Génie du christianisme/Partie 3/Livre 1/Chapitre V

Chapitre V - Sculpture

A quelques différences près, qui tiennent à la partie technique de l’art, ce que nous avons dit de la peinture s’applique également à la sculpture.

La statue de Moïse, par Michel-Ange, à Rome ; Adam et Eve, par Baccio, à Florence ; le groupe du Vœu de Louis XIII, par Coustou, à Paris ; le saint Denis, du même ; le tombeau du cardinal de Richelieu, ouvrage du double génie de Le Brun et de Girardon ; le monument de Colbert exécuté d’après le dessin de Le Brun, par Coyzevox et Tuby ; le Christ, la Mère de pitié, les huit Apôtres de Bouchardon, et plusieurs autres statues du genre pieux, montrent que le christianisme ne saurait pas moins animer le marbre que la toile.

Cependant, il est à désirer que les sculpteurs bannissent à l’avenir de leurs compositions funèbres ces squelettes qu’ils ont placés au monument : ce n’est point là le génie du christianisme, qui peint le trépas si beau pour le juste.

Il faut également éviter de représenter des cadavres[1] (quel que soit d’ailleurs le mérite de l’exécution), ou l’humanité succombant sous de longues infirmités[2]. Un guerrier expirant au champ d’honneur dans la force de l’âge peut être superbe, mais un corps usé de maladies est une image que les arts repoussent, à moins qu’il ne s’y mêle un miracle, comme dans le tableau de saint Charles Borromée[3]. Qu’on place donc au monument d’un chrétien, d’un côté, les pleurs de la famille et les regrets des hommes ; de l’autre, le sourire de l’espérance et les joies célestes : un tel sépulcre, des deux bords duquel on verrait ainsi les scènes du temps et de l’éternité, serait admirable. La mort pourrait y paraître, mais sous les traits d’un ange à la fois doux et sévère : car le tombeau du juste doit toujours faire s’écrier avec saint Paul : O mort ! Où est ta Victoire ? qu’as-tu fait de ton aiguillon[4] ?

  1. Comme au mausolée de François Ier et d’Anne de Bretagne. (N.d.A.)
  2. Comme au tombeau du duc d’Harcourt. (N.d.A.)
  3. La peinture souffre plus facilement la représentation du cadavre que la sculpture, parce que dans celle-ci le marbre, offrant des forces palpables et glacées, ressemble trop à la vérité.(N.d.A.)
  4. I Cor., chap. XV, v. 5.(N.d.A.)