Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre II

Garnier Frères (p. 372-373).

Chapitre II - Du vêtement des prêtres et des ornements de l’Église

On ne cesse de se récrier sur les institutions de l’antiquité, et l’on ne veut pas s’apercevoir que le culte évangélique est le seul débris de cette antiquité qui soit parvenu jusqu’à nous ; tout dans l’Église retrace ces temps éloignés dont les hommes ont depuis longtemps quitté les rivages, et où ils aiment encore à égarer leurs pensées. Si l’on fixe les yeux sur le prêtre chrétien, à l’instant on est transporté dans la patrie de Numa, de Lycurgue ou de Zoroastre. La tiare nous montre le Mède errant sur les débris de Suze et d’Ecbatane ; l’aube dont le nom latin rappelle et le lever du jour et la blancheur virginale, offre de douces consonances avec les idées religieuses ; toujours un majestueux souvenir ou une agréable harmonie s’attache aux tissus de nos autels.

Et ces autels chrétiens, modelés comme des tombeaux antiques, et ces images du soleil vivant renfermées dans nos tabernacles, ont-ils quelque chose qui blesse les yeux ou qui choque le goût ? Nos calices avaient cherché leurs noms parmi les plantes, et le lis leur avait prêté sa forme ; gracieuse concordance entre l’Agneau et les fleurs.

Comme la marque la plus directe de la foi, la croix est aussi l’objet le plus ridicule à de certains yeux. Les Romains s’en étaient moqués, ainsi que les nouveaux ennemis du christianisme ; et Tertullien leur avait montré qu’ils employaient eux-mêmes ce signe dans leurs faisceaux d’armes. L’attitude que la croix fait prendre au Fils de l’Homme est sublime : l’affaissement du corps et la tête penchée font un contraste divin avec les bras étendus vers le ciel. Au reste, la nature n’a pas été aussi délicate que les incrédules ; elle n’a pas craint de mouler la croix dans une multitude de ses ouvrages : il y a une famille entière de fleurs qui appartient à cette forme, et cette famille se distingue par une inclination à la solitude ; la main du Tout-Puissant a aussi placé l’étendard de notre salut parmi les soleils.

L’urne qui renfermait les parfums imitait la forme d’une navette ; des feux et d’odorantes vapeurs flottaient dans un vase à l’extrémité d’une longue chaîne : là se voyaient les candélabres de bronze doré, ouvrage d’un Cafieri ou d’un Vassé, et images des chandeliers mystiques du roi poète ; ici les vertus cardinales, assises, soutenaient le lutrin triangulaire ; des lyres accompagnaient ses faces, un globe terrestre le couronnait, et un aigle d’airain, surmontant ces belles allégories, semblait, sur ses ailes déployées, emporter nos prières vers les cieux. Partout se présentaient et des chaires légèrement suspendues, et des vases surmontés de flammes, et des balcons, et de hautes torchères, et des balustres en marbre, et des stalles sculptées par les Charpentier et les Dugoulon, et des lampadaires arrondis par les Ballin ; et des Saints-Sacrements de vermeil dessinés par les Bertrand et les Cotte. Quelquefois les débris des temples des dieux du mensonge servaient à décorer le temple du vrai Dieu ; les bénitiers de Saint-Sulpice étaient deux urnes sépulcrales apportées d’Alexandrie ; les bassins, les patènes, les eaux lustrales, rappelaient les sacrifices antiques ; et toujours venaient se mêler, sans se confondre, les souvenirs de la Grèce et d’Israël.

Enfin, les lampes et les fleurs qui décoraient nos églises servaient à perpétuer la mémoire de ces temps de persécution où les fidèles se rassemblaient pour prier dans les tombeaux. On croyait voir ces premiers chrétiens allumer furtivement leur flambeau sous des arches funèbres, et les jeunes filles apporter des fleurs pour parer l’autel des catacombes : un pasteur, éclatant d’indigence et de bonnes œuvres, consacrait ces dons au Seigneur. C’était alors le véritable règne de Jésus-Christ, le Dieu des petits et des misérables ; son autel était pauvre comme ses serviteurs. Mais si les calices étaient de bois, les prêtres étaient d’or, comme parle saint Boniface ; et jamais on n’a vu tant de vertus évangéliques que dans ces âges où pour bénir le Dieu de la lumière et de la vie il fallait se cacher dans la nuit et dans la mort.