs de Jésus-Christ jetés chez les néophytes de la Guyane, et trouvant parmi des barbares chrétiens la pitié que leur refusaient les Français ; de pauvres religieuses hospitalières, qui semblaient ne s’être exilées dans un climat destructeur que pour attendre un Collot-d’Herbois sur son lit de mort et lui prodiguer les soins de la charité chrétienne ; ces saintes femmes, confondant l’innocent et le coupable dans leur amour de l’humanité, versant des pleurs sur tous, priant Dieu de secourir et les persécuteurs de son nom et les martyrs de son culte : quelle leçon ! quel tableau ! que les hommes sont malheureux ! et que la religion est belle !