Génie du christianisme/Partie 4/Livre 2/Chapitre VII

Garnier Frères (p. 404-405).

Chapitre VII - Cimetières de campagne

Les anciens n’ont point eu de lieux de sépulture plus agréables que nos cimetières de campagne : des prairies, des champs, des eaux, des bois, une riante perspective, mariaient leurs simples images avec les tombeaux des laboureurs. On aimait à voir le gros if qui ne végétait plus que par son écorce, les pommiers du presbytère, le haut gazon, les peupliers, l’ornement des morts, et les buis, et les petites croix de consolation et de grâce. Au milieu des paisibles monuments, le temple villageois élevait sa tour surmontée de l’emblème rustique de la vigilance. On n’entendait dans ces lieux que le chant du rouge-gorge et le bruit des brebis qui broutaient l’herbe de la tombe de leur ancien pasteur.

Les sentiers qui traversaient l’enclos bénit aboutissaient à l’église ou à la maison du curé : ils étaient tracés par le pauvre et le pèlerin, qui allaient prier le Dieu des miracles ou demander le pain de l’aumône à l’homme de l’Evangile : l’indifférent ou le riche ne passait point sur ces tombeaux.

On y lisait pour toute épitaphe : Guillaume ou Paul, né en telle année, mort en telle autre. Sur quelques-uns il n’y avait pas même de nom. Le laboureur chrétien repose oublié dans la mort, comme ces végétaux utiles au milieu desquels il a vécu ; la nature ne grave pas le nom des chênes sur leurs troncs abattus dans les forêts.

Cependant, en errant un jour dans un cimetière de campagne, nous aperçûmes une épitaphe latine sur une pierre qui annonçait le tombeau d’un enfant. Surpris de cette magnificence, nous nous en approchâmes, pour connaître l’érudition du curé du village ; nous lûmes ces mots de l’Evangile ;

Sinite parvulos vedire ad me.

Laissez les petits enfants venir à moi.

Les cimetières de la Suisse sont quelquefois placés sur des rochers [NOTE 31], d’où ils commandent les lacs, les précipices et les vallées. Le chamois et l’aigle y fixent leur demeure, et la mort croît sur ces sites escarpés, comme ces plantes alpines dont la racine est plongée dans des glaces éternelles. Après son trépas, le paysan de Glaris ou de Saint-Gall est transporté sur ces hauts lieux par son pasteur. Le convoi a pour pompe funèbre la pompe de la nature et pour musique sur les croupes des Alpes ces airs bucoliques qui rappellent au Suisse exilé son père, sa mère, ses sœurs et les bêlements des troupeaux de sa montagne.

L’Italie présente au voyageur ses catacombes, ou l’humble monument d’un martyr dans les jardins de Mécène et de Lucullus. L’Angleterre a ses morts vêtus de laine, et ses tombeaux semés de réséda. Dans ces cimetières d’Albion, nos yeux attendris ont quelquefois rencontré un nom français au milieu des épitaphes étrangères : revenons aux tombeaux de la patrie.